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Tous les jours, des personnalités s'invitent dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 19 septembre : les comédiennes et sœurs Emmanuelle et Mathilde Seigner. Pour la première fois réunies sur une scène de théâtre, elles incarnent Marilyn Monroe et Simone Signoret dans "Bungalow 21".
Transcription
00:00 Bonjour Mathilde et Emmanuel Seignet.
00:01 Bonjour.
00:02 Alors vous êtes soeurs, oui, mais pas jumelles.
00:04 Malgré vos ressemblances évidentes et frappantes, deux ans vous séparent.
00:08 Parmi les points communs que vous partagez, il y a deux passions, le théâtre et le cinéma.
00:11 Actrice toutes les deux, vous avez été révélée au grand public par le grand écran
00:15 avec le film "Détective" de Jean-Luc Godard pour Emmanuel et le drame "Le sourire" de Claude Miller pour Mathilde,
00:20 film dans lequel vous jouez également Emmanuel.
00:22 Il faut dire que vous avez de qui tenir votre grand-père paternel,
00:25 où Seignet a été doyen et sociétaire honoraire de la comédie française, tout comme votre tante d'ailleurs, Françoise Seignet.
00:31 Et l'œil de photographe de votre père ou la plume de votre mère semble avoir fait le reste,
00:35 semble vous avoir donné envie en tout cas de faire porter vos voix et de cultiver vos différences et vos convictions.
00:40 Jusque là tout va bien ?
00:41 Oui, ça va.
00:42 Ça vous définit bien ?
00:43 Oui.
00:44 On va poser le décor.
00:45 Aujourd'hui vous êtes dans la pièce "Bengalo 21" d'Eric Emmanuel Schmitt sur une idée originale de Benjamin Castaldi.
00:51 Je veux préciser qu'il est le petit-fils de Simone Signoret, avec une mise en scène de Jérémy Lipman.
00:56 C'est au théâtre de la Madeleine à Paris.
00:58 L'histoire est simple, nous sommes en 1960, il y a deux couples mythiques qui sont ensemble, dans deux Bengalos séparés.
01:05 D'un côté il y a Yves Montand et Simone Signoret, de l'autre il y a Marilyn Monroe et Arthur Miller.
01:11 Et évidemment le charme irrésistible de Marilyn Monroe va faire des ravages.
01:15 C'est vraiment une histoire qui est à la base ordinaire, mais en même temps avec des figures emblématiques du cinéma et de l'histoire du cinéma.
01:24 On parle du mensonge, de l'adultère, des affres de l'amour, du pardon.
01:27 C'est la première fois que vous êtes réunis sur scène, c'est très très étonnant.
01:31 Et c'est même limite incompréhensible.
01:33 On se demande pourquoi vous avez attendu aussi longtemps.
01:36 Parce qu'on ne nous a rien proposé en fait.
01:38 Non.
01:39 Mais même vous, vous n'avez pas eu envie à un moment donné de vous dire "tiens on va monter un projet".
01:43 Bah si, mais il aurait fallu trouver un sujet, un bon sujet avec deux beaux rôles, forts.
01:48 Là c'est vrai que c'était parfait parce que c'était deux rôles très forts.
01:52 Et en plus c'était au théâtre, donc ça avait un sens pour nous.
01:55 Puisque comme vous avez dit, notre famille vient de là.
01:59 On en vient.
02:00 Donc voilà.
02:01 Je voudrais que vous me parliez d'eux d'ailleurs.
02:03 J'ai l'impression que c'est eux qui vous ont construit.
02:05 Parce qu'à travers cette pièce, il y a quelque chose qui ressort, qui est évident.
02:08 C'est la liberté des actrices et des acteurs à cette époque là.
02:11 J'ai l'impression qu'ils vous ont transmis ça.
02:14 Les vôtres.
02:15 Peut-être.
02:16 Bah nos parents et puis les grands-parents.
02:20 C'était une famille où il y avait beaucoup de liberté, d'impulsivité aussi, de spontanéité.
02:27 Et c'est vrai qu'on est quand même ni l'une ni l'autre totalement consensuelles.
02:32 Non.
02:33 Petites déjà vous étiez comme ça.
02:35 Oui, oui, oui.
02:36 On était sauvages.
02:37 Très libres et sauvages, oui.
02:38 Très sauvages.
02:39 On était différents, mais deux animaux.
02:41 Je voudrais que vous me parliez l'une de l'autre.
02:42 Emmanuelle, elle était comment Mathilde ? Petite fille.
02:45 Mathilde, elle était marrante.
02:49 Elle était pleine de vie.
02:51 Elle aimait beaucoup Michel Sardou.
02:59 Elle était magnifique.
03:01 Elle était assez garçonne en fait.
03:04 Ouais, assez garçonne.
03:06 Assez garçonne.
03:07 Et à l'inverse ?
03:08 Elle était comment ?
03:09 Emmanuelle, elle était…
03:11 On peut avoir des images très différentes.
03:14 Le public peut avoir des images très différentes d'Emmanuelle et de moi.
03:16 Et on est très différentes, mais quand même très semblables sur beaucoup de choses.
03:20 Tu étais très fantasque aussi.
03:22 Ouais, j'étais un peu folle dingue.
03:24 Un peu folle dingue, très fantasque.
03:26 Ouais.
03:27 Oui, oui, oui.
03:28 Il y a des grosses différences, surtout de goût d'ailleurs, parce qu'on n'a pas du tout…
03:35 Pourtant, on a été élevés avec la même éducation, mais Emmanuelle a des goûts totalement opposés aux miens.
03:41 Ça, c'est plutôt drôle.
03:42 Moi, je suis très française, très terroir.
03:44 Toi, tu es beaucoup plus…
03:45 Moi, j'étais toujours attirée par…
03:46 Par la culture anglo-saxonne.
03:48 Oui, toujours.
03:49 Mais des grosses similitudes que le public, je pense, ne connaît pas en fait.
03:56 C'est ça qui est chouette aussi de faire cette pièce.
03:59 Ça vous a touché qu'on puisse imaginer et créer finalement une pièce sur mesure ?
04:03 Parce qu'ils ont pensé à l'une, puis finalement à l'autre,
04:06 mais ça a pris une ampleur où c'est devenu une évidence très vite, et donc du sur mesure.
04:10 Oui, mais enfin, c'est vraiment Mathilde qui a eu l'idée, parce qu'au départ, ils ont cherché d'autres…
04:16 Mariline ?
04:17 Mariline, ouais.
04:18 J'étais sur le projet, moi, depuis 4 ans, parce que Benjamin Castaldi me proposait de jouer sa grand-mère depuis 4 ans,
04:25 et je lui ai toujours dit non.
04:27 Pourquoi ?
04:28 Parce que ça me faisait peur, parce que je trouvais que je ne lui ressemblais pas forcément physiquement,
04:33 parce que j'avais des trucs dans la tête où je n'étais pas prête.
04:36 Et c'est qu'il y a quelques mois où je lui ai dit oui.
04:39 Et après, on a cherché Mariline, et un jour, comme ça, on était dans un café avec toute l'équipe, et j'ai dit "et ma sœur".
04:48 Je voudrais que vous me parliez de ces deux personnalités que vous incarnez,
04:51 parce qu'effectivement, deux figures emblématiques de l'histoire du cinéma l'une et l'autre,
04:55 Mariline Monroe et Simone Signoret, vous les imaginez comment, et comment vous les avez travaillées ?
05:01 Alors, moi, j'ai toujours été très inspirée par Mariline, et je l'ai toujours beaucoup aimée.
05:08 J'ai voyé tous ses films et les documentaires, et c'est un personnage qui me bouleverse, en fait, beaucoup.
05:16 Et comment je l'ai travaillée ?
05:19 En fait, le metteur en scène, il veut vraiment qu'on soit au plus proche de l'âme des personnages.
05:24 Il ne veut pas qu'on fasse une caricature, ou qu'on soit dans un...
05:27 Qu'on les imite.
05:28 Voilà, dans une imitation. Donc on essaie de se rapprocher de leurs âmes, si c'est possible, et voilà, avec le travail.
05:37 En ce qui concerne Mariline, de trouver à la fois cette joie, cette candeur, et en même temps,
05:43 cette fêlure, cette brisure, cette chose qu'elle avait, qui était bouleversante, mais qui était terrible.
05:53 Et Simone Signoret ?
05:54 Simone Signoret, moi j'ai été, comme je vous l'ai dit, j'ai été élevée vraiment dans la culture très française.
06:01 Simone Signoret, elle a complètement traversé ma vie.
06:07 C'est-à-dire que je vois tous ses films, c'était une actrice que j'adorais, avec Gérard Daud.
06:13 Je regardais les films avec Gabin, donc moi j'ai été imprégnée de cette actrice.
06:19 Pareil qu'Emmanuel, moi un jour, le metteur en scène m'a dit une chose qui m'a tout changé,
06:24 et pourtant ça paraît pas grand chose, mais c'est énorme.
06:27 Il m'a dit "tu joues pas Simone Signoret, tu joues Simone, comme un autre rôle".
06:32 Et ça a tout changé dans ma tête. C'est-à-dire que c'est Mathilde qui joue Simone, c'est Simone qui se mélange,
06:37 c'est une évocation, et je ne l'imiterai pas.
06:41 Et donc du coup, on l'imposera ou pas, mais en tout cas, on n'est pas dans une imitation.
06:46 Il veut plus Norma Jean que Marie-Lynne.
06:50 C'est un cadeau, cette pièce.
06:52 C'est un cadeau du ciel.
06:54 On a beaucoup de chance d'avoir un metteur en scène merveilleux qui nous guide vraiment et qui nous accompagne.
07:01 C'est marrant parce que pendant très longtemps, vous sembliez indomptable,
07:05 et en même temps on sent à quel point vous êtes apaisée aujourd'hui, toutes les deux.
07:09 Et là, ce projet commun, votre père a disparu il y a peu de temps finalement,
07:13 on a l'impression qu'il veille au-dessus de vous et que c'est effectivement un cadeau.
07:17 C'est juste. C'est peut-être lui ce cadeau.
07:21 D'ailleurs, c'est sûrement lui.
07:25 Et puis il arrive un âge où effectivement on s'apaise.
07:30 La colère, en fait, on comprend que la colère ne sert à rien.
07:36 Voilà, la colère et l'orgueil, moi, c'est deux sentiments que je pense qui ne servent strictement à rien et qui ne font pas avancer.
07:42 Est-ce que c'est un sentiment partagé ?
07:44 Non, bien sûr, je suis d'accord.
07:46 C'est rigolo d'ailleurs, parce que quand on regarde un peu ce qui s'est passé dans vos vies, Emmanuel,
07:50 pendant très longtemps, vous avez dit que vous pratiquiez ce métier un peu comme un sport de combat.
07:54 Vous améliorez être compétente et performance pour qu'on finisse finalement.
07:57 Toujours, moi, je fais vraiment ce métier comme un sport.
07:59 C'est-à-dire que j'essaye de faire le mieux que je peux, mais je ne me casse pas trop la tête.
08:04 Vraiment, je le considère comme ça.
08:07 Parce que je pense que si on le considère d'une manière affective,
08:11 c'est-à-dire que si on fait ce métier pour être aimé, on va dans le mur.
08:15 Parce que c'est trop fragilisant.
08:18 Donc, il faut essayer de s'en détacher.
08:20 On a beaucoup de chance de faire ce métier, on gagne bien nos vies.
08:24 Il faut accepter cette chance, mais il ne faut pas essayer d'en faire un métier pour faire sa psychanalyse
08:31 ou pour essayer qu'on nous aime, parce que ça, c'est cuit.
08:36 - Mathilde ? - Je suis d'accord, tout à fait d'accord.
08:39 C'est-à-dire que c'est un métier qui est très très fragilisant.
08:41 C'est un métier, en plus, dans lequel on nous met dans des tiroirs, avec des images, faux sous vrai.
08:47 - Après, ça ne provoque que de l'aigreur. - Que de l'aigreur.
08:50 Et on n'est jamais satisfait.
08:52 C'est-à-dire que moi, je me rends compte de ce que j'ai pu constater.
08:56 Des artistes ne sont jamais vraiment satisfaits.
08:59 Ceux qui sont populaires veulent être ça.
09:02 Ceux qui ont la carte veulent être populaires.
09:05 Alors, on n'est jamais content.
09:07 À un moment donné, c'est vrai qu'Emmanuel a raison, il faut prendre beaucoup de recul.
09:11 - Oui, vraiment. - Et surtout se blinder.
09:14 Surtout aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, de tout ce qu'on peut entendre.
09:18 Et se dire, voilà, on m'aime, on ne m'aime pas.
09:22 - Sinon, on est tout le temps malheureux. - On est tout le temps malheureux, oui.
09:25 C'est vrai, c'est vrai.
09:26 - Est-ce que le fait d'être sur scène, ce n'est pas aussi justement...
09:29 - Une thérapie ? - Non.
09:31 - Une espèce d'oxygène dans l'optique, petite déjà.
09:36 L'une voulait être à l'Olympia, l'autre voulait être Mick Jagger et pas Marilyn Monroe.
09:40 D'ailleurs, je précise parce que c'est ce qui avait été dit à ce moment-là.
09:43 - Moi, je voulais faire l'Olympia comme métier.
09:46 Et mon père me disait, mais ce n'est pas un métier, c'est une salle.
09:51 Je pensais que c'était un métier, en fait, l'Olympia, pour moi, à part entière.
09:55 - Elle représente quoi, cette pièce, alors, pour vous, "Mingalo 21" ?
09:58 Déjà, pas des retrouvailles, mais la première fois qu'on joue ensemble, déjà.
10:04 - Déjà, et puis c'est chouette de faire cette pièce.
10:07 C'est un beau sujet, c'est des beaux personnages vraiment magnifiques.
10:10 C'est une époque aussi qui est merveilleuse.
10:13 Et puis de partager ça avec tous les autres acteurs.
10:16 Et en plus, c'est un spectacle où il y a beaucoup de musique.
10:21 Moi, j'ai l'occasion de chanter.
10:23 Et donc aussi, ça, c'est vraiment...
10:26 - Ça fait partie de vous, d'ailleurs, vous allez chanter un disque.
10:29 - Oui, j'aime beaucoup ça.
10:30 Et donc, voilà, c'est vraiment une grande chance.
10:33 Moi, je le prends comme ça.
10:34 - Un vrai cadeau, c'est ce qu'on dit.
10:36 - Un vrai cadeau aussi, un vrai cadeau.
10:38 - J'ai l'impression que vous l'attendiez, limite, ce moment-là,
10:41 sans imaginer forcément que vous alliez être ensemble.
10:43 - Je ne sais pas.
10:44 - C'est vraiment venu très vite, en fait, et très soudainement.
10:49 - Bah, c'est...
10:51 Oui, c'est très émouvant.
10:55 Alors là, on travaille, on est dedans, donc on a moins de recul.
10:58 - On cherche. - On cherche.
10:59 Mais c'est vrai que de l'extérieur, j'ai beaucoup d'amis,
11:02 de gens qui me disent, mais c'est quand même dingue, quoi,
11:04 toutes les deux, Monroe-Signoret, parce qu'on pourrait jouer
11:07 une pièce toutes les deux, de personnages fictifs.
11:11 Mais là, c'est la confrontation de deux sœurs,
11:15 mais de Monroe et de Signoret, et de rivalité de deux femmes.
11:18 Donc, c'est quand même un truc...
11:20 Oui, c'est vrai que nous, on a du mal à avoir du recul,
11:22 avoir du recul mais j'imagine de l'extérieur ça doit être un truc un peu de fou.

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