À Voix Haute - Jeanne, les TOCs

  • l’année dernière
Jeanne souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), qui se traduisent par des obsessions (pensées dérangeantes, répétitives et incontrôlables), causant une forte anxiété. Pour calmer ces obsessions, Jeanne met en place des rituels (ou compulsions), c'est-à-dire des comportements répétitifs, irraisonnés et incontrôlables, qui prennent beaucoup trop de place dans sa vie...
Elle nous raconte son quotidien avec cette maladie invisible
Transcript
00:00 Les TOCs ont eu un réel impact sur ma vie parce que je les ai eus au moment de l'adolescence.
00:05 Je me suis fait énormément harceler au collège.
00:07 J'ai des TOCs depuis 10 ans.
00:09 Ça a commencé lors de mon changement de passage en primaire au collège.
00:13 Je pense que les TOCs sont arrivés à ce moment-là parce que, au niveau familial, c'était très compliqué dans mon foyer.
00:18 Et le fait de changer d'école, ça a changé tous mes repères, toutes mes habitudes.
00:21 Et moi, ça m'a terriblement bouleversée.
00:23 Et je pense que c'est un confort que j'ai voulu mettre en place.
00:26 Mes parents ont commencé vraiment à se poser énormément de questions parce que je ne mangeais que du sous-vide.
00:30 Je refusais de manger ce que ma mère, elle préparait.
00:32 Je me lavais énormément les mains.
00:33 J'avais peur de mettre de l'eau sur mon visage.
00:35 Et après, j'ai eu un TOC qui me disait qu'il fallait absolument que je me lave le visage au savon.
00:39 Donc, c'est vraiment pour dire que c'est complètement irrationnel.
00:41 Et ils voyaient bien qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.
00:43 Donc, ils ont consulté des psychologues, plusieurs, pour venir aux conclusions que c'était bien des TOCs que j'avais.
00:48 J'ai des phobies d'impulsion, principalement.
00:51 Les phobies d'impulsion, ce sont des pensées ou parfois même des images qu'on imagine
00:56 qui pourraient nous mettre en danger.
00:57 Donc, moi, par exemple, j'ai la phobie des bactéries.
01:00 J'ai peur de lécher ma chaussure parce que si je lèche ma chaussure, ça veut dire que je vais tomber malade.
01:04 Et si je tombe malade, ça veut dire que je vais vomir.
01:06 Et comme je suis héméthophobe, j'ai développé des sortes de barrières mentales et sécurités
01:10 qui sont complètement fausses et irrationnelles parce que jamais de la vie, je ne lécherais ma chaussure.
01:15 Mais c'est vraiment des pensées qui arrivent comme ça.
01:16 Et donc, le seul moyen de calmer toutes ces pensées, c'est de ritualiser.
01:20 Chaque rituel est propre à chacun.
01:22 Pour ma part, je filmais ce que je faisais tout le temps.
01:25 Pendant 4 ans, je filmais ma vie du matin au soir jusqu'au coucher
01:29 et je vérifiais que je ne faisais rien, que tout était propre, etc.
01:31 J'avais peur de mal me laver les mains, par exemple.
01:35 Je vérifiais que quand je me brossais les dents, je ne mettais pas ma brosse à dents dans les toilettes.
01:38 Et au final, ça ne m'a pas du tout aidée.
01:40 Ça m'a plus desservie qu'autre chose parce que j'arrivais à rien faire sans ma caméra à la fin.
01:44 Et parfois même, je dormais avec parce que j'avais peur d'être somnambule
01:47 et de faire des choses qui pourraient m'empoisonner ou mettre d'autres gens en danger.
01:50 J'utilisais une brosse à dents par jour et un dentifrice par jour.
01:53 Donc financièrement, ça revient très cher.
01:55 C'est aussi pas très écolo, je l'admets.
01:57 Je suis aussi bloquée pour manger, c'est-à-dire que je relave ma vaisselle une fois, deux fois, trois fois.
02:02 Je change d'éponge à chaque fois que je lave une vaisselle.
02:04 Donc pareil, c'est comme les brosses à dents.
02:06 J'ai énormément de mal à manger chez d'autres personnes,
02:09 énormément de mal à boire dans un verre,
02:11 énormément de mal à finir un plat qui est déjà ouvert,
02:14 voire en fait ne jamais pouvoir le finir.
02:16 Je ne peux pas reboire dans une bouteille d'eau que j'ai ouverte il y a 5 minutes.
02:19 Je fais les courses pour le jour même parce que sinon, je pense que le lendemain,
02:22 ça sera plus bon ce que j'ai acheté et en fait, c'est un tas de trucs comme ça.
02:25 Les TOCs ont eu un réel impact sur ma vie
02:27 parce que je les ai eus au moment de l'adolescence
02:30 et donc je n'avais pas du tout eu la même adolescence que les autres.
02:33 Je me suis fait énormément harceler au collège, j'ai été déscolarisée pour ça
02:37 parce qu'au bout d'un moment, les TOCs, on ne peut plus les cacher
02:39 quand ils sont aussi sévères que mon cas.
02:41 J'ai dû changer de lycée pour arrêter de me faire harceler.
02:43 On a dû mettre énormément de choses en place pour moi
02:45 parce que je n'arrivais pas à vivre comme les autres.
02:47 Je perdais énormément de temps pour me préparer le matin
02:50 parce que j'avais énormément de rituels.
02:51 J'ai eu des énormes problèmes de santé
02:53 parce que je ne m'alimentais pas correctement et je ne m'hydratais pas assez.
02:57 Je me suis isolée socialement, je n'avais aucun ami,
03:01 je n'arrivais pas à sortir.
03:02 Et le pire, ça a été au moment de mes 18-17 ans, la majorité,
03:07 là où tout le monde va faire la fête, là où tout le monde va boire un coup,
03:10 là où tout le monde sociabilise.
03:11 Je n'ai rien pu faire de tout ça.
03:12 J'ai entamé des études à Lille, je n'ai pas pu les finir.
03:16 Au bout d'un mois, j'ai été déscolarisée
03:17 et j'ai passé un an enfermée dans mon appartement
03:20 par peur de sortir dehors.
03:21 Et donc, en fait, ça m'a coupé de la vie tout court.
03:24 Je vivais dans une bulle, même ma famille, je ne pouvais plus aller chez eux
03:27 et c'était horrible.
03:28 Les toques ont eu un impact sur mes relations amoureuses
03:31 parce que j'avais tellement de toques
03:34 que je demandais à mon partenaire de faire des rituels
03:37 pour moi aussi me sentir bien.
03:38 C'est-à-dire que je lui demandais de se laver plusieurs fois,
03:40 de passer un certain temps dans la douche.
03:42 Je lui demandais de ne pas m'embrasser.
03:44 Donc, c'est arrivé que parfois pendant deux mois,
03:46 il ne puisse pas m'embrasser sans comprendre pourquoi.
03:48 Je lui demandais parfois de ne pas dormir dans le lit
03:51 parce que ce jour-là, je le trouvais plus sale que d'habitude.
03:54 Et tout ça, c'était un calvaire et ça en a fait fuir beaucoup.
03:57 Et je le comprends totalement.
03:58 Mais aujourd'hui, par rapport à ça, tout s'est amélioré
04:01 et je n'ai plus de problème avec ça.
04:02 C'est mes rituels à moi
04:04 et je ne dois pas les demander aux autres non plus.
04:06 Les toques, ce ne sont pas des choses que beaucoup de personnes comprennent
04:09 parce que pour eux, c'est tellement irrationnel et débile.
04:12 On m'a très souvent dit "arrête de faire ta princesse,
04:15 tout ça c'est faux", etc.
04:16 Mais c'est vraiment une maladie mentale, c'est reconnu.
04:19 Il y a énormément de choses qui sont en train de se développer
04:21 comme des électrodes dans le cerveau, une opération, etc.
04:24 Mais à côté de ça, il y a un énorme désert médical.
04:26 Moi, j'ai déjà eu un refus de soins, il y a deux mois à peine.
04:30 J'ai eu un refus de soins parce que mes toques ne convenaient pas à leur établissement
04:34 alors qu'ils sont spécialisés dans les toques
04:35 et c'est une des seules cliniques en France.
04:37 Donc, je ne comprends pas pourquoi moi, je n'avais pas le droit.
04:39 Et quand ils m'ont dit "bon écoutez, vous allez prendre vos affaires et partir
04:43 parce qu'on ne vous soignera pas les toques ici",
04:45 je leur ai dit "mais en fait, si vous me mettez dehors là,
04:47 moi je me suicide parce que je ne peux pas vivre,
04:50 je n'arrive à rien faire seule, même me doucher, je ne peux plus me doucher seule,
04:52 je ne peux rien faire seule en fait".
04:54 Et ils m'ont quand même mis dehors.
04:56 Je suis en attente de l'implantation.
04:59 Je pense que c'est un dispositif très très très très long,
05:02 il y a énormément de dossiers à prendre en compte,
05:04 de tests sédomédicaux, etc.
05:06 Donc pour l'instant, je n'ai pas encore eu l'implant
05:08 mais j'attends la réponse du chirurgien pour me faire implanter au niveau des toques
05:12 parce que je souffre de toques vraiment très sévères.
05:14 C'est un implant dans le cerveau avec des électrodes
05:17 qui vont passer de chaque côté des oreilles,
05:18 qui vont descendre et qui vont revenir au niveau de l'abdomen.
05:22 L'implant, il régule les pensées en envoyant des champs magnétiques
05:25 parce que c'est le préfrontal qui bosse trop chez les toqués,
05:29 c'est-à-dire qu'il est en hyperactivité tout le temps
05:31 et c'est pour ça qu'on est angoissé et qu'on a beaucoup de pensées intrusives, etc.
05:34 Et donc l'implant, il sert juste à stabiliser tout ça
05:37 parce qu'on a recours à l'implant quand les médicaments ne fonctionnent plus,
05:40 les thérapies ne fonctionnent plus, quand tout ça c'est trop douloureux.
05:42 J'ai pris l'intention de mettre l'implant
05:44 parce que c'est beaucoup trop dur au quotidien
05:47 parce que je n'arrive pas à être scolarisée,
05:48 je ne pourrais pas aller travailler,
05:50 je n'arrive pas à avoir de vie sociale,
05:52 j'arrive pas à...
05:53 En fait, je n'arrive pas à vivre tout simplement.
05:55 Depuis que je suis réellement prise en charge,
05:58 c'est-à-dire avec un traitement fixe, stable, depuis quelques semaines,
06:02 avec une psychiatre, avec un psychologue, avec une hypnotiseuse,
06:07 avec de l'EMDR, avec de la TCC, avec de la sophrogie,
06:10 ça fait beaucoup mais c'est en train de vraiment m'aider
06:13 parce que je sens que mes rituels commencent légèrement à baisser,
06:16 voire même beaucoup pour certains.
06:18 Et j'ai un peu plus de confiance en moi et d'assurance en me disant
06:21 "Ok, tu peux avoir confiance, ce que tu fais c'est bien
06:23 et tu es une personne complètement normale et confiante en toi".
06:26 On peut soigner les tocs, c'est très long
06:28 parce que c'est des choses qui sont vraiment ancrées en nous.
06:31 Plus vite les tocs sont pris en charge, plus vite ça part.
06:34 Mais on peut s'en sortir avec des thérapies,
06:35 on peut s'en sortir avec des traitements médicamenteux,
06:38 on peut s'en sortir avec des hospitalisations parfois.
06:40 On peut aussi s'en sortir avec la médecine, la chirurgie.
06:43 Comme je l'ai dit avec les implants, il y a des implants qui se font dans le cerveau.
06:47 Donc oui on peut s'en sortir, après il faut énormément de volonté et de courage pour y arriver.

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