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À 8h20, un Grand Entretien dédié à l'Iran, un an après la mort de Mahsa Amini et les manifestations qui ont suivi. Les actrices Golshifteh Farahani et Mina Kavani, l'avocate Chirinne Ardakani et le politologue Farid Vahid seront les invités de Léa Salamé et Nicolas Demorand. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-14-septembre-2023-1292741

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00:00 C'est une journée spéciale sur Inter, un an après la mort de Marsa Amini.
00:04 Où en est le mouvement Femmes, Vies, Libertés en Iran ? Où sont ces femmes qui osèrent
00:09 défier le régime et osèrent défier les têtes nues sans voile dans les rues iraniennes ?
00:14 Le pouvoir des mollas est-il affaibli ou a-t-il repris la main ? Pour en parler, Léa, nos
00:19 invités ce matin…
00:20 Et d'abord, deux actrices magnifiques, porte-voix des Iraniennes ici en France et dans le monde,
00:26 Golshifteh Farahani.
00:27 Farahani, bonjour.
00:28 Bonjour.
00:29 Merci d'être avec nous ce matin, vous avez pris l'avion de Rome pour être là, vous
00:31 teniez à être là ce matin sur Inter et à Paris pour parler de cette révolte un
00:38 an après.
00:39 Mina Kavani, bonjour.
00:40 Bonjour.
00:41 Vous êtes actrice et comédienne iranienne, vous êtes exilée en France depuis une dizaine
00:44 d'années.
00:45 Mais nous sommes également avec Farid Wahid, vous êtes politologue iranien à la Fondation
00:49 Jean Jaurès notamment.
00:50 Bonjour.
00:51 Bonjour.
00:52 Et vous êtes le co-auteur avec Marjan Satrapi du roman graphique Femmes, Vies, Libertés
00:55 publié à l'Iconoclast.
00:56 Et enfin, Sherin Ardakani, vous êtes avocate franco-iranienne, vous êtes engagée dans
01:01 le collectif Iran Justice qui est constitué de 16 avocats et vous recensez depuis des
01:05 mois les exactions du régime de Téhéran.
01:08 Vous déposerez plainte aujourd'hui auprès du procureur de la République de Paris contre
01:11 trois dignitaires iraniens pour menaces de mort et apologie du terrorisme.
01:15 Merci à tous les quatre d'être ici ce matin.
01:17 Et avant de vous donner la parole, on voulait vous faire entendre ou réentendre le témoignage
01:22 bouleversant de Roya Pirae, cette jeune femme de 25 ans qu'on avait interviewée avec Léa
01:28 lors d'une matinale spéciale sur le mouvement Femmes, Vies, Libertés.
01:32 Elle arrivait tout juste d'Iran.
01:35 Sa mère venait d'être assassinée pour avoir manifesté.
01:39 Ils ont tué ma mère.
01:42 Elle ne faisait que participer à une manifestation.
01:47 C'était une manifestation pacifique.
01:50 Le médecin légiste a dit par la suite qu'il avait retrouvé 167 balles dans son corps.
02:03 J'étais en colère plus qu'en deuil.
02:10 Alors j'ai pris des ciseaux et j'ai commencé à me couper les cheveux.
02:16 C'est quelque chose qui venait vraiment du très fond de moi-même.
02:23 La photo de Roya Pirae, de cette jeune fille qui nous a bouleversé, crâne rasée, a fait
02:27 le tour du monde et l'a contraint à l'exil.
02:30 Un an après la mort de Masabini, que reste-t-il du mouvement Femmes, Vies, Libertés ?
02:34 Quel mot employez-vous ce matin pour qualifier son état, son intensité ?
02:39 Golshifteh Faragni.
02:41 Je peux dire que c'est une colère canalisée.
02:44 Des fois, la colère peut retourner dans quelque chose qui ne construit rien.
02:48 Comme on voit dans le monde, c'est le colère qui se gâchit, c'est comme les inondations.
02:54 Des fois, la colère qui se passe en Iran, c'est une colère qui construit, qui est
03:00 canalisée.
03:01 Les gens savent exactement ce qu'il faut faire avec cette rage pour ne pas gâchir
03:07 l'énergie de la rage.
03:08 Moi, je crois à cette désobéissance civile qui se passe en Iran.
03:13 Humilier le pouvoir, qui est vraiment la pire chose qu'on peut faire d'un pouvoir, pour
03:18 quelque chose pour lequel on peut mourir.
03:20 Les femmes qui enlèvent leur hijab, leur voile.
03:24 Et ça continue, elles continuent de l'enlever ?
03:26 Bien sûr, c'est ce que j'entends tout le temps.
03:28 Ça continue.
03:29 Ça veut dire que, imaginez qu'on meurt pour quelque chose ici ou dans l'Occident, et les
03:34 gens continuent à faire ça juste pour s'exprimer leur colère.
03:40 Farid Vahid, la jeunesse reste mobilisée, la révolte bat encore.
03:44 J'allais dire aussi, espoir, malgré tout, ça ne peut pas être paradoxal, mais comme
03:50 disait Goldshifter, humilier le régime.
03:52 Je pense à la journaliste Noizila Mahroufian, c'est une journaliste iranienne qui a été
03:56 arrêtée quatre fois en moins d'une année.
03:58 A chaque fois après sa libération, elle publie une photo d'elle sur les réseaux sociaux
04:01 sans voile.
04:02 Ça c'est humilier le régime, ça c'est montrer que les Iraniens ne veulent plus céder.
04:05 La question du voile n'est pas symbolique.
04:07 La question du voile c'est aussi vouloir cacher la femme depuis quatre décennies.
04:11 Et les Iraniens, aujourd'hui, réclament la liberté et la séparation de la religion
04:14 et de la politique.
04:15 Vous vous dites espoir, Goldshifter parlait de colère.
04:17 Vous, chérie Narda Kani, quel mot vous employez ce matin, un an après ?
04:21 Moi je dirais détermination.
04:23 Et il n'y a pas que moi qui le dit.
04:28 La couverture du Monde de samedi, c'était quatre lettres de prisonnière politique qui
04:32 depuis la prison des Vines nous donnaient leur message d'espoir.
04:36 Elle disait on est déterminé, on ira jusqu'au bout.
04:38 Et Cepi De Gollian, cette journaliste qui a été incarcérée pour avoir couvert en
04:43 réalité les mobilisations sociales, disait le régime iranien sait qu'au bout il y
04:48 a la démocratie et on fera tout ce qu'il faut, y compris au péril de nos vies.
04:52 Et vous, Mina Kavani, comment décririez-vous l'état du mouvement aujourd'hui, un an
04:59 après ?
05:00 Moi c'est vraiment l'image que j'ai tout le temps devant mes yeux.
05:04 Je dis toujours c'est comme de l'eau qui est débordée et que ça ne peut plus rentrer
05:09 en fait dedans.
05:10 Donc je dirais irréversible.
05:12 J'ai l'impression qu'on a commencé un mouvement qu'on ne peut plus aller en arrière.
05:19 Et comme disait Goldschiff tout à l'heure, j'ai l'impression que maintenant les jeunes,
05:25 les gens, ils n'ont plus peur.
05:27 Et que j'entends de plus en plus que les gens marchent dans les rues de Téhéran sans
05:31 voile et que…
05:33 Qu'ils n'ont plus peur ?
05:36 Qu'ils n'ont plus peur.
05:37 Donc en fait ça continue à bas bruit, ça ne fait plus les titres des journaux comme
05:42 avant ou pendant trois mois.
05:44 C'était en tête de tous les journaux du monde entier d'ailleurs.
05:49 Mais ça continue.
05:50 Elles continuent à enlever leur voile les unes après les autres.
05:52 C'est ce que vous avez, vous comme école, et toutes ici.
05:55 Oui, oui.
05:56 De toute façon je pars tout le temps avec une partie de ma famille qui sont à Téhéran.
06:02 Et en fait ils me disent que les gens, surtout évidemment les jeunes, ils continuent à
06:09 marcher sans voile.
06:11 Et en fait même des fois ils se battent avec les gardiens de la révolution.
06:14 Et je trouve ça extraordinaire.
06:16 Farid Vahid vous dit dans le roman graphique « Jamais la République islamique ne lâchera
06:21 de l'est sur la question du voile ». Le voile c'est l'ADN de ce régime depuis
06:26 le début.
06:27 C'est son étendard, sa boussole, son compas, son guidon, son GPS, son mur de Berlin.
06:34 Jamais il ne lâchera ? Jamais ?
06:36 Le régime ne lâchera jamais sur le voile.
06:39 Ce n'est pas qu'un symbole le voile, il faut comprendre que c'est aussi leur moyen
06:43 de montrer dans l'espace public qu'ils contrôlent la société, à travers la femme,
06:47 qu'ils contrôlent toute la société.
06:48 Aujourd'hui, c'est pour ça qu'on a beaucoup d'espoir, parce qu'on voit cette maturité
06:51 de la jeunesse et de la société iranienne, et même des hommes, qui ont compris qu'une
06:55 société ne peut pas être libre tant que ses femmes ne sont pas libres.
06:57 Et je rejoins Minan, moi aussi j'ai de plus en plus de gens qui nous disent qu'à Téhéran,
07:02 malgré les risques, parce que les risques sont réels, elles peuvent se faire arrêter,
07:04 elles peuvent se faire agresser, violer en prison, mais de plus en plus de femmes refusent
07:08 de porter le voile, précisément pour cette question-là, parce que la République islamique
07:12 aujourd'hui est rejetée dans son ensemble par les iraniennes.
07:15 Et pour répondre aussi à votre question sur les médias, je pense qu'on ne doit pas
07:18 avoir non plus cette obsession, parfois peut-être les médias en Occident, sur les manifestations,
07:23 et avoir le sentiment que s'il n'y a plus de manifestations en Iran, il ne se fasse
07:26 plus rien.
07:27 Ce n'est pas vrai, en fait c'est tout un mouvement de fond, c'est un long processus,
07:29 la société iranienne est en très très rapide évolution, vers le progrès, mais
07:33 aussi vers la sécularisation.
07:34 C'est une société aujourd'hui qui est très séculaire, la jeunesse iranienne est
07:37 très séculaire.
07:38 Il n'est pas trop optimiste Farid Wahid, Golshifteh Farhani, quand il dit que la haine
07:44 du régime est partagée par quasiment toute la population, ce n'est pas tout à fait
07:48 vrai, non ?
07:49 Non, je crois que ce qui est vrai, c'est que oui, il y a une partie de la population
07:54 qui aime ce régime dans l'Iran, on ne peut pas l'ignorer ça.
07:59 Mais en même temps, c'est la majorité qui est très en colère, très mécontent,
08:03 crise économique, c'est pas seulement… bon, les gens en Iran disent que le problème
08:06 c'est pas seulement voile, mais la base, la fondation du gouvernement islamique, c'est
08:12 basé sur l'oppression sur les femmes.
08:14 Si ça, ça expose, tout va s'exposer.
08:16 C'est pour ça qu'on ne peut pas attaquer la pauvreté, on ne peut pas attaquer beaucoup
08:20 d'autres choses, mais l'histoire de la voile, c'est quelque chose qu'on peut
08:25 continuer à l'attaquer pour faire détruire la base de ce système.
08:29 Vous parlez de la crise économique qui est immense en Iran, parce qu'ici on parle de
08:35 6% d'inflation, là-bas l'inflation atteint 47% en août, elle atteignait 47% sur un an.
08:40 C'est la vraie pauvreté, les gens ne savent pas comment payer de quoi manger, vraiment
08:44 littéralement, c'est une crise économique qui dure depuis des années mais qui a pris
08:50 une ampleur jamais atteinte ces derniers mois.
08:53 Est-ce que la crise économique n'a pas éclipsé la question du voile ?
08:56 Alors, moi je crois que ce qui s'est passé c'est qu'il y a eu des répressions massives
09:01 d'un certain nombre de mouvements, par exemple les mouvements sociaux, on a eu des grévistes,
09:05 on a eu un certain nombre de retraités qui se sont mis en grève pour demander l'augmentation
09:09 de leurs pensions.
09:10 Et ce qui s'est passé c'est que le régime a réprimé dans la violence.
09:14 Aujourd'hui, il n'y a plus, d'ailleurs en Iran il n'y a jamais eu de syndicat parce
09:17 qu'il faut savoir qu'il n'y a pas de liberté d'association.
09:20 Donc finalement pour pouvoir se mobiliser dans une société où en fait vous n'avez
09:23 pas le droit de faire de revendications sociales, c'est effectivement très compliqué.
09:28 Et après effectivement, là l'enjeu ça va être de savoir si toutes ces luttes, si
09:33 toutes ces colères vont pouvoir s'agréger pour transformer cela en mouvement mobilisateur.
09:39 Il faut dire aussi qu'il y a Saoudi Arabie qui est venue et elle a foutu un peu la merde
09:43 dans le mouvement crise économique qui était injecté de l'argent dans le système parce
09:48 que à la fin cette crise économique ça va exposer.
09:52 Qu'est-ce qu'elle a fait l'Arabie Saoudite ?
09:54 Bon, ils sont venus, je ne sais pas, après autant d'années qu'ils étaient l'ennemi,
10:02 d'un coup ils sont devenus amis.
10:03 On se demande qu'est-ce qui se passe vraiment dans le pays.
10:06 Ils ont injecté de l'argent pour aider le régime des voleurs ?
10:09 Alors même qu'on rappelle pour ceux qui nous écoutent qu'effectivement il y a une
10:13 guerre qui date depuis des dizaines d'années entre les chiites, les iraniens et les chiites.
10:17 Ils ont changé les noms de certaines rues à Teheran.
10:20 Vous voulez dire un mot sur ce sujet Shirin Ardakani ?
10:24 Oui, un mot.
10:25 Je rappelle que vous êtes avocate.
10:26 Oui tout à fait, là où Goldschifter a raison c'est qu'il y a une exceptionnelle
10:30 opération de normalisation du régime à l'égard d'alliés qui en fait jadis étaient
10:35 des ennemis il n'y a pas si longtemps, par exemple l'Arabie Saoudite, parce qu'en
10:37 réalité ce système qui est la République Islamique est un système aussi népotique
10:41 avec la clé de voûte, c'est les gardiens de la Révolution et qu'ils avaient besoin
10:45 de cash après tant de temps.
10:48 D'ailleurs la politique des otages qui est véritablement des rançons sur la vie humaine
10:52 ont permis, les récentes libérations, ont permis effectivement de remettre à flot
10:57 le système de la République Islamique et on sait que cet argent va ensuite être déployé
11:02 pour la répression, pour acheter des armes, pour équiper les basijis, pour aller ensuite
11:09 frapper les manifestants.
11:10 Farid Wahid, comme politologue, est-ce que vous pensez que le régime maintient aussi
11:14 une forme de précarité économique pour "tenir" la population ?
11:19 Je ne pense pas.
11:21 Le régime, il faut savoir, c'est un régime islamique d'Iran, c'est un régime très
11:24 mafieux de ce côté-là, ça ressemble beaucoup au régime russe.
11:27 Vous avez des oligarques, c'est aussi grâce à eux que le système tient.
11:30 Quand vous parliez des partisans de la République Islamique, c'est aussi ces gens qui ont des
11:33 intérêts économiques majeurs liés à la République Islamique, qui n'auraient jamais
11:37 pu s'enrichir de cette manière dans une démocratie.
11:39 Et qui ont tout intérêt à ce que ça continue comme ça.
11:42 Bien évidemment, et aujourd'hui, pour le dire de manière synthétique, les pauvres
11:44 sont en train de mourir de faim, la classe moyenne est en train de disparaître, ce qui
11:48 est une énorme tristesse en Iran, et ceux qui sont proches du régime sont en train
11:51 de s'enrichir sur le dos des Iraniens.
11:53 Donc aussi un autre point qui a pu agacer des Iraniens, c'est aussi de voir parfois
11:58 malheureusement que ces enfants d'oligarques peuvent venir à Saint-Tropez ou à Ibiza
12:03 faire la fête, tandis que des militants peuvent avoir du mal à venir échanger avec nous.
12:06 Donc voilà, la situation économique, effectivement, reste la première priorité.
12:10 Le PIB a baissé de 60% en 10 ans, un Iranien sur 3 est sous le seuil de la pauvreté, et
12:15 le chômage des jeunes n'est même plus comptabilisé tellement il est immense.
12:18 C'est ce qui est catastrophique et tragique pour les Iraniens.
12:20 Les Iraniens, il faut savoir pour eux, leur pays, ce qui est la vérité, est un pays
12:23 très riche.
12:24 Ce n'est pas juste une question de pétrole et de gaz.
12:25 La société iranienne est la première richesse du pays.
12:28 L'Iran est un pays riche, mais aujourd'hui les Iraniens sont pauvres.
12:30 Et ça, c'est de la faute de la République islamique, après 4 décennies de corruption,
12:34 d'incompétence, et aussi toutes ces élites du pays qui ont fui le pays, qui sont maintenant
12:38 aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde.
12:39 Mina Kavani, sur la misère, sur la crise économique.
12:42 Je ne suis pas experte dans ça comme il me fallait, je ne peux pas vous répondre précisément
12:51 là-dessus.
12:52 La seule chose que je peux vous dire, c'est sur tout ce que j'entends dans ma vie quotidienne.
12:57 Ma mère…
12:58 Qu'est-ce qu'elle vous dit votre mère ? Racontez-nous par exemple comment c'est
13:02 la vie au quotidien quand on a une inflation de 50% ?
13:05 Ça fait partie de leur dialogue quotidien.
13:08 Ils achètent de la viande et c'est plus possible d'acheter de la viande.
13:13 Vraiment, j'entends des dialogues banals, même sur les trucs basiques.
13:19 Du pain, c'est très cher, il n'y a plus de…
13:23 Des pêches, mais on ne peut pas acheter des pêches, des fruits qui viennent d'Iran.
13:29 Oui, oui, en fait, ça vous paraît banal, mais en fait, je vois que les gens dans leur
13:34 vie quotidienne, ils se battent pour avoir une vie…
13:39 Ça, c'est la classe moyenne, ça c'est mes parents, les parents dominants, ça c'était
13:45 la classe moyenne.
13:46 Ce qui n'existe plus aujourd'hui.
13:47 La classe moyenne, c'est totalement appauvri.
13:49 On peut dire qu'on est des privilégiés.
13:51 Vous êtes des privilégiés parce que vous envoyez de l'argent.
13:54 Typiquement, il y a certains qui n'ont pas la diaspora pour les aider.
13:57 Oui et non, en fait, même par exemple ma famille, c'est une famille privilégiée
14:01 je peux dire en Iran, mais même eux, ils sont en train de vraiment souffrir.
14:04 C'est-à-dire par exemple, acheter un billet d'avion pour venir à l'étranger, c'est
14:08 un truc extrêmement luxe aujourd'hui en Iran.
14:12 Shirin Ardakani, avocate, vous vous battez au sein d'un collectif d'avocats bénévoles,
14:18 Iran Justice, pour qu'un jour, les responsables du régime soient traduits devant la justice.
14:23 Aujourd'hui, Léa le disait, vous déposez plainte auprès du procureur de la République
14:28 à Paris contre trois dignitaires iraniens pour menace de mort et apologie du terrorisme.
14:33 Expliquez-nous, pourquoi cette plainte ? Qui vise-t-elle ? Qu'en attendez-vous ?
14:38 Écoutez, ce qui est important avec cette plainte, c'était de se défendre.
14:42 Vous l'avez dit tout à l'heure, la diaspora est très mobilisée depuis des semaines.
14:46 Partout en Europe, il y a des manifestations de soutien, il y a des gens qui vont apparaître
14:50 sur les écrans de télévision pour condamner et dire que la République islamique est comptable
14:55 des morts dans le cadre de ce mouvement.
14:57 Et en fait, ce qu'on voit, c'est qu'en réaction, un certain nombre de dignitaires
15:01 ont terrorisé la diaspora depuis les agences de presse gouvernementales propagandistes
15:06 en envoyant des messages de mort.
15:08 Nous, c'est ce qu'on appelle des fatwas.
15:10 La même d'ailleurs qu'avait lancée l'ayatollah Khomeini sur Salman Rushdie.
15:14 On a vu qu'elle a été d'ailleurs mise à exécution.
15:16 Et l'idée avec cette plainte, c'est de dire, nous, la diaspora, nous n'avons pas
15:20 peur et vous ne parviendrez pas à nous terroriser.
15:23 Il y a combien de fatwas qui ont été envoyés ?
15:24 Alors, si vous voulez, le problème, c'est que la fatwa, c'est un décret coranique.
15:28 Il y a des fatwas qui sont des fatwas et il y a des fatwas qui sont implicites.
15:32 Par exemple, le général Salami, qui est le commandant des gardiens de la Révolution,
15:36 dans une déclaration à la suite des publications de Charlie Hebdo, avait dit dans les médias
15:40 iraniens, vous les journalistes et vous les français, vous vous êtes moqués de nous,
15:45 et bien la main de Dieu viendra s'abattre sur vous.
15:48 Et nous, en définitive, ce qu'on dit avec cette plainte, c'est, nous n'acceptons
15:51 pas ici de se faire menacer par des dignitaires dont on sait qu'un jour, ils pourraient
15:56 mettre leur menace à exécution.
15:57 Farid Vahid ?
15:58 Ça fait partie de la stratégie globale du régime, vous savez, d'instaurer un régime
16:01 de terreur.
16:02 Ils savent qu'ils ont très peu de partisans.
16:03 Donc un régime de terreur, ça passe par les viols en prison, c'est les empoisonnements
16:07 des jeunes filles, c'est les exécutions du cambriolage.
16:10 Les empoisonnements, vous pouvez raconter à nos auditeurs ce qui se passe, ce qui s'est
16:14 passé encore récemment dans 200 écoles à travers le pays où les jeunes filles ont
16:17 été empoisonnées ?
16:18 Ça fait plusieurs mois qu'on voit des jeunes filles dans des écoles un peu partout dans
16:21 le pays qui ont des problèmes de respiration, qui sont empoisonnées.
16:24 Et en fait, nous on pense…
16:25 Et gaz toxiques, c'est ça ?
16:27 Très certainement.
16:28 Et d'ailleurs, ça a commencé dans les villes les plus conservatrices d'Iran.
16:30 Ça montre que ça doit être très probablement des groupuscules extrémistes islamistes qui
16:34 veulent se venger des filles.
16:36 Mais c'est aussi pour instaurer ce régime de terreur.
16:38 Comme ça, les parents vont dire à leurs filles, quand tu vas à l'école, porte
16:41 ton voile, ne défie pas le régime.
16:43 En fait, toute l'idée du régime, c'est une guerre psychologique.
16:45 On a une autre séquence dans notre livre sur ça aussi.
16:47 C'est instaurer la peur.
16:48 Et quand ce n'est pas la fille ou le jeune qui a peur, de faire peur à ses parents
16:52 pour que la peur soit…
16:53 Mais est-ce que ça marche quand ils envoient du gaz toxique ?
16:55 Non, vous dites non tout ?
16:56 C'est dangereux, c'est dangereux pour les filles.
16:58 Bien sûr que ça…
16:59 Oui, mais est-ce que ça crée la peur qu'ils veulent créer ?
17:01 Est-ce que ça marche ?
17:02 On a tous peur, en même temps pas peur.
17:04 En fait, on ne va pas vous dire quoi…
17:05 Les iraniens, vous avez peur dans une dictature.
17:08 C'est impossible de dire qu'on n'a pas peur.
17:09 La peur, ça fait partie de nous.
17:10 De nos quotidiennes.
17:11 En fait, ça ne change pas.
17:13 Le résultat, c'est que cette terreur sur les artistes, à Idjoussaï, il y a beaucoup
17:17 de gens qui l'envoient, les artistes, l'art, culture.
17:20 Le régime a très très peur de l'art et culture en Iran.
17:24 Les universités aussi.
17:25 Vraiment.
17:26 Et moi, je crois qu'il n'y a rien qui évapore.
17:30 C'est juste que ça change.
17:31 L'énergie change.
17:32 Chirine Ardakani ?
17:33 Sur la peur, je crois qu'il y a un élément aussi peut-être générationnel.
17:37 Moi, je vais prendre un exemple personnel.
17:38 Quand j'ai commencé à m'engager pour l'Iran, mes parents m'ont dit "attention, tu ne vas
17:43 pas en sortir indemne".
17:44 Et eux ont vécu un traumatisme par rapport à la République islamique.
17:48 Et je crois que les jeunes iraniens aujourd'hui disent "mais nous, en fait, on n'a plus peur".
17:52 Parce qu'en fait, on n'a pas d'horizon.
17:53 Donc de toute façon, on est obligé d'aller dans la rue.
17:55 Parce que ce régime ne nous propose rien.
17:57 Donc le mur de la peur, chez les jeunes en tout cas, est tombé.
18:01 Est-ce qu'on sait, on avait parlé en février, les ONG avaient parlé de 20 000 personnes
18:04 qui ont été emprisonnées dans la fameuse et triste, tristement célèbre prison des
18:08 villes.
18:09 Est-ce qu'on sait combien il y en a aujourd'hui ?
18:11 Des femmes, combien il y en a ? Est-ce qu'on a de leurs nouvelles ?
18:16 Est-ce qu'elles sont torturées ?
18:17 Est-ce que vous pouvez nous faire un point de ce qu'on sait ?
18:19 En fait, il serait complètement illusoire de vous dire que les décomptes sont exhaustifs.
18:23 Il n'y a pas de liberté de presse en Iran.
18:25 Les avocats sont enfermés.
18:27 Les journalistes sont incarcérés.
18:28 Les seules choses qu'on peut récolter, c'est effectivement ce que font les ONG de la société
18:32 civile, nous envoient les informations.
18:34 Ce qu'on sait, c'est qu'il y a des milliers d'arrestations et on sait qu'à l'approche
18:38 de la date anniversaire de la mort de Marsha Amini, tous les corps sociaux ont été massivement
18:44 détenus.
18:45 Par contre, ce qui est certain, c'est que les prisons deviennent un espace de lutte.
18:48 Et les prisonnières politiques, par exemple des vines, Léa Salamé, je sais que vous
18:51 aimez bien parler de femmes puissantes, il y a des femmes puissantes dans la prison des
18:56 vines.
18:57 Pourquoi ? Parce qu'en réalité, il y a un certain nombre de militantes contre l'abolition
19:00 par exemple de la peine de mort.
19:01 On a des militantes écologistes qui nous parlent de la criminalisation aussi du mouvement
19:05 écologiste.
19:06 Toutes ces femmes se retrouvent ensemble dans la même cellule, des cellules de 40.
19:10 Et elles continuent à lutter à l'intérieur.
19:11 Et qui continuent à lutter à l'intérieur.
19:13 Pourquoi ? Parce qu'au péril de leur vie, elles nous font parvenir des messages qu'on
19:17 publie.
19:18 Et par exemple, Narges Mohammadi, cette militante politique, elle va continuer de dénoncer
19:25 les viols en détention de ses co-détenus.
19:27 Parce que ça continue les viols en prison.
19:29 Et elle a juste envoyé une lettre il y a trois jours, justement, qu'elle a été abattue
19:33 dans la prison.
19:34 Narges Mohammadi.
19:35 Elle a été battue ? Elle a été battue, oui.
19:38 Parce qu'elle n'a pas porté son voile.
19:40 Parce qu'il y avait une autre femme dans la prison qui était allée à l'hôpital.
19:45 Et elle voyait qu'ils étaient en train de torturer la femme.
19:48 Elle a enlevé son voile.
19:49 Et voilà, elle a été abattue.
19:51 On va passer au Standard Inter.
19:52 Gérard nous y attend.
19:54 Bonjour, bienvenue.
19:55 Bonjour à tous.
19:56 J'espère que la note d'optimisme qui a été prononcée par certains de vos interlocuteurs
20:04 est réelle et qu'on a peut-être l'espoir de voir évoluer positivement le mouvement
20:10 qui se déroule en Iran au profit de la liberté des femmes.
20:13 J'aurais voulu savoir comment nous, en Occident, j'entends en France et dans tous les pays
20:18 occidentaux, on pourrait susciter plus d'intérêt pour ce mouvement ? Voir comment on pourrait
20:25 les soutenir, soit à travers des actions envers nos gouvernements qui ont l'air très
20:28 modérées en l'occurrence, soit des mouvements citoyens qui permettent un petit peu de développer
20:35 ces mouvements ?
20:36 Merci Gérard pour cette question du soutien possible des pays occidentaux, des opinions
20:43 publiques, des citoyens.
20:44 Qui veut y répondre ? Farid Vahid pour commencer.
20:49 Je pense déjà le fait d'en parler, la mission de ce matin.
20:52 Les Iraniens prennent beaucoup de risques à nous envoyer les images.
20:56 Déjà de diffuser les images, sensibiliser les opinions publiques.
21:00 Moi je pense que le fait qu'on en a tellement parlé du mouvement Femmes et Libertés, les
21:03 réseaux sociaux ont fait aussi que les années 80, vous savez, ils avaient exécuté des
21:06 milliers de personnes dans les prisons.
21:07 Aujourd'hui, c'est…
21:08 Ils n'arrivent pas à exécuter parce que ça se sème maintenant grâce aux réseaux
21:12 sociaux.
21:13 Exactement, donc il faut informer.
21:14 Après sur les gouvernements, on peut prendre aussi d'autres actions, notamment sur certains
21:19 dignitaires du régime ou sur nos compatriotes par exemple qui sont emprisonnés en Iran,
21:23 il ne faut pas les oublier aussi.
21:24 Est-ce que la communauté internationale fait assez ? C'était la question des auditeurs
21:29 avec toujours ce piège qui est si elle fait trop, on parle d'ingérence, si elle ne fait
21:32 pas assez, on parle d'indifférence alors.
21:34 Moi je trouve qu'il faut d'abord oublier ce modèle de manifestation parce qu'il
21:38 n'y a pas de manifestation, il n'y a rien qui se passe.
21:41 Je crois qu'à la fin, l'Occident, l'Iran c'est un pays qui… le régime a très peur
21:49 de son image.
21:50 Il veut toujours garder son image, propagande.
21:53 Là c'est moyen l'image depuis un moment.
21:56 Oui mais encore, encore.
21:57 Quand on voit les gens qui s'assoient avec les hommes politiques d'Iran, ça c'est
22:01 déjà on donne un peu de valeur.
22:03 Il ne faut pas s'asseoir avec les gens d'Iran, il faut les isoler, il faut arrêter
22:08 de s'asseoir avec eux justement.
22:10 Chérie Narda Kanini ?
22:11 Oui, moi je crois qu'en fait ce que dit Goldshifter, je suis tout à fait d'accord,
22:14 c'est qu'on donne des gages aussi.
22:15 Dans quelques jours par exemple, le président iranien va aller à l'ONU et il va prendre
22:19 la tête du forum social des droits humains de l'ONU.
22:22 Et ça c'est complètement irréaliste pour nous.
22:24 C'est dire quel est le message politique aussi qu'on donne.
22:26 Où est l'opposition ? Vous êtes exilés en France, vous faites partie de ce qu'on
22:32 appelle la diaspora iranienne.
22:34 L'opposition iranienne en exil a tenté de s'unir autour du soulèvement, au nez
22:40 de la mort de Marsa Amini il y a un an.
22:42 Mais ça ne marche pas.
22:43 Qu'est-ce qui ne marche pas ?
22:44 La coalition qui s'était formée n'a pas réussi à dépasser cette divergence.
22:50 Je ne dirais pas que ça ne marche pas.
22:52 Je pense que c'est très complexe.
22:53 Il y a des oppositions.
22:54 La principale opposition iranienne est à l'intérieur de l'Iran, elle est à la
22:58 prison des vines.
22:59 Donc il ne faut pas oublier, nous sommes les porte-voix de l'opposition iranienne
23:01 qui est à l'intérieur du pays.
23:02 Et la diaspora iranienne, sa responsabilité c'est d'informer, de sensibiliser les
23:07 gouvernements, les opinions publiques.
23:09 Donc je pense que sur ce volet-là, la diaspora iranienne, pour la première fois, on peut
23:12 dire qu'il y a une très grande solidarité.
23:15 Et le régime a toujours essayé de créer une dualité entre les iraniens de l'extérieur
23:19 et les iraniens de l'intérieur.
23:20 Ce qui n'existe plus aujourd'hui, surtout ma génération.
23:22 Après voilà, il y a toujours un travail à faire pour proposer quelque chose d'encore
23:26 plus concret.
23:27 Golshis Tehfani, vous disiez il y a quelques mois sur notre micro, il n'y a pas de guide
23:31 ou de syndicat en Iran pour incarner ce mouvement-là.
23:34 Tout a été détruit par le parti islamique.
23:36 Nous n'avons pas quelqu'un comme un Che Guevara qui guide cette révolution.
23:39 Et ça c'est vrai.
23:40 Il n'y a pas une incarnation forte.
23:41 En fait, exactement ce qu'il dit Farid, c'est juste que il n'y a pas une opposition politique
23:49 en dehors d'Iran.
23:50 Ça n'existe pas.
23:51 Même en Iran, tout ce qui a existé s'est tué sur place.
23:54 Ça veut dire qu'on ne peut pas aller trouver quelqu'un.
23:56 Comme Rasem Lou.
23:57 On avait des gens qui le régime, ils l'ont bien tué.
24:00 Là, l'opposition, c'est une énergie collective dans les prisons, dans la jeunesse.
24:06 On n'a pas les… En fait, coalition, c'est les partis politiques.
24:10 On n'a pas ça en vrai.
24:11 Ça n'existe pas.
24:12 Chirine Ardakani sur la question de l'opposition.
24:15 Je suis tout à fait d'accord avec ce qui est dit.
24:17 Mais par contre, il y a un mouvement de la société civile.
24:19 C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'incarnation politique.
24:21 Mais en revanche, on a des mouvements.
24:22 On a des mouvements féministes d'ailleurs d'une grande sophistication.
24:25 On a des mouvements globalement sociaux.
24:27 Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de parti pour pouvoir accueillir cela.
24:30 Et moi, là où je suis d'accord, c'est que l'opposition iranienne à l'étranger
24:34 souvent est apparue de l'intérieur comme étant déconnectée en réalité de ce qui
24:38 se passait vraiment.
24:39 Et je pense que ça, ça a été un élément de faiblesse.
24:41 Mina Kavani, un dernier mot ?
24:44 Moi, je pense que le fait qu'on n'a pas un guide qui dirige la révolution, c'est
24:49 quelque part positif.
24:51 Parce que du coup, le gouvernement, ils ne peuvent pas cibler cette personne.
24:56 En fait, notre guide, c'est tout le peuple iranien.
24:59 Et ça, je trouve ça extraordinaire.
25:01 Magnifiques Iraniennes si courageuses, nous écrivent les auditeurs sur l'appli d'Inter.
25:06 On a plein de messages comme ça.
25:07 Qu'on vous transmet puisque vous êtes les porte-voix.
25:11 Puisque comme vous le dites, celles qui luttent, c'est celles qui sont là-bas et qui sont
25:14 emprisonnées et qui sont torturées et qui osent enlever leur voile.
25:17 Merci.
25:18 Merci à tous les quatre d'avoir été là.
25:19 Je renvoie également à ce livre sous la direction de Marjane Satrapi.
25:23 Femmes, Vies, Libertés publiées à l'Iconoclast.
25:26 Merci infiniment d'avoir été là ce matin.
25:29 Il est 8h47.

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