Iannis Roder : «L'école n'est pas le lieu où on affiche une appartenance»

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Transcript
00:00 Il est déjà 7h41, l'heure pour vous d'accueillir votre invité.
00:04 Yanis Roder, professeur d'histoire-géographie au collège à Saint-Denis,
00:07 directeur de l'Observatoire de l'éducation de la Fondation Jean Jaurès.
00:11 - Bonjour Yanis Roder. - Bonjour.
00:13 - Merci d'être en ligne ce matin sur Europe 1.
00:15 Une note de l'Education nationale que révèle Europe 1 ce matin indique une forte recrudescence,
00:19 inquiétante même, des atteintes à la liberté dans les établissements scolaires durant la dernière année.
00:26 Une augmentation de 150%, 4710 faits signalés notamment,
00:30 pour des atteintes à la loi de 2004 sur le port de signes et de vêtements religieux.
00:35 Qu'est-ce que ça vous inspire Yanis Roder ?
00:38 - Ecoutez, c'est un phénomène que nous avons pu observer à la fois au ministère de l'éducation nationale je crois,
00:43 et surtout évidemment sur le terrain, à partir du printemps 2022,
00:48 où effectivement le port de signes ostensibles religieux type abaya,
00:54 principalement des abayas, c'est-à-dire ces robes larges qui sont tout à fait repérables et identifiables,
01:01 on a vu cela arriver et exploser réellement durant l'année scolaire 2022-2023.
01:09 Donc je ne suis pas du tout étonné par ces chiffres,
01:11 finalement qui ne sont que l'addition de ce qu'a annoncé tous les mois
01:16 le précédent ministre de l'éducation nationale, M. Papadiaï.
01:20 Donc voilà, il y a une vraie poussée dans les établissements scolaires,
01:24 assez localisée d'ailleurs en général, de revendications identitaires et religieuses.
01:29 - Alors justement cette revendication identitaire et religieuse, c'est quoi ?
01:33 C'est une mode, entre guillemets, consistant à défier l'institution,
01:37 ou alors il y a quelque chose de plus profond derrière en termes de politique, de communautarisme ?
01:44 - Je crois qu'il ne faut pas être naïf.
01:46 Si effectivement des jeunes veulent par là marquer leur appartenance identitaire et religieuse,
01:53 bon, les modes ça a toujours existé et la volonté d'être perçue comme telle ou telle a toujours existé.
02:01 Mais néanmoins derrière cela, et c'est ce qu'avait montré d'ailleurs une note
02:05 du comité interministériel à la prévention de la lutte contre la radicalisation,
02:10 qui avait fui dans la presse au mois de septembre ou octobre 2022,
02:13 et qui montrait qu'il y avait une grande offensive sur les réseaux sociaux,
02:18 d'entrepreneurs identitaires et religieux, on va les appeler comme ça,
02:22 qui poussait les jeunes justement à défier l'institution scolaire
02:27 pour finalement, disons-le très clairement, fracasser cette loi de 2004 qui leur pose problème.
02:33 Donc oui, il y a des gens qui derrière, alors c'est difficile, je ne sais pas de qui il s'agit,
02:39 mais qui sont difficilement identifiables à partir des réseaux sociaux,
02:42 et qui poussent les jeunes à afficher leur appartenance religieuse,
02:45 à porter ces vêtements, à défier l'institution.
02:49 Vous savez, il y avait même sur TikTok des défis qui étaient lancés.
02:53 Je me souviens de ces deux jeunes filles qui s'étaient prises en photo,
02:56 et qui avaient posté sur TikTok, qui s'étaient prises en photo dans un établissement,
03:01 je crois que c'était en Bretagne, couverte d'une abaya,
03:04 et d'un voile à l'intérieur de l'établissement en disant,
03:07 excusez-moi de répéter ce qu'elle disait, "on a niqué le CPE".
03:11 Et voilà, ce post TikTok avait fait en quelques heures 450 000 vues.
03:17 - Donc selon vous, c'est le modèle républicain qui est défié finalement dans ces attitudes ?
03:25 - Bien sûr, c'est le modèle républicain, c'est-à-dire c'est l'école laïque,
03:30 qui vise justement à ne pas afficher, depuis la loi du 15 mars 2004,
03:36 à ne pas afficher de signes ostensibles religieux,
03:38 qui amènerait à être identifié comme appartenant à une communauté religieuse.
03:43 Et c'est cela qui est bien sûr défié.
03:45 - Que peut faire l'éducation nationale, Yanis Roder ?
03:48 Est-ce que les enseignants sont suffisamment armés pour contenir cette vague, finalement ?
03:54 - Alors vous savez, à la suite de l'assassinat de mon collègue,
03:58 de notre collègue Samuel Paty, le ministre de l'éducation nationale
04:02 qui avait précédé Papendia, et Jean-Michel Blanquer,
04:05 avait lancé un grand plan de formation laïcité.
04:08 - Avec des référents laïcité.
04:11 - Ah oui, pas seulement.
04:12 L'idée était de former les 1 million de fonctionnaires d'éducation nationale à la laïcité.
04:17 Je crois qu'aujourd'hui le plan est toujours en route,
04:19 toujours fonctionnel.
04:21 On est à 350 000 fonctionnaires formés, ce qui est déjà bien.
04:24 Mais surtout, je crois qu'il faut un discours qui soit très clair,
04:28 un discours de l'institution.
04:30 Puisque le président de la République s'est exprimé ce matin dans Le Point,
04:34 il me semble qu'il a quand même quelque part donné la feuille de route
04:38 au ministre de l'éducation nationale actuel, M. Gabriel Attal,
04:42 puisque le président dit qu'il n'y aura aucune forme d'accommodement
04:46 avec les principes à l'école.
04:48 C'est-à-dire qu'on arrive à un moment donné où je crois que le politique,
04:52 en l'occurrence le président de la République,
04:53 dit "bon ben voilà, on sonne, ça me semble, enfin je le comprends comme ça,
04:57 on sonne la fin de la récré".
04:58 Et maintenant, on va dire les choses très clairement.
05:00 - Mais comment est-ce qu'on peut faire pour convaincre ces jeunes
05:04 qui se vêtissent en abaya, que le principe de laïcité est vécu comme une brimade ?
05:13 Et c'est très difficile de les faire changer.
05:15 - Alors oui, vous avez tout à fait raison, c'est difficile.
05:19 Mais justement, il faut expliquer ce qu'est la laïcité.
05:21 La laïcité, c'est que l'école de la République,
05:25 elle prend tous les enfants de France et elle vise à leur offrir
05:31 la possibilité de l'émancipation.
05:33 Et pour qu'ils se voient offrir la possibilité de l'émancipation,
05:36 c'est-à-dire la capacité à penser par soi-même
05:39 et à décider par soi-même ce que l'on veut, ce que l'on veut être
05:42 ou ce qu'on ne veut pas être,
05:44 et bien quelque part, c'est mettre de côté le temps de l'école,
05:49 ces convictions religieuses.
05:51 Non pas les oublier, mais les mettre juste de côté le temps de l'école
05:54 pour respirer, respirer, c'est ce que la philosophe Catherine Kisseler
05:58 appelle la respiration laïque,
06:00 de manière à pouvoir être en position de recevoir tous les enseignements.
06:06 Et l'école n'est pas le lieu où on affiche une appartenance,
06:10 où on affiche une volonté de se distinguer des autres,
06:13 de se séparer des autres.
06:15 C'est un lieu où on construit la future nation,
06:18 les futurs citoyens, dans un esprit d'égalité.
06:22 - Travail de fond donc qui concerne tous les représentants
06:25 des communautés éducatives des établissements.
06:28 Merci, merci Yanis Roder. Je rappelle que vous êtes professeur d'histoire-géo
06:31 en collège à Saint-Denis, directeur de l'Observatoire de l'éducation
06:34 à la Fondation Jean Jaurès. Je rappelle également le titre
06:36 de votre dernier ouvrage, "La jeunesse française, l'école et la République".
06:40 Ça a été publié l'an dernier aux éditions de l'Observatoire.

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