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00:42 Nous avons rencontré des personnes, chercheurs d'absolu,
00:47 qui ont peu à peu succombé au charme d'un maître, d'un groupe, ou d'une pensée séduisante.
00:52 Parfois ces recherches tournent au drame, car dans cette foule de maîtres d'aujourd'hui,
00:57 que ce soit dans les nouvelles religiosités, dans le domaine de la philosophie, de la thérapie,
01:02 même parfois au cœur de l'Église, on peut rencontrer des personnes manipulatrices.
01:07 C'est pour comprendre les mécanismes de la manipulation que nous avons enquêté.
01:14 La soif d'absolu, c'est quelque chose de très profond, qui nous constitue comme personnes humaines,
01:21 qui fait notre grandeur, qui fait notre beauté.
01:24 Alors moi j'étais en train de finir mes études à Paris, à Sciences Po,
01:29 et j'étais très frustrée par la formation que je recevais.
01:32 J'avais soif d'une formation qui soit plus existentielle,
01:37 une vraie recherche de vérité, qui réponde à mes questions essentielles sur l'homme et sur Dieu.
01:42 Tout a commencé par une expérience très forte que j'ai vécue lors des Journées Mondiales de la Jeunesse,
01:48 à Paris, en 1997.
01:50 J'ai senti en moi une présence, quelque chose qui s'est mis à brûler en moi.
01:58 L'amour de Dieu.
02:00 Ce que je recherchais à l'époque, c'était des relations humaines plus profondes,
02:04 une vie sociale plus profonde, que ce que je ne vivais à ce moment-là.
02:09 Et à ce moment-là, je rencontre une communauté qui met au premier plan
02:14 une recherche de vérité très existentielle.
02:17 Et c'est à ce moment-là, effectivement, que j'ai rencontré
02:21 celui qui allait être mon recruteur vocationnel.
02:27 Marie-Laure, Xavier et Mélanie ont accepté de témoigner de leur expérience devant nos caméras.
02:33 Comme bien d'autres, ils ont un jour franchi le seuil d'une communauté ou d'un mouvement spirituel,
02:38 animés par le désir de donner un sens à leur vie, ou même de donner leur vie à Dieu.
02:43 Mais pour eux, au bout de quelques années,
02:46 cet engagement censé les mener vers plus de liberté intérieure
02:50 les a en fait enfermés dans un piège menant à de nombreux abus.
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03:10 Parler d'abus spirituels est relativement nouveau dans l'Église
03:16 et cela est dû au fait que, en psychologie,
03:20 on a développé une certaine expertise relative à tout ce qui est harcèlement moral,
03:30 manipulation, personnalité perverse, etc.
03:35 Et donc on est capable de mieux les discerner.
03:39 Pour qu'il puisse y avoir abus spirituels,
03:41 il faut qu'il y ait déjà eu une emprise sur la personne,
03:46 une emprise avec toute une manipulation,
03:49 parce que les gens ne sont pas débiles
03:51 et si c'était simplement une maltraitance ordinaire,
03:54 ils s'en rendraient compte et s'en iraient.
03:56 Alors c'est un abus qui n'est pas facile à traduire, à exprimer,
04:00 d'ailleurs ça n'est pas reconnu ni au plan pénal, ni vraiment au plan canonique.
04:05 Je dirais que c'est une prise de possession sur la personne
04:09 et une intrusion dans la vie de la personne, mais avec un levier spirituel.
04:13 Et comme on est aujourd'hui dans un monde qui est énormément en recherche de sens,
04:17 avec beaucoup de gens qui ont une histoire brisée, bloquée,
04:20 notamment les dérives de la famille actuelle aujourd'hui,
04:23 on va avoir des gens qui sont aussi en recherche de cette valorisation,
04:28 parce qu'il y a aussi une valorisation là-dedans,
04:31 cette valorisation affective, sociale qu'on leur propose
04:36 et qui va souvent les entraîner dans une spirale déconstructive.
04:41 On voit bien que la société tout entière est parcourue
04:45 d'une espèce de vertige de dérive sectaire.
04:48 Je le vois particulièrement dans mon dieu 16.
04:51 Je vois arriver de toute l'Europe des gens qui ne connaissent pas Jésus-Christ,
04:56 qui ont tous les gars qui ne le connaissent pas comme le fils de Dieu.
04:59 Je suis rentrée dans cette communauté parce que j'avais un désir spirituel intense,
05:04 je voulais vivre une communion avec Dieu,
05:06 et je me rends compte que cette communion avec Dieu a été remplacée
05:09 par une fusion avec une personne qui était ma supérieure.
05:13 Je me suis effondré tout simplement au point de me dire
05:17 "je ne peux plus continuer là-dedans".
05:20 Je ne peux plus continuer là-dedans et je préfère aller en enfer
05:24 plutôt que de continuer dans cette communauté.
05:27 Je me sens une morte vivante, et j'en prends conscience petit à petit.
05:31 Je n'en peux plus, je suis fatiguée, je suis épuisée,
05:35 je ne sais plus qui je suis, je perds tout.
05:39 Avec le recul, oui je suis capable aujourd'hui de dire ce qui était extrêmement violent à ce moment,
05:45 c'était que je devenais complice d'un système qui était mauvais.
05:49 C'est une colère qui m'anime de réaliser les dégâts considérables
05:54 qui ont été provoqués par ces abus et de voir que ça continue.
05:58 Comment cette soif de Dieu, ce désir de vérité présent dans le cœur de l'homme,
06:06 peut mener certains à aliéner leur liberté à un homme, une femme, une idéologie ?
06:12 Nous avons voulu comprendre les phénomènes psychologiques de l'emprise
06:16 qui n'est pas réservé à la spiritualité, mais qui se manifestent aussi dans de nombreux domaines.
06:30 L'emprise, c'est le fait que le groupe, et/ou l'individu qui se sert du groupe à des fins narcissiques,
06:39 a un pouvoir sur l'adepte.
06:42 L'emprise, c'est comme si on vous mettait, on vous injectait à l'intérieur de vous,
06:48 la pensée de quelqu'un d'autre.
06:51 C'est ce que Racamier appelle le desservelage.
06:55 Lorsqu'il y a abus spirituel, il va y avoir un rapt du désir le plus profond de la personne.
07:02 Ça va être d'une violence inouïe.
07:06 Ce qui lui est le plus cher, ce qui lui tient le plus à cœur,
07:09 ce qui lui est le plus profond, va lui être volé.
07:13 C'est cela l'abus spirituel.
07:15 Pendant toutes ces années, ma relation à Dieu, qui était toujours au premier plan avant,
07:20 était passée au second plan.
07:23 Ce qui le rend particulièrement grave, c'est que l'œuvre de Dieu est atteinte dans quelqu'un.
07:29 C'est-à-dire que quelqu'un qui cherche Dieu, se voit empêché de le rencontrer.
07:35 Et lorsqu'il s'en rend compte, va devoir se battre désormais contre un soupçon.
07:42 Un soupçon de la vérité même de Dieu.
07:45 Comment est-il possible que, cherchant Dieu, j'ai découvert des horreurs ?
07:49 Je sois devenu une victime d'abus multiples.
07:53 Et l'abus spirituel, il est peut-être pire d'ailleurs.
07:56 Lorsqu'il va y avoir une emprise, il va y avoir un plafond qui va s'établir.
08:04 C'est-à-dire que la relation ne va plus se faire à Dieu,
08:08 la relation va s'établir à l'abuseur.
08:11 Si nous constatons qu'une personne a voulu prendre la place de Dieu au plus profond de notre cœur,
08:18 a commis cette infraction, se viole de l'intime en nous,
08:23 alors on comprend que c'est les racines mêmes, c'est les fondements mêmes de notre vie qui sont atteints.
08:30 C'est notre intégrité qui est brisée.
08:33 Cela peut conduire au désespoir, ça peut conduire au suicide.
08:38 Et je crois que là, il y a quelque chose qui est véritablement de l'ordre du démon.
08:45 C'est quelque chose de terrible parce que nous sommes faits pour Dieu, comme dit saint Augustin.
08:51 Et dans l'emprise mentale, on va mettre un écran entre celui qui cherche Dieu d'une façon ou d'une autre,
08:59 et Dieu lui-même, et de telle sorte qu'il peut être empêché de cette rencontre de Dieu,
09:04 et qu'il va être privé de lui-même puisqu'il devient l'objet d'un autre.
09:14 Beaucoup de personnes disent que les victimes sont fragiles ou ont un caractère particulier.
09:19 Non, moi je défends que n'importe qui peut être victime d'un phénomène d'emprise.
09:24 Il s'agit de personnes idéalistes, de personnes qui ont envie de s'investir dans une quête, de s'investir dans un idéal.
09:32 Et je dirais que c'est même parfois les meilleures personnes qui sont les plus intéressantes à mettre sous emprise,
09:38 parce que ce sont celles qui ont une capacité de don, c'est celles qui ont une capacité de confiance,
09:46 ce sont, je dirais, celles qu'on pourrait qualifier de belles âmes, qui vont être les proies les plus intéressantes.
09:55 Une deuxième composante, c'est que généralement au moment où l'adepte rencontre le groupe,
10:01 il est dans une phase de sa vie, je dirais, de fragilisation identitaire.
10:06 On n'a pas une fragilité identitaire à la base, on a un moment de la vie qui fait que l'adepte est fragilisé dans son identité.
10:14 C'est un moment où l'individu ne sait plus très bien qui il est.
10:18 Quelqu'un qui a la foi chrétienne peut très bien se faire avoir,
10:22 parce que ce qui va l'amener à se faire avoir, c'est les propres blessures de sa vie.
10:27 Portons tous des manques, portons tous des blessures anciennes, des culpabilités irrésolues, etc.
10:33 La personne perverse en face de nous va en jouer.
10:37 Ce n'est pas la foi qui va d'abord être en jeu, mais elle va quand même nous aider à nous dire ce qui se passe là n'est pas convenable.
10:44 Je pense par exemple à ces communautés dans lesquelles le fondateur extraordinairement pieux,
10:49 organisant des oraisons de trois heures et des prédications interminables,
10:56 quand même quand il commence à devenir un prédateur sexuel, ça doit interroger.
11:00 Ensuite le gourou va lui proposer des moyens d'accomplir cet idéal.
11:06 Il ne va pas lui proposer de se déresponsabiliser, mais bien au contraire de s'investir dans une quête.
11:13 C'est le contraire d'une déresponsabilisation.
11:26 Quand on me disait qu'il dormait trois heures par nuit, que tout son temps il le consacrait à ses religieux,
11:31 que pour lui c'était la priorité, évidemment tout ça c'était un mensonge énorme.
11:37 Oui c'était une personne qui se forgeait une auréole à travers l'image qu'elle donnait.
11:45 C'était l'image d'une sœur qui était extrêmement donnée à ses petites sœurs.
11:49 Dans cet enseignement, ce qu'ils nous étaient dit, c'est qu'il y a un maître et le maître a réponse à tout.
11:58 Le maître voit tout.
12:00 Cette supérieure qui ne dormait plus pour nous, qui ne prenait même plus ses repas pour nous
12:06 parce qu'elle était accaparée à nous aider, donc elle aimait beaucoup avoir tout le temps
12:10 quatre ou cinq sœurs qui lui couraient après ou qui faisaient la queue devant son bureau
12:14 dans l'espoir de lui parler quelques minutes.
12:17 On parle beaucoup de personnalité narcissique.
12:20 Moi c'est un terme que je n'aime pas parce qu'il veut dire trop de choses et en même temps pas assez.
12:28 Je parle d'usurpateur, d'imposteur, de malfaisant.
12:34 Dans la grande nébuleuse des personnalités narcissiques,
12:37 on va trouver un certain nombre de diagnostics qui ne sont pas forcément la perversion.
12:43 On va trouver certaines hystéries graves, on va trouver effectivement la perversion,
12:48 on va trouver des personnalités dites borderline.
12:51 C'est très important de faire la différence entre l'abus de pouvoir et la dérive sectaire,
12:56 c'est-à-dire l'emprise qui mène à la dérive sectaire.
12:59 Ça n'est pas du tout du même ordre.
13:01 L'abus de pouvoir, c'est un excès de maîtrise de quelqu'un sur son entourage
13:06 qui veut obtenir quelque chose en passant par un rapport de force au lieu de faire un dialogue.
13:12 La dérive sectaire est tout à fait différente.
13:15 C'est la prise de contrôle sur l'entourage par différents moyens
13:24 de quelqu'un qui veut arriver à ses fins et à un désir personnel en utilisant les autres.
13:31 L'autre n'a pas d'existence réelle, c'est ça qu'il faut comprendre.
13:34 C'est un instrument, un instrument à sa disposition, c'est un outil.
13:38 Et à ce titre-là, un outil lui appartient.
13:41 Le problème du pervers, c'est qu'il a une personnalité clivée
13:45 et il va cliver la personnalité d'autrui.
13:48 Et donc clivant la personnalité d'autrui, il va l'entraîner dans son délire éventuellement
13:53 et petit à petit se la servir, à partir de groupes qui souvent lui sont proches ou qu'il s'est rendu proche.
14:00 Le point de départ d'un groupe sectaire, c'est certainement le délire narcissique du gourou.
14:06 La suite, c'est qu'au plus d'adeptes adhèrent, au plus de gens croient dans les propos du gourou,
14:14 au plus ce délire semble revêtir une dimension réelle.
14:19 Au plus, le gourou est renforcé dans son délire narcissique.
14:24 Si on veut comprendre la nature du délire, c'est que du point de vue de celui qui aimait ce délire,
14:30 ce contenu n'est pas une croyance, c'est un savoir.
14:35 Il y a un grand risque dans la vie spirituelle qui est celui de la gnose.
14:40 Gnose, ça signifie savoir en grec.
14:44 L'idée qu'une théorie me permettrait de ne plus avoir de problème.
14:51 Ça peut être un discours très général sur le monde, sur la nature, sur l'être humain,
14:58 mais ça peut être aussi un discours qui se présente comme quelque chose de beaucoup plus pratique.
15:02 On vous donne des recettes, on réduit l'accompagnement des personnes à une technique.
15:09 Donc c'est une théorie qui est réservée à une petite élite qui a compris ce que la plupart ne comprennent pas.
15:18 On nous disait clairement qu'on faisait partie d'une élite.
15:21 Cette communauté faisait partie du renouveau de la vie monastique.
15:25 C'était la communauté que Jésus avait voulu fonder pour son retour en gloire.
15:32 Et en plus, nous faisions partie d'une branche contemplative.
15:37 Notre fondateur nous disait souvent qu'on était la perle cachée,
15:41 qu'on était le trésor de notre famille religieuse et de toute l'Église.
15:45 Dans ces communautés, c'est de dire "nous sommes le salut"
15:51 et vous avez tous intégré notre communauté pour être sauvés et tous ceux qui ne suivent pas sont perdus.
15:58 Et Dieu nous a appelés, nous.
16:00 Et donc c'est à nous de sauver l'Église.
16:02 Le salut du monde pesait vraiment sur nos épaules.
16:06 En réalité, le gourou est de bonne foi et c'est bien pour ça qu'on peut parler de délire.
16:10 La conviction du gourou est tellement forte, tellement ancrée en lui,
16:15 qu'aucune preuve ne peut la remettre en question.
16:19 Parce que ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la personne perverse,
16:22 si elle ne trouvait pas comme ça un entourage, des dévots, etc., des adeptes,
16:29 elle n'aurait aucune importance.
16:31 Elle n'existe que parce qu'elle s'est faite,
16:33 elle s'est érigée elle-même en petit désir de l'autre,
16:36 qui cherchait en fait leur désir de Dieu.
16:38 Il y a une mystification totale.
16:40 Et donc on va avoir un système entier qui va se mettre en place
16:44 avec une tête abuseuse, mais aussi à l'étage du dessous,
16:49 des marionnettes qui vont reprendre à leur propre charge ce que demande l'abuseur.
16:58 Et puis à l'étage du dessous, on aura encore des pions
17:00 qu'on déplacera en fonction de ce dont on a besoin.
17:04 C'est évident que dans ce genre de système, on est rapidement à la fois victime et complice.
17:10 Et c'est pour ça aussi que c'est difficile de s'en défaire.
17:13 Parce qu'on a une certaine part de responsabilité qu'on y laisse.
17:17 Quelque chose existe donc en dehors d'une simple addition d'individus à l'intérieur d'un groupe
17:24 qui programme tous les individus à l'intérieur du groupe à certaines actions.
17:29 Petit à petit, goutte à goutte, au fil des jours,
17:35 elle instille une espèce de poison, de dévalorisation de soi-même
17:41 et d'assujettissement à son égard qui font que petit à petit, mais ça va prendre du temps,
17:48 l'autre, sa proie ou le groupe qu'elle soumet petit à petit,
17:55 va se trouver complètement réduit à être des exécutants.
18:02 Qu'on soit la tête, qu'on soit une marionnette ou qu'on soit un pion,
18:05 on va avoir un rôle différent dans la communauté.
18:08 Et en fonction de ce rôle-là, les atteintes que l'on va subir vont être différentes.
18:12 J'ai répercuté sur ces jeunes sœurs des discours ou des manières de faire que j'avais moi-même subies
18:18 et qui, quelques années auparavant, m'avaient verrouillée.
18:22 Malgré les doutes que chacun a pu traverser à un moment ou à un autre,
18:27 comment se fait-il que personne ne se rende compte qu'un piège est en train de se mettre en place ?
18:34 Le répercutant
18:40 Il va d'abord y avoir une étape de séduction.
18:44 La proposition qui est faite à la personne va répondre exactement à ses attentes.
18:51 Je me suis senti honoré par ce jeune prêtre, alors en fait il était diacre à ce moment-là,
18:56 il n'était pas encore prêtre, qui venait s'intéresser à moi,
19:00 qui me posait des questions, qui semblait vouloir faire connaissance.
19:06 J'ai eu la sensation d'être accueilli comme une VIP.
19:10 J'ai eu la sensation d'un accueil démesuré.
19:14 Et ça m'a un peu surprise, ça m'a étonné, limite choqué.
19:20 Je me suis sentie très bien accueillie,
19:24 un peu comme quelqu'un de privilégié qui pouvait accéder à leur trésor,
19:30 au trésor qu'ils offraient pour l'Église et pour le monde.
19:32 La séduction, c'est l'adéquation parfaite entre mon désir et ce que va me proposer l'autre.
19:43 Je recherche à aller plus loin dans ma connaissance de Dieu,
19:48 je recherche une croissance spirituelle, et l'autre va répondre totalement à mon attente.
19:54 Il va savoir s'adapter exactement à qui je suis.
19:58 Ce n'est pas une proposition genre publicitaire qui s'adresse à tous,
20:01 c'est quelque chose qui va me cibler, moi.
20:04 Le pseudo-savoir du gourou séduit effectivement les adeptes,
20:10 dans la mesure où les adeptes trouvent dans ce pseudo-savoir
20:15 un moyen de réaliser leur idéal sur terre.
20:19 C'est sans aucun doute extrêmement séduisant.
20:24 On retrouve le même phénomène qu'il s'agisse d'une communauté religieuse,
20:29 ou qu'il s'agisse d'un gang, ou qu'il s'agisse de Daesh.
20:34 La séduction va être la même.
20:44 La deuxième étape, c'est l'établissement d'un lien de dépendance.
20:49 Elle m'a affirmé de manière très claire,
20:52 « Ta vocation est dans la communauté, il faut que tu rentres. »
20:55 Et j'ai vu ça comme un signe du ciel, d'une certaine manière,
21:00 et j'ai accepté de mettre de côté tous ces doutes et tous ces questionnements que j'avais.
21:05 Le problème n'est pas que l'adepte développe une dépendance vis-à-vis du groupe sectaire,
21:09 il avait déjà une dépendance vis-à-vis d'un certain nombre de ses groupes d'appartenance.
21:14 Le problème, c'est qu'il n'a plus de dépendance que vis-à-vis d'un seul groupe.
21:18 On m'a dit que j'avais une maturité supérieure aux autres,
21:22 et donc là, on m'a proposé, pour ne pas me dire, m'imposer,
21:28 on ne pouvait pas refuser d'appartenir à un groupe d'élite.
21:32 C'est que les autres groupes sont tous condamnés par le Gouh.
21:36 Il vous dit de façon éventuellement très explicite que vous devez échapper à toutes les emprises,
21:41 sauf évidemment à la sienne.
21:43 Et donc là, mon engagement devait se traduire par plus de présence,
21:48 plus de participation à certaines activités.
21:51 Alors, la critique dans la communauté était absolument interdite,
22:03 et du coup, cette idée était extrêmement violente dans la communauté,
22:09 c'est que celui qui critique sème le désordre.
22:14 Prétendre être une autorité qui fait grandir,
22:19 alors que les résultats et que les personnes sont asservies,
22:23 et n'ont plus de marge de manœuvre,
22:26 et n'ont plus la possibilité d'exprimer ce qu'elles veulent,
22:29 d'exprimer une opinion contraire à celui qui a ce rôle d'autorité,
22:34 là, on est dans la perversion.
22:36 Et la troisième étape, ça va être une alternance de maltraitance et de bienfaisance.
22:47 À cette étape-là, la maltraitance apparaît.
22:50 Quelqu'un s'était permis de reclasser tous mes livres par ordre de taille,
22:54 et je suis allé voir mon supérieur pour lui partager mon étonnement.
22:59 Et celui-ci s'est mis en colère, m'a accusé d'insubordination,
23:05 et m'a expliqué qu'il m'avait mis à l'épreuve et que j'avais échoué,
23:11 avec un petit sourire en coin d'une violence, quand j'y repense, j'en tremble encore.
23:17 L'adepte pense que les violences rituelles dont il accepte l'existence
23:22 vont le mener vers toujours plus d'autonomie.
23:27 En pratique, les violences du groupe le mènent vers toujours plus de dépendance,
23:34 au point où on pourrait parler du développement d'une addiction au sein du groupe.
23:39 C'est une suite de petites maltraitances qui vont entraîner la manipulation.
23:46 Ce n'est pas une grosse chose, c'est la multiplicité d'humiliations, de toutes petites insultes.
23:53 Ce qui est sûr, c'est que ce sont des techniques très efficaces,
23:57 dont la première est ce qu'on appelle l'injonction paradoxale,
24:01 c'est-à-dire, elle dit une chose et son contraire,
24:05 de telle manière que ça devient indécidable pour la personne à qui elle s'adresse.
24:14 Lorsqu'il y a une alternance, il y a une incapacité à s'adapter.
24:19 On s'attend à ce qu'il arrive quelque chose, mais non, c'est quelque chose d'autre qui arrive.
24:24 Au bout de plusieurs années, il m'est arrivé à moi aussi de recevoir devant tout le monde des réprimandes,
24:32 mais à chaque fois, je ne m'y attendais pas.
24:35 Et peu à peu, sur le plan émotionnel, ça va être très destructeur.
24:40 Là où on va être joyeux, on va recevoir une torgnole qui va vous faire mal,
24:45 et on n'était pas prévenu qu'on allait recevoir ça, donc on n'avait pas les défenses qu'il fallait pour s'y préparer.
24:50 J'ai été plusieurs fois terrorisé, et j'évitais à tout prix que ça puisse m'arriver à nouveau.
24:58 Dans les moments où la personne ne sera plus sympathique avec nous,
25:02 on va rechercher à nouveau cette sympathie, et donc on va se coller trop à la personne,
25:08 parce qu'on va rechercher ce bien-être antérieur.
25:12 Ce qui programme l'addiction au groupe, ce n'est pas les violences en elles-mêmes,
25:18 c'est l'alternance rapide de moments d'extase et de moments d'effroi.
25:24 De moments entre lesquels vous êtes mis sur un piédestal,
25:28 où on vous dit que vous avez découvert la vérité, que vous avez touché la vérité du noir,
25:33 et des moments où on vous dit que vous êtes complètement à côté de la plaque,
25:38 où on vous disqualifie de façon profonde.
25:41 La personne qui est prise dans cette espèce de nasse finit par ne plus savoir quoi penser,
25:47 elle est simplement habitée par une espèce d'agitation mentale,
25:51 où elle ne sait pas s'il faut voir que le mal ou que le bien.
25:55 Si elle voit que le mal, elle se dit "parano", si elle ne voit que le bien, elle se dit "je suis naïf".
26:00 Et finalement, ça devient indécidable dans la tête, et ça tourne en boucle.
26:05 Et moi je dirais qu'au maximum, un phénomène d'emprise dans une communauté religieuse
26:12 va entraîner une aliénation mentale, psychologique et spirituelle,
26:17 et cette aliénation mentale va altérer les capacités de discernement,
26:22 et va endormir la conscience.
26:25 Je crois qu'à un moment donné, on accepte de faire taire ce qu'on ressent personnellement,
26:32 parce que ça n'a plus aucune importance, et d'ailleurs on nous le dit dans la communauté,
26:36 ce que tu ressens n'a aucune importance, ce que tu désires, ce que tu penses.
26:40 Ce qui compte, c'est ce que ta supérieure te dit,
26:45 parce que c'est elle qui est le canal de la volonté de Dieu.
26:48 L'indépendance aboutit à une suppression de la liberté,
26:52 l'alternance de ces chauds-froids, maltraitance-bientraitance aboutit à destruction de l'identité.
26:59 Et c'est à partir de ce moment-là que vont pouvoir se mettre en place,
27:03 réellement, la véritable emprise et le traumatisme psychique.
27:09 Un jour mon médecin m'a diagnostiqué un cancer.
27:14 Je suis allé questionner sur le sens de ce cancer.
27:21 À partir de là, il m'a été proposé de rédiger des scénarios sexuels,
27:28 qui seraient une des solutions.
27:32 Les premières étapes, même si elles ont été violentes pour moi,
27:36 je les ai acceptées parce que je savais que j'étais dans un étau,
27:40 je ne pouvais pas faire autrement.
27:42 Je m'étais dit, en fait, si j'accepte celle-ci, peut-être qu'il n'y aura rien derrière,
27:47 et que ça ne va pas déclencher de colère de sa part,
27:51 et je vais échapper à pire.
27:54 Et en fait, ça s'est intensifié de plus en plus.
27:59 Je me suis même posé à un moment donné la question,
28:01 est-ce que ce n'est pas pour passer à l'acte ?
28:05 Ce qui s'est passé quelques mois plus tard,
28:07 je n'avais plus la force physique pour réagir.
28:11 Donc il y a une destruction au niveau de la confiance en ses propres émotions,
28:17 et à terme, il va y avoir une destruction de ses pensées, de son intelligence,
28:23 parce qu'on n'a plus, par son intelligence, la capacité de faire face à la situation.
28:29 Chaque fois qu'il me demandait de le rejoindre,
28:31 que ce soit dans un hôtel, que ce soit où autre,
28:37 c'était à chaque fois sous couvert d'un enseignement.
28:40 Ça a commencé par l'écriture de scénarios érotiques,
28:44 puis des massages, puis l'utilisation d'objets,
28:48 et depuis, remplir.
28:50 L'abuseur va pouvoir injecter, à la place de ce que j'étais avant,
28:55 et qui finalement a disparu parce que ça a été détruit,
28:58 va pouvoir injecter sa propre pensée,
29:01 ou le mode de fonctionnement de la communauté ou du système.
29:06 Il utilise le désir d'engagement, de don de soi et de générosité
29:12 pour le transformer complètement et en faire quelque chose
29:16 qui devient un levier d'asservissement et pas un levier de créativité.
29:19 Il est prouvé qu'à l'identique d'un traumatisme majeur,
29:25 comme ce que l'on retrouve au moment des attentats ou au moment de guerre,
29:29 il est aujourd'hui prouvé qu'une multiplicité de maltraitances
29:34 va aboutir au même résultat.
29:37 Pour pouvoir survivre à cela, ce que j'ai trouvé,
29:40 c'est que je sortais de mon corps pour pouvoir en intégrer une autre.
29:45 Ça peut paraître difficile à comprendre,
29:48 mais je faisais vraiment cet exercice-là de me dire,
29:53 pour protéger en fait celle que je suis,
29:57 je la mettais de côté et je me disais,
30:00 maintenant tu en intègres une autre que tu ne connais pas,
30:03 mais qui est celle qui est attendue de toi.
30:06 C'est tout un enchaînement d'asservissements
30:09 où elle n'a plus à sa disposition qu'à se cliver elle-même,
30:13 c'est-à-dire à se mettre en morceau en acceptant une chose tout en sachant qu'elle répond.
30:17 Clivage, ça veut dire séparer de manière hermétique.
30:20 Dans nos questionnements, nous avons découvert qu'il existait
30:25 une expérience bimillénaire de la vie religieuse chrétienne
30:29 qui pouvait nous enseigner sur les grands principes spirituels
30:32 qui sont dévoyés dans les systèmes d'emprise.
30:35 Il y a une prolifération de ces sectes.
30:37 Je note quand même qu'un certain nombre de dérives sectaires se couvrent,
30:40 même si elles sont complètement étrangères à l'Église,
30:42 se couvrent du manteau de l'Église.
30:44 En fait, les garde-fous, il y en a de naturel,
30:46 il y a un garde-fous extraordinaire qui s'appelle le Code de droit canonique.
30:49 C'est-à-dire que l'Église s'est dotée de lois,
30:51 et les vieilles institutions souvent les ont intégrées,
30:54 pas forcément tout de suite d'ailleurs, mais elles les ont intégrées,
30:57 et j'allais dire aussi, elles ont un vrai chemin spirituel.
31:01 Alors le fait que l'histoire monastique s'inscrive dans une histoire assez longue,
31:07 qui a des réussites et des défaites,
31:10 on pourrait dire que ça crée des anticorps
31:14 et certaines immunités à des maladies qui peuvent se présenter.
31:18 En fait, elles ont intégré un vrai chemin spirituel,
31:21 notamment celui de la croix,
31:23 c'est-à-dire celui qui fait que l'on consent à ne pas réussir,
31:27 ou du moins à ne pas réussir systématiquement.
31:29 Aujourd'hui, quand une communauté commence à dire
31:33 "on va tout réinventer parce que les autres, ça ne marche plus du tout",
31:37 et qui ne s'enracine pas dans cette tradition précédente,
31:42 et dans ses réussites et dans ses erreurs,
31:45 en fait il commence vierge et il va capter toutes les maladies de notre société actuelle.
31:50 Donc l'emprise est une de ces maladies, il y en a beaucoup.
31:56 Si je désire faire la volonté de Dieu,
31:59 j'ai choisi de me mettre sous cette autorité-là,
32:03 pour être guidé, pour être accompagné, pour être porté,
32:07 pour être aidé, pour être stimulé aussi,
32:10 mais il y a une limite.
32:12 Qu'est-ce que c'est que cette vertu d'obéissance
32:14 qui fait dans les communautés religieuses
32:16 que le fait de se dire "je suis un homme"
32:19 et de se dire "je suis un homme"
32:21 qu'est-ce que c'est que cette vertu d'obéissance
32:23 qui fait dans les communautés religieuses
32:25 que le groupe n'a plus son mot à dire
32:28 quand il s'aperçoit qu'il y a des dysfonctionnements ?
32:30 Le groupe tout entier est responsable de la dérive perverse.
32:34 L'obéissance elle s'exerce dans le cadre d'une règle
32:39 qui doit être connue.
32:42 Quand je m'engage, je ne m'engage pas dans le vide,
32:45 mais je m'engage à partir d'une règle commune
32:50 pour vivre ce chemin avec d'autres.
32:53 Cet exercice de l'obéissance, tel que je l'ai vécu,
32:56 c'était d'une certaine façon la relation
33:00 entre une personne qui était dans la soumission
33:03 et qui était infantilisée, c'est-à-dire moi,
33:06 face à une supérieure qui, elle, était jugée comme infaillible.
33:10 Elle ne se trompe jamais.
33:12 Si tu as des problèmes avec elle,
33:14 si tu as des objections par rapport à sa conduite,
33:16 c'est que tu es dans ton orgueil.
33:18 Donc c'est à toi de te corriger.
33:20 Il est évident que ce que me dit le supérieur,
33:25 ce que me dit au jour le jour le supérieur,
33:27 n'est pas parole de Dieu.
33:30 Dieu peut parler à travers ce que me dit le supérieur,
33:33 mais ça veut dire que je vais devoir interpréter,
33:35 que je vais devoir juger.
33:37 Je ne suis jamais privé de ma responsabilité
33:40 pour discerner ce que Dieu me dit
33:44 à travers la parole du supérieur.
33:46 Il peut se tromper, et je peux penser qu'il se trompe,
33:49 mais cependant, parce qu'il faut bien qu'il y ait
33:53 quelqu'un qui prenne des décisions dans une vie commune,
33:56 eh bien je vais faire ce qu'il me dit.
33:58 Mais ça ne signifie pas que je vais me mettre à penser
34:01 que son choix est le meilleur.
34:03 Peut-être le contraire d'une obéissance libre,
34:07 c'est une soumission servile.
34:09 On s'écrase devant l'autre, quoi qu'il dise,
34:11 avant que l'autre parle, c'est déjà oui.
34:13 Je veux te rendre libre, obéis-moi.
34:16 Il y a des obéissances qui enferment la liberté
34:20 et qui ne sont pas des obéissances chrétiennes.
34:23 Pour un chrétien, il s'agit d'abord d'écouter Dieu.
34:28 Le mot obéissance signifie, c'est l'origine du mot écouter.
34:33 Et écouter Dieu, qu'est-ce qu'il a à me dire, Dieu ?
34:36 Ce n'est pas parce que le supérieur
34:40 ou l'accompagnateur spirituel pensent ceci ou cela
34:44 que je suis obligé de penser de la même manière.
34:46 Ce n'est pas parce qu'il veut ceci ou cela pour moi
34:49 que je vais être obligé de le vouloir.
34:53 Ce responsable, un jour, m'a demandé
34:55 de me présenter nue sur Skype
34:59 pour un entretien individuel avec lui.
35:03 Je me suis sentie humiliée, j'avais un sentiment de honte.
35:08 Lorsque je dois obéir, je dois toujours juger
35:13 de la moralité de ce qu'on me demande.
35:17 Obéir, ça ne me prive pas de la responsabilité
35:22 de juger en conscience ce qui est acceptable
35:28 ou ce qui ne l'est pas.
35:31 L'obéissance ne doit jamais forcer la conscience des personnes.
35:37 Si il me commande des choses, si il me fait faire des choses
35:40 dont je sens en moi qu'elles sont mauvaises
35:42 ou qu'elles ne sont pas bonnes,
35:44 on arrive dans l'abus,
35:46 on arrive complètement dans l'abus spirituel.
35:48 Voilà, complètement.
35:50 Lorsque le supérieur demande des choses
35:55 au nom de l'obéissance, il doit en discuter,
35:59 il doit s'expliquer, il doit se mettre à l'écoute
36:02 de la personne qui va devoir faire ce qu'il demande
36:05 et il doit aussi en discuter avec toute la communauté.
36:10 Le vrai supérieur de la communauté, d'abord de la communauté médecine,
36:13 c'est le Christ.
36:15 Ça, c'est très important.
36:17 Le Christ parle à chacun par l'Esprit-Saint
36:19 et l'Esprit-Saint parle à chacun dans la communauté,
36:22 pas seulement au supérieur.
36:24 Si à chaque fois, la décision de l'abbé correspond
36:27 à son point de vue, c'est quelque chose de bizarre.
36:30 Ça veut dire qu'il pense que l'Esprit-Saint
36:33 fonctionne toujours par lui et là,
36:35 c'est pas comme ça que ça fonctionne.
36:37 Dieu, il ne fonctionne pas comme ça.
36:39 La santé d'une communauté ou de sa structure,
36:42 sa structure de gouvernement, de gouvernance,
36:45 se mesure à la présence de contre-pouvoirs.
36:49 Est-ce que le responsable de la communauté
36:51 doit rendre compte à quelqu'un
36:53 ou doit rendre compte à sa communauté ?
36:55 Quand on est devant des gens beaucoup trop triomphants,
36:59 on doit s'interroger parce que l'un des premiers actes
37:02 de la foi chrétienne, c'est d'abord de se reconnaître
37:05 profondément pécheur et de laisser naître en soi l'humilité.
37:09 Si on lit les écrits spirituels de la tradition,
37:22 on voit qu'on a toujours été conscient
37:25 des problèmes que pose l'accompagnement spirituel.
37:30 Il y avait une autorité de fort externe qui était la prière,
37:33 mais en réalité, elle voulait jouer le rôle de prière pour moi
37:38 et elle voulait jouer le rôle de mère spirituelle pour moi.
37:41 L'accompagnateur n'est pas le supérieur.
37:45 Donc l'Église, officiellement, distingue toujours fort interne
37:50 et fort externe et prend des précautions pour cela.
37:53 Ça veut dire que je ne dois pas obéissance à mon accompagnateur.
37:59 Donc je devais constamment tout remettre dans l'obéissance,
38:05 tout écrire, tout confier à ma supérieure.
38:08 C'est une démission, sans remettre.
38:10 C'est lui qui sait, c'est lui qui peut, c'est lui qui doit dire,
38:13 c'est lui qui… etc. Et tout passe par lui.
38:17 C'est l'intermédiaire obligé.
38:20 C'était une intrusion quasiment forcée dans ce que j'avais de plus intime,
38:24 dans mes pensées, mes désirs, mes luttes, etc.
38:30 Le but de l'accompagnement spirituel, c'est de renforcer l'autonomie des personnes.
38:35 Mon accompagnateur spirituel étant également mon supérieur,
38:39 c'était à ce même prêtre que je devais aller confesser mes péchés.
38:44 Donc vous imaginez un petit peu la relation extrêmement perverse
38:48 que j'avais avec cet homme.
38:50 Si la personne accompagnée choisit d'aller prendre conseil ailleurs,
38:56 voire choisit de changer d'accompagnateur ou d'interrompre l'accompagnement,
39:02 en aucun cas celui qui accompagne ne doit présenter la chose
39:09 comme une infidélité, une sorte d'adultère de sa part, une faute de sa part.
39:15 Si c'est d'abord mon accompagnateur, il doit respecter le choix,
39:19 il doit même peut-être s'en réjouir s'il pense que c'est pour le bien de l'accompagné.
39:25 Un des critères qui montre la santé d'une communauté,
39:30 c'est que la personne peut dire non, ce n'est pas ces deux, trois que je vais choisir,
39:35 c'est encore une autre personne.
39:37 Et s'il y a des réticences pour dire non, ne va pas ailleurs, c'est dangereux,
39:43 ces gens ne connaissent pas la communauté,
39:45 ils ne connaissent pas la richesse de notre communauté,
39:47 nous, nous la connaissons, ça va être compliqué pour toi,
39:50 tu risques d'avoir des ennuis ou que ça ne se passe pas bien,
39:56 eh bien ce sont aussi des signes que la communauté essaye d'emprisonner les personnes
40:05 et d'emprisonner leur conscience, parce que le lieu de l'accompagnement spirituel,
40:08 c'est le lieu où on expose sa conscience, où on expose le plus précieux de soi.
40:15 Et donc il faut être en pleine liberté et en pleine confiance.
40:19 Une personne qui vous parle au nom de Dieu,
40:24 une personne qui se dit inspirée par Dieu ou par un personnage céleste,
40:31 la Sainte Vierge, un saint, un ange,
40:34 c'est ce qu'on appelle dans la tradition un prophète.
40:37 Ce qui doit être très clair, c'est que l'accompagnateur spirituel
40:42 n'est pas un prophète à votre égard.
40:45 Le fondateur étant un homme inspiré, ayant des dons particuliers de l'Esprit-Saint,
40:51 les lettres qu'on recevait de lui étaient en fait l'inspiration vraiment directement de Dieu,
40:58 c'était Dieu qui nous parlait.
40:59 Elle jouait beaucoup sur cette grâce d'État pour dire,
41:02 effectivement, moi je vais te dire quelle est la volonté de Dieu et j'en suis certaine.
41:08 Ce que Dieu veut pour moi ou ne veut pas pour moi, personne ne peut le savoir à ma place.
41:13 Le meilleur accompagnement spirituel, le plus saint de tous les hommes,
41:16 ne peut pas le savoir à ma place.
41:18 Je pense que ce que nous devons apprendre tous,
41:33 mais je pense en particulier aux plus jeunes,
41:36 c'est que ce n'est pas parce qu'on vous parle de Dieu,
41:40 ce n'est pas parce qu'on vous parle de spiritualité,
41:43 ce n'est pas parce qu'on vous fait prier que l'on veut votre bien,
41:48 et que toujours un discernement doit être exercé.
41:54 Parce qu'il y a toujours à côté de Dieu, le singe de Dieu.
42:01 Cette jolie Maxime d'un certain Évagre le Pontique,
42:06 donc on doit être au IVe ou Ve siècle,
42:08 qui nous dit "sois le portier de ton cœur",
42:12 c'est-à-dire ne laisse pas entrer n'importe qui.
42:15 Pourquoi ? Parce que plein de choses se promènent.
42:19 Des pensées qui sont des bonnes pensées et d'autres qui sont des mauvaises pensées,
42:22 et c'est elles qui viennent du bon esprit et c'est elles qui viennent du mauvais esprit.
42:26 L'action du mauvais esprit, c'est de nous endormir,
42:33 de dire "mais ce n'est pas si grave, ce n'est pas si important".
42:38 Je dois discerner entre ce qui me fait vraiment du bien et ce qui me fait vraiment du mal.
42:45 Quand la vie passe en nous, c'est comme quand un membre fonctionne bien.
42:49 On se sent bien, on le sait, il y a de la vie, il y a de la joie, il y a de la paix profonde.
42:55 Alors il peut y avoir des difficultés de surface, mais au fond j'adhère, ça a du sens, ça a de la cohérence.
43:01 Dans les exercices spirituels de saint Ignace,
43:04 saint Ignace précisément parle de l'ennemi de la nature humaine.
43:08 Pour évoquer celui qu'on appelle aussi le diable.
43:11 Le diable, c'est celui qui divise, le diviseur.
43:14 Il est cet adversaire.
43:16 Et donc, sa présence, on peut parfois presque la palper.
43:22 Le mensonge, la dissimulation, la manipulation est présente.
43:27 J'ai pris ma supérieure en flagrant délit plusieurs fois de mensonges.
43:32 C'était face à des personnes, pour dissimuler des choses ou tromper les personnes sur certaines choses.
43:39 Il est tout à fait évident qu'on ne peut pas mentir ou inviter d'autres à mentir,
43:46 même pour une petite chose, en se réclamant du Christ.
43:50 Le Christ l'a dit, il est le chemin, la vérité et la vie.
43:55 Il est la vérité et la vérité vous rendra libre.
43:59 Le mensonge rend esclave.
44:01 Et utiliser le mensonge ou inviter des personnes à mentir,
44:06 c'est les mettre dans une position d'esclavage.
44:09 Ce mensonge-là, c'était aussi de maintenir la façade, maintenir la vitrine,
44:15 faire croire aux gens que nous étions heureux, épanouis,
44:20 alors que nos tripes étaient à l'envers et qu'on vivait toutes profondément des angoisses,
44:27 des signes de mal-être.
44:29 Le trouble intérieur, souvent c'est...
44:32 "Hum, pas bon, c'est pas Dieu qui est là."
44:35 L'action du bon esprit est justement d'agir sur la conscience.
44:42 Il faut croire que dans toute personne, il n'y a pas d'emprise définitive.
44:46 Je crois qu'il y a quelque chose qu'il est très important de percevoir,
45:01 c'est qu'au fond de moi, il y a une petite porte,
45:05 un lieu de relation avec moi-même et avec l'au-delà,
45:09 sur lequel aucune personne ne peut avoir de prise.
45:15 Ni des hommes, ni des forces obscures, démons,
45:21 princes de ce monde, ennemis du genre humain, quoi qu'on l'appelle.
45:25 Il y a une petite voix qui me dit "ça va pas".
45:30 Il y a toujours au fond de la personne ce lieu sacré, ce lieu secret,
45:36 où Dieu agit, où le bon esprit de Dieu agit et parle.
45:42 Peut-être on peut voir la conscience comme une sensibilité interne très fine
45:48 qui nous fait discerner ce qui est vrai, ce qui est bon, ce qui est vraiment bien.
45:54 Alors, parfois c'est étouffé,
45:57 étouffé par peut-être des années d'errance,
46:01 ou de mensonges, ou d'addiction,
46:06 mais ce lieu de la liberté, de la dignité humaine subsiste toujours.
46:12 Ça c'est notre foi qui nous le dit aussi.
46:15 Il y a ce lieu où c'est le lieu de mon intimité avec Dieu.
46:19 C'est le lieu d'où jaillit la prière, c'est le lieu d'où jaillit la vie.
46:23 Dans un système d'emprise, on va étouffer ça,
46:26 parce que c'est une relation sur laquelle celui qui a l'emprise,
46:30 justement il n'a pas d'emprise là-dessus.
46:32 Et c'est ça qui peut nous sauver, qui peut nous faire sortir.
46:36 Et c'est là où on est vraiment libre.
46:38 Il n'y a que face à Dieu où on est totalement libre.
46:40 Et c'est pour ça qu'en moral, le respect de la conscience est très important.
46:47 Et petit à petit, notre conscience doit diminuer.
46:54 Il y a trop de paradoxes entre ce qui nous est dispensé et ce que nous, nous pensons.
47:01 Donc on était dans un milieu où on était effectivement anesthésié
47:04 et on n'interrogeait pas les choses profondément.
47:07 Il y a quelque chose qui fait que je ne suis pas libre.
47:10 Il y a quelque chose qui fait que ce n'est pas bien,
47:13 les belles choses que l'on me dit là.
47:16 Peut-être que c'est difficile quand on est dans ces contextes-là,
47:19 d'aller écouter cette voix et d'y croire.
47:24 Les signaux de la conscience arrivent de manière différente selon les personnes.
47:30 Nos tripes, elles sont assez proches de la conscience.
47:34 Notre cœur, quand il y a des choses qui se serrent en nous,
47:37 on peut le sentir dans le corps, on peut le sentir dans sa psychologie.
47:41 Là, ça peut être des signaux qu'il se passe quelque chose dans notre conscience.
47:46 La conscience, l'objection de conscience est un droit humain fondamental.
47:52 Si il semble qu'on fasse tout pour étouffer cette petite voix,
47:57 cette petite résistance en nous, alors il faut être très, très réactif.
48:05 Se mettre à cette écoute et suivre cette voix, c'est un devoir.
48:14 Nous sommes invités, dans notre vie chrétienne, à écouter la voix de notre conscience.
48:22 Et c'est ce lieu qui peut prendre le dessus et faire sortir de situations d'emprise.
48:29 Dans cette prise de conscience, que ce n'est pas juste,
48:34 on peut y reconnaître aussi le doigt de Dieu.
48:40 Le groupe
48:44 Quelque chose arrive à un moment donné au sein du groupe ou à l'extérieur du groupe
48:56 qui touche l'adepte et qui fait que tout d'un coup,
48:59 il se rend compte à quel point il s'est fait avoir.
49:02 Il se rend compte que le gourou n'est pas ce qu'il croyait.
49:06 Son objectif final est de me demander d'accepter de vivre là où il vit,
49:19 sans plus rien. Il assurera tout pour moi.
49:24 Et puis la personne sortira lorsque un échelon supérieur sera franchi dans la maltraitance,
49:31 qu'elle ne pourra pas… et là, tout d'un coup, ça viendra réveiller sa conscience,
49:35 et dire "Ah, là non, là je ne peux pas".
49:38 C'est là où je me réveille et c'est là où je me dis "Non, là je suis tombé bas
49:45 et c'est de l'esclavage que le monde demande".
49:49 Il y a un événement qui survient et qui a une double tonalité.
49:53 À la fois, ça s'inscrit dans un lien, il y a une tonalité affective forte,
49:57 et à la fois, il y a une tonalité éthique.
50:00 Il y a quelque chose qui vient choquer l'éthique de l'adepte.
50:04 Le jour où j'ai dû faire du chiffre, où j'étais aussi envoyé comme recruteur vocationnel,
50:11 où j'ai dû aussi mentir à des jeunes, où disons leur cacher la vérité,
50:15 j'ai vécu ça comme un véritable drame.
50:18 Et je me suis effondré tout simplement au point de me dire "Je ne peux plus continuer là-dedans".
50:26 Parce que cette communauté me rend trop malheureux, me met trop dans une vie de contradiction.
50:32 Et j'ai quelque chose en moi qui me dit que Dieu ne veut pas ça pour moi.
50:37 Je dirais "On sort, on fait ce chemin de liberté pourvu qu'on garde ce lien à Dieu, et ce n'est pas une infidélité".
50:47 Ça a été un déclic pour moi, vraiment, de réaliser que ce à quoi j'aspirais,
50:52 d'une communion authentique et d'une prière vivante,
50:58 je le vivais plus à l'extérieur avec des personnes extérieures qu'au sein de ma communauté.
51:04 J'ai senti que Dieu me demandait de sortir de mon tombeau,
51:08 et que ce Dieu était le Dieu des vivants, et qu'il fallait que je sorte.
51:13 C'était le déclic intérieur.
51:15 Ce sont des démarches dramatiques qui supposent un courage inouï.
51:19 Et il faut être très fort à ce moment-là.
51:21 Il faut vraiment s'appuyer sur sa conscience et dire à Dieu, se mettre en vérité devant Dieu,
51:27 "Ecoute, moi je veux rester avec toi, je prends ce risque de sortir de ce truc qui m'enferme depuis longtemps.
51:34 Mais ce que je veux, il y a une seule chose que je veux, c'est être avec toi."
51:40 Comment aider les gens qui sont dans ces communautés ou dans ces groupes,
51:54 et qui sentent bien au fond d'eux-mêmes, donc au plus profond de leur conscience,
51:58 qu'il y a quelque chose qui n'est pas juste,
52:01 comment peuvent-ils faire confiance à ce qu'ils ressentent profondément ?
52:07 Je crois que quand on n'a plus sa liberté de parole, qu'on n'a pas sa liberté de conscience,
52:12 et qu'on a le sentiment d'être constamment contraint à faire des choses qui ne sont pas en accord avec ses aspirations profondes,
52:20 il y a quelque chose où il faut se poser des questions sur, non seulement son engagement,
52:25 mais l'endroit où on est, où on est arrêté et arrêté de manière toxique.
52:32 La meilleure façon de répondre à un gourou,
52:39 qui vous dirait lorsque vous le quittez, "Tu vas trahir Dieu, tu es coupable, tu vas aller en enfer."
52:48 La meilleure façon de lui répondre, ce serait d'éclater de rire.
52:51 Le conseil le plus important qu'il faut donner aux familles qui s'inquiètent,
52:56 pour un de leurs proches qui est rentré dans une communauté, qui les inquiète,
53:00 c'est qu'il faut avoir confiance dans leurs propres enfants, dans leurs propres proches,
53:05 parce que de toute façon, si cette personne doit sortir de cette communauté,
53:10 celle-là ne peut venir que d'elle-même.
53:12 Je me rends compte, avec le recul, du manque de prudence que j'ai eu.
53:19 C'est vrai que ça a été fou à un moment donné de me laisser embarquer de cette manière.
53:25 C'est comme si j'avais mis des nœuds dans ma tête pendant des années, vous voyez.
53:28 Donc lorsque je suis sorti de la communauté, il a fallu que je démêle les nœuds, les uns après les autres.
53:33 Et ça, je pense que c'est un travail qui prend du temps
53:35 et qu'il faut faire avec un accompagnement et des gens sérieux.
53:37 Aux victimes, j'ai envie de dire, courage, parce qu'on peut toujours s'en sortir,
53:43 mais donnez-vous les moyens.
53:44 Il y a des gens sur la route qui permettent de se remettre debout.
53:48 Enfin, souvent, c'est le bon sens qui nous sauve de la dérive.
53:51 Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'avoir vraiment grandi dans ma foi.
53:57 Je suis catholique, je suis croyant, je suis pratiquant, je suis très impliqué dans la paroisse.
54:01 Et je n'ai absolument pas perdu la foi, mais au contraire,
54:05 j'ai eu l'impression d'avoir, disons, mûri, d'avoir grandi en sagesse.
54:12 Au-delà de l'horreur que j'ai pu vivre, au-delà, je me suis relevé.
54:19 Je vais bien, je respire, je vis à nouveau, j'ai à nouveau des projets.
54:25 Surtout, je bénis le ciel, puisque j'ai eu la chance de rebondir.
54:30 On a fondé une famille, on a deux beaux enfants, et voilà, je suis vraiment heureuse.
54:34 Donc, j'ai juste envie que cette expérience ne soit pas vaine,
54:39 et qu'elle porte du fruit pour d'autres personnes.
54:43 [Musique]
54:49 Tu viens relever le fer, tu le prends dans tes bras,
54:57 tu le conduis vers ton père, qui le console ici-bas.
55:05 Entends le cri de ma prière, sois mon secours et ma joie,
55:13 passer de l'ombre à ta lumière, j'ai mis mon espoir en toi.
55:22 [Musique]
55:36 Puisque ma vie passera, en toi je veux demeurer,
55:52 puisque tu triompheras.