Transitions après les coups d’État en Afrique de l’Ouest, progression du terrorisme, sentiment anti-français… De passage à Paris, le président de la Guinée-Bissau, qui achève son mandat à la tête de la Cedeao, a accordé un entretien exclusif à JA.
L'intégralité de l'interview : https://www.jeuneafrique.com/1458236/politique/umaro-sissoco-embalo-la-stigmatisation-de-la-communaute-peule-doit-cesser/
L'intégralité de l'interview : https://www.jeuneafrique.com/1458236/politique/umaro-sissoco-embalo-la-stigmatisation-de-la-communaute-peule-doit-cesser/
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Monsieur le Président, on va commencer par la Guinée-Bissau, votre pays, et l'actualité
00:09 politique. Le 4 juin, il y a eu des élections législatives qui ont été remportées largement,
00:17 majorité absolue, par la coalition PAI-Terra Ramca du PIJC. Est-ce que vous êtes un président
00:24 à Feublie ? Pas du tout. Moi je pense que dans la démocratie, on doit savoir cohabiter. Nous,
00:33 on a un système semi-présidentialiste qui peut amener la cohabitation. Donc je ne suis pas un
00:40 président à Feublie. Mais c'est une nouvelle expérience, évidemment, une nouvelle expérience
00:46 que je veux vivre. Je pense en tant que démocrate, donc il n'y aura aucun problème. Est-ce que cette
00:53 cohabitation va devoir vous contraindre à renoncer à votre projet de réforme constitutionnelle ? Bon,
01:00 quelque sorte oui, mais on pourrait arriver à cela. Alors vous avez été président victime,
01:08 ça c'était au mois de février 2022, on s'en souvient, d'une tentative de coup d'État,
01:12 que vous avez d'ailleurs raconté dans Genafrique. Vous avez mis en cause les barons de la drogue.
01:17 Depuis, où en est votre combat contre le trafic de drogue et à quel résultat a-t-il abouti ? Moi,
01:25 je pense qu'on n'en parle plus de ça en Guinée-Bissau. On n'en parle plus de la situation
01:31 de la drogue et tout ça. Parce que même il y avait des politiciens, il y avait certains militaires
01:37 qui étaient impliqués, mais bon, aujourd'hui on n'en parle plus de ça. Le trafic a été éradiqué ?
01:41 Complètement. Quand je suis arrivé en 2020, la première chose que j'ai faite, c'est de
01:47 combattre ça, férocement, et de repositionner Guinée-Bissau dans la concertation des nations.
01:54 Parce qu'avant, quand on parlait de Guinée-Bissau, les gens nous banalisaient, complètement. Mais
01:59 aujourd'hui, Guinée-Bissau, il y a son poids aussi dans la concertation des nations. Parce que mon
02:05 slogan, il n'y a que des États, pas de petits États. C'est pour cela qu'aujourd'hui je préside la
02:10 CDAO. C'est la première fois qu'un pays lusophone préside la CDAO. Alors justement, il y a un sommet
02:18 le 9 juillet à Bissau, la CDAO, un sommet important, mais qui est également le sommet de la fin de
02:23 votre mandat. Alors c'est quoi votre bilan ? Moi je pense que c'est très positif, malgré que j'ai
02:29 hérité la CDAO dans une situation très complexe, très compliquée, avec les coups d'État au Mali,
02:37 Burkina Faso, Guinea-Conakry, la tension politique d'ici à là-bas. Mais on a su quand même surmonter.
02:46 Et là, nous sommes dans la voie où, quand même, on est en train de voir la stratégie qu'on peut
02:53 mettre en place. J'ai réuni cette année deux fois le conseil des chefs d'État-major général pour
03:04 créer une force anti-terroriste et surtout anti-pouche aussi. Parce que c'est inacceptable
03:11 qu'il y ait quelque chose en Afrique occidentale, cette tradition qu'on avait dépassée depuis des
03:19 années 80, que ça revient encore à la mode. Un militaire ne peut pas avoir une vision pour le
03:25 développement de l'État. Non. C'est pour cela que moi je suis catégoriquement contre les coups d'État.
03:31 Je suis un général des armées. Ma profession c'est le militaire. Mais j'ai laissé le tenu. Je suis
03:40 parti créer mon parti, vendre mon parti avec mes compagnons. On est parti les élections,
03:46 on a perdu la première fois. La deuxième fois, je suis élu président de la République. On est en
03:54 train de démontrer que c'est possible. La démocratie, on doit la respecter. C'est le choix
04:00 du peuple. Justement, vous parliez du Mali, qui a été un des dossiers les plus importants que
04:07 vous ayez eu à gérer sous votre présidence, que vous avez à gérer. L'exécutif malien a demandé
04:12 à la MINUSMA de quitter le pays sans délai. Est-ce que c'est une bonne chose d'après vous ?
04:16 MINUSMA était là dans un cadre multinational, des Nations Unies surtout. Et cette force ne
04:27 débarque pas d'un pays sans un consensus et sans un principe. S'il y a quelques incompréhensions,
04:37 il faut que les gens discutent. Mais des fois, il y a la ferveur de jeunesse qui joue beaucoup
04:44 dans certains pays. Malheureusement, moi je pense que c'est très important que les gens analysent
04:52 avec un sens froid les choses avant de prendre quelle que soit la décision. Moi j'avais cette
04:58 ferveur aussi. À l'époque j'étais tout chaud et tout ça, mais avec le temps j'ai commencé à
05:04 voir que non, il faut que je change mon stratégie. Il faut prendre toutes les décisions froidement,
05:10 calmement. C'est pas la chose qu'on prend en décision. Toujours sur la situation malienne,
05:15 il y a eu un référendum organisé le 18 juin et l'un des résultats de ce référendum sera de
05:21 permettre aux chefs de la transition de pouvoir se présenter à l'élection présidentielle.
05:25 Assime Ngoïta doit-il pouvoir être candidat ? Moi personnellement, je pense que c'est pas
05:33 souhaitable qu'un président de la transition soit encore candidat. Sur le Burkina, il y a
05:42 manifestement une dégradation de la situation sécuritaire, monsieur le président, et une
05:48 avancée des djihadistes. Comment est-ce que vous analysez ça ? Ça fait de la peine parce que moi
05:54 j'étais personnellement, j'avais engagé aux lignes de front avec mon frère Burkinabé,
06:03 avec le président Damiba, qu'il est parti, il est venu travailler. Mais à un certain moment,
06:16 j'ai vu que les gens ont commencé à dérouter. Ça fait de la peine que Burkina se retrouve dans
06:22 cette situation aujourd'hui. Vous savez, des fois il y a du populisme. La rue ne peut pas gérer les
06:27 pouvoirs. Les pouvoirs on ne peut pas les gérer. Qu'est-ce que les blogueurs disent, Facebook dit,
06:35 non on ne peut pas gérer comme ça l'Etat. L'Etat on doit le gérer avec la sagesse. C'est comme ça.
06:43 Et puis heureusement, il y avait un très bon médiateur choisi par la CDAO qui est le président
06:48 Yissoufou, un homme très sage. Nous tous on était là. Et moi j'avais même parlé au président
06:55 Macron, Biden aussi, et tous étaient disponibles pour aider Burkina, sans délai. Pendant qu'on
07:03 négociait avec le président Yissoufou, c'est là-bas qu'on a vu nos frères ont commencé à dérouter. Là
07:10 ça nous a... ça nous a rendu nous tous tristes. Alors il y a une descente de plus en plus des
07:16 djihadistes vers le golfe de Guinée. Le nord du Bénin, le nord du Togo, etc. sont contaminés,
07:24 si je puis dire. Il y a une menace sur la Guinée-Missaou ? Mais aucun pays est à l'abri aujourd'hui,
07:30 des djihadistes. Aucun pays. Même la France. Aucun pays. Parce que depuis que l'Occident a cassé
07:41 la Libye, ça c'était le plus grand erreur. C'est l'erreur des siècles. Moi je pense que la détruction
07:49 de la Libye, c'était pire que la Covid. Pour nous dans la zone Sahel. Vraiment ça... Aujourd'hui,
07:59 quand on voit la situation, la Libye même, elle est incontournable, ingouvernable. Tous ces gens
08:06 qui étaient un grand poudrier d'armement sont venus de Mali, Burkina, ils sont entendus par
08:13 Pierre Bépartou. Ça c'est très grave. Et aucune solution a vu. Parce que il faut d'abord stabiliser
08:23 la Libye pour qu'on puisse finir avec... si on veut finir avec ce terrorisme dans la zone,
08:27 il faut la stabilisation de la Libye. Sinon c'est impossible. Il y a un certain nombre d'actions
08:34 qui sont commises par ces djihadistes, qui sont des terroristes. Il y a aussi un certain nombre
08:39 de dégâts collatéraux, de bavures, qui peuvent être commises par les armées de la région et
08:45 lesquelles semblent stigmatiser de plus en plus une communauté qui est la communauté peule. Est-ce
08:50 qu'il y a un problème peule en Afrique de l'Ouest ? Moi je pense que ça c'est un sentiment que les
08:55 gens ont développé, que c'est un mauvais sentiment. Le peul c'est des tribus les plus pacifiques.
09:04 Moi-même que vous parlez, je suis un peul. Moi je suis pas bien avec ma conscience quand les gens
09:10 disent que quelqu'un est violent. Mais les choses qui se sont commises au Burkina, c'est lamentable.
09:16 Moi-même j'ai déjà prononcé qu'il y a des gens qui finiront leurs jours au courbier international.
09:24 On ne peut pas stigmatiser toute une tribu ou une ethnie. Massacrer un village avec les enfants,
09:32 les femmes enceintes, ça c'est crime contre l'humanité. Et un jour ces gens seront responsabilisés.
09:38 Justement à propos du Burkina, votre homologue nigérien Mohamed Bazoum disait, il y a quelques
09:45 semaines, à propos des VDP, il disait "Armer les civils pour combattre les terroristes, c'est
09:50 une tragique erreur". Est-ce que vous êtes d'accord ? Tout à fait d'accord, 100% d'accord.
09:55 Parce qu'on ne peut pas armer les gens. Des fois on peut armer les gens, mais ces choses retournent
10:03 contre nous-mêmes. Concernant la Centrafrique, François Bozize est en exil en Guinée-Bissau
10:09 depuis le mois de mars. Est-il tenu à un régime spécial ? Est-il tenu notamment au silence
10:14 concernant la politique centrafricaine ? Oui, moi je l'ai fait pour quelque chose de strictement
10:19 humanitaire. Parce que moi-même, pendant la guerre en Guinée-Bissau, j'ai été exilé. Les gens m'ont
10:25 accepté. Comme vous le savez, j'ai eu de très bonnes relations avec le frère Maréchal Déby. C'est
10:32 quelqu'un qui m'a toujours considéré comme son fils. Dans ce cadre, j'ai reçu le président
10:38 Bozize, mais il y a des conditions et des principes. Venez ici, pas de politique.
10:43 Vous avez de très bonnes relations avec le président Macron. J'imagine que vous parlez
10:51 avec lui, parce que ça le préoccupe, de ce qu'on appelle le sentiment anti-français.
10:55 Moi je pense que ce n'est pas une chose anti-français. Les gens interprètent ça très mal.
11:01 Et les gens voient aujourd'hui, le président Macron a hérité ça. Depuis les bombardements que
11:13 France a lutté contre en Libye, que la zone d'Afrique de l'Ouest a révolté. Parce que, n'oublie
11:21 pas, le Canada était trop présent dans cette zone, surtout au Burkina, au Mali, au Niger. C'était
11:29 la zone d'influence du Canada. Alors l'élection présidentielle prochaine à Missa aussi en 2024,
11:37 est-ce que vous y pensez déjà ? Jusqu'à présent, avec les bilans que j'ai faits, si je parle des
11:41 élections, en 2019, j'ai gagné au deuxième tour. Là, je pourrais gagner au premier tour.
11:47 Mais on ne gagne jamais les élections en France. Vous ferez deux mandats et puis vous partirez ?
11:52 Absolument. Vous serez élu, deuxième mandat, et puis après, on s'en va ?
11:59 La constitution sera pas modifiée. Même si nous, on change, modifie la constitution,
12:05 moi, je ne serai pas candidat. Vous pouvez le jurer ? Oui, bien sûr. C'est ma parole.
12:11 Mais je vais finir le deuxième mandat avec 57 ans. J'ai le temps de revenir.
12:16 Merci président, merci beaucoup.
12:18 Merci.
12:19 [Musique]