L’interview d’actualité - Patrick Pelloux

  • l’année dernière
Dans quel état sont les hôpitaux français ? Depuis le début de l’été nous pouvons constater que plusieurs services d’urgences ferment leurs portes, faute d’effectif. Pour comprendre ce qu’il se passe et ce qu’il y a à craindre, nous recevons ce matin, Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France. 
Transcript
00:00 8h10, dans quel état sont les hôpitaux français ?
00:03 Que signifient les fermetures des services d'urgence
00:05 qui se multiplient ces dernières semaines ?
00:07 L'invité de Télé Matins ce jeudi, Patrick Pelloux,
00:09 président des médecins urgentistes de France.
00:11 Bonjour et bienvenue.
00:12 Bonjour Patrick Pelloux, bienvenue sur le plateau de Télé Matins.
00:14 Merci, bonjour.
00:15 Alors c'est vrai que depuis le début de l'été,
00:17 on entend que les fermetures des services d'urgence se multiplient,
00:20 faute d'effectifs.
00:21 En début de semaine, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau
00:24 a essayé de rassurer.
00:26 Est-ce que cet été c'est particulièrement important ?
00:29 On assiste à quelque chose qui n'est pas normal
00:33 ou dans la Constitution et même dans l'esprit de la loi
00:37 sur un service d'urgence, c'est-à-dire que depuis l'année dernière,
00:40 on a orchestré des fermetures de services d'urgence.
00:44 Alors en plus de ça, c'est totalement inégalitaire
00:46 parce qu'il y a des services qui ferment le week-end,
00:48 certains la nuit, certains en porte-pièce,
00:50 on ne sait plus qui ni comment ça fonctionne.
00:52 Ça a des conséquences énormes, on le voit sur votre image
00:55 avec notamment par exemple les sapeurs-pompiers
00:57 qui au lieu de faire 10 km, par exemple,
00:59 pour aller à un service d'urgence,
01:00 puisqu'il y avait la loi de 2013 qui disait
01:03 que tout Français devait être à 30 minutes d'un service d'urgence,
01:06 maintenant ils font 50 km.
01:07 Ce n'est plus vrai ça du coup.
01:08 Ce n'est plus vrai.
01:09 Du coup, ça déstructure, ça désorganise les choses.
01:12 Ça a des conséquences.
01:13 L'année dernière, il y a eu une surmortalité de 50 000 personnes.
01:18 Bon, il y en a probablement 10 000 qui étaient dues
01:20 à la canicule de l'année dernière.
01:23 Mais il y a quand même 40 000 personnes, on ne sait pas trop,
01:26 et ils ont mis ça sous le tapis pour se poser la question
01:29 de savoir pourquoi il y avait cette surmortalité.
01:31 Ce qu'on pense nous, c'est que c'est un problème d'accès aux soins
01:34 parce que quand vous fermez des structures
01:36 et que les gens n'ont pas la possibilité d'aller voir un médecin,
01:40 voir du personnel soignant,
01:42 je pense que ça a vraiment des conséquences en fait.
01:44 Alors oui, ce que vous nous dites, c'est qu'on a un service dégradé
01:47 et qu'aujourd'hui, les soins et la vie des patients
01:50 peuvent être mis en danger.
01:52 Oui, ce qui est intéressant, c'est que là, Aurélien Rousseau,
01:54 le nouveau ministre de la Santé, en a pris conscience
01:56 et dit qu'en fait, ça ne va pas.
01:59 Et je pense qu'il a raison.
02:00 Le rôle régalien de l'État, c'est que tout le monde en France
02:04 vive avec la même chance et la même égalité des soins,
02:07 notamment sur ce qui est le rôle le plus important
02:11 du rôle régalien de l'État, le secours et les urgences.
02:14 Or là, on a dégradé le système en disant,
02:17 finalement, téléphoner au SAMU.
02:18 Mais en fait, c'est un leurre de dire,
02:22 téléphoner, on réglera tout le problème.
02:24 C'est une préconisation du gouvernement, c'est ça ?
02:25 Oui, mais ça, il se trompe.
02:27 Moi, c'est mon job de réguler.
02:30 La régulation ne peut pas tout faire.
02:32 Or, il faut que les gens puissent avoir et voir un médecin.
02:35 Et si vous voulez, ce qui est en train de se dessiner,
02:37 ce qui ne va pas du tout,
02:38 et c'est pour ça qu'il faut changer complètement
02:41 cette vision des choses,
02:42 c'est de croire qu'on pourrait tout régler par téléphone.
02:45 C'est faux.
02:46 De dire que finalement, le rôle du médecin serait quelque chose
02:52 qu'on pourrait faire autrement ou par la télémédecine, etc.
02:56 Tout ça, c'est des choses d'appoint,
02:58 mais ça ne remplacera jamais l'examen clinique,
03:00 le fait de voir un praticien.
03:02 Et surtout, ce qui est très important à comprendre,
03:04 c'est que les gens riches verront toujours un médecin,
03:07 parce qu'ils auront toujours le pognon pour voir le médecin.
03:10 Les gens pauvres et la classe moyenne,
03:12 il ne faut pas qu'on se dise ou qu'on aille dans un sens qui dirait,
03:16 on va vers quelque chose de dégradé et puis on verra après.
03:19 Ça veut dire qu'il y a des gens qui n'appellent pas aussi,
03:20 en se disant de toute façon, je sais que c'est saturé,
03:22 je sais que je ne vais pas pouvoir y aller.
03:24 Beaucoup.
03:25 Et souvent les plus malades.
03:26 Et souvent, ceux qui auraient besoin qu'on aille les voir,
03:28 ils n'appellent pas.
03:29 Ça nous arrive de plus en plus souvent,
03:30 et notamment sur les gens avec des affections longue durée,
03:33 parce que bien sûr, ils ne trouvent plus de médecin traitant.
03:35 Et vous savez, les Français, contrairement à ce qu'on dit,
03:37 sont très obéissants.
03:38 On leur a dit, il faut un médecin traitant.
03:40 Ils cherchent un médecin traitant.
03:41 Ils n'en trouvent pas,
03:42 parce que les médecins de ville sont déjà débordés.
03:44 Et donc, vous avez une espèce de fait domino
03:47 et tout le système de santé est en train de se casser la figure.
03:49 Patrick Pelloux, comment on explique ces services d'urgence qui ferment ?
03:54 C'est un manque d'effectifs ?
03:55 C'est un problème de planning ?
03:56 Tout le monde prend ses vacances en même temps ?
03:59 Non, les vacances, non, non, ce n'est pas ça.
04:01 C'est juste un manque de personnel.
04:02 Vous avez des chiffres qui tournent,
04:04 qui sont à peu près de 30 % de manque d'effectifs.
04:06 D'autre part, le métier est devenu très difficile.
04:09 Vous savez, on ne passe pas de manière anodine
04:12 d'à peu près 8 millions de personnes qui venaient aux urgences
04:15 dans la fin des années 80,
04:17 c'était le rapport Stec du Conseil économique et social,
04:20 à actuellement près de 23-24 millions.
04:23 Contrairement à ce qui a été dit,
04:25 et contrairement aux volontés qu'il y avait eues
04:27 avec justement cette réponse téléphonique
04:29 par le service d'accès aux soins,
04:31 en fait, ça ne marche pas.
04:32 On a encore monté d'à peu près 7 %
04:35 la fréquentation des urgences l'année dernière.
04:37 Est-ce que ça veut dire qu'on y va trop ?
04:39 Est-ce qu'on a trop le réflexe d'aller aux urgences ?
04:41 Non, alors, vous savez, ça fait quand même 30 ans que je fais ça,
04:43 je n'ai jamais vu quelqu'un venir aux urgences par plaisir.
04:45 C'est-à-dire, tiens, je ne sais pas ce que je fais cet après-midi,
04:46 je vais aller aux urgences.
04:47 Non, ça n'existe pas.
04:48 C'est juste que les gens, ils ont la trouille, d'accord ?
04:51 On est un pays…
04:52 C'est comme ça, on est un pays anxio-dépressif,
04:54 il faut l'accepter, bon.
04:55 Donc, c'est un pays où les gens ont besoin d'aller voir un médecin.
04:58 Quand il n'y a plus rien,
04:59 vous n'avez plus de médecin de vie,
05:00 vous n'avez plus d'accueil possible,
05:02 il reste les urgences.
05:03 Et ça, c'est valable, très important.
05:05 Pour bien sûr le médical,
05:07 la traumatologie et le chirurgical,
05:09 l'obstétrique et les maternités,
05:11 et évidemment pour la psychiatrie.
05:13 Or là, vraiment, on a un gros problème,
05:16 notamment avec la pédopsychiatrie.
05:17 Et alors on fait quoi ? On fait comment ?
05:19 Est-ce qu'il faut former plus de médecins ?
05:20 Est-ce qu'il faut, comme pourrait l'annoncer Aurélien Rousseau,
05:23 rendre le métier plus attractif
05:24 en payant un petit peu mieux les gardes de week-end,
05:26 les gardes de nuit ?
05:27 Ça peut marcher, ça ?
05:28 Ah ben, si le ministre va dans ce sens-là, c'est très bien.
05:30 Parce qu'en effet, le parent pauvre du Ségur,
05:33 c'était en fait les métiers,
05:34 pas seulement les urgences,
05:35 mais aussi la chirurgie, l'obstétrique,
05:37 les services de garde de psychiatrie par exemple,
05:40 qui n'ont pas été considérés.
05:42 On a perdu, avec le Ségur,
05:44 on a perdu 4 années d'ancienneté par exemple.
05:46 Donc tout ça, je pense qu'Aurélien Rousseau en a conscience.
05:49 Il est en train d'essayer de trouver des solutions
05:51 et on soutiendra cela.
05:52 Et surtout, la valorisation du travail de nuit,
05:55 qui est le plus difficile.
05:56 Parce que si vous voulez,
05:57 de trouver des solutions de substitution,
06:00 qui sont, par exemple, l'autre jour,
06:03 quand ils nous ont commencé à dire
06:04 "on va fermer encore plus de maternités",
06:06 ils nous ont convoqués en disant "écoutez les urgentistes,
06:08 vous allez faire les accouchements à domicile".
06:10 À la place des sages-femmes.
06:11 Mais oui, mais on n'est pas sage-femme,
06:13 on n'est pas gynéco-obstétricien,
06:15 il est hors de question de faire quelque chose de dégradé
06:18 pour les femmes qui accouchent en disant
06:19 "finalement il n'y a plus de maternités à coucher à domicile".
06:21 Ce n'est pas possible en fait ça.
06:23 On parle aussi beaucoup des conditions de travail qui sont difficiles.
06:26 Est-ce qu'on a aussi des passions qui sont plus difficiles,
06:29 avec des réactions parfois un peu agressives,
06:31 qui sont difficiles à gérer ?
06:32 Ecoutez, la première des violences,
06:34 c'est quand le service public ne remplit plus ses missions.
06:36 Et ça, vous comme moi,
06:38 dans plein d'autres structures de services publics,
06:41 on n'est quand même pas très contents.
06:43 Donc du coup, il faut comprendre cela.
06:45 D'autre part, on n'a pas compris qu'il fallait mettre les moyens
06:49 pour mieux accueillir, calmer la violence,
06:51 parce que la violence elle monte quand d'un coup l'accueil n'est pas fait.
06:54 Donc du coup, le personnel est en burn-out
06:57 parce qu'on n'agresse pas le personnel d'un service hospitalier
07:01 comme on n'agresse personne nulle part d'ailleurs.
07:03 Mais bon, ça c'est autre chose.
07:04 Mais c'est vraiment, cette violence, elle est réelle.
07:08 Mais il ne faut pas culpabiliser encore plus la population,
07:13 parce que là encore, si vous voulez,
07:15 ce qui est très malheureux,
07:16 c'est quand nous on intervient avec le SAMU
07:18 sur des gens qui ont eu des symptomatologies
07:21 qui si elles avaient été prises suffisamment à temps
07:23 ne se seraient pas aggravées.
07:25 Or on voit des gens de plus en plus aggravés.
07:27 On voit des gens avec des maladies chroniques,
07:29 ils ne savent plus où aller.
07:30 Et notamment, vous savez, sur l'accueil des personnes âgées,
07:34 c'est vraiment un vrai sujet,
07:36 parce que vous ne pouvez pas balader comme ça
07:39 des personnes qui sont en perte d'autonomie
07:41 parce que finalement elles sont très faibles,
07:43 en leur disant "on vous change d'hôpital de jour en jour".
07:46 En fait, c'est quelque chose…
07:47 Il ne faut pas que le service public hospitalier
07:49 soit une inhumanité en fait.
07:51 Rapidement Patrick Pelou,
07:53 on voit que l'hôpital va être de plus en plus sollicité,
07:55 je pense au changement climatique avec les canicules,
07:57 le vieillissement de la population,
07:59 la paupérisation aussi, on va faire comment ?
08:03 Oh là là, ça serait très très long à répondre à votre question.
08:07 Disons que si on ne change pas complètement la pensée
08:12 qui est une pensée quasiment économique sur la santé,
08:15 on n'y arrive pas.
08:16 D'autre part, le système de santé,
08:18 nous sommes en fait le dernier maillon de la chaîne.
08:22 Et on ne peut pas nous demander de se substituer
08:25 à toute la dégradation du système économique et social.
08:28 Parce que de toute façon, les urgences ont…
08:32 Tous les dysfonctionnements de la société,
08:34 vous les voyez arriver aux urgences.
08:35 Et on ne peut pas nous demander de résoudre
08:37 tous les problèmes de la société.
08:38 Merci beaucoup Patrick Pelou d'être venu nous voir
08:40 sur le plateau de Télématin.

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