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00:00:00 *Bruit de vent*
00:00:02 *Bruit de vent*
00:00:04 *Bruit de feu*
00:00:06 *Bruit de feu*
00:00:08 *Musique de fin*
00:00:10 *Musique de fin*
00:00:39 Bonsoir, dans Café littéraire j'ai le plaisir de recevoir Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy pour Ennemis publics
00:00:47 publié conjointement par Flammarion et Grasset
00:00:51 Bonsoir Michel Houellebecq
00:00:52 Bonsoir
00:00:53 Bernard-Henri Lévy, bonsoir
00:00:54 Bonsoir
00:00:55 Alors, vous êtes prêt à passer une heure, une heure trente avec nous, sans fumer ?
00:01:00 Euh... oui
00:01:02 Oui ?
00:01:03 Oui, sans fumer
00:01:04 Oui, pour vous, pas de problème
00:01:06 Depuis longtemps
00:01:07 Vous avez arrêté, alors...
00:01:09 Michel, c'est plus récent
00:01:10 Oui, c'est plus récent, on en parlera parce que je crois que vous avez souscrit un objet un peu particulier
00:01:14 J'ai acheté un produit nouveau
00:01:16 Voilà, on en parlera au moment venu
00:01:19 Avec la publication orchestrée de Ennemis publics, on pensait avoir affaire au coup marketing de la rentrée littéraire
00:01:26 Eh bien, c'est raté, on a un livre et un vrai
00:01:29 On craignait l'étalage complaisant d'Ego Hyper Trophié, désolé
00:01:34 On découvre deux écrivains, deux hommes, explorant ensemble quelques recoins intimes et secrets
00:01:41 Alors, pas de miracle, ni de rédemption, simplement une rencontre, votre rencontre, messieurs
00:01:48 Et c'est de ça dont on va parler ce soir, on va parler de ce livre
00:01:52 Donc, que vous avez écrit pendant six mois, échange de lettres
00:01:57 Mais, je voudrais vous demander, avant d'écrire ce livre, quelle image vous aviez l'un de l'autre
00:02:03 Si vous voulez bien commencer, Michel Houellebecq, qui était pour vous ce Bernard-Henri Lévy ?
00:02:08 En partie, il y a une caricature, on peut dire en résumé gauche caviar
00:02:15 Aussi, de l'autre côté, c'était quand même l'auteur de plusieurs bons livres
00:02:21 En particulier, pour moi, les derniers jours de Charles Baudelaire, parce que Baudelaire c'est quand même un des auteurs qui a le plus compté dans ma vie
00:02:29 Vous avez Baudelaire en partage
00:02:31 Et donc, j'avais envie d'en savoir plus
00:02:34 Dans le livre, franchement, on en sait un peu plus parce que, page 7, j'ai mis les livres devant vous, parce que je vais faire référence et faire appel à vous
00:02:44 Rendez-vous, page 7, Michel Houellebecq, il y a un passage qui est surligné, que j'aimerais bien que vous lisiez
00:02:51 Comme ça, ça sera un portrait, j'allais dire, un peu plus complet de ce que vous disiez de Bernard-Henri Lévy, je vous écoute
00:02:57 Je peux lire celui d'après aussi, parce que...
00:03:01 Effectivement, c'est l'image de Bernard-Henri Lévy
00:03:06 "Spécialiste des couffoirs et des pantalons intermédiatiques, vous déshonorez jusqu'aux chemises blanches que vous portez
00:03:12 Intime dépuissant, baignant depuis l'enfance dans une richesse obscène, vous êtes emblématique de ce que certains magazines un peu bas de gamme comme Marianne continuent d'appeler la gauche caviar
00:03:23 Et que les périodistes allemands nomment plus finement la Toscana-Fraktion
00:03:27 Philosophe sans pensée, mais non sans relation, vous êtes en outre l'auteur du film le plus ridicule de l'histoire du cinéma
00:03:34 Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogynonteux, ce sera encore me faire trop d'honneur que de me ranger un peu au ragoutant de famille des anarchistes de la droite
00:03:45 Fondamentalement je ne suis qu'un beauf, auteur plat, sans style, je n'ai accès à la notoriété littéraire que par suite d'une invraisemblable faute de goût commise il y a quelques années par des critiques déboussolées
00:03:57 Mes provocations poussives ont depuis, heureusement, fini par lasser"
00:04:02 Comme on dit on est habillé pour l'hiver dans ces cas là, mais Bernard Renevillez vous quelle était votre image de Michel Houellebecq, on en a quelques traces dans ce livre
00:04:13 Avant cette correspondance vous voulez dire ?
00:04:16 Oui, avant, oui bien sûr
00:04:17 Pour moi Michel Houellebecq c'était un grand écrivain qui comme tous les grands écrivains porte sur l'époque et sur le malaise de la civilisation d'aujourd'hui un diagnostic implacable
00:04:31 Et avec cet écrivain j'avais des désaccords d'idées, j'avais des désaccords qui me semblaient forts et peut-être même insurmontables
00:04:39 Sur l'islam par exemple, il avait fait des déclarations hors de ses livres que j'avais trouvé choquantes, mais dont je ne pensais pas en revanche qu'elles étaient justiciables des tribunaux
00:04:51 Mais qui m'avaient idéologiquement choqué
00:04:53 Son nihilisme ou son dépressionnisme je ne les partageais pas non plus, moi je pensais, je suis plus optimiste qu'il ne l'était
00:05:03 Donc voilà, écrivain, diagnostic sur l'époque, je ne sais pas que pour comprendre ce qui se passe même aujourd'hui, cette espèce d'apocalypse suspendue dans laquelle nous baignons l'économie mondiale etc
00:05:16 Je crois qu'on aurait intérêt à relire, pas tellement ce livre mais les romans de Michel Houellebecq qui d'une certaine manière annonce ça
00:05:24 Et puis des vrais désaccords d'idées dont je pensais que ce serait l'occasion de débattre
00:05:30 Pour qu'on soit à égalité, je voudrais que vous preniez ce livre à la page 9, je vous ai sélectionné un petit passage en bas de cette page 9 pour quand même dire votre agacement
00:05:44 Parce qu'il y a quand même un certain agacement qui pointe
00:05:46 Ce que je trouvais bien dans la première lettre de Michel, parce que ce qu'il a lu c'est l'ouverture du livre, c'est qu'au fond tout ça on le dit mieux que nos adversaires
00:05:58 C'était ça un peu la démonstration
00:06:01 Alors en effet je lui dis qu'on peut engager le débat, qu'il y a plusieurs pistes
00:06:05 Piste numéro 2, vous d'accord, pantalonnade etc, mais pourquoi moi ?
00:06:10 Pourquoi marcherais-je après tout dans votre exercice d'auto-dénigrement ?
00:06:14 Et pourquoi vous suivrais-je dans ce goût que vous manifestez pour l'auto-destruction fulminante, maudissante, mortifiée ?
00:06:22 Je n'aime pas le nihilisme, je déteste le ressentiment et la mélancolie qui va avec moi
00:06:28 C'est ça que vous déjeunez
00:06:29 C'est parfait, et en même temps ce qui est intéressant, et on va le voir parce qu'on va parler de ça
00:06:34 Tout au long du livre, l'idée que vous avez l'un de l'autre va se modifier et c'était aussi l'objet de cette rencontre
00:06:42 Oui, oui, oui, oui, c'était... bon je savais qu'on aurait des points de désaccord
00:06:48 Mais c'est indispensable pour une correspondance un peu intéressante
00:06:52 Et on a trouvé des points d'accord quand même, oui
00:06:56 On va renforcer...
00:06:58 Peut-être plus littéraire qu'idéologique au fond, mais on a trouvé des points d'accord
00:07:05 Alors, on vient de parler de l'image que vous véhiculez par certains médias
00:07:10 Et on a maintenant un portrait croisé de vos carrières respectives, un sujet réalisé par Judy Brown, regardez
00:07:18 C'est le couple le plus détonnant de la rentrée, l'un efflamboyant, l'autre introverti
00:07:24 A l'évidence, tous les opposent, et pourtant, tous deux ont mis leur vie au service de l'écriture
00:07:32 Ce sont deux personnages qui, dans leur vie et dans leur oeuvre, continuent à être en grogne, en colère avec leur environnement, l'époque
00:07:41 Ce sont des gens qui n'ont pas réussi du tout, les âges allant et l'oeuvre s'accumulant, à s'apaiser
00:07:48 A la différence de Michel Houellebecq, la jeunesse de BHL semble douce
00:07:52 Il grandit dans un foyer bourgeois et aimant où la culture domine
00:07:56 Mais en son fort intérieur, le jeune homme bout
00:07:59 Quand il était tout petit, il se jouait tout seul au fond du jardin, des scènes de gloire
00:08:05 Il a envie de la folie, d'être quelqu'un qui dépasse les normes et qui irait toucher une autre vie d'héroïsme, de gloire
00:08:15 L'enfance de Houellebecq tranche avec celle de BHL
00:08:18 Très tôt négligé par ses parents, Michel est élevé à Crécy-la-Chapelle par ses grands-parents
00:08:23 De cette enfance reste la cicatrice de l'abandon, que Houellebecq écrit d'en mourir
00:08:29 "Ca n'a rien donné, je le sais maintenant, jusqu'à ma mort je resterai un tout petit enfant abandonné, hurlant de peur et de froid, affamé de caresses"
00:08:37 Le fait d'être élevé par ses grands-parents fait de Michel Houellebecq un enfant assez solitaire d'abord
00:08:46 En rencontrant son époque à travers ses lectures qui vont être extrêmement importantes
00:08:53 De "Pif le chien" sur lequel il a écrit au roman du 19ème ou à la science-fiction
00:08:59 Michel Houellebecq a 19 ans quand un soir de télé ordinaire, la France découvre le visage de BHL
00:09:05 Il bouscule les codes de la télé et annonce le projet d'une vie
00:09:08 Pour moi la mission du philosophe, et simplement, c'est pas d'amorcer la révolution culturelle, je suis en désaccord avec Maurice Clavel là-dessus
00:09:14 C'est tout simplement de résister à toutes les formes de barbarie, qu'elle soit de droite ou qu'elle soit dite de gauche
00:09:19 Pour moi c'est la solution, parce que je crois pas beaucoup à la mission des intellectuels, et je crois pas beaucoup à la force des idées, et je crois pas beaucoup à la puissance de la philosophie
00:09:25 Du diable en tête au testament de Dieu, Bernard-Henri Lévy se fait le témoin de l'histoire
00:09:30 Il s'inscrit dans la lignée de Malraux ou d'Hemingway, des écrivains engagés
00:09:35 Les écrivains Marek Halter, André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy ont été emmenés de force dans un quart de police
00:09:41 dont ils se sont échappés en brisant les vitres et en fençant la porte, c'est bien pour des intellectuels de faire ça
00:09:46 pour aller ensuite rejoindre un autre groupe réuni devant l'ambassade d'Argentine
00:09:50 Il y a des gens qui sont contents que tout ça bouge tout le temps autour d'eux, que c'est un challenge permanent, c'est formidable
00:09:57 Il y en a d'autres que ça fait chier, je veux dire
00:10:00 Tout ça l'ennuie Houellebecq, comme sa vie de petit informaticien
00:10:04 Sa vie est ailleurs, il lit Dostoyevsky, Balzac, Baudelaire, comme eux, son regard n'est qu'écriture
00:10:11 La seule chose où je ne vois pas normal c'est...
00:10:19 Je pense que c'est que je vois tout, tout mieux que les autres
00:10:27 Y compris ce qui me concerne
00:10:32 Début des années 90, Houellebecq sort extension du domaine de la lutte
00:10:36 Sa carrière d'écrivain est lancée, mais à cette époque, la Bosnie brûle
00:10:41 Bernard-Henri Lévy s'y rend et revient avec l'un de ses plus beaux textes
00:10:45 Moi, toute son oeuvre, le livre que je préfère, vraiment, de loin, c'est "Le lys et la cendre", son journal de Bosnie
00:10:52 C'est un point d'équilibre, un point de réunion entre toute une expérience d'écrivain, de philosophe
00:10:59 et une sorte d'empathie pour le sujet
00:11:04 Donc quelque part, c'est sa guerre d'Espagne, il cherche des guerres, Bernard-Henri Lévy
00:11:09 Si Houellebecq s'installe au coeur de nos vies, s'il choisit de raconter la vieillesse, le sexe, les errements de l'époque
00:11:17 Bernard-Henri Lévy part encore à la conquête de nouveaux territoires, comme ici en Amérique, où il faisait la promotion d'American Vertigo
00:11:25 Il dit, il raconte, que s'il s'exprimait sur la France, il se prendrait encore beaucoup plus de coups
00:11:31 Houellebecq est un assez bon miroir de l'anti-BHL et ça doit être réciproque, sans doute
00:11:39 Ils sont assez bien répartis, les territoires
00:11:42 Aujourd'hui, BHL a conquis l'Amérique, Houellebecq est parti vivre en Irlande
00:11:47 Avant de commenter vos portraits respectifs, première remarque, on fumait beaucoup sur les plateaux de télévisé en ce temps-là
00:11:54 Oui, c'était le bon temps
00:11:56 Alors, que pensez-vous de ce portrait ? Quel commentaire vous voudriez apporter à ce portrait de Bernard-Henri Lévy ?
00:12:04 Ça c'est très difficile, très difficile de commenter son propre portrait
00:12:11 On a l'impression que c'est quelqu'un d'autre, surtout, ça me fait...
00:12:14 Il y a des images que je n'avais pas revues depuis 30 ans, ce fameux apostrophe en face de Maurice Clavel
00:12:23 Par exemple, vraie émotion à revoir, à revoir cette apostrophe à Maurice Clavel
00:12:28 Et je ne sais pas bien de quoi je lui parlais là, quand je lui dis "je ne suis pas d'accord"
00:12:32 Je pense que Maurice, à l'époque, devait être encore plus optimiste que moi
00:12:37 C'est-à-dire, il devait penser que mai 68 et ce qui avait suivi était une espèce d'insurrection spirituelle
00:12:43 Et d'appel à la révolution des esprits
00:12:46 Et je crois que déjà en 1977, j'étais très réservé par rapport à cette idée
00:12:52 Donc j'étais plus pessimiste, philosophiquement, même si je croyais comme aujourd'hui
00:12:57 Qu'il faut se battre, qu'il faut aller en Bosnie, qu'il faut, quand il y a de l'intolérable, le dire
00:13:04 Et qu'il faut essayer de faire son boulot d'intellectuel et d'écrivain engagé
00:13:08 Mais le Bernard-Henri Lévy d'aujourd'hui, quand il voit le jeune Bernard-Henri Lévy, il en est fier ?
00:13:13 Il en a la nostalgie ? Il se dit "ça commençait bien"
00:13:16 Non, ni fier ni nostalgie, il a l'impression d'une cohérence, que le programme a été rempli
00:13:25 Il a l'impression que ce que je disais en ce temps-là et ce à quoi j'avais l'intention de me consacrer, je l'ai un peu fait
00:13:35 Et ce que je dis là, que quel que soit leur camp, les victimes ne doivent pas se dissocier
00:13:43 Qu'il n'y a pas de bonnes victimes et de mauvaises victimes, qu'il n'y a pas de bourreaux privilégiés
00:13:49 C'est au fond ce que j'ai passé ma vie à dire et ce que je dis encore aujourd'hui
00:13:54 Autrefois j'allais, je ne sais où, au Cambodge ou au Bangladesh, aujourd'hui je vais au Darfour
00:13:59 Et je dis la même chose, alors avec le temps qui a passé, avec des petites blessures, avec quelques illusions de moi
00:14:08 Mais j'ai l'impression d'être resté un peu fidèle à moi-même
00:14:12 Et vous Michel Houellebecq, est-ce qu'il y a quelques illusions de plus par rapport au portrait qu'on a vu ?
00:14:18 Ou bien vous vous sentez à l'aise dans ce portrait-là ?
00:14:21 C'est moi, il faut bien le reconnaître, heureusement ou malheureusement
00:14:27 Finalement, être élevé par ses grands-parents, une des grandes conséquences je crois
00:14:32 C'est qu'on prend conscience plus tôt que les autres que l'homme est mortel
00:14:37 Que c'est des choses assez fragiles, les hommes, qui ne durent pas très longtemps
00:14:42 Et je pense que c'est, là je parle à un moment donné dans ce livre, c'est vrai que Pascal a été un choc énorme
00:14:50 Et la faille secrète, pourquoi Pascal m'a fait tant d'effets ?
00:14:54 C'est parce que la mort qu'on sent chez Pascal, en Allemagne, j'ai compris que mes grands-parents allaient mourir
00:15:02 C'était ça la faille
00:15:05 En même temps, dans Pascal, vous parlez à un moment, c'est intéressant, vous dites que c'est aussi fort que le heavy metal
00:15:11 Ah oui, c'est très violent, Pascal
00:15:15 Le fragment que je cite est d'une vieille...
00:15:19 Je ne sais pas, je me suis passé l'après-midi à lire
00:15:24 Et le soir, je voyais les gens, j'avais l'impression de voir des cadavres futurs devant moi
00:15:31 Le monde entier était rempli de cadavres futurs
00:15:34 Ça m'a fait un choc incroyable
00:15:37 Mais vous trouvez approprié qu'on étudie Pascal à l'adolescence, dans les collèges ou dans les lycées ?
00:15:43 Oui, les adolescents ont souvent besoin de cette violence, oui
00:15:47 Ils ont besoin de choses fortes et de commotions nerveuses fortes
00:15:53 C'est un auteur pour l'adolescence, Pascal
00:15:56 C'est un auteur qu'on lit toute sa vie, mais c'est un auteur qu'on peut commencer à lire à l'adolescence, vraiment
00:16:01 Il y en a d'autres...
00:16:05 Oui, parce qu'on va parler de vos délectures, parce que ce qui est intéressant dans vos deux trajectoires
00:16:09 C'est la façon dont les choses se sont nouées
00:16:13 Alors, revenons un petit peu, j'allais presque dire au début, l'adolescence
00:16:17 Quel adolescent était Michel Houellebecq ?
00:16:20 Ah mais au début, c'est avant, vous savez
00:16:22 Moi, je lis des... J'ai lu des "Club des Cinq", des Jules Verne, des Alexandre Dumas
00:16:29 Dès la bibliothèque verte, il y avait pas mal de classiques
00:16:32 Il y avait les "Comptes d'Andersen", les "Aventures de M. Pickwick", "Gradiela"
00:16:37 Je me souviens de Victor Hugo aussi
00:16:40 L'adolescence, ça partait assez bien
00:16:45 Vous dites, dans le livre, "Je plaisais bien aux filles, je jouais au football même"
00:16:50 Oui, je fumais pas, je pouvais presque être équilibré
00:16:56 C'est vrai que Pascal était un choc terrible
00:16:59 Il y avait la petite subconscience de la douleur, toute la douleur du monde
00:17:03 Il y a des choses qui vous...
00:17:11 C'est comme si le coeur s'ouvrait
00:17:14 Et tous les autres auteurs après, les auteurs les plus noirs, Dostoevsky, Kafka
00:17:21 J'étais prêt à tout absorber après Pascal
00:17:24 Et j'avais besoin de ça
00:17:26 Pascal, j'ai compris que la littérature, ça pouvait être une question de vie ou de mort
00:17:33 Après, j'ai adoré les Stooges par exemple, vraiment
00:17:38 Et je comprends que des gens plus jeunes aient adoré Nirvana
00:17:41 Et pour moi, le plus fort, ça a été Pascal, le plus violent
00:17:46 Alors, mais n'empêche que vous dites que ce qui montrait un petit peu la faille dans l'adolescent
00:17:52 C'était cette lecture un peu précoce de Baudelaire
00:17:54 Oui, je trouve bizarre d'avoir lu Baudelaire à 13 ans
00:17:57 Parce que là, c'est pas un auteur pour les enfants
00:17:59 Je comprends pas tout à fait ce qu'il me...
00:18:02 Mais je crois que je comprenais pas de quoi il voulait parler
00:18:04 Mais c'était beau, j'étais captivé sans comprendre, il me semble
00:18:11 Et vous Bernard-Rodriguez, l'adolescent, il est plus mystérieux, plus secret
00:18:15 Le secret chez vous, c'est quelque chose d'important
00:18:18 Quel était l'adolescent qu'on pouvait voir dans Bernard-Rodriguez ?
00:18:24 L'adolescent...
00:18:31 Non, les livres aussi d'abord
00:18:34 Les livres d'abord, enfin, si j'essaie de me souvenir de ces années
00:18:39 Je crois moi aussi que ce qui comptait le plus au monde, c'était évidemment les livres
00:18:46 Je faisais partie de ces gens bizarres qui, selon le mot célèbre
00:18:51 N'auraient pas su ce qu'était l'amour s'ils n'avaient lu Stendhal
00:18:55 N'auraient pas su ce qu'était la mort s'ils n'avaient lu Le Temps du Mépris de Malraux
00:18:59 J'ai vraiment appris les sentiments dans les livres
00:19:04 Moi quand j'avais 16 ou 17 ans, j'avais l'impression que la matière du monde
00:19:12 La matière des sentiments, c'était vraiment les mots de la littérature
00:19:17 Que c'est ça qui faisait... comment dire...
00:19:21 Je me rappelle par exemple quand il y a eu le livre de François Jacob et Monod
00:19:26 Et puis la découverte de l'ADN, etc.
00:19:29 Je me souviens m'être dit, mais au fond l'ADN c'est pas ça
00:19:32 L'ADN c'est les mots des écrivains, ceux dont nous sommes fabriqués
00:19:36 Ceux dont nos esprits et même nos corps sont fabriqués, c'est les mots des écrivains
00:19:42 Alors les écrivains, c'était Baudelaire, moi aussi très vite
00:19:46 Et moi je crois qu'il n'y a pas d'écrivain pour adolescent ou pas
00:19:53 Moi j'ai lu Baudelaire avec effroi et une immense émotion
00:20:01 C'était Malraux
00:20:04 Et ce que j'aime bien dans ce livre que nous avons écrit, Michel et moi
00:20:09 C'est que c'est au fond une sorte d'exercice d'admiration
00:20:14 Ou d'hommage payé ou de dettes impayées
00:20:18 Je crois que l'un comme l'autre, nous avons pris prétexte de ce livre
00:20:22 Ça a été au fond un de ses fils, pour payer nos dettes littéraires
00:20:25 Moi il y a des écrivains dont je n'avais jamais parlé
00:20:28 Et qui m'ont bouleversé quand j'étais jeune homme
00:20:31 Malaparte par exemple, qui a écrit le plus extraordinaire roman de guerre du XXe siècle
00:20:35 Capoute, dont je n'avais jamais parlé, dont je parle ici
00:20:39 Camus, auquel je regrette de ne pas avoir consacré le livre que j'ai consacré à Sartre
00:20:46 Je suis heureux d'en parler ici
00:20:49 Et d'autres, enfin Romain Garry par exemple
00:20:53 Aussi, que j'ai adoré très jeune, très tôt
00:20:58 Là pour le coup, je ne le lisais pas encore mais je le voyais passer
00:21:02 Je regardais Romain Garry passer Boulevard Saint-Germain
00:21:05 Avec ses chapeaux de cow-boy
00:21:08 Ses airs tantôt de vieil académicien, tantôt de ringard précoce
00:21:13 Avec ses bottes de cow-boy et ses pantalons plein d'étoiles
00:21:19 D'étoiles de shérif, avec cette espèce d'immense élégance et de pointe de vulgarité qu'il pouvait avoir
00:21:26 Avec cette vie romanesque qui était la sienne
00:21:29 - Vous parlez de la tentation de Garry ?
00:21:31 - Et j'avais, pour cet homme, pour cet écrivain, avant de le lire
00:21:35 J'avais une espèce de fascination extraordinaire, mais parce qu'il était un écrivain
00:21:39 - Alors dans le partage de vos passions, votre vie d'adolescent a été partagée entre bien sûr les livres et aimée
00:21:47 Parce que vous le dites dans ce livre, en fait, si vous ne faites pas l'amour toute la journée, c'est parce qu'il faut bien lire
00:21:53 Et si vous ne lisez pas toute la journée, c'est parce qu'il faut bien faire l'amour
00:21:57 - Oui, la formule n'est pas tout à fait...
00:22:01 - C'est une phrase de Barès
00:22:04 Barès à qui on avait demandé un jour, qu'est-ce que vous faites à l'Assemblée ?
00:22:08 Parce qu'il était député, député de Nancy
00:22:10 Et on lui dit, pourquoi faites-vous de la politique ?
00:22:13 Pourquoi vous faites sur les bancs de l'Assemblée, avec cette armée de types qui ne sont pas de votre niveau, qui sont la représentation nationale ?
00:22:20 Et il avait dit, comme on ne peut pas écrire toute la journée, il faut bien aller à l'Assemblée l'après-midi
00:22:26 Et en effet, quand j'avais 20 ans, 25 ans, 30 ans, quand j'ai commencé à écrire, c'est vrai, oui, c'est ce qui est incroyable avec ce qui se passe
00:22:36 - Voilà, avec la correspondance, c'est qu'on dit des choses qu'on ne dit jamais autrement, et qu'on a du mal même à dire sur un plateau
00:22:42 C'est que c'est vrai que pendant très longtemps, et peut-être même encore aujourd'hui, j'ai pensé qu'il y avait deux choses vraiment intéressantes au monde
00:22:50 Qui étaient la littérature et l'amour, l'amour des femmes ou l'amour de la femme qu'on aime
00:22:57 Et ma thèse dans cette lettre, c'est que c'est la même chose
00:23:01 C'est que c'est les deux, parce que c'est la même chose, parce que c'est la même énergie, qui s'investit dans les deux cas
00:23:09 Moi je crois par exemple que l'écriture est beaucoup plus physique, c'est aussi ce que j'essaie d'expliquer, que ne le disent souvent les écrivains
00:23:17 Les écrivains se la jouent, font comme si tout ça était une activité extraordinairement cérébrale, très abstraite, etc
00:23:25 Et moi je crois vraiment que rien n'est plus physique et justiciable de la physiologie qu'une écriture
00:23:31 C'est pour ça d'ailleurs que les écrivains écrivent avec leur maladie, c'est pour ça qu'ils écrivent avec leur poumon malade dans le cas de Proust
00:23:40 C'est pour ça qu'il y a des pages bouleversantes de Kafka, le plus cérébral apparemment des écrivains
00:23:47 Où il explique que c'est vraiment son corps qui écrit
00:23:49 Céline, c'est une histoire de main et je me souviens, ça aussi nous en parlons dans le livre avec Michel
00:23:56 Philippe Muray expliquait dans son Céline comment la grande différence entre les grands textes de Céline, ces grands romans
00:24:04 Et puis ces textes antisémites, ces pamphlets, c'est une question de vitesse de la main
00:24:08 Muray avait une démonstration éblouissante, c'est la vitesse de la main qui décidait que tantôt il y avait des romans géniaux qui renouvelaient la littérature française
00:24:19 Et tantôt des romans pesants, lourds de tous les clichés les plus bêtes et les plus criminels qui étaient les clichés antisémites
00:24:26 Donc voilà, je crois que tout ça c'est la même chose
00:24:29 Michel Houellebecq, il y a dans le livre, on parlait de la dimension physique, vous parlez à un moment, vous comparez l'écriture à ce vélo qu'il faut garder sur la route
00:24:39 Avec cette espèce de force pour empêcher l'embardé
00:24:43 Oui, moi j'aime bien quand j'ai l'impression que ça peut partir dans les décors
00:24:47 Et quand il y a des forces...
00:24:52 Moi, une de mes phrases préférées c'est Schopenhauer qui compare des personnages à des pierres qui dévalent la montagne
00:25:03 Et il faut arriver à un point où l'énergie nerveuse dégagée par les personnages est forte
00:25:11 Et où on fait des petites... on essaye quand même que le roman tienne un peu de boue
00:25:16 Mais c'est comme une descente, j'ai adoré ça quand j'étais petit, la descente c'est vachement dangereux
00:25:23 J'aimais bien être à la limite de tomber dans le ravin, ça m'excitait vraiment
00:25:30 Et je cherche ça quand j'écris un livre, j'aime bien être à la limite de me casser vraiment la gueule, de déraper, de faire un truc qui va plus du tout, qui n'a plus aucun sens
00:25:41 J'ai besoin de ça, de cet espèce de danger
00:25:45 Et plus récemment, j'ai arrêté là, mais c'est vrai que j'aimais aussi conduire très vite, très très vite
00:25:54 Faire des petites choses, petits mouvements de volant, petits mouvements de frein, j'aime ça
00:26:00 En tout cas, il n'y a pas eu d'embardée pour votre oeuvre, vous êtes arrivés tous les deux au succès
00:26:05 Qu'est-ce que ça produit ce succès ?
00:26:07 Il y a une phrase dans le livre, "je suis devenu célèbre en septembre 1998 et riche en avril 1999"
00:26:19 J'ai toujours hésité à dire ça, parce que j'ai eu des collègues de travail adorables par moments
00:26:23 Mais tout le monde sentait bien que je n'aurais pas pu tenir très très longtemps
00:26:27 Donc je suis très content, quand j'ai gagné de l'argent et quand j'ai pu arrêter
00:26:33 C'est très difficile d'écrire un livre en travail en même temps, dans la journée
00:26:40 Je l'ai fait une fois et je n'ai pas trop envie d'avoir recommencé
00:26:43 On est tout le temps dérangé, ça ne va pas
00:26:47 Et donc moi, ça a été ça, le point final, la notoriété c'est moins important
00:26:53 Gagner suffisamment d'argent pour vider sa plume, oui, peu de gens y arrivent, vous savez
00:26:58 Pour échapper au monde du travail
00:27:00 Mais j'ai eu des collègues gentils, qui étaient plutôt...
00:27:06 Même qui me passaient des trucs qu'ils n'auraient pas dû passer
00:27:10 Je n'étais pas un employé...
00:27:12 - La gestion de la notoriété, Bernard-Henri Lévy, est-ce qu'il y a une stratégie pour gérer la notoriété ?
00:27:18 Est-ce qu'on était préparé, est-ce qu'on est préparé comme jeune adolescent qui était Bernard-Henri Lévy à la notoriété ?
00:27:23 - Bien sûr que non, alors ça vraiment, c'est vrai de Michel, c'est vrai de moi et c'est vrai de, je crois, de tous les écrivains dont nous parlons
00:27:33 La notoriété, ça vient toujours par hasard et par malentendu
00:27:38 C'est très très rare, et vraiment dans tous ceux que nous évoquons, je n'en vois pas un qui ait calculé sa notoriété
00:27:45 C'est une succession de circonstances, c'est un...
00:27:50 Moi je me rappelle, enfin, mon souvenir vécu, ce petit morceau d'apostrophe que vous montriez tout à l'heure
00:27:58 Mais je n'avais pas la moindre idée
00:28:00 Le livre dont je venais parler qui s'appelait "La barbarie à visage humain" avait été refusé par mon éditeur
00:28:07 avait été refusé par Grasset en un premier temps, qui avait dit que ça n'avait pas beaucoup d'intérêt
00:28:12 On l'avait imprimé à 2000 et quelques exemplaires, j'arrivais à apostrophe
00:28:16 Mais vraiment, comme je serais allé dîner avec des copains, ou comme je serais allé dans une boîte danser
00:28:23 C'était, je n'imagine pas, un quart de seconde qu'il y avait autant d'enjeux
00:28:27 Édernalier a failli être votre éditeur, non ? C'est vrai, il a fait faillite
00:28:32 Voilà, c'est le Jean Édernalier, enfin, paix à son âme
00:28:36 Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas que des qualités
00:28:39 Mais enfin, dans ma vie, il a eu ce rôle-là
00:28:43 C'est vrai qu'il m'avait commandé, mais alors dans des circonstances là aussi, plus que de malentendus
00:28:48 Enfin, vraiment, il m'a commandé ce livre
00:28:52 Voilà, mais l'idée qu'on puisse calculer cela est une idée absurde
00:28:58 C'est vraiment, il faut avoir une vision complotiste des choses, conspirationniste
00:29:04 Il faut croire qu'il y a quelque chose derrière les apparences
00:29:08 Il faut croire qu'il y a des grands manipulateurs pour s'imaginer que Welbeck a prévu ce qui allait lui arriver après l'extension du domaine de la lutte
00:29:15 Ou que j'ai imaginé un quart d'instant que pouvait m'arriver ce qui est arrivé après la barbarie
00:29:20 Et alors gérer ça après, n'en parlons pas, c'est absurde
00:29:24 C'est absurde, d'ailleurs, quand on essaie de calculer quelque chose, ça se retourne contre vous
00:29:30 Et puis ce n'est pas intéressant
00:29:33 Mais pourtant, Michel Welbeck, dans le livre, vous dites "moi j'ai toujours été mégalomane"
00:29:37 Oui, totalement, mais ce n'était pas à titre personnel
00:29:44 Je pensais que ce que j'allais faire, je ne savais pas trop bien quoi, allait bouleverser le monde
00:29:51 Mais j'étais en coulisses, j'avais cette idée d'être caché
00:29:59 Dans l'ombre, vous en parlez aussi, de ce désir d'ombre
00:30:03 Je vais me prendre ridicule, mais j'avais des plans de constitution par exemple
00:30:10 Je n'étais pas au pouvoir, mais j'étais l'inspirateur de la constitution
00:30:14 C'est des choses comme ça
00:30:16 D'un état, démocratique quand même ?
00:30:19 Non, pas forcément
00:30:27 Moi, en ce temps-là, la personne que j'admirais le plus, et qui est sans doute une des personnes que j'ai le plus admirées dans ma vie
00:30:36 C'était un conspirateur, et c'était un homme de l'ombre
00:30:40 J'étais jeune cagneux, il était vieux normalien, et il s'appelait Béni Lévy
00:30:48 Et à l'époque, il ne s'appelait pas Béni Lévy, il s'appelait Pierre Victor
00:30:51 Et c'était le chef secret de la gauche prolétarienne
00:30:54 Et vraiment, rien ne me semblait plus enviable, et plus admirable
00:30:59 que le type d'influence que cet homme pouvait avoir sur l'histoire de son temps
00:31:08 Ça me paraissait mille fois plus intéressant d'être Béni Lévy, dont personne ne connaissait le visage à l'époque
00:31:13 dont personne ne connaissait le nom
00:31:16 qui était apatride, que d'être par exemple, autre normalien, Georges Pompidou
00:31:22 Entre le destin, vraiment je crois, je vous assure, Daniel Picouli, je suis vraiment sincère
00:31:28 En ce temps-là, si j'avais eu à choisir, et ça je le dis dans le livre, et Michel me le fait dire
00:31:34 Entre le destin de Pompidou et le destin de Béni Lévy, je crois que j'aurais choisi le destin de Béni Lévy
00:31:41 Autrement dit, le destin de l'ombre, et pas évidemment...
00:31:45 Oui, mais en même temps, de l'engagement, et c'est ce qui vous différencie également
00:31:49 Ah ben Béni Lévy, c'était Lénine
00:31:52 Après il a eu un itinéraire, on en reparlera certainement, puisque Béni Lévy...
00:31:58 Il y a une autre chose qui vous a tenté, et que moi j'ai connue par contre, j'ai eu cette chance
00:32:03 c'est la notoriété pour peu de personnes, pour un cercle de spécialistes, quand j'écrivais des poèmes
00:32:10 Là je pense que ça vous a tenté dans un domaine plus intellectuel
00:32:14 Et même dans la vie d'ailleurs
00:32:17 Oui, pardon, mais je voudrais qu'on en vienne à votre engagement, puisque c'est une partie importante d'ailleurs
00:32:23 dans ce livre, ça vous diffère, ça vous distingue, mais en même temps c'est très important
00:32:28 L'engagement, justement, nous allons en parler tout de suite avec un sujet qu'a réalisé pour nous
00:32:36 Ingrid Demond
00:32:40 Son éternelle chemise blanche en guise d'étendard, depuis maintenant plus de 30 ans
00:32:45 Bernard-Henri Lévy est à la philosophie, ce que les French Doctors sont à la médecine
00:32:49 un urgentiste tout terrain, un philosophe sans frontières, qui au Cambodge ou ailleurs est de toutes les causes, ou presque
00:32:54 Je compte sur cette marche pour provoquer, pour témoigner plutôt, pour indiquer cette solidarité active
00:33:01 cette solidarité internationale avec les pestiférés, avec les damnés du Cambodge
00:33:05 A l'inverse, même si son premier roman s'appelle "L'extension du domaine de la lutte"
00:33:09 méfiez-vous car chez Michel Houellebecq, le destin de l'humanité n'est pas très éloigné de celui d'une souris de laboratoire
00:33:15 Autant dire que l'espoir d'un monde meilleur n'est pas opprobable
00:33:18 Tout le monde finira dépressif, à partir d'un certain âge, je veux dire
00:33:23 Oui, je conclue qu'il n'y a strictement rien à faire
00:33:26 Bernard-Henri Lévy, lui, a ses obsessions bien établies
00:33:29 Le fascisme et le stalinisme, cette barbarie à visage humain qu'il pourfend de toutes parts
00:33:33 soutenant Andrei Isakharov, fournissant des radios à la résistance afghane
00:33:37 ou militant contre les Jeux Olympiques de Moscou en 1980
00:33:40 Les Jeux vont se disputer exactement comme en 1936, à quelques kilomètres d'hôpitaux psychiatriques
00:33:47 où il y a des gens qui crèvent tous les jours et qui souffrent tous les jours
00:33:51 Ça va se disputer à quelques centaines de kilomètres des camps de concentration
00:33:54 dont nous savons et dont vous savez, parce qu'on a tous lu Solzhenitsyn, l'existence
00:33:59 S'il se compare lui-même à un touriste du désastre, BHL est en 1992 l'un des premiers à pénétrer dans la capitale bosniaque assiégée par les serbes
00:34:07 Engagement fondamental qu'il prolongera par le lancement d'une liste Sarajevo aux élections européennes
00:34:13 et par la réalisation de son film "Bosna"
00:34:15 Cette question-là, c'est une enquête sur la non-intervention occidentale
00:34:19 On ne voit que la Bosnie, bien sûr, ce sont des images bosniaques tournées en Bosnie
00:34:24 mais le vrai sujet du film, c'est nous, c'est vous, moi, vous
00:34:27 Michel Houellebecq lui ferait plutôt dans le tourisme désastreux, sexuel quoi
00:34:32 C'est une vision possible du paradis
00:34:37 Mais en endossant ce rôle ingrat de demi-beauf occidental, amateur de partouze ou de chair fraîche en Thaïlande
00:34:43 en osant dire cette vérité et bien d'autres assez frais
00:34:46 Michel Houellebecq trahirait presque une sorte de fibre de l'engagement en creux
00:34:50 comme un microbe qui voudrait bien faire l'effet d'un vaccin
00:34:53 J'étais parti en Thaïlande avec l'idée de base
00:34:57 c'est que le touriste occidental était un gros allemand en fin de vie
00:35:01 venu connaître un dernier petit moment de plaisir
00:35:05 et j'ai découvert pas mal d'anglo-saxons jeunes
00:35:09 donc voilà, c'est une évidence, quand tu vois un truc qui marche bien chez les anglo-saxons jeunes
00:35:14 le monde entier va l'adopter
00:35:16 L'un défend Salman Rushdie, Tasliman Asrin ou Aya Nirsihali contre les intégristes
00:35:21 et c'est l'autre qui se retrouve poursuivi en justice pour des propos religieusement incorrects
00:35:26 tenus dans le magazine lire de septembre 2001
00:35:29 Car la Houellebecq attitude, c'est quand même une bonne dose de provocation, même involontaire
00:35:33 de la part d'un auteur en exil fiscal
00:35:35 En réalité j'ai l'impression d'être un peu... d'avoir un peu quitté la société
00:35:40 Le fait qu'on ait plus le droit de fumer m'interdit les transports en commun concrètement
00:35:45 de même que ça m'interdit aussi le cinéma, le théâtre, les restaurants, les cafés
00:35:51 Ayant pris conscience de ça, je me rends compte que je voterai plus jamais en fait
00:35:56 ça n'a pas de sens
00:35:58 Infatigable, BHL poursuit son cheminement tintinesque à travers le monde
00:36:05 à la recherche des assassins de Daniel Pearl, journaliste décapité dans cette maison
00:36:09 filmée par le philosophe au Pakistan
00:36:11 Toujours de gauche pour Ségolène quand tout se bascule dans l'autre camp
00:36:14 n'hésitant pas à préfacementiser le livre d'un César et Batisti en cavale
00:36:18 L'état français ne peut pas dire pendant 10 ans, 15 ans à un homme
00:36:23 "Vous êtes chez vous, mettez votre nom dans l'annuaire, exercez votre métier, publiez des livres
00:36:29 ayez des enfants" et d'un seul coup sans raison particulière dire
00:36:33 "Désolé, on a changé d'avis, pardonnez-moi mais quoi qu'ait fait Batisti, ça s'appelle l'arbitraire"
00:36:40 Quant à Michel Houellebecq, son manque de combativité est tel qu'il laisse présager le pire
00:36:45 Enfin je sais qu'à force je ne serai pas le plus fort
00:36:50 Si je finirais par dire comme tout le monde en est, vous avez raison au fond la vie est formidable
00:36:56 mais tant que je n'ai rien dit
00:36:58 Voilà avant de parler de votre non-engagement et engagement
00:37:02 je voudrais remercier Eric Dahan qui nous a permis d'utiliser des images
00:37:06 parce qu'il est en train de réaliser un documentaire sur vous dans la collection "Empreintes"
00:37:09 qui sera diffusé un peu plus tard sur France 5
00:37:13 Voilà je voulais le remercier
00:37:15 Alors quand on parle de non-engagement pour vous Michel Houellebecq, peut-être qu'on se trompe
00:37:20 en fait vous êtes peut-être simplement engagé dans des causes indéfendables
00:37:23 Là on voyait le tourisme sexuel ou le clonage
00:37:27 Est-ce que c'est pas un peu ça ?
00:37:29 Non c'est une cause assez défendable ça le tourisme sexuel
00:37:33 Oui c'est la question que je vous pose
00:37:36 Enfin bon je ne suis pas tellement engagé non plus là-dedans
00:37:39 Non j'essaye d'être... j'ai une espèce de réalisme
00:37:44 plus que de pessimisme, je me sens plus comme un réaliste
00:37:47 Mais oui...
00:37:51 Pour...
00:37:54 Pour l'islam j'ai sans doute eu tort parce que...
00:37:59 C'est ça qui est bizarre
00:38:05 C'est vrai que j'ai pu... j'ai pas mal de lecteurs arabes non musulmans évidemment
00:38:10 que j'ai pu choquer en disant ça
00:38:15 parce que c'était la religion de leurs parents, quelque chose comme ça
00:38:18 Et moi-même par exemple je pourrais être attaqué à longueur de journée par l'humanité
00:38:25 j'arriverais jamais à dire du mal les communistes quoi
00:38:28 Je comprends ce genre d'attachement sentimental
00:38:34 Mais est-ce que ce que vous dites là c'est aussi le produit de votre correspondance entre vous deux ?
00:38:41 Ça précisément non
00:38:44 Enfin si le côté revenir sur ce qu'était le communisme
00:38:49 qui n'était pas quelque chose de si idéologique que ça
00:38:53 ça j'en parle beaucoup par contre
00:38:55 Il y a eu un titre de classe qui impliquait aucune adhésion ni à Marx ni à Lénine
00:39:01 Les gens d'une certaine classe votaient communiste automatiquement
00:39:04 sans même connaître le programme en fait
00:39:07 Donc bon ça j'en parle évidemment parce que je reviens l'un et l'autre pas beaucoup sur nos années de formation, d'adolescence
00:39:16 Mais c'est une espèce de nostalgie sans vrai contenu idéologique quoi dans mon cas
00:39:23 Mais sur l'islam vous n'êtes pas d'accord
00:39:26 Non je pense qu'on est pas d'accord
00:39:28 Mais est-ce que vous avez bougé ? Est-ce que les lignes ont bougé dans cette confrontation, dans cet échange de lettres qu'il y a eu avec Bernard Henri Lévy ?
00:39:35 Là dessus non par contre sur l'engagement quand il me pousse vraiment dans mes retranchements
00:39:39 disons que je m'engage de manière vraiment aminima
00:39:44 Par contre ouais le Tibet quand même je suis d'accord
00:39:46 Le Tibet d'accord mais c'est tellement, c'est trop évident quoi
00:39:50 A cause de la dimension spirituelle ? A cause de la dimension religieuse ?
00:39:52 Ah bah non parce que là il n'y a pas photo je veux dire entre l'agresseur et l'agressé
00:39:57 C'est quand même un cas particulièrement évident on peut pas trop dire que les chinois ont raison, enfin ça paraît
00:40:06 Mais je crois que Bernard Henri Lévy pourrait vous faire la démonstration que toutes les causes qu'il soutient sont aussi des cas évidents
00:40:12 Non moi je pense que ce serait moins évident que dans le cas du Tibet qui est quand même un cas assez extrême il me semble
00:40:19 Alors Bernard Henri Lévy on va parler d'un an de vos engagements mais il y a quand même quelque chose d'assez étonnant
00:40:24 C'est qu'on a le sentiment que vos engagements s'arrêtent à la limite de la France
00:40:28 C'est à dire que vous vous engagez pas en France comme si la France c'était pas intéressant
00:40:31 C'est pas vrai, vous le montriez d'ailleurs dans ce sujet
00:40:39 Je me suis engagé pendant la dernière campagne électorale
00:40:42 Il n'y avait pas beaucoup d'intellectuels de ma famille d'idées qui n'aient pas cédé aux sirènes du sarcosisme
00:40:53 Et moi je me suis engagé de l'autre côté, non non ça c'est pas vrai
00:40:56 Ce qui est vrai par contre, mais ça je le dis d'ailleurs, c'est une chose que Michel me fait dire avec son plan diabolique de littérature de l'aveu
00:41:06 Et là c'est vrai que je suis tombé dans le panneau de manière absolument comme un bleu
00:41:12 Donc c'est vrai que j'ai une petite tendance, qui est pas très sympathique mais que je dis dans le livre et que j'assume
00:41:19 A vouloir faire les choses que d'autres ne font pas
00:41:23 Alors c'est vrai que...
00:41:25 Orgueil ?
00:41:26 Oui on peut appeler ça de l'orgueil, on peut appeler ça le goût de la performance
00:41:30 On peut appeler ça des choses ridicules comme ça, le goût de l'aventure, que sais-je
00:41:35 Par exemple, faire une enquête sur la mort de Daniel Pearl, c'est vrai qu'il n'y avait personne
00:41:39 Donc ça m'intéressait vraiment de le faire
00:41:43 Aller faire le tour de ce que j'ai appelé dans un autre livre, et de ce que j'appelle là les guerres oubliées
00:41:49 Qui par définition n'intéressent personne, je trouvais qu'il y avait un défi, je trouvais que c'était important
00:41:55 Donc oui il y a ça, quand il y a du monde, je me dis c'est pas la peine
00:42:00 Quand il y a personne, je me dis c'est là que je peux être utile
00:42:02 Mais ce que je voudrais dire surtout c'est que quand on voyait le sujet que vous avez monté qui est très bien
00:42:07 On a l'impression que c'est le contraire, Houellebecq et moi, c'est vrai et c'est pas vrai
00:42:11 C'est vrai et c'est pas vrai
00:42:13 C'est quand même lui qui a écrit "Extension du domaine de la lutte"
00:42:16 Moi j'ai écrit "Les derniers jours de Charles Baudelaire"
00:42:19 Et je crois finalement que c'est pas un vrai clivage, c'est à engager ou pas engager
00:42:22 Et par exemple, il y a un texte que nous citons, je crois que c'est moi qui en parle, ou vous je ne sais plus
00:42:27 C'est un texte de Malarmé, qui s'appelle "Conflits et confrontations"
00:42:31 Où Malarmé dit que le poète est le frère en esprit du peuple des terrassiers
00:42:37 Et pourquoi est-ce qu'il dit ça ?
00:42:39 Parce que Malarmé, le poète absolu, l'esprit pur, le poète désengagé
00:42:45 La littérature comme une messe, les cérémonies de la rue de Rome
00:42:48 Il n'y a pas plus loin de l'engagement que Malarmé
00:42:51 Et à un moment donné, il est approché par les anarchistes de l'époque
00:42:54 Il est copain avec des anarchistes autour de Félix Fénéon, etc
00:42:58 Et on lui dit "il faut que tu t'engages dans cette affaire là"
00:43:02 "Il faut que tu protestes contre le procès du Césaré-Baptistie du moment"
00:43:06 Et Malarmé écrit ce texte, "Conflits et confrontations"
00:43:09 1) Il dit le poète est le terrassier, c'est pareil
00:43:12 Et surtout 2) Il dit il n'y a rien de plus efficace, il n'y a rien qui ressemble le plus à une bombe
00:43:18 Et il emploie le mot "qu'un poème bien agencé et bien nommé"
00:43:25 Donc c'est pour ça que s'engager ou pas s'engager, on fait comme on sent, selon le tempérament
00:43:31 C'est vrai que moi j'aime bien bouger, j'aime bien...
00:43:35 Mais ce n'est pas un clivage aussi déterminant que ça
00:43:39 Et c'est une des choses, il me semble, qu'on a découvert de chemin faisant
00:43:42 Oui, mais par contre il y a quand même un exemple sur la Russie
00:43:46 Vous parlez de la Russie, vous racontez votre Russie de boîte de nuit
00:43:52 Et quand même Bernard Henri-Lévy vous fait remarquer que c'est la Russie de Poutine
00:43:57 Oui, oui, c'est vrai, la Russie, je n'ai pas envie de savoir qui a raison entre Russes et Georgiens
00:44:05 Entre Russes et Tchétchènes, entre Ossètes
00:44:08 Et là, c'est en deçà de la limite de mon engagement
00:44:12 Ça ne m'intéresse pas, clairement ça ne m'intéresse pas
00:44:15 Et là nous sommes en désaccord total, je ne me sens pas concerné
00:44:19 C'est vrai que je suis un peu dangereux du point de vue aveu
00:44:28 C'est un peu un élément de ma force aussi, mon engagement
00:44:33 Par exemple en Thaïlande, le tourisme sexuel, j'ai été frappé, les gens me parlent
00:44:40 Ils me font confiance parce qu'ils ont l'impression que je ne vais pas les juger du tout
00:44:44 Je leur donne cette impression-là, de ne pas pouvoir m'indigner
00:44:48 Ce qui fait que j'ai autant de témoignages de confession que je veux sans effort
00:44:52 Donc c'est bien utile
00:44:55 Il faut se méfier
00:44:57 Il faut un peu se méfier, oui
00:44:59 C'est un des inconvénients de la notoriété d'ailleurs, les gens se méfient plus
00:45:06 Vous avez moins de confession ?
00:45:08 Disons, beaucoup plus
00:45:12 Tout le monde n'a pas envie de se retrouver dans un livre
00:45:16 Ça c'est un des désirs les plus universels
00:45:20 La demande d'entrer dans le roman est une demande au contraire assez générale
00:45:25 Vous êtes un personnage dans un roman de Jean je crois ?
00:45:28 Ah oui, il est bien celui-là, il est très marrant
00:45:33 J'aime beaucoup ce vers chez les Blancs, je trouve que c'est une vraie réussite
00:45:38 C'est assez hilarant à la fin
00:45:41 Même s'il s'éloigne du modèle
00:45:43 Ah oui considérablement, moi je n'ai jamais fantasmé sur Madonna
00:45:47 Mais c'est vachement drôle, c'est un livre très réussi
00:45:52 Quand il réagit comme ça sur l'engagement, on voit dans les lettres que vous avez quand même...
00:45:58 Ah oui, ça m'énerve
00:46:00 Ça c'est un désaccord, ça n'affirme pas ce que je disais tout à l'heure
00:46:03 Sur la Russie, ce livre ce n'est pas un livre de consensus
00:46:08 On n'est pas deux compères filant une espèce d'idylle épistolaire d'un bout à l'autre
00:46:16 Il y a des moments d'amitié, des moments pour moi qui ont été très bouleversants
00:46:22 A distance puisqu'on ne s'est jamais parlé pendant les 6 mois
00:46:25 Ça faisait partie de votre règle ?
00:46:26 Oui, c'était la règle, on ne l'a pas établie mais c'était la règle non écrite
00:46:30 On a correspondu sans se téléphoner
00:46:32 D'ailleurs on se connaissait tellement peu avant qu'il n'y avait pas de raison de se téléphoner
00:46:35 C'était vraiment comme ça que ça s'est passé
00:46:38 C'est comme ça qu'il faut faire à mon avis pour que ça marche
00:46:41 Et surtout ne pas dire à ses proches, vous n'avez dit à personne, tous les deux, que vous écriviez
00:46:45 Non, non, moi je n'ai pas dit
00:46:47 Non, bien sûr, parce qu'une correspondance c'est ça
00:46:50 D'ailleurs, un, on ne le disait pas à nos proches sauf les très proches
00:46:53 Moi j'en parlais à ma femme, c'était la seule personne qui était informée
00:46:58 Mais surtout, ça ne marche pas, une correspondance qu'on écrierait avec le regard des autres, d'un éditeur, des journalistes
00:47:07 Il y a des journalistes qui se plaignent aujourd'hui, qui pensent qu'ils ont le droit, qu'ils avaient le droit de savoir
00:47:12 Et qui sont très indignés et très en colère du fait qu'on ait gardé le secret
00:47:16 Mais ils ne savent juste plus ce que c'est qu'une correspondance
00:47:19 Une correspondance c'est par définition quelque chose de secret
00:47:22 Quelque chose qui se passe entre deux personnes, entre deux âmes
00:47:26 Et par exemple, pour revenir à cette histoire de Russie
00:47:29 C'est vrai que là, il y a eu un moment de colère
00:47:31 Et ça, la correspondance en porte la trace
00:47:34 On n'a pas rompu, mais c'est un vrai moment de tension
00:47:37 Pour moi, la Russie, quand il m'écrit cette lettre
00:47:40 Qui faisait suite à un voyage avec Frédéric Beigbeder
00:47:43 - Vous avez fait des disques jockeys - Voilà, disques jockeys, blondes somptueuses, etc.
00:47:48 Et moi je lui dis, mais attendez, la Russie c'est le meurtre d'Anna Politovskaya
00:47:53 La Russie c'est le livre d'Anna Politovskaya "Douloureuse Russie"
00:47:57 La Russie c'est les chasses dans les rues de Moscou aux Russes non-ethniques
00:48:01 La Russie c'est un pays où il n'y a pas de code du travail
00:48:04 La Russie est un pays, aujourd'hui, c'est un grand pays et c'est un grand peuple
00:48:07 Mais c'est un régime immonde, c'est la grosse nid rasée, c'est la géologie occupée
00:48:14 Donc voilà, ça c'est un désaccord
00:48:16 - Après, on va pas raconter le livre, mais c'est vrai qu'après, les choses prennent un autre tour - Oui
00:48:23 Ce qui est intéressant aussi par rapport à ces différences, c'est d'en trouver les origines
00:48:27 Et on pourrait remonter un peu dans votre éducation
00:48:30 Qu'est-ce qui fait que dans cet engagement ou non-engagement, même si vous n'êtes pas d'accord
00:48:33 que ce soit un clivage aussi impérieux qu'il y paraisse
00:48:37 Qu'est-ce qui fait, à votre avis, pour vous, dans votre adolescence, dans la figure de votre père
00:48:43 Vous en parlez beaucoup, qui est comme une continuité de cet non-engagement de votre père, ce retrait
00:48:50 - Oui, j'ai eu une espèce de retrait qui m'inquiète un peu, d'ailleurs
00:48:57 Je veux dire, j'ai pas envie de devenir aussi misanthrope
00:49:00 Mais c'est vrai une envie de se mettre à l'écart du monde
00:49:04 Une vraie misanthropie
00:49:08 Jointe à une certaine bonté pour les individus en particulier
00:49:13 Mais une vraie volonté de retrait
00:49:18 Et c'est vrai que j'ai un souvenir très fort de ces moments où il y avait une foule
00:49:25 Et où en fait, il hésitait, il n'arrivait pas à se mêler aux gens
00:49:31 Bon, il a fait métier de guide de montagne
00:49:40 C'est un métier qui incite une certaine solitude aussi
00:49:47 Il adorait la montagne
00:49:50 - Mais il y a dans le livre, et d'ailleurs c'est un débat, c'est un moment que je trouve très très fort
00:49:55 Vous parlez de l'expérience de votre père
00:49:58 Vous racontez une anecdote, un officier allemand est abattu
00:50:03 Et ça va vous donner l'occasion d'utiliser cette phrase de Goethe que vous allez rectifier
00:50:09 Vous vous souvenez de cette phrase de Goethe ?
00:50:11 - Oui, oui, bon alors là, oui, mieux vaut une injustice qu'un désordre
00:50:16 Alors là, en fait, on est moins en désaccord
00:50:19 Parce que Bernard-Henri saute sur l'interprétation de Cordonné-Barrès
00:50:28 Au sujet de l'affaire Dreyfus, que moi j'ignorais
00:50:31 Et là, je pense qu'on est plus d'accord à la fin qu'au début
00:50:35 Parce qu'il y a chez nous une espèce de scène primitive qui est horrible
00:50:40 C'est les groupes de garçons se choisissant une victime
00:50:45 La meute
00:50:47 C'est ce qui se produit quand il n'y a plus d'autorité régulatrice
00:50:53 Une chose qui, j'avoue, a contribué aussi à ma misanthropie
00:51:01 Quand on a vu ça, bon c'est pire dans les prisons
00:51:06 Moi je l'ai vécu dans un tas de garçons dans les prisons, c'est la même chose en pire
00:51:11 Et c'est assez horrible
00:51:13 Cet acharnement, ce fait de choisir une victime
00:51:18 Le linçage qui rôde
00:51:20 Alors c'est vrai que Bernard-Henri, moi je m'en tiens, est plus courageux que moi au fond
00:51:23 Parce que lui, il a pris le parti de la victime
00:51:27 Vous donnez une explication, vous dites moi
00:51:31 Moi, j'avoue que, au moins, j'ai pas été parmi les bourreaux
00:51:38 Mais oui, j'ai rien fait
00:51:42 Vous parlez de votre inaptitude à la violence qui est peut-être une des origines de ce non-engagement
00:51:46 Oui mais enfin bon, j'aurais dû faire quelque chose
00:51:52 On peut toujours parler aux gens, dire ce que vous faites c'est dégueulasse
00:51:55 C'est pour que vous emmerdez ce garçon
00:51:58 Ça vous le reprochez ?
00:51:59 Ah oui, oui, oui, oui, oui je me le reproche
00:52:04 Dans ce sens là que c'est la scène primale ?
00:52:07 Oui, oui, là j'ai pas été un type bien, j'ai pas été un type moche non plus, j'ai été un type quelconque
00:52:14 C'est pire ?
00:52:16 Non, non, il faut quand même mieux être un type quelconque qu'un des bourreaux
00:52:21 Mais bon, j'ai pas été spécialement courageux à ce moment là
00:52:25 Bernard-Henri, vous resituez cette phrase, parce qu'il faut expliquer ce qu'il en est
00:52:31 Michel Houellebecq la cite, il la cite approximativement selon vous et vous voulez la resituer dans le contexte
00:52:40 Pour dire ce qu'il en est justement de cette peur de la foule et du lynchage
00:52:45 Le lynchage c'est une chose, c'est d'ailleurs une expérience que tous les hommes, tous les adultes ont connu dans leur enfance
00:52:55 Le petit garçon de la classe, le vilain petit canard qu'on barbouille d'encre à qui on pique sa trousse et qu'on tabasse dans le métro
00:53:02 On a tous connu ça
00:53:04 Donc ça je crois que c'est en effet une expérience humaine primitive
00:53:08 Tous les psychanalystes savent que ce qui fait une société c'est pas l'amour c'est la haine
00:53:12 Que c'est ça qu'il faut tenir en bride et on le voit dès l'école
00:53:16 Mais moi je dirais, je sais pas comment vous dire, Michel dit que je suis pas plus courageux
00:53:21 Je crois que c'est pas ça, moi j'ai eu une chance et alors ça on en parle c'est aussi un des sujets, pas de désaccord, c'est une vraie confrontation
00:53:31 Moi je n'ai eu qu'une chance, j'ai pas eu besoin d'être courageux
00:53:34 J'ai eu l'exemple en effet d'un père que j'ai immensément aimé et beaucoup admiré
00:53:45 Et qui était un homme extraordinaire, qui avait été lui extraordinairement courageux
00:53:50 Courageux pendant la montée du fascisme à l'époque de la guerre d'Espagne
00:53:54 Courageux dans son engagement dans les forces françaises libres
00:53:58 Et quelqu'un sous le regard de qui j'ai vécu, vous savez
00:54:02 Et toutes ces histoires d'engagement
00:54:04 Les hommes, c'est finalement une histoire assez même un peu déprimante tellement c'est simple
00:54:11 C'est vraiment ça quoi, les pères, les scènes familiales primitives
00:54:16 C'est la tragédie grecque au quotidien
00:54:22 Moi dans ma génération je me rappelle, moi je suis plus âgé que Michel, j'ai quelques années de plus
00:54:27 En mai 68, quand on avait 20 ans, la question qui nous hantait c'était qu'est-ce qu'avaient fait nos pères
00:54:34 Vraiment l'engagement de ma génération, l'engagement à gauche, à droite, à l'extrême gauche
00:54:38 Dans les groupes maoïstes, dans les parages des groupes maoïstes
00:54:41 Elle était commandée par cette question là, qu'est-ce que les pères ont fait
00:54:45 Alors en France évidemment, il y avait un très grand nombre de pères honteux
00:54:49 De pères qui s'étaient très mal conduits, ce qui n'est pas le cas du père de Michel
00:54:53 Parce que moi j'ai une hypothèse à propos de l'épisode qu'il cite de l'officier allemand buté par des résistants dans le métro
00:55:00 Moi j'ai une hypothèse sur son père, sur la réaction de son père
00:55:04 Moi je vois le père de Michel, dont le portrait d'ailleurs est magnifique
00:55:08 Et qui est un personnage tel qu'il apparaît, très beau
00:55:11 Moi je pense qu'il a peut-être été un... vous savez il y avait ce film de René Clément qui s'appelait "Le père tranquille"
00:55:16 - Oui voilà, c'était tout ça - Voilà, un résistant caché etc
00:55:19 Moi c'est mon hypothèse sur votre père, je vous demande pas si vous me permettez
00:55:22 Enfin je le dis dans le livre, donc vous n'avez pas réagi, donc je me permets de le redire ici
00:55:26 Donc voilà, donc ça c'est une grâce
00:55:30 Quand on a eu un père qui vous a donné cette espèce d'image rayonnante de soi, ben les choses sont beaucoup plus faciles
00:55:37 Après si je peux me permettre Bernard-Rémy, il y a un passage où vous retrouvez la citation
00:55:41 Vous dites ça m'émeut aux larmes quand je l'évoque
00:55:44 Vous retrouvez la citation de votre père à Monte Cassino en ambulancier
00:55:48 Et c'est aussi constitutif d'un jeune homme
00:55:51 Pour moi c'est essentiel, pas d'un jeune homme parce que ça je l'ai découvert après sa mort
00:55:55 Mais j'ai découvert après sa mort parce que c'est toujours comme ça, les hommes qui ont fait des choses vraiment bien
00:56:01 Ne s'en vantent pas tellement, ne vous saoulez pas avec ça et vous le découvrez souvent tard et même trop tard
00:56:09 Et après la mort de mon père j'ai découvert en effet un certain nombre de détails
00:56:13 Dont cette citation par le général Diego Brosset qui est une grande figure de la France Libre
00:56:20 Et qu'il avait, mon père était ambulancier, volontaire, allant entre les lignes alliées et les lignes ennemies
00:56:28 Chercher les agonisants et les morts sous le feu, sous la mitraille ennemie
00:56:33 Et c'est vrai que cette citation en style militaire par Diego Brosset, que je cite dans le livre
00:56:40 C'est quelque chose qui pour moi, quand je l'évoque, m'émeut beaucoup
00:56:49 Alors à la source aussi de vos engagements ou non-engagements, on va employer ce terme là pour être plus simple
00:56:55 Il y a la religion, vous en parlez beaucoup et vous avez même une hypothèse sur la relation entre l'engagement et la chrétienté
00:57:05 Oui alors ça c'est à des vrais débats que nous avons
00:57:10 Ça démarre par une lettre de Michel où il me dit qu'il s'imagine comme une pierre lancée dans le vide
00:57:19 Et qui tombe irrévocablement jusqu'à la fin
00:57:25 Oui enfin comme, oui, j'ai une, dans le meilleur des cas une comète
00:57:33 Enfin quelque chose...
00:57:35 Vous dites un caillou
00:57:36 Un caillou, dans le livre vous dites un caillou
00:57:37 Un caillou dans le pire des cas, une comète dans le meilleur
00:57:39 Alors là vous êtes beaucoup plus optimiste que dans la correspondance
00:57:41 Ah si oui, oui, oui, oui, il y a la comète dans le livre
00:57:43 Il y a la comète du poète dans le livre
00:57:45 Mais effectivement, et c'est là où vous en déduisez à juste titre que je suis, enfin apparemment à juste titre que je suis un disciple de
00:57:57 De démocrite, de lucrèce, d'épicure et c'est là où je vais me raconter que j'ai fait 20 années d'efforts pour croire en Dieu
00:58:08 Pour vous intégrer dans des groupes
00:58:10 Oui, oui, pour croire en Dieu, oui vraiment, j'ai essayé quoi, pendant 20 ans et ça n'a pas marché
00:58:18 Mais ce sentiment, quand vous dites ça n'a pas marché, vous vous interrogez sur le pourquoi ça n'a pas marché ?
00:58:28 Ah oui, je le sais le pourquoi, c'est parce que l'explication scientifique, positiviste continue de m'apparaître la plus forte, oui
00:58:38 Mais, non mais ça part de ce moment où vous comparez Jérusalem et Athènes, disons la Bible et le matérialisme grec et vous employez le mot davantage
00:58:58 Et ça m'a fait penser immédiatement à Pascal, le pari de Dieu, les avantages qu'il y a à croire en Dieu, et ça oui, il n'y a que des avantages, je suis bien d'accord
00:59:10 Pas tout à fait à croire en Dieu, c'est à dire ce que je dis, on part en vérité de Rabelais
00:59:15 Oui, alors maintenant je suis tellement surpris que je me mets à croire que vous croyez en Dieu
00:59:19 Oui, on part de Rabelais qui parle du Theu et du Boïu, les deux îles, l'île de Theu et l'île de Boïu, cette espèce de désordre originaire que toutes les grandes fables racontant la création du monde mettent aux origines
00:59:35 Et là nous nous apercevons, je crois dans cette partie philosophique du livre, que pour comprendre le Theu et le Boïu qui sont au cœur de la condition humaine, il y a deux grandes voies
00:59:46 Il y a la voie grecque et il y a la voie juive. La voie grecque c'est celle des piqûres et des démocrates et ça sera celle ensuite de Lucrèce, des naturares et Rome dont on se risque à faire un petit commentaire
01:00:00 Et l'autre voie c'est celle de la Genèse qui parle de la même idée, une espèce de chaos primitif, une espèce de bombardement atomique insupportable, de vacarme, etc
01:00:13 Mais donc je dis que cette deuxième voie-là, la voie de la Genèse, elle a entre autres avantage celui de permettre la définition et l'apparition de quelque chose qu'on peut appeler une subjectivité
01:00:27 C'est-à-dire que si on veut, alors ça aussi c'est un vrai débat entre nous, si on tient à penser quelque chose qu'on puisse appeler la dignité humaine
01:00:35 Michel à un moment donné dit "moi la dignité humaine je ne sais pas ce que c'est et j'ai plus de compassion pour un..." autant, il dit autant
01:00:46 Il dit "je n'ai pas beaucoup plus de compassion, la même compassion pour un animal pris au piège que pour un assiégé de Sarajevo"
01:00:54 Moi je dis que pour moi ce n'est pas du tout la même chose, que la dignité humaine elle a un sens, mais alors dans le raisonnement et dans la correspondance, on arrive à cette idée que pour croire ça, pour croire que la dignité humaine c'est un concept valide, il faut en effet être judéo-chrétien
01:01:11 C'est-à-dire même si on ne croit pas, et moi ce n'est pas une question de croyance, ce n'est pas une affaire de religion
01:01:16 C'est l'hommage de Dieu
01:01:17 Voilà, moi je crois que le point auquel j'arrive moi dans cette réponse à Michel, c'est que le vrai saut de civilisation, le moment où l'humanité a immensément progressé, c'est quand il y a eu cette idée d'une créature à l'image du créateur, que l'on croit ou que l'on ne croit pas
01:01:34 Et ça c'est important parce que les gens disent en général, les droits de l'homme ça s'est fait contre les religions, les droits de l'homme, les religions c'est l'obscurantisme, les religions c'est un fardeau sur les épaules de la créature tourmentée
01:01:48 Moi je ne crois pas, je crois que c'est parce qu'il y a eu le judaïsme et parce qu'il y a eu le christianisme, parce qu'il y a eu la grande peinture italienne catholique, parce qu'il y a eu les inventeurs des droits de l'homme qui faisaient l'hypothèse de Dieu, que les droits de l'homme ont été pensables
01:02:04 Et c'est pour ça que vous êtes plus optimiste sur l'islam et que vous avez aussi une analyse différente de l'islam
01:02:09 C'est la raison pour laquelle moi je tiens beaucoup, alors oui à ça je crois que c'est même vital pour le moment de la civilisation où nous sommes, je crois que le seul vrai clash de civilisation qui existe c'est à l'intérieur de l'islam
01:02:24 Entre les terroristes, les fanatiques, les fascistes et puis la grande majorité de ceux qui au contraire se reconnaissent ou veulent se reconnaître ou veulent se donner très vite les moyens philosophiques de se reconnaître dans les lumières, dans la démocratie et les droits de l'homme
01:02:41 Oui, je ne crois pas que l'islam autrement dit soit incompatible avec la démocratie
01:02:45 La dignité humaine, alors ce rapport effectivement il y a un passage, vous dites pour moi la souffrance d'un animal et celle d'un homme est identique pour moi
01:02:55 Oui, je continue à penser la même chose, donc vous voyez il y a des vrais points de désaccord quand même dans ce livre
01:03:01 Oui, et c'est vrai que les religions du livre je m'en sens totalement sorti et je pense définitivement quoi ça, j'ai essayé 20 ans, je ne vais pas y passer ma vie
01:03:15 Vous dites tout ce qui n'est pas réfutable, vous êtes très positiviste effectivement tout au long du livre sauf peut-être à la fin on verra quand vous parlerez de ce que vous dites
01:03:23 Ah oui, à la fin ça devient un peu...
01:03:25 Ah ça commence à flancher un peu
01:03:27 Je commence à flancher un peu du point de vue esprit fort
01:03:29 Voilà, oui, oui
01:03:31 Mais j'ai quand même été frappé par le fait que la science est une chose qui marche, les mathématiques sont un domaine qui permet d'arriver à des certitudes définitives
01:03:45 Bon la physique parfois il faut changer de paradigme mais c'est quand même quelque chose qui marche très bien
01:03:49 Vous dites que vous ne croyez pas à ce qui n'est pas réfutable
01:03:53 En principe, non j'y crois pas, disons que c'est une formation intellectuelle qui a pesé, enfin qui pèse, je ne sais pas pourquoi je dis qu'il pèse d'ailleurs
01:04:05 J'ai une attitude de... non, je revendique le positivisme, oui, le positivisme logique en tout cas, bon, pas suite-conte, c'est une autre histoire
01:04:17 Qui est un petit peu déviée, oui, effectivement, suite-conte
01:04:20 Mais la méthode, la preuve, la démarche expérimentale sont des choses que je revendique
01:04:29 Alors on voit un peu ce qui vous sépare, mais il y a quelque chose que vous partagez et que vous évoquez dans le livre de façon même plutôt douloureuse, c'est la meute
01:04:42 Cette haine que vous suscitez, on va le voir, c'est parfois très violent et ce qui fait le plus mal vient souvent de là où on ne l'entend pas
01:04:51 C'est un sujet réalisé par Céryne Lorta-Jacome
01:04:56 Lorsque l'un s'engage, l'autre s'exile. BHL, Houellebecq, deux écrivains controversés que tous séparent
01:05:03 La religion, les origines, la France
01:05:05 Tout sauf l'animosité qu'ils inspirent à certains, mal aimés, parfois calomniers, dans ennemis publics
01:05:11 Ils dénoncent ce qu'ils appellent la meute
01:05:14 Des journalistes, des biographes et des sites d'information sur le web
01:05:17 Parmi lesquels Bacchiche.info où l'on retrouve le directeur de la rédaction
01:05:22 C'est un grand honneur qu'il nous a fait en nous désignant comme le chef de meute, en quelque sorte, qui lui voudrait un mal extrême
01:05:29 Dans une imposture française, Nicolas Beau dénonce le système BHL
01:05:32 Pour lui, le philosophe restera toujours le chouchou des médias, grâce notamment à son réseau
01:05:37 Il a un formidable réseau d'amis, de relations, de connaissances
01:05:41 Dans l'ensemble des médias, il travaille beaucoup
01:05:45 Il est douze heures par jour accroché à son portable, à téléphoner, à rendre service, il rend beaucoup de service BHL
01:05:50 Si un auteur, un ami veut publier un livre, il lui propose des confortables à valoir chez Grasset
01:05:58 S'il est un peu fatigué, il l'invite à Marrakech dans sa piscine
01:06:02 A Paris, il y a deux catégories de gens, ceux qui ont pris un bain dans la piscine de BHL à Marrakech et les autres
01:06:06 Après BHL, l'homme de réseau, c'est BHL le journaliste qu'on attaque
01:06:10 Rencontre avec l'auteur du Béa bas de BHL, Jatte lui reproche de bâcler ses enquêtes, de ne vérifier ni les sources, ni les faits
01:06:18 Autant de choses qui font aujourd'hui la crédibilité d'une information
01:06:23 Mais lui ne prend pas la peine de le faire parce qu'il se contente finalement d'un cinéma hollywoodien
01:06:27 De scènes romantiques, de grandes descriptions, du marché de Karachi
01:06:31 Tant pis si les noms sont faux, si les chiffres ne sont pas vérifiés, ce qui compte c'est le spectacle
01:06:36 Donc en gros, il s'est inventé une carapace qui empêche absolument de le critiquer à tout moment sur toutes ses erreurs
01:06:44 Puisque quand c'est une erreur, c'est de la fiction
01:06:46 BHL a un truqueur d'information qui ne doit son rayonnement qu'à la puissance de son réseau médiatique
01:06:51 5 biographies à charge et des attaques directes qu'on peut lire sur certains blogs
01:06:55 Où les internautes commentent librement chaque livre, fait et geste du philosophe
01:06:59 Idem pour Michel Houellebecq, les deux écrivains ont les mêmes ennemis mais pas pour les mêmes raisons
01:07:04 C'est quelqu'un qui a imposé son temps, sa temporalité au média, de lenteur, etc.
01:07:12 Et encore une fois, je crois que ce qui facilite c'est son côté un peu tintin perdu
01:07:18 Il demande de l'amour et en échange il donne de la haine
01:07:23 Houellebecq, l'ennemi déclaré du genre humain, déprimé, cynique, réac, raciste, on aura tout dit sur l'écrivain
01:07:30 Adulé, détesté par la presse, entre eux c'est l'amour vache
01:07:34 Dans Ennemis publics, l'écrivain répond aux offenses, un tel est traité de teigna, les autres de vésicule exémateuse
01:07:41 En ligne de mire, le biographe qui a démystifié le personnage
01:07:45 Je me suis aperçu que c'était pas du tout le paumé qu'il voulait faire croire
01:07:49 Mais qu'en fait, c'est un type qui avait fait quand même de brillantes études, qui avait travaillé à l'Assemblée Nationale
01:07:55 Qui avait toujours été, comment dirais-je, un salarié
01:08:00 Tout d'un coup, c'est révélé une existence de, bah fois, de petit bourgeois, voilà, plutôt pas mal lotis
01:08:11 Michel Houellebecq en veut au biographe d'avoir retrouvé sa mère, Lucie Sécaldi
01:08:15 Elle aussi fait partie de la meute, dans son livre, elle tire à bout les rouges sur son fils
01:08:20 Michel Houellebecq, ennemi intime
01:08:23 Vous écrivez, c'est un menteur, un imposteur, un parasite et surtout un petit arriviste prêt à n'importe quoi pour parvenir à la fortune et à la renommée
01:08:30 Je maintiens, mais ça ne veut pas dire que je le déteste, c'est objectif
01:08:34 Oui, c'est un menteur, parce que je ne suis pas ce qu'il a dit, un imposteur, parce qu'il n'est pas ce qu'il prétend avoir été
01:08:42 Un parasite, parce qu'il a tout le temps vécu au dépens et au crochet de ses femmes
01:08:47 Écoute du livre Ennemis Public, la meute repart à la charge
01:08:51 Cette fois, on ne pardonne pas aux deux écrivains de s'auto-proclamer ennemis public et de s'ériger en victime
01:08:57 On dirait, je ne sais pas, une conversation dans une cour de récréation entre deux petits garçons immatures qui ne supportent pas la moindre critique
01:09:03 Et qu'est-ce qu'ils trouvent ? BHL les insinuations, Houellebecq les insultes
01:09:08 Moi je trouve que ça donne une triste mais assez juste idée des intellectuels français d'aujourd'hui
01:09:15 Et lorsqu'ils se lancent à la conquête du grand écran, les deux écrivains font enfin l'unanimité
01:09:20 Cette fois, c'est contre eux
01:09:22 L'adaptation de La Possibilité du Nil au cinéma ne convainc personne
01:09:25 Quand ils s'essayent à la science-fiction, on dirait un vieil épisode de Cosmos 1999
01:09:29 Série culte que j'adore, mais non je n'ai pas retrouvé ni l'humour ni l'élégance
01:09:34 Enfin voilà, c'est consternant, on ne comprend rien
01:09:37 C'est d'une pauvreté cinématographique assez extraordinaire, le montage est aléatoire
01:09:41 Je suis consterné parce que moi on m'avait dit que Houellebecq était un grand penseur, un grand auteur
01:09:46 Quelqu'un qui rentrait comme ça, qui posait des pavés dans la mare à tout point de vue
01:09:50 Et j'ai vu le film d'un petit penseur aux petits pieds, très nombriliste et sans aucun intérêt
01:09:54 Et à la sortie de son film Le jour et la nuit en 1997, BHL se fait siffler au festival de Berlin
01:10:00 La presse est unanime, le film est mauvais
01:10:12 Autant Houellebecq revisite un cinéma d'auteur très minimaliste, vraiment le plus épuré possible
01:10:18 Autant Bernard-Henri Lévy lui voulait du grand cinéma avec des grands mouvements de caméra
01:10:22 Il ne suffit pas d'avoir les moyens et de balader sa caméra sur une grue pour faire du cinéma
01:10:25 Pour que tout ça ait un sens, il doit certainement rêver à ces images d'Epinal aux Etats-Unis
01:10:30 Avec le réalisateur avec la casquette sur une grue comme ça, qui s'élève, qui donne des ordres partout
01:10:34 Le problème c'est qu'à l'écran c'est juste ridicule, c'est un lyrisme bêta
01:10:38 Et ça n'a aucunement le lyrisme et la foule que ça voudrait avoir
01:10:41 Voilà, on voit que la critique ne vous épargne pas
01:10:45 Mais on va revenir sur les différents éléments qui sont évoqués dans le sujet
01:10:49 Mais surtout sur les deux stratégies ou les deux manières que vous avez de répondre à cette meute
01:10:56 On va dire que vous êtes plutôt l'objecteur de conscience et vous le guerrier
01:11:00 Est-ce que vous vous reconnaissez dans ces deux appellations par rapport à ce qui vient d'être dit là, Michel Houellebecq ?
01:11:07 Oui, il y a un point, je pense qu'il y a quand même trop de vie privée dans les médias de nos jours
01:11:19 Pas seulement pour les écrivains, pour tout le monde
01:11:21 Que ça a atteint un niveau assez abject quand même, il faut bien le dire
01:11:26 Et sinon, à vrai dire, je ne sais pas si Bernard Henry a du pouvoir à résoudre
01:11:34 Mais en tout cas, moi j'aurais dû en prendre plus
01:11:37 C'est comme ça que je...
01:11:39 Là, j'en suis...
01:11:41 Par exemple, il y a des manuscrits qu'on m'a envoyés, qu'il me plaisait bien, que je n'ai pas pu faire et qu'ils ont été publiés
01:11:46 J'ai vraiment zéro pouvoir, c'est consternant vu ce que je suis connu
01:11:50 Et le pouvoir, il vaudrait mieux que ce soit des gens comme moi qui l'exercent
01:11:57 Oui, bon, il faut qu'il y ait des gens qui exercent, ça existe
01:12:03 Une position de pouvoir, il en faut
01:12:05 Et j'aurais dû faire ça
01:12:07 Bon, sinon, moi j'ai jamais...
01:12:12 Et je ne protesterai jamais contre une critique négative
01:12:16 Par contre, non, des enquêtes sur la vie privée, je trouve qu'il n'y a aucune raison
01:12:24 Et je m'espérais, en tant qu'écrivain, donc personne quand même moins connu qu'un acteur, qu'un présentateur de télévision, qu'un chanteur
01:12:34 Je m'espérais à la Britzheim, et ben non
01:12:36 Et je trouve ça triste et dégueulasse
01:12:39 Mais ça vous touche, et d'ailleurs vous avez une façon de réagir, vous réagissez par le corps, vous avez de l'eczéma
01:12:45 Oui, j'ai de l'eczéma, vraiment, ça me donne de l'eczéma
01:12:48 Donc oui, je réagis très très mal à ça, j'ai jamais supporté les indiscrétions, les choses comme ça, ça me dégoûte, quoi
01:12:57 Juste, ça me dégoûte, ces gens me dégoûtent
01:13:00 On s'est dit assez clairement
01:13:03 Oui, on s'est dit clairement
01:13:05 Mais par exemple, on voit que face à des attaques qui sont très virulentes, vous avez comme seule solution ou punition de rayer la personne de votre carnet d'adresse
01:13:14 Ben oui, c'est vrai que c'est la seule punition que j'ai, oui
01:13:19 Ben non, mais je suis déçu, j'ai été déçu par les gens qui ont témoigné dans le Demompion
01:13:26 Mais pas tellement des gens militaires, des amis, des amis d'enfance, c'était horrible de voir ça
01:13:33 Et vous ne regrettez pas des fois, ce dont vous parliez tout à l'heure, c'est-à-dire de votre manque de disposition physique pour aller régler des problèmes
01:13:42 Non, mais ça c'est effectivement, à plusieurs reprises dans le livre, je me dis que Bernard Henry a raison
01:13:50 Moi, la plupart du temps, j'essaye de ne pas regarder ce qui se dit sur moi, du tout
01:13:57 Tantôt, je ne peux pas m'empêcher, je regarde
01:14:00 Lui pense qu'il faut regarder pour voir où est l'adversaire, où est l'ennemi, pour y poster
01:14:04 Et assez souvent dans le livre, je suis tenté de penser qu'il a raison
01:14:08 Vous, vous avez désactivé Google, mais vous, pas
01:14:11 Et vous, Bernard Henry Davies, vous avez une méthode tout autre pour répondre à la meute, même vous prémunir de la meute
01:14:18 On va parler par exemple de méthodes qui vont jusqu'à la troisième corbeille, j'ai adoré ce passage
01:14:24 Vous racontez-moi ce que c'est que la troisième corbeille
01:14:27 Ah oui, non, ça c'est autre chose
01:14:29 Oui, mais je vais vous dire, d'abord, je pense que... Un mot d'abord
01:14:33 Il est arrivé à Michel, ça il est trop pudique pour le dire
01:14:36 Mais il est arrivé une chose qui je crois n'est jamais arrivée à aucun écrivain
01:14:39 Les gens qui sont allés chercher sa mère
01:14:41 Parce qu'il y a une longue histoire dans la littérature, des mères d'écrivains, des mères indignes, etc
01:14:46 Rimbaud, Baudelaire, Folcoch, Hervé Bazin, etc
01:14:50 Mais ce qu'on lui a fait là, c'est-à-dire aller chercher cette dame
01:14:54 Et lui faire écrire cette espèce de torrent d'injures contre celui qu'elle appelle son rejeton
01:15:02 Ce qui en français est un mot terrible, comme vous le savez sûrement
01:15:06 Ça je crois que ça ne s'était jamais produit
01:15:08 Et là c'est un moment d'ailleurs très bouleversant du livre
01:15:11 À un moment donné, je suis je ne sais plus où
01:15:14 Je m'apprête à lui écrire une lettre circonstance sur Auguste Comte justement
01:15:18 Et sur la comparaison, sur les rapports entre Auguste Comte et Althusser
01:15:22 J'ouvre le monde et je vois une pleine page
01:15:25 Sur le livre de... très complaisante
01:15:28 Sur le livre de la mère de Michel
01:15:31 Et là c'est vrai que ça réoriente le livre complètement
01:15:34 Là il se passe vraiment quelque chose, c'est sans précédent il me semble dans l'histoire de la littérature
01:15:38 Alors en ce qui me concerne, moi je suis... je n'ai jamais eu ça grâce au ciel
01:15:42 Moi j'ai juste eu des attaques de ce genre
01:15:45 Le monde se divise entre ceux qui se sont baignés dans ma piscine ou pas
01:15:48 Enfin tout ça est assez puéril
01:15:50 - Il avait été entarté, c'est violent, vous le dites
01:15:52 - Attendez, alors ce que je trouve sur le fond
01:15:54 C'est que il y a quelque chose en effet de bizarre
01:15:57 Un écrivain c'est quelqu'un qui met des masques
01:15:59 C'est ça un écrivain, sinon on n'est pas un écrivain
01:16:02 Aragon le dit dans un portrait, une conversation que je rapporte très ancienne
01:16:07 Un écrivain c'est quelqu'un qui met des masques, qui en change
01:16:10 Et qui a cette liberté fabuleuse, c'est pour ça qu'il en chante
01:16:14 Aussi ses lecteurs, de changer de masque comme il veut
01:16:17 Et aujourd'hui c'est vrai qu'il y a des gens qui viennent pour vous arracher le masque
01:16:21 C'est ça ces fameux biographes, ces biographes à gage
01:16:24 Ils viennent pour arracher le masque et pour voir ce qu'il y a derrière
01:16:27 Alors ça d'abord c'est un geste d'une grande violence
01:16:31 Ensuite c'est un geste de gens qui n'aiment pas la littérature
01:16:34 Qui n'aiment pas la leçon d'Aragon telle que je la rapporte dans ce livre
01:16:38 Et c'est des gens qui parfois vont trop loin
01:16:41 Alors c'est là ce que vous appelez la troisième corbeille
01:16:43 C'est vrai qu'il y a eu des moments, quand il y a eu cette avalanche de livres
01:16:46 Ces cinq biographies ou essais à charge
01:16:49 - Promatorisés oui
01:16:50 - Où j'ai eu la nostalgie d'une vieille pratique
01:16:53 Qui a été interdite par Richelieu
01:16:55 Mais qui a perduré jusqu'à Gaston Defer
01:16:58 Et qu'on appelait "Le duel"
01:16:59 - Le marquis de Cuevas
01:17:00 - Le marquis de Cuevas, ça c'était contre Serge Liffard je crois
01:17:04 - C'était contre Serge Liffard oui
01:17:05 - Defer c'était contre un député gaulliste
01:17:09 Proust a provoqué en duel un type qui s'appelle Jean Lorrain
01:17:13 Parce qu'il avait rapporté une scène de vie privée
01:17:16 Concernant Lucien Daudet
01:17:19 Et c'est vrai qu'il y a des moments où c'est plus une affaire littéraire
01:17:24 Où c'est pas tout à fait une affaire judiciaire
01:17:26 Mais où en effet on a envie de renouer
01:17:29 Avec cette bonne vieille habitude perdue qui s'appelle le duel
01:17:33 Alors dans ce cas le marché est simple
01:17:35 Ou bien le type renonce à son petit travail de fouille merde
01:17:41 Ou bien en effet, oui, là ça devient
01:17:44 Comme dit Schwarzenegger dans je ne sais quel film
01:17:46 Ça devient personnel
01:17:48 - Il y a absolument raison, ça ne sert à rien de faire des procès
01:17:57 Je pense qu'il y a un moment, alors là je vais presque faire mon engagé
01:18:02 C'est qu'il faudrait les faire pour le principe
01:18:05 Pour que les méchants soient punis
01:18:07 Parce qu'en fait on les gagne à chaque fois
01:18:09 Mais ça prend du temps
01:18:11 Moi je me souviens, l'auteur de la biographie sur moi
01:18:15 J'en ai eu qu'une
01:18:18 Dans une interview se vantait d'avoir fait dans ce livre
01:18:21 Des choses clairement illégales dans l'espoir d'avoir un procès
01:18:25 Bon, mais n'empêche il faudrait quand même faire des procès
01:18:30 Je sais pas, la justice se prononce souvent dans le bon sens
01:18:36 Là par exemple la Soule une et le Nouvel Obs ont été condamnés récemment
01:18:42 Donc il faudrait dans le principe
01:18:45 - Ce serait un tel temps perdu
01:18:48 - Oui c'est vrai que c'est un temps perdu absolument considérable
01:18:50 - On serait moins de livres, on serait perturbés
01:18:53 - Ce qui est grave dans cette histoire d'approche biographique
01:18:56 C'est qu'au fond ces gens sont des minables et incapables d'écrire un roman
01:19:00 Et le fond de leur pensée c'est bon, ils écrivent des romans d'accord
01:19:06 Mais c'est dans leur vie qu'il faut chercher
01:19:09 Et voilà ils ont fait que retranscrire des trucs de leur vie
01:19:12 C'est ça le fond
01:19:14 - Le problème c'est pas nous, d'abord il y a plus mal lotis que nous
01:19:18 Et il y a infiniment plus maltraité que nous tous les jours
01:19:21 Et dans toutes les catégories sociales
01:19:25 Mais ce qui est en cause c'est cette manie moderne d'indiscrétion généralisée
01:19:30 C'est à dire on est dans un nouvel âge sous prétexte de transparence
01:19:33 Sous prétexte d'authenticité, on est dans une société d'indiscrétion
01:19:38 Les gens croient qu'ils ont le droit alors qu'en c'est nous
01:19:40 A la limite c'est moins grave, sauf le cas de sa mère
01:19:42 A la limite c'est moins grave parce que c'est souvent tellement bête
01:19:45 Et tellement puéril, et tellement...
01:19:47 Même les biographes en question, je le dis à un moment donné à Michel
01:19:51 Je me suis tellement amusé aussi à les balader
01:19:55 Et à les désinformer
01:19:57 Et j'ai même passé des moments assez marrants, franchement
01:20:01 Mais au delà de nous, nous on a les moyens de nous défendre
01:20:05 On peut faire des procès, on peut écrire des livres, etc.
01:20:08 Mais c'est la société dans son ensemble
01:20:11 Qui vit sous ce régime de l'indiscrétion permanente
01:20:14 Il n'y a plus de secret dans les droits de l'homme
01:20:16 Baudelaire, qui nous est cher à tous les deux
01:20:18 Demandait qu'on ajoute à la liste des droits de l'homme
01:20:21 Le droit de se contredire et le droit de s'en aller
01:20:24 Nous dans ce livre nous en proposons un troisième
01:20:27 Qui est le droit au secret
01:20:29 Le droit au secret c'est un droit de l'homme
01:20:32 Et je crois que pour tout le monde, les écrivains
01:20:35 Et tous les gens fichés de la société d'aujourd'hui
01:20:37 C'est un droit qui est menacé
01:20:39 A vrai dire, c'est dans la loi
01:20:41 Je veux dire, le SMS de Sarkozy
01:20:44 Alors évidemment il ne peut pas se permettre de faire un procès
01:20:47 En tant que président de la République à un journal
01:20:49 Donc il l'a finalement laissé tomber
01:20:51 Mais il l'aurait clairement gagné
01:20:53 Et l'inconvénient de ne pas faire de procès
01:20:55 C'est qu'il y a une véritable impunité qui s'installe
01:20:58 Parce qu'on a l'impression, est-ce que vous avez cette impression là
01:21:01 Bernard-Henri Lévy vous donnait quelques conseils
01:21:04 Pour comment vous comporter face à ce type d'attaque
01:21:08 On a dans votre livre, il y a je crois, c'est entre amis
01:21:12 On se dit des choses comme par exemple
01:21:14 Oui, conseils intelligents d'ailleurs
01:21:16 C'est vrai qu'il faut agir en amont, clairement
01:21:19 Bon là je n'avais pas le temps
01:21:21 J'écrivais "Le Président du Nile"
01:21:23 Au moment où il écrivait c'est la biographie, l'autre con
01:21:25 Mais c'est ça qu'il faut faire, il faut agir en amont
01:21:30 Moi je donne deux conseils, agir en amont et lire Spinoza
01:21:35 On peut lire pour le plaisir
01:21:37 Là-dessus, c'est-à-dire il y a un passage de Spinoza
01:21:42 Que je cite et que je commente
01:21:46 Qui démontre mathématiquement
01:21:48 Qu'un écrivain comme vous, de votre taille et de votre importance
01:21:54 L'emportera nécessairement sur les gens qui à la lettre vous cherchent des poux
01:22:00 Et ça j'espère vous avoir convaincu dans ce passage
01:22:04 Oui, le seul point c'est que je continue à penser que ce sera plutôt un peu après la mort
01:22:08 J'ai déjà gagné sur ce point, vous admettez qu'après votre mort vous gagnerez
01:22:13 Moi je pense que ce sera avant
01:22:15 Je pense qu'ils lâcheront prise avant et que vous l'emporterez
01:22:17 Il est quand même plus optimiste que moi
01:22:19 Non mais je crois que la vérité finit par l'emporter
01:22:22 Et je crois que les écrivains et surtout les écrivains de grand talent sont plus forts que la meute
01:22:27 Et ça c'est Spinoza, un, la meute est faible, deux, la meute a peur
01:22:33 Et trois, la meute est impuissante
01:22:37 Mais Bernard Rodriguez, est-ce que vous n'avez pas changé de stratégie ou d'attitude
01:22:40 Parce qu'il y a deux cas
01:22:42 On dit des choses sur votre père
01:22:45 Vous ne protestez pas
01:22:48 Par contre, on dit quelque chose à propos de votre mère
01:22:52 A savoir qu'elle n'est pas juive
01:22:54 C'est Jean-Édernalier, et là vous vous dérangez quand même à la brasserie Lip
01:22:58 Pour autre chose que, j'allais dire, négliger
01:23:02 Oui, c'est vrai que ce jour là, il n'est plus là
01:23:09 Oui, en effet je raconte la scène dans le livre, je raconte l'incident
01:23:14 Alié avait fait dans le Figaro Magazine de l'époque un article absolument insensé
01:23:19 Qui déjà, on est en 79, j'ai deux ans d'existence publique
01:23:24 J'ai peut-être déjà le réseau tout puissant
01:23:27 J'ai peut-être déjà des piscines dans le monde entier où j'invite les journalistes bienveillants, je ne sais pas
01:23:32 Mais toujours est-il que Alié se fait commander par le Figaro Magazine
01:23:36 Un article sur ma mère absolument répugnant
01:23:38 Et ça c'est vrai, alors je ne sais pas, c'est peut-être un côté, peut-être ma mémoire archaïque qui parle
01:23:44 C'est vrai que je ne l'ai pas supporté, je suis allé chez Lip à la sortie du journal
01:23:48 Et je l'ai...
01:23:52 Vous l'avez un peu bousculé, vous avez été interdit
01:23:55 Je l'ai frappé, oui
01:23:57 Est-ce qu'on peut, juste une petite remarque
01:23:59 Je déteste ça d'ailleurs, je pense que ce n'est pas bien non plus
01:24:02 Mais bon voilà, c'est ainsi
01:24:04 Tout simplement, est-ce que...
01:24:06 Scène de la vie littéraire à la fin du XXe siècle
01:24:08 Oui, voilà absolument, mais même...
01:24:10 Ce n'est pas des mémoires hein
01:24:12 Non, non, mais au-delà de ça, d'ailleurs vous racontez après
01:24:14 On verra aussi qu'il y a d'autres bagarres mais qui sont d'un autre ordre devant un café
01:24:19 On parlera d'Aragon un petit peu plus tard
01:24:21 Mais est-ce que...
01:24:22 Je ne me suis pas battu avec Aragon
01:24:23 Non, non, non, non, mais vous êtes battu devant ce café, vous savez de quoi je fais référence et on en parlera
01:24:27 Non mais est-ce que tout simplement, on ne défend pas de la même façon son père et sa mère ?
01:24:32 Je ne sais pas, j'ai peut-être mûri ou j'ai peut-être vieilli
01:24:38 C'est vrai que ce jour-là, je suis devenu fou
01:24:42 Je suis redevenu fou 20 ans plus tard
01:24:45 Quand un jour j'ai appris dans une émission de télévision comme la vôtre
01:24:48 Qui vous précédait sur cette chaîne d'ailleurs
01:24:50 Qu'on avait écrit des choses abominables sur mon père
01:24:54 Dont je vous ai dit un mot tout à l'heure
01:24:56 Et c'est vrai que peut-être que si l'occasion s'était présentée
01:25:02 S'il n'avait pas été minuit et demi
01:25:04 Peut-être que je me serais conduit de la même manière
01:25:06 C'est la même chose
01:25:07 Je vais vous dire
01:25:08 Moi, toutes les attaques qui me visent moi
01:25:11 Je pense vraiment que je suis assez grand pour me défendre
01:25:13 Je pense que ce n'est pas très grave
01:25:15 Je pense qu'il n'y a pas mort d'homme
01:25:16 Et je pense que c'est souvent tellement bête que ça ne mérite pas
01:25:20 Mais quand ça concerne d'autres
01:25:23 Et notamment des morts
01:25:25 Des gens qui ne sont plus là pour se défendre
01:25:27 Et dont je sais que s'ils avaient été là
01:25:29 Les gens en question n'auraient même pas osé
01:25:34 Le dixième de ce qu'ils ont osé
01:25:35 Là c'est vrai que j'ai tendance à me fâcher un peu
01:25:39 J'allais presque dire que pour revenir à la scène éditienne
01:25:42 Dans la cour de récréation
01:25:43 J'ai l'impression des fois que Bernard-Henri Lévy
01:25:45 Il aura envie de vous défendre, vous
01:25:47 Mais il y a une phrase de Nietzsche
01:25:49 Qu'on cite très très souvent
01:25:51 Cette fameuse phrase "Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort"
01:25:54 Mais vous, vous ne la comprenez pas de cette manière là
01:25:56 Disons que quand je suis de très bonne humeur
01:25:58 J'arrive à penser ça
01:26:00 Je me dis quand même le plus souvent
01:26:03 Que quand on prend des coups qui ne vous tuent pas
01:26:06 On en ressort un peu plus faibles
01:26:08 Je suis désolé
01:26:10 Mais...
01:26:12 Bon je...
01:26:14 Je ne sais pas, je me suis rendu compte que...
01:26:18 Par rapport au duel, le procès est quand même un progrès
01:26:23 Mais non mais...
01:26:25 Donc il faudrait...
01:26:26 Et ça prend plus de temps
01:26:27 Bien sûr mais...
01:26:29 C'est ça le problème
01:26:30 Or ce que nous avons de plus rare
01:26:32 Oui oui oui, je sais bien
01:26:34 Mais il faudrait quand même faire confiance à la justice
01:26:37 Je crois
01:26:38 Bon en tout cas...
01:26:39 Moi je crois qu'il faut faire confiance à la...
01:26:41 Vraiment, ça je le pense au plus profond de moi
01:26:43 Et c'est là
01:26:44 Dans cette petite partie du livre
01:26:46 C'est ma conclusion personnelle
01:26:47 Il faut faire confiance à la littérature
01:26:49 Et vraiment, je suis tellement persuadé
01:26:51 Que ces deux ou trois sites
01:26:53 Parce qu'en plus internet c'est mille fois mieux que ça
01:26:55 Il y a deux ou trois sites internet
01:26:57 Qui nous cherchent noises
01:26:59 Mais il y a tellement de sites internet
01:27:01 Qui au contraire sont à sa gloire
01:27:03 Michel Houellebecq a des fan clubs dans le monde entier
01:27:06 Il y a des blogueurs australiens
01:27:08 Le courrier que vous recevez
01:27:09 On reçoit du courrier etc...
01:27:10 Donc la situation...
01:27:11 Les choses sont tellement...
01:27:13 C'est tellement mieux
01:27:15 Que ce que...
01:27:16 Que ce que croient...
01:27:17 Que ce que voudraient nous faire croire c'est agiter
01:27:19 Alors c'est toujours pareil
01:27:20 Évidemment les modérés ou les gentils
01:27:22 Font toujours moins de bruit que les fanatiques et les violents
01:27:24 C'est comme dans l'islam
01:27:26 On disait tout à l'heure
01:27:27 Les musulmans modérés on les entend pas
01:27:30 La petite minorité de radicaux et de fanatiques
01:27:33 C'est des braillards
01:27:34 Là, toute proportion gardée
01:27:36 C'est un peu la même chose
01:27:37 Mais les Houellebecquiens
01:27:39 Sont tellement plus nombreux
01:27:41 Et tellement plus puissants
01:27:43 Que la petite cohorte de type
01:27:45 Que vous avez au Trou
01:27:46 Ça compte si peu
01:27:47 Plus puissant que la Meute
01:27:48 Donc on a vu
01:27:50 Ce qu'il en était de la Meute
01:27:52 Et surtout de vos deux manières d'y faire face
01:27:55 Alors c'est une Meute franco-française
01:27:57 Et moi j'ai vu en plus de ça
01:27:58 Regardez le Clésio par exemple
01:27:59 Ah le Clésio
01:28:00 Grand... Attendez
01:28:01 Grande nouvelle
01:28:02 Oui bien sûr prix Nobel
01:28:03 Prix Nobel
01:28:04 On n'en a pas parlé
01:28:05 C'est magnifique
01:28:06 Parce que c'est un français
01:28:07 Parce que c'est un français ouvert au monde etc...
01:28:10 Et parce que c'est un français qui a porté la parole
01:28:12 Des damnés et des petits très souvent
01:28:14 Les mêmes qui l'en sont aujourd'hui
01:28:17 Je voudrais qu'on ait la curiosité
01:28:19 Et que vos confrères de la presse écrite
01:28:21 Aient la curiosité de fouiller dans leurs archives
01:28:23 Comment ils ont traité le Clésio
01:28:25 Certains de ces livres
01:28:26 Il y a 10, 15 ou 20 ans
01:28:27 Les mêmes qui le mettent
01:28:28 Et ils ont raison
01:28:29 Parce que c'est la plus belle nouvelle de la journée
01:28:31 Les mêmes qui le mettent en pleine page
01:28:33 En couverture des quotidiens
01:28:37 Qu'ils regardent dans leurs archives
01:28:39 Qu'ils se rafraîchissent leur propre mémoire
01:28:41 Comment était traité le Clésio
01:28:42 Il y a 10 ou 15 ans
01:28:43 Et s'ils ne trouvent pas
01:28:45 Je vous donnerai et vous les...
01:28:47 Vous leur rafraîchirez les mémoires
01:28:48 Voilà ce qui veut dire que
01:28:49 La victoire de la meute n'est pas inéluctable
01:28:52 Alors on a vu comment vous avez réagi
01:28:55 Chacun à votre manière à cette meute
01:28:57 Mais j'ai envie de savoir si cette meute
01:28:59 Est simplement franco-française
01:29:01 Ou si à l'étranger on vous perçoit autrement
01:29:04 Alors pour répondre à cette question là
01:29:07 J'ai réuni 3 journalistes de la presse internationale
01:29:10 Et vous pouvez d'ailleurs profiter de leur venue
01:29:13 Pour aller fumer une cigarette
01:29:15 Mais Michel Maloprix je crois que vous avez...
01:29:17 Vous ne fumez plus de vraies cigarettes
01:29:19 Je suis...
01:29:20 Enfin bon encore un petit peu
01:29:21 Mais j'ai acheté un produit qui est vraiment très bien
01:29:24 Oui ?
01:29:25 En fait on a le droit
01:29:27 Voilà
01:29:28 Le CSA c'est de la vapeur non ?
01:29:30 C'est permis sur tous les plateaux télévision
01:29:32 Pour revenir presque à l'époque d'Apostrophe
01:29:35 C'est saisissant
01:29:36 Et pour un fumeur même très accro
01:29:40 C'est de loin ce que j'ai rencontré de mieux comme substitut
01:29:44 Alors je ne vous propose pas une vraie cigarette sur internet
01:29:48 Oui ?
01:29:49 On va faire du téléachat là bientôt
01:29:51 La faites bien pour CSA
01:29:53 Oui absolument
01:29:54 Alors vite vite vite courons à l'étranger
01:29:57 Et voyons comment vous êtes accueillis à l'étranger
01:30:00 Nous ne bougeons pas tout de suite
01:30:02 C'est un sujet réalisé par Amélie Gros
01:30:05 Bernard-Henri Lévy comme Michel Houellebecq
01:30:08 sont traduits dans une quarantaine de pays
01:30:10 et on peut les compter tous deux aujourd'hui
01:30:12 parmi les écrivains français les plus lus à l'étranger
01:30:15 Jérôme Béglé revient sur ce décalage
01:30:17 entre la France et le reste du monde
01:30:19 Tout ce qu'on reproche à Bernard-Henri Lévy
01:30:21 c'est qu'il a fait des choses à l'étranger
01:30:23 C'est à dire le côté "je me mêle de tout"
01:30:25 c'est les américains et les anglo-saxons adorent ça
01:30:27 Il a investi le territoire américain
01:30:30 presque scientifiquement
01:30:32 ça faisait longtemps qu'il y pensait
01:30:33 Et c'est avec l'apparition de "Qui a tué Daniel Pearl" en 2003
01:30:36 que sa cote explose aux Etats-Unis
01:30:38 Graydon Carter, directeur du redouté "Vanity Fair"
01:30:41 lui consacre 11 pages
01:30:43 Ce qui me séduit chez BHL c'est son côté ovni
01:30:46 il ne ressemble à aucune espèce d'écrivain chez nous
01:30:48 Les télévisions se l'arrachent
01:30:50 "The Star is Born"
01:30:51 Le philosophe français Bernard-Henri Lévy
01:30:53 regarde les questions qui conduisent l'Amérique
01:30:55 dans son nouveau livre "American Vertigo"
01:30:58 Je pense que les travaux de la démocratie en Amérique
01:31:02 sont plus vivants que jamais
01:31:04 C'est avec "American Vertigo"
01:31:06 qu'il fait littéralement exploser le box-office
01:31:08 Il est 15ème dans la liste des meilleures ventes du New York Times
01:31:12 Le New York Observer salue un livre fin et passionné
01:31:15 S'il y a 3 ou 4 intellectuels français
01:31:18 qui comptent aux Etats-Unis
01:31:20 Bernard-Henri Lévy est incontestablement dedans
01:31:23 Les américains adorent ceux qui essayent de leur expliquer qui ils sont
01:31:27 Quand il va faire son périple à travers toute l'Amérique
01:31:31 il va rapporter des embryons, des bribes de réponses aux américains
01:31:34 qui, sans lui dire merci, lui sont en tout cas un peu reconnaissants
01:31:37 "Je me souviens que tu étais très désirable"
01:31:40 "Le dimanche étendait son voile un peu gluant sur les boutiques à flics de l'Ubistro Amérique"
01:31:45 "Trois libraires, un peu d'ajout d'âme"
01:31:48 Pour Michel Houellebecq, c'est un petit peu différent
01:31:50 Il a fait l'objet, et il fait encore l'objet, de beaucoup de thèses
01:31:53 aux Etats-Unis, en Amérique latine et en Europe centrale
01:31:56 Là-bas, quand il se déplace, notamment en Europe centrale
01:31:59 c'est une espèce de modèle
01:32:02 Pourquoi ? Parce qu'on estime que dans ses précédents livres
01:32:05 il a eu une espèce d'intuition de la façon dont pouvait tourner le monde
01:32:09 N'en déplaise à Donald Morrison qui déplore dans le Times la mort de la culture française
01:32:14 la presse internationale célèbre Michel Houellebecq
01:32:16 Offensif, provocateur, plein d'humour pour le San Francisco Chronicle
01:32:20 Le New York Times parle d'un écrivain formidable, drôle et prophétique
01:32:24 et pour le quotidien El Pais, Michel Houellebecq a révolutionné la scène de la littérature française
01:32:29 Même pas en France, parce que l'un comme l'autre, il représente tout ce que les Français détestent
01:32:45 Michel Houellebecq marche très bien en Allemagne
01:32:47 Il a une image assez différente de ce qu'il y a en France
01:32:49 Donc la presse allemande s'intéresse à lui pour ce qu'il est
01:32:52 et pour les livres qu'il publie
01:32:54 Dans beaucoup de pays étrangers on va s'intéresser aux livres
01:32:56 Pourquoi ça fonctionne, qu'est-ce qu'il dit, en quoi est-ce une thèse intéressante, en quoi est-ce bien écrit
01:33:01 Dans ce journal allemand on peut lire
01:33:03 La littérature dans sa forme la plus actuelle est incarnée par Michel Houellebecq
01:33:06 depuis la mort de Duras et de Rob Griers
01:33:09 Trêve aux attaques personnelles, place à la littérature
01:33:12 Alors qu'ennemi public sort à l'étranger, la presse n'a de cesse de dénoncer l'acharnement de la critique française
01:33:18 Pour le Corriéré de la Serra, le succès ne se pardonne à personne
01:33:21 C'est pour cela que BHL et Houellebecq sont les ennemis publics des lettres françaises
01:33:25 The Guardian enfonce le clou
01:33:27 La France s'est souvent régalée en jetant l'opprobre sur ses plus grands auteurs
01:33:31 faisant des procès de moralité à Flaubert et Baudelaire
01:33:34 Cette fois deux boucs émissaires culturels ont rejoint les rangs
01:33:37 pour exprimer leur ras-le-bol d'être constamment vomi, ridiculisés et victimisés dans leur pays
01:33:42 Mais c'est peut-être le journaliste du Die Welt, repris par le Nouvel Observateur, qui pose la question la plus juste
01:33:48 S'il était allemand, il le soupçonnerait des pires turpitudes et ne laisserait sans doute même pas ses romans aller jusqu'à la publication
01:33:55 Voilà, alors nous vous avez regardé ce sujet, on était en train de parler des émissions littéraires dans vos différents pays
01:34:02 parce que nous on se plaint, on trouve qu'il n'y a pas assez d'émissions littéraires
01:34:05 Alors, quelle est la situation chez vous ?
01:34:07 Alors je vous présente Angélique Chrysaphis de Guardian
01:34:11 On va faire Stéphano Montefiori du Corriéré de la Serra
01:34:16 et Nils Minkmar de Frankfurt Allgemeine
01:34:20 Ça va la prononciation ?
01:34:21 Parfait !
01:34:22 Alors, ce genre d'émissions chez vous, comment ça se passe ?
01:34:26 On fait des entretiens mais pas pendant une heure et demie
01:34:30 Donc quand BHL parle et Wellbeck parle d'une chasse à l'homme, c'est pas du tout une chasse à l'homme
01:34:36 Bon, d'accord. Et chez vous en Italie ?
01:34:39 Oui, des émissions comme ça elles existent mais elles sont assez rares
01:34:44 et maintenant on a la tendance à réserver un petit espace dédié aux livres, à la culture
01:34:51 dans des émissions plus vastes qui parlent d'autres choses, d'autres intervenants
01:34:55 et donc c'est pas tellement commun
01:34:58 En Allemagne ?
01:34:59 En Allemagne jamais, non. Deux écrivains comme ça pendant une heure et demie
01:35:02 avec des citations à Noblaise Pascal, tout ça
01:35:05 Non, il y aurait au moins, je sais pas, trois actrices, on ferait de la musique entre
01:35:09 deux heures, on n'a pas ce genre d'écrivain, je veux dire, nos grands écrivains ils ont 80 ans et plus
01:35:13 ce sont des vieux messieurs, enfin non
01:35:15 Bon, écoutez, j'allais dire à nos responsables, n'écoutez pas ce qu'on dit là
01:35:19 préservons notre spécificité française
01:35:22 Alors, revenons à Michel Wellbeck et Bernard-Henri Lévy
01:35:26 Qui sont-ils chez vous ? Comment sont-ils ressentis ?
01:35:29 En fait, si je peux commencer par Michel Wellbeck, en Angleterre
01:35:33 la littérature française contemporaine c'est tout simplement Michel Wellbeck
01:35:37 Point
01:35:38 Il n'y a personne d'autre
01:35:40 Wellbeck pour nous, par exemple, Salman Rushdie, le grand écrivain indien
01:35:44 a dit qu'il faut absolument lire Plateforme
01:35:47 pour comprendre la pensée française en dehors des élites métropolitaines
01:35:52 pour comprendre la dépression, les préjugés
01:35:55 et en fait le déclinisme de la France, des Provences
01:35:59 Alors, tout trivialement, ils vendent beaucoup de livres, Michel Wellbeck ?
01:36:02 Ah oui, ils ont énormément de lecteurs
01:36:04 et chaque livre c'est un événement médiatique, on peut dire
01:36:08 Mais est-ce que ce n'est pas parce qu'il est en Irlande
01:36:10 qu'il vous fait très content quand vous récupérez des Français
01:36:13 dans l'espace anglo-saxon ?
01:36:15 C'est vrai qu'on dit aussi que c'est un géant de la littérature
01:36:18 Pourquoi ? Parce qu'il a un regard acide sur la vie contemporaine
01:36:22 et c'est un regard sur la vie française, mais c'est aussi universel
01:36:26 Donc, c'est quelque chose de vénéneuse, quelque chose de très dur, très acide
01:36:30 mais on adore ça en Angleterre
01:36:32 et on adore les bagarres littéraires aussi
01:36:34 D'accord. En Italie alors ?
01:36:36 Oui, je crois qu'en Italie, c'est pas vraiment la même chose
01:36:41 C'est pas vrai que Michel Wellbeck est le seul écrivain français connu en Italie
01:36:45 Il y en a beaucoup d'autres, mais c'est vrai qu'il a suscité un intérêt énorme
01:36:50 et je crois que cet intérêt, ça dépend surtout de sa qualité littéraire
01:36:55 et pas du tout des manœuvres de marketing
01:36:59 où on a parlé des réseaux à propos de Bernard-Henri Lévy
01:37:03 ou quand même du personnage Wellbeck
01:37:06 Je crois qu'il l'a su s'imposer, même en Italie
01:37:10 où on ne le voit pas souvent à la télé
01:37:13 Ce sont ses livres quoi qu'il s'impose
01:37:15 Oui, ce sont ses livres, ce sont ses idées, bien sûr
01:37:17 Il fait de la polémique, il suscite des intérêts aussi
01:37:20 pour ses sorties très importantes et très choquantes
01:37:26 mais je crois qu'il faut reconnaître que c'est surtout la qualité de ses livres qui est considérée
01:37:33 On va refaire un tour sur Michel Wellbeck et on reviendra sur Bernard-Henri Lévy en Allemagne
01:37:37 En Allemagne, c'est un peu spécial, l'Allemagne au siècle des années années, c'est shooté à l'histoire
01:37:42 On a tout fait, on a eu le pire, on a eu la réunification
01:37:47 et ces années-là, on est en train de refaire l'histoire, les intellectuels, les écrivains
01:37:53 et on est toujours dans cette bulle d'espace-temps
01:37:56 On a besoin d'écrivains contemporains et tous les deux sont radicalement contemporains
01:38:02 Wellbeck parle du tourisme, il parle du clonage, il parle de tas de trucs dont nos écrivains ne parlent pas
01:38:07 donc il a été importé de suite, c'est un dieu
01:38:11 Mais est-ce que vous n'exagérez pas un peu quand vous dites que vous n'avez que des écrivains de 80 ans en Allemagne ?
01:38:16 Non, c'est vrai, il y a tous, on a à peu près 80 ans, 70 ans et puis après 30, 40
01:38:20 Il n'y a pas justement cette génération de Wellbeck et de BHL qui manque
01:38:25 Bernard-Henri Lévy, comment est-il perçu chez vous ?
01:38:29 En fait, c'est la Torre Eiffel, c'est cette image de la France
01:38:33 En fait, on adore en Angleterre tout ce qui est boulevard Saint-Germain, quartier latin
01:38:39 et lui, c'est vrai que sa chemise blanche ou verte
01:38:43 C'est glamour alors en fait
01:38:44 C'est très glamour, mais en même temps, il faut savoir qu'en Angleterre, on n'a pas ce figure de l'intellectuel public
01:38:49 Donc il est très sollicité, et aux Etats-Unis aussi, par rapport à Afghanistan, par rapport à la présidentielle
01:38:54 En ce moment, il est très sollicité, on cherche son avis, son avis d'un Français
01:38:58 Mais est-ce que, je pose la question à tous les trois, est-ce qu'on n'aime pas les auteurs français qui en fait sont plutôt critiques par rapport à la France ?
01:39:06 Est-ce que ce n'est pas ça que vous aimez un peu chez nos intellectuels ?
01:39:09 Donc quand je dis que pour nous la littérature française est Michel Wellbeck
01:39:13 Bon, en France, je trouve une espèce d'agacement, une espèce d'étonnement
01:39:18 Mais c'est parce que, en fait, les préjugés, le racisme, le misogynisme, tout ça qu'il parle, en fait, c'est universel
01:39:26 Et ça fait aussi partie de notre regard sur la France en ce moment
01:39:29 Je crois que les lecteurs italiens, et en général les Italiens, ont un rapport d'amour et d'haine par rapport à la France
01:39:38 C'est une nation cousine, on dit, donc je crois que c'est surtout le fait que les livres marchent
01:39:50 Par exemple, dans les top 5 des livres en Italie, il y a l'Elegance de Risson, de Marielle Boberi
01:39:58 Et je crois que personne ne sait si elle est française ou anglaise, mais c'est ça, c'est la qualité du livre
01:40:05 Donc, tout ce genre de considérations sur la chemise blanche, comme ça, c'est...
01:40:12 Pour l'Allemagne, il est tintin, il va dans le monde, c'est pas du tout qu'il soit français ou qu'il vienne des Etats-Unis
01:40:19 C'est pas là, pour la Géorgie, par exemple, ça a été très important, son intervention sur la Géorgie
01:40:24 Vous savez, la Russie a une grande influence en Allemagne, ils sont souvent là, ils achètent plein de trucs
01:40:28 Ils ont même acheté un ancien chancelier, et c'était très important que quelqu'un aille voir et puis témoigner de ce qui se passe en Géorgie
01:40:36 Ça a eu un impact considérable
01:40:38 Alors, en Italie, il y a eu un peu de tension au moment où Bernard-Henri Lévy a préfacé le livre de César et Battisti, Caval
01:40:46 Là, les intellectuels italiens, et même les italiens, ne comprenaient pas cette position
01:40:50 Oui, et il faut ajouter qu'il y a eu d'autres tensions, comme sur le Corriere della Sera, le journal pour lequel je travaille
01:40:58 On a publié sa rencontre au Brésil avec César et Battisti en prison
01:41:04 Il faut reconnaître à Bernard-Henri Lévy que c'est vrai, il cherche à faire des choses que personne d'autre ne fait
01:41:10 Et en Italie, personne n'était allé parler avec Battisti en prison, ou quand même n'avait réussi à le faire
01:41:17 Donc, sur le Corriere, on était sûr qu'il allait déclencher des réactions très vives, très négatives
01:41:24 Mais on a estimé que c'était important quand même de le publier, même si la ligne du Corriere...
01:41:29 Les réactions étaient négatives ?
01:41:30 Oui, bien sûr, les jours après, le ministre de la Justice à l'époque, Clemente Mastel, a fait un communiqué très dur contre Bernard-Henri Lévy
01:41:39 et contre le Corriere della Sera, qui avait donné de l'espace à quelqu'un qui, et là, bien sûr, ça revient un petit peu à le cliché de la gauche caviar
01:41:46 quelqu'un qui se permet de juger l'histoire italienne sans la connaître profondément
01:41:52 Mais là, je crois que le Corriere a bien fait de, sans forcément partager l'avis de Bernard-Henri Lévy sur l'affaire Battisti
01:42:03 parce que même le Corriere est plutôt contre
01:42:07 C'était juste de publier ce reportage, de donner de l'espace à des idées
01:42:13 et je crois qu'on a démontré qu'on a beaucoup de respect pour Bernard-Henri Lévy, au-delà de la chemise, des jettes privées, du réseau, et tout ça
01:42:23 Il y a finalement ce côté emmerdeur qu'ils ont un peu, et malsain un peu, que le public adore, je crois, dans tous les pays
01:42:30 En tout cas, merci à vous d'avoir remis en perspective, parce que le sujet sur la meute était dur
01:42:35 et de savoir que des intellectuels français existent de cette manière-là chez vous, ça nous fait plutôt plaisir
01:42:41 Ils vont revenir, si vous voulez bien vous mettre en fin, comme ça on va demander à Michel Houellebouin, à Jean-Luc Pesquet et à Bernard-Henri Lévy
01:42:50 de venir pour conclure
01:42:54 Ça fait tout de même plaisir d'entendre ça, je pense que vous connaissez votre statut à l'étranger, vous n'avez rien découvert dans ce qu'ont dit nos amis journalistes
01:43:05 En Angleterre, je ne le savais pas à ce point, je ne m'en rendais pas compte
01:43:11 Mais j'ai passé beaucoup de temps en Allemagne, sans doute parce que c'est un pays qui était moins centralisé que la France
01:43:19 donc les déplacements en Allemagne prennent beaucoup de temps, et ce qui fait que je suis plus allé en Allemagne finalement qu'en Angleterre ou en Italie
01:43:26 On n'a pas de TGV, c'est vrai
01:43:28 Non, mais maintenant qu'il y a Berlin, peut-être que ça va prendre l'eau
01:43:32 Mais oui, bien sûr que ça fait plaisir, bien sûr que ça fait du bien
01:43:37 Vous n'avez rien découvert par rapport à votre statut, on aurait pu aussi avoir un journaliste américain qui aurait donné une autre dimension
01:43:45 Ce n'est pas tellement découvert, mais en tout cas, c'est vrai que ça m'a fait plaisir, surtout quand on est européen, viscéralement, comme nous le sommes je crois tous les deux
01:43:56 C'est vrai que c'est bien, et d'ailleurs je voudrais dire une chose tout de même, c'est que quand j'ai fait par exemple cette série de reportages qui a donné un livre sur les guerres oubliées
01:44:06 qui pour moi était un moment vraiment important de ma vie, quand je suis allé au sud-soudan, dans des endroits vraiment perdus, au bout du bout du monde, etc
01:44:19 Je l'ai fait grâce au monde d'abord, le monde de Jean-Marie Colombani, et je l'ai fait avec la Frankfurter Allgemeine, avec un journal espagnol qui s'appelle "Le Mundo"
01:44:29 avec le Corriere de la Sierra, avec un journal américain, et ça c'est vrai que c'est formidable
01:44:35 Quand on a le sentiment de ne pas écrire pour le plaisir d'écrire, simplement, de porter quelque chose qui est un peu plus grand que vous
01:44:49 ce qui est le cas de Michel, quand il écrit "Plateforme" ou "La possibilité du Nil" ou quand il fait son film
01:44:55 et ce qui est mon cas, quand je fais mon enquête sur Daniel Peire ou quand je fais mon enquête sur les guerres oubliées, c'est vrai que ça fait chaud au coeur
01:45:01 c'est bien de se sentir porté par d'autres pays que par le sien
01:45:05 J'aimerais, pour conclure un peu cette rencontre, qu'on revienne sur ce qui transparaît dans ce livre, c'est le plaisir que vous avez eu à l'écrire
01:45:15 et au chemin que vous avez fait tout au long de ce livre. Vous le dites, par exemple, Michel Le Bec, il vous arrivait d'attendre cette lettre, sur les précédentes "Façon amoureuse"
01:45:24 Oui, oui, c'était un vrai plaisir parce que je sais que... Bon, quand on parle d'ego hypertrophié, etc.
01:45:34 on peut dire ça de Rousseau, il n'empêche que les confessions sont un chef-d'oeuvre
01:45:40 donc l'ego hypertrophié, il ne faut pas en dire du mal uniquement
01:45:44 mais moi, j'ai un ego moins hypertrophié que lui et donc je ne ferai jamais les confessions
01:45:49 mais j'étais très content de me souvenir de choses de mon adolescence, voire de mon enfance et que ça revienne comme ça naturellement
01:45:56 et j'étais très content aussi de parler d'Aragon, j'ai jamais tellement l'occasion d'en parler, je ne sais pas pourquoi
01:46:03 Moi, je vais vous en donner l'occasion parce que je trouvais que ce passage sur Aragon...
01:46:10 Regardez, vous avez cité Aragon et moi ce que j'ai vu dans la fin de ce livre, c'est vous citant Aragon côté poésie
01:46:20 et vous, juste après, et je vous demandais de lire le passage, c'était comme si vous...
01:46:24 Non, non, ça c'est vous qui allez le lire, c'est vous qui citez ce passage-là
01:46:28 "Ah, donc c'est un joli... Je ne sais ce qui me possède et me pousse à dire à voix haute
01:46:34 ni pour la pitié, ni pour l'aide, ni comme on avouerait ses fautes, ceux qui m'habitent et qui m'obsèdent"
01:46:40 C'est beau, c'est quand même un grand... C'est un de nos grands poètes, il n'y a aucun doute
01:46:44 Enfin, je veux dire... Bon, c'est très difficile à mon avis pour quelqu'un qui...
01:46:48 C'est tellement lié à la langue, Aragon, que c'est très difficile à comprendre à quel point c'est un grand poète
01:46:54 pour quelqu'un qui n'est pas de langue maternelle française, mais c'est un de nos grands poètes
01:47:00 Et ça donne l'occasion à Bernard-Henri Lévy, juste après, et c'est là que je vois cet espèce de projet
01:47:06 que ce livre contient, pour vous réécrire de la poésie et pour vous un roman, de relire ce début
01:47:12 C'est votre rencontre, ça va être votre rencontre avec Aragon, qui est pour moi comme le début d'un roman
01:47:18 Il y avait à Paris à la fin des années 1970 un bar anglais un peu kitsch
01:47:23 avec des tables fixes et des banquettes de moleskine qui s'appelait le Twickenham
01:47:28 et qui faisait l'angle de la rue des Saint-Père et de la rue de Grenelle
01:47:33 Et c'est en effet là que se situe cette rencontre avec Aragon
01:47:38 Alors, est-ce que cette rencontre aura une suite, suite dans vos oeuvres respectives, ou une suite, j'allais dire, commune ?
01:47:45 Moi, quand le biographe disait tout à l'heure que le lycée La Cendre est un des meilleurs, j'étais bien d'accord
01:47:53 Je pense que c'est suite vos livres où l'on sent le plus l'envie de développer des personnages et en fait l'envie du roman
01:48:00 Et donc oui, je pense que vous ferez un roman prochainement
01:48:07 Si vous le souhaitez, disons qu'il faut le faire
01:48:12 C'est vrai que cette correspondance a eu des tas d'effets, on a payé nos dettes
01:48:18 On a raconté deux histoires de France, à la fois les mêmes et très différentes, etc.
01:48:24 Et puis elle a eu des effets peut-être sur nos vies à chacun
01:48:28 Sur la mienne, c'est vrai qu'il y a une chose que je n'osais plus faire depuis 20 ans
01:48:32 J'ai été paralysé et je crois que grâce à Michel, et ça je lui en ségré ce verrou à sauter
01:48:39 Je n'osais plus écrire de romans, j'ai écrit des romans jadis
01:48:42 Les plus âgés de vos téléspectateurs s'en souviennent
01:48:45 Et je crois qu'en effet grâce à lui je vais peut-être recommencer
01:48:48 En tout cas merci Michel Houellebecq, merci Bernard Rondevis
01:48:52 C'était pour moi en tout cas, et j'espère pour les téléspectateurs, une vraie rencontre
01:48:57 Voilà c'est terminé ce soir pour Café littéraire, un café littéraire exceptionnel
01:49:01 Mais si Café littéraire vous manque ou si vous avez manqué Café littéraire
01:49:06 Vous pouvez le retrouver sur France 2.fr
01:49:09 Notre prochain rendez-vous c'est vendredi prochain
01:49:12 Déjà c'est pas moi qui m'en plaindrai, en attendant que la lecture vous soit bonne
01:49:17 Merci
01:49:20 Sous-titres par Jérémy Diaz
01:49:23 Merci à mes Tipeurs et souscripteurs
01:49:28 Merci à mes Tipeurs et souscripteurs
01:49:31 Merci à mes Tipeurs et souscripteurs
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01:50:02 Merci à mes Tipeurs et souscripteurs