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Laurent Joffrin
journaliste
L’ancien directeur de Libération explique pourquoi il acceptait de débattre sur CNews et pourquoi il a décidé d’en partir

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Transcription
00:00 Et votre invité média, Céline Baïdar, cours et journaliste, ancien directeur du quotidien Libération.
00:04 Il a lancé au printemps dernier son premier média en ligne, baptisé "Le Journal".
00:08 On le voyait régulièrement sur le plateau de CNews pour défendre ses opinions de gauche,
00:11 mais il a décidé de ne plus y aller.
00:14 Il parle avant de dire bonjour, bonjour Laurent Geoffrin.
00:16 Bonjour mesdames.
00:17 Alors avant de vous interroger sur votre départ de CNews, où vous apparaissiez notamment dans l'émission de Pascal Praud,
00:23 expliquez-nous ce que vous y faisiez.
00:25 Vous, l'homme de gauche sur une chaîne appartenant à Vincent Bolloré avec des débats d'opinion assez marqués à droite,
00:30 pourquoi êtes-vous allé là-bas pendant deux ans ?
00:33 Parce que je pense qu'il faut débattre pied à pied, argumenter pied à pied contre l'extrême droite.
00:38 Il n'y avait pas que des gens d'extrême droite, il y en avait quand même pas mal.
00:42 Et donc à un moment donné, il faut descendre dans l'arène.
00:44 Vous avez cru les convaincre ?
00:47 Les convaincre ? Non, mais c'est les spectateurs qui comptent, c'est pas les gens qu'on a en face de soi.
00:51 Et vous étiez la caution de gauche ?
00:53 C'est toujours l'ambiguïté, évidemment.
00:55 Vous allez dans un endroit qui est plutôt d'une droite très dure, on vous dit "vous les cautionnez".
01:02 C'est vrai, mais je constatais quand même, parce que j'ai hésité évidemment...
01:07 À y aller ?
01:08 À y aller, non, parce que moi je vais partout, donc ça ne me dérange pas, mais c'est à continuer.
01:13 Mais il se trouve que c'est une émission qui a du succès,
01:16 et donc quand on se promène dans la rue, on est arrêté par des gens qui vous disent "je vous ai vu à la télé".
01:21 Vous n'allez pas chercher la gloire en faisant ça ?
01:23 Non, non, je vous explique.
01:25 Non, mais ça c'est pas le problème.
01:26 Mais simplement, les gens qui m'arrêtaient disaient "heureusement que vous êtes là",
01:29 parce que moi je suis d'accord avec vous, et j'entends des arguments qui sont les miens.
01:33 Donc il y a des gens de gauche qui regardent CNews ?
01:34 C'est ça la conclusion.
01:36 Il y en a pas mal, oui. Il y en a plus qu'on ne croit.
01:38 Mais vous savez ce que c'est, les chaînes d'info, les gens ils passent d'une chaîne à l'autre, ils appentent,
01:41 donc ils tombent toujours sur CNews d'une manière ou d'une autre.
01:43 Ça fait une partie de l'audience.
01:45 Mais une partie de ces gens souvent, ça m'a frappé, étaient des gens issus de l'immigration.
01:50 Alors que mes adversaires à CNews, évidemment ils sont contre l'immigration.
01:54 Donc les gens disaient "oui mais c'est bien qu'il y ait une contradiction".
01:59 Alors vous allez me dire "pourquoi j'ai changé d'avis ?"
02:01 Vous voulez faire les questions et les réponses ?
02:04 Non mais ça veut dire quoi ?
02:06 Que toutes les personnalités, qu'elles soient politiques, journalistiques, artistiques,
02:11 doivent aller sur ces plateaux-là ? C'est un tort de boycotter CNews ?
02:15 Je ne vais pas jouer les donneurs de leçons sur la question.
02:19 Chacun fait comme il sent et selon ses principes.
02:22 Je comprends les gens qui n'y arrivent pas, qui n'y vont pas.
02:25 Mais je vous dis, je pense qu'il faut se battre.
02:27 Et c'est toujours plus facile de discuter avec des gens bien élevés, propres sur soi, etc.
02:33 Mais quand c'est musclé comme ça, c'est plus difficile.
02:37 On ne gagne pas toujours.
02:39 Vous étiez payé sur CNews ?
02:41 On a un cachet par émission.
02:45 Intéressant.
02:46 200 euros.
02:47 Mais ça dure une heure et demie.
02:49 Quel a été le déclic ?
02:51 Je n'y allais pas pour l'argent, je vous rassure.
02:53 Quel a été le déclic ? Pourquoi vous vous y avez mis ?
02:56 Ça tient à mon itinéraire personnel.
02:59 C'est une décision un peu personnelle.
03:01 Moi j'ai dirigé des rédactions pendant 30 ans.
03:03 Celle du Nouvel Observateur et celle de Libération.
03:05 Et j'ai toujours veillé à ce que ces rédactions soient indépendantes,
03:09 notamment par rapport à l'actionnaire.
03:11 Et je n'ai pas fait que ce n'est pas seulement un état d'esprit.
03:14 J'ai contribué, je me suis mis à l'initiative de la rédaction de chartes qui n'existaient pas avant,
03:20 et à l'Obs et à l'Ibé.
03:22 Et une des clauses importantes de ces chartes, c'est que la nomination du directeur de la rédaction
03:27 est soumise à un vote de l'équipe.
03:30 Et je l'ai mis en pratique, puisque comme j'ai changé de journal,
03:35 j'ai été en quelque sorte élu cinq fois.
03:38 Donc je me suis soumis à cette règle.
03:42 Et c'est une de mes convictions profondes.
03:45 Mais chez CNU, il n'y a pas cette charte ?
03:47 Non, pas du tout.
03:48 Et vous connaissez les états de l'ensemble ?
03:50 Encore une fois, moi je vais partout, donc ce n'est pas un problème.
03:52 Mais ce qui a changé, c'est que dans l'affaire du JDD,
03:56 tous ces principes-là, qui me paraissent essentiels pour le fonctionnement de la presse
04:01 et des médias en général, ont été balayés sans aucun ménagement.
04:05 Et il y a eu effectivement un vote au JDD.
04:09 98% des journalistes ont prononcé contre le nouveau directeur.
04:15 Donc c'est exactement le contraire.
04:17 Les journalistes, on s'en fout, s'ils ne sont pas contents, ils s'en vont.
04:20 Donc ça m'a heurté, personnellement, je ne suis pas concerné,
04:23 mais ça m'a heurté par rapport à tout ce que j'avais fait pendant mon itinéraire professionnel.
04:28 Donc je me suis dit, c'est quand même difficile.
04:30 En plus, j'ai dénoncé la chose, j'ai fait des papiers dans mon journal.
04:34 Le journal.info ?
04:35 Le journal.info, que je dirige avec Jean-Paul Maré, qui est le directeur de la rédaction.
04:39 Et j'ai écrivé des papiers incendiaires contre ça.
04:44 Je me suis dit, c'est quand même difficile d'aller ensuite chez Bolloré,
04:47 dans une télé qui est sa propriété, et où il intervient.
04:50 Enfin, il intervient, il est actif en tout cas.
04:52 Mais pourquoi, Laurent Geoffray, vous n'appliquez pas la même méthode que pour CNews ?
04:55 Allez écrire dans le JDD pour défendre vos opinions de gauche, pourquoi pas ?
04:58 Non mais je vous dis, je réprouve totalement la pratique.
05:01 Là, ce n'est pas seulement une question de...
05:02 Ce n'est pas un débat idéologique, finalement.
05:04 Idéologiquement, moi, je suis favorable à débattre, encore une fois,
05:08 sans jamais rien lâcher, avec les gens de droite, d'extrême droite, etc.
05:12 Mais là, c'est une question de principe sur le fonctionnement de la rédaction.
05:17 C'est autre chose.
05:18 Ce sont des faits concrets, ce n'est pas seulement une discussion intellectuelle.
05:22 Donc là, ça m'a paru incongru.
05:24 On peut dire que c'est une bêtise, on dit ce qu'on veut.
05:27 Ce n'est pas ce que j'ai dit.
05:28 Non, pas du tout.
05:29 Il y a des gens qui m'ont dit "tu devrais continuer, il faut porter la contradiction",
05:32 y compris des gens de gauche qui m'ont dit ça.
05:34 Et ils m'ont dit "il faut continuer à se battre".
05:37 Mais le fait que ça devienne un journal de droite, le journal du dimanche, c'est grave ou pas ?
05:41 Parce qu'il y a bien des journaux de gauche, c'est bien, c'est chic,
05:43 et à droite, c'est un peu plus problématique.
05:44 Ce qui est grave, c'est que c'était un...
05:46 Ma philosophie là-dessus, c'est que les journaux qui sont installés deviennent des petites institutions démocratiques.
05:53 Donc si le capitalisme, par des raids financiers, s'approprie ces journaux qui jouent un certain rôle,
06:01 j'ai dit "c'est pas un journal de gauche", donc je ne défends pas mes idées de gauche,
06:05 mais si le capital financier progressivement mange tous les journaux existants, c'est très dangereux.
06:11 Que ce soit au service de l'extrême droite ou d'autres choses.
06:13 Mais votre média en ligne, le journal.info, c'est un média de gauche ?
06:16 Oui.
06:17 Mille ans ?
06:18 Comment ? C'est un journal d'opinion, oui absolument.
06:21 C'est un journal qui défend les idées de ce que j'appelle une gauche des lumières.
06:25 Parce que la gauche, à mon sens, s'est égarée dans l'irrationnel et l'outrance, notamment à cause de LFI,
06:30 et donc je pense qu'il faut réévaluer au jour le jour, dans le commentaire de l'actualité,
06:36 les conceptions d'une gauche plus rationnelle, qui croit à la raison, à la République, au progrès, à toutes ces choses.
06:42 Dont on dit qu'elles sont parfois désuètes.
06:45 Et ce en quoi on se trompe totalement, puisque c'est l'avenir de notre pays.
06:50 Et vous en êtes à combien d'abonnés ?
06:52 Alors on a 15 000 abonnés à peu près quand même, c'est pas mal.
06:54 C'est pas mal ? C'est rentable ?
06:56 C'est petit. Ah non mais c'est pas une entreprise commerciale, c'est un journal qui est possédé par une association.
07:01 Les journalistes sont bénévoles ?
07:04 La plupart sont bénévoles. Mais il y a des bons journalistes.
07:07 Jean-Paul Marais, il était prêt à la maire à Londres. C'est pas mal.
07:10 Vous avez Sandrine Treynère, vous connaissez dans cette maison.
07:13 L'ancienne directrice de France Quart.
07:15 Qui connaît bien la culture. Gilles Bridier, qui connaît très bien l'économie.
07:18 Valérie Lecable, qui est une très bonne journaliste politique et économique.
07:21 Donc voilà, il y a des gens de qualité.
07:23 Mais ce sont des gens qui sont convaincus par nos idées. Donc ils nous aident.
07:26 Et il y a vous à sa tête, Laurent Joffrain. Merci d'être venu sur France 5 Fours.
07:29 Je vous en prie.
07:30 On découvre le journal.
07:31 Ah oui, je voulais vous dire une chose.
07:32 Rapidement.
07:33 C'est que nous allons faire une édition du dimanche.
07:35 Vous aussi.
07:36 Et voilà. Parce qu'il n'y a pas de voix de gauche le dimanche.
07:38 Donc ça s'appellera lejournal.info du dimanche.
07:42 Merci beaucoup Laurent Joffrain.
07:43 Ce sera mal non ?

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