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Le ministre de l’Éducation national, Gabriel Attal, a promis de renforcer l’enseignement des mathématiques cette année, une matière qui n’est pas toujours bien pris au sérieux par les collégiens et les lycéens. Alors la France est-elle à la traîne ? Pour en débattre avec nous, nous recevons Mélanie Guenais, mathématicienne.

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00:00 Et c'est l'heure de l'invitée de Télé Matins qui va réveiller mes pires névroses, peut-être les vôtres aussi, puisque Mélanie Guenet est mathématicienne, enseignante chercheuse et vice-présidente de la Société Mathématique de France.
00:11 Bonjour Mélanie Guenet, bienvenue sur le plateau de Télé Matins. On va en effet s'intéresser aux mathématiques. Ce matin, les maths qui ne laissent pas toujours un très bon souvenir aux collégiens et aux lycéens.
00:21 Le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, a promis de renforcer l'enseignement de cette matière cette année. Il y a un malentendu avec les maths en France ?
00:29 Alors il y a un malentendu, je vous remercie pour l'invitation. Je ne vous remercie pas trop pour l'introduction sur les névroses, c'est un peu difficile mais bon on va faire avec.
00:40 Il y a un malentendu, je pense profond, effectivement depuis longtemps, qui est peut-être cette discordance entre à la fois une élite française mathématique extrêmement reconnue mondialement
00:56 et puis un niveau général qui baisse depuis des années, depuis 30 ans maintenant, on voit une baisse du niveau dans toutes les études internationales.
01:05 Donc effectivement ce hiatus est difficile à combler avec des peurs, une anxiété accrue qui questionnent.
01:14 Mais ça veut dire que la France est vraiment… on est nul en maths par rapport à nos voisins européens par exemple ?
01:19 Il y a une baisse de performance qui est significative en maths qu'on voit par rapport à nos voisins européens, qu'on voit par rapport à toutes les études internationales
01:27 puisque maintenant on est en queue de peloton sur les évaluations internationales en fin de CMA et en fin de quatrième.
01:34 Donc on verra les résultats de cette année mais vu qu'il n'y a pas eu de chocs PISA comme il y a pu y avoir en Allemagne ou en Pologne, dans notre pays malheureusement,
01:44 il y a peu de raisons pour que la tendance ait changé pour cette année.
01:49 On a l'impression qu'en France les maths sont systématiquement associées à l'échec. Est-ce que c'est une impression que vous avez ?
01:56 Alors il y a une dimension affective dans la discipline qui est peut-être un peu spécifique et peut-être un peu exacerbée en France.
02:04 Alors les raisons elles sont profondes parce que c'est sans doute des raisons historiques qui sont liées à la vision élitiste de la discipline
02:10 et qui fait que vos ressentis forts envers les mathématiques viennent sans doute de là.
02:16 C'est cette idée que si on échoue en maths c'est que forcément on est nul et que du coup on se détache des maths et puis on peut faire des phobies ou en tout cas on en a peur.
02:27 En fait je pense que plutôt que de ne pas aimer, je pense que souvent on en a peur en fait, on n'est pas en confiance.
02:33 Souvent c'est une matière très abstraite pour les élèves, est-ce qu'il faudrait la raccrocher davantage à notre quotidien, qu'on comprenne mieux à quoi ça sert les maths ?
02:40 Alors si je vous demandais à quoi servent l'étude des poèmes de Victor Hugo ou de Paul Verlaine, on pourrait se poser la même question.
02:50 Donc ce n'est pas forcément la seule solution, peut-être qu'il y en a une et sans doute il y en a une puisque les mathématiques c'est un langage pour comprendre le monde
03:00 et puis pour pouvoir le quantifier. Sans les mathématiques on n'a pas de technologie, on n'a pas de machine à laver, on n'a pas de téléphone portable, on n'a pas d'intelligence artificielle, on n'a rien.
03:10 Puisque c'est la discipline qui sert à l'ensemble des sciences et puis même à l'ensemble de la vie quotidienne, il y en a partout, pour comprendre le monde
03:20 et puis pour pouvoir avoir des estimations très précises de comment on va prévoir. C'est une science qui permet d'anticiper et qui sert à modéliser tous les problèmes qui nous entourent.
03:34 Que ce soit la santé, l'environnement, le climat, les ressources, les téléphones portables, tout.
03:40 Est-ce que ce désamour des élèves pour les maths, il est aussi le résultat de politiques publiques qui ont été mises en place ?
03:46 Alors c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de réaction, c'est-à-dire qu'on est resté sur l'idée d'une élite très performante en mathématiques,
03:54 qui est encore le cas aujourd'hui, puisque la dernière récompense, l'équivalent du prix Nobel qui est la médaille Fils, a été attribuée à l'un de mes compatriotes cette année.
04:08 Donc on a une élite très performante et du coup on est resté sur l'idée d'un piédestal, qu'on était les meilleurs du monde en maths.
04:14 Mais ça c'était quand j'étais jeune, moi, donc c'était il y a un certain nombre d'années déjà.
04:19 Et depuis, on a dégringolé.
04:21 Et pourquoi on a dégringolé justement ?
04:23 Alors parce que justement il n'y a pas eu cette prise de conscience, ce choc PISA n'a pas eu lieu, on a des politiques publiques avec des réformes qui ont été faites sans objectifs, en fonction des besoins.
04:34 J'ai un texte d'Hubert Curien qui date des années 80, qui dit "l'avenir doit être axé sur la formation en maths et en sciences parce que notre vie va être de plus en plus technologique
04:46 et que les carrières valorisées, les carrières les mieux rémunérées sont dans les technologies, sont en lien avec les sciences".
04:53 Mais c'était en 87 et en fait il ne s'est rien passé au niveau des politiques publiques dans l'éducation.
04:58 C'est-à-dire même à la limite on a fait l'envers, on a dit "c'est trop élitiste, il faut que ça soit moins élitiste".
05:03 Et du coup au lieu d'être ambitieux pour les élèves, on a visé tout à minima dans le cursus scientifique des élèves.
05:10 Il y a justement la réforme Blanquer qui a été mise en place en 2020, qui a supprimé l'enseignement obligatoire des mathématiques.
05:17 C'est l'une des réformes qui a fait le plus de mal à la matière ?
05:20 Alors oui, je pense que cette réforme-là a été une vraie catastrophe.
05:24 Pour les maths et les sciences en particulier, pour l'ensemble de l'enseignement général je pense aussi,
05:33 on l'a vu avec les épreuves du bac absolument catastrophiques au mois de mars
05:37 que tout le monde avait décrié depuis des années dans la communauté éducative
05:40 et que enfin heureusement là on prend en compte après avoir vu les dégâts qui étaient annoncés.
05:45 Donc oui, c'est une vraie catastrophe et alors c'est une vraie catastrophe au niveau des inégalités.
05:50 De toute façon, je vous disais que l'émancipation économique, elle passe par les métiers technologiques
05:55 et l'innovation dans tout ce qui va concerner l'environnement et qui est gouverné par des études scientifiques,
06:03 même à bac +2, même des études technologiques courtes.
06:07 Et d'avoir diminué comme ça à ce point, l'effectif scientifique a fait qu'on a perdu un nombre de filles absolument invraisemblable
06:17 qui nous fait retourner 50 ans en arrière.
06:19 Alors comment on fait pour changer cela ? Il y a eu des mesures qui ont été annoncées hier.
06:23 Est-ce qu'on est sur des bonnes pistes ?
06:25 Alors je dirais que si je prends des bouts d'annonce, je vais prendre des bouts d'annonce positifs.
06:31 Mettre des maths obligatoires pour tout le monde, oui.
06:34 Maintenant dans la mise en œuvre, ça ne va pas du tout.
06:37 Pourquoi ça ne va pas du tout ?
06:38 Alors pourquoi ça ne va pas du tout ? Parce que quand on met une heure et demie de maths en plus
06:41 pour ceux qui n'ont pas accès à la spécialité maths en première,
06:44 il faut savoir que ce n'est pas une discipline de tronc commun parce qu'elle est réservée à ceux
06:48 qui ne font pas un choix de spécialité.
06:50 Donc elle est discriminante, elle va être punitive pour ceux qui n'ont pas pu accéder à cette spécialité maths
06:56 qui est considérée comme élitiste.
06:58 Une heure et demie, ça n'a jamais formé un scientifique.
07:01 Il faut être honnête, on avait trois heures de maths pour les filières économiques avant la réforme.
07:06 Une heure et demie en plus, uniquement pour ceux qui n'ont pas eu accès à cette voie scientifique,
07:13 ce n'est clairement pas suffisant.
07:15 Et puis ça ne va pas former plus de scientifiques.
07:19 Surtout, on manque de scientifiques.
07:21 On a divisé par deux notre effectif d'élève de formation scientifique,
07:25 par presque trois les filles.
07:26 On ne va ni résoudre les problèmes d'inégalité qui sont dramatiques aujourd'hui,
07:29 ni résoudre les problèmes de viviers scientifiques.
07:32 On entend souvent, moi je ne suis pas amateur, je suis plutôt un littéraire.
07:35 Est-ce que c'est vrai que notre cerveau est fait pour l'un ou l'autre ?
07:38 C'est un mythe ça ?
07:39 Ah ça c'est un mythe.
07:40 C'est un mythe et en fait les mathématiques peuvent être très liées,
07:44 elles sont aussi très liées aux sciences sociales,
07:47 puisqu'on a besoin aussi des mathématiques en sciences sociales.
07:50 Si on regarde du côté de la philosophie,
07:52 les mécanismes de raisonnement de la philosophie et des mathématiques
07:56 sont finalement relativement proches, même si on ne raisonne pas sur les mêmes objets.
08:00 Donc en fait il n'y a pas de cerveau mateux ou de cerveau littéraire.
08:05 Dernière question Mélanie Guenet.
08:07 Est-ce que la France risque de rater le train de l'intelligence artificielle,
08:10 de toutes les grandes révolutions qui nous attendent,
08:12 parce qu'on n'aura pas les cerveaux de mateux suffisamment bien formés ?
08:16 Alors je pense que c'est un vrai problème actuellement.
08:20 Les promesses de réindustrialisation du pays de France 2030
08:24 et de relever des défis pour l'avenir proche
08:30 ne seront pas accomplies actuellement,
08:34 vu l'état du système, en particulier au niveau des lycées,
08:37 qui se transmet du coup dans les études supérieures.
08:40 Merci beaucoup Mélanie Guenet d'être venue nous voir sur le plateau de Télémathans.
08:43 Merci à vous.

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