La master class de Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste

  • l’année dernière
Si Cynthia Fleury parle avec autant de justesse des vertus de l’amour et du courage que des maux de la démocratie, c’est que le cœur de sa recherche, de livre en livre, se déploie au croisement entre la philosophie morale et la philosophie politique. Avec son nouvel ouvrage « la Clinique de la dignité » (Seuil), cette philosophe qui est également psychanalyste révèle à quel point nous sommes traversés par le collectif. Aucun épanouissement individuel ne peut advenir pleinement sans émancipation collective. Il est encore temps de lutter contre « le devenir-indigne du monde. » Voici le replay de sa master class, donnée devant les lecteurs de "l'Obs" le lundi 25 septembre.
Transcript
00:00:00 Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
00:00:03 Je m'appelle Grégoire Lemenager, j'officie comme directeur adjoint
00:00:08 de la rédaction et à ce titre, j'ai le plaisir de vous accueillir
00:00:13 ici.
00:00:14 Je vous remercie d'être si nombreux.
00:00:15 C'est chouette.
00:00:17 Pour un nouveau cycle de masterclass, on avait fait ça l'année dernière
00:00:21 et puis là, ça redémarre.
00:00:23 Donc, c'est un cycle de masterclass avec des gens qui sont toujours
00:00:26 intéressants.
00:00:28 C'est notre engagement vis-à-vis de vous qui vous déplacez.
00:00:30 Et c'est pour mettre un petit peu de pression sur les épaules de
00:00:36 Cynthia Fleury.
00:00:36 Mais je suis sûr que ça va être passionnant.
00:00:39 Donc, on aborde des sujets divers.
00:00:42 On a parlé de Jean-Jacques Goldman avec Yvan Jablonca.
00:00:47 Là bientôt, on va parler de Paulard historique et de Renaissance
00:00:52 italienne avec Laurent Binet qui publie Perspective.
00:00:57 On va même parler d'amour un peu plus tard avec la romancière
00:00:59 Maria Pourchet dont on parle beaucoup cet automne.
00:01:01 Et puis là, ce soir, on va parler d'un sujet grave qui est la
00:01:09 question de la dignité dans une société qui, quelquefois,
00:01:15 ne sait plus très bien quoi faire de cette notion, de ce concept.
00:01:19 C'est un concept, la dignité.
00:01:21 Mais c'est pour ça qu'il y a quelqu'un de beaucoup plus compétent
00:01:24 que moi qui va en parler, qui est Cynthia Fleury.
00:01:26 Donc, vous connaissez certainement, qui est philosophe et
00:01:29 psychanalyste et qui s'intéresse à toute forme de pathologie,
00:01:33 celle de la démocratie, notamment, qui lui a inspiré un livre qui
00:01:39 est très bien parlé de la fin du courage et que moi, j'aime toujours
00:01:41 écouter parce que je trouve qu'elle parle d'une manière claire.
00:01:44 Elle parle avec une forme d'humanisme qui, à la fois, me semble-t-il,
00:01:50 tient toujours compte de toutes sortes de déterminisme et en même
00:01:54 temps, se débrouille pour préserver quand même une forme de liberté
00:01:57 chez chacun.
00:01:58 C'est comme ça que je vous écoute en général quand je vous entends
00:02:01 parler.
00:02:02 J'espère pas me tromper.
00:02:04 Et puis, si je me trompe, il y a heureusement Julie Clarigny,
00:02:07 chef du service ID, qui va rectifier le tir en posant les bonnes
00:02:13 questions, les meilleures questions possibles à Cynthia Fleury.
00:02:16 Merci beaucoup d'être là.
00:02:17 On est très heureux de vous accueillir.
00:02:18 Merci.
00:02:19 Bonsoir, merci à tous d'être là.
00:02:27 Moi aussi, je suis très ravie de passer cette heure en compagnie
00:02:31 de Cynthia Fleury.
00:02:33 Selon les rituels bien installés, on va discuter toutes les deux
00:02:35 pendant une heure à peu près.
00:02:37 Et puis ensuite, bien sûr, les questions seront ouvertes.
00:02:40 Vous pourrez venir enrichir cette conversation, objecter, faire tout
00:02:44 ce qui pourra nous aider à réfléchir encore plus et encore plus loin.
00:02:48 Ensuite, il y aura une petite signature en haut de l'escalier.
00:02:51 Vous pourrez aller faire dédicacer votre livre, poursuivre rapidement
00:02:56 la discussion avec Cynthia Fleury.
00:02:58 Il y aura même un petit verre offert à tous.
00:03:01 Voilà.
00:03:02 Grégoire a déjà un petit peu présenté Cynthia Fleury, philosophe,
00:03:07 psychanalyste.
00:03:08 Ce n'est pas si souvent qu'on voit cette double étiquette.
00:03:10 À part Castoriadis, en fait, je ne pensais à personne d'autre,
00:03:13 mais c'est parce que je suis ignorante, je pense.
00:03:15 C'est pas mal, quoi, disons, comme comparaison.
00:03:19 Cynthia Fleury, elle est professeure au CNAM.
00:03:21 Elle dirige aussi la chaire de philosophie à l'hôpital Saint-Anne
00:03:26 à Paris.
00:03:27 Je crois que c'est la seule chaire de philosophie installée à l'intérieur
00:03:30 d'un hôpital psychiatrique en France.
00:03:32 Elle a eu un parcours de philosophie assez classique au début,
00:03:36 on peut dire, parce qu'elle s'est intéressée aux néo-platoniciens.
00:03:39 C'est donc même assez pointu, aux néo-platoniciens des foyers
00:03:43 de Perse.
00:03:44 Et des foyers orientaux, plus généralement du néo-platonisme
00:03:48 et dans leur dialogue avec, évidemment, l'Europe à ce même
00:03:52 moment.
00:03:53 Donc, c'est sur ces questions de dialogue et de tolérance qu'elle
00:03:55 commence son parcours de philosophe.
00:03:58 Et puis, il y a une sorte de bifurcation vers quelque chose
00:04:02 qu'on pourrait appeler la philosophie politique et morale,
00:04:04 en tout cas, dans les termes qui ressemblent à ça, avec le livre
00:04:08 de 2005, dont vous avez peut-être souvenir, qui s'intitulait
00:04:10 "Les pathologies de la démocratie", livre dans lequel Cynthia Fleury
00:04:14 s'intéresse à ce que j'appellerais, mais ce n'est pas un terme à elle,
00:04:18 l'essoufflement démocratique.
00:04:20 C'est-à-dire, à essayer de comprendre pourquoi est-ce que
00:04:23 nos démocraties semblent plus fragiles qu'elles n'étaient.
00:04:28 Et elle le formule d'une façon originale en posant la question
00:04:33 pourquoi nous sommes passés de démocraties en pleine santé,
00:04:36 de démocraties naissantes en pleine santé, à des démocraties
00:04:39 aujourd'hui qui doivent résister à des maladies, à une forme
00:04:42 d'entropie.
00:04:44 Et parmi ces maladies, il y a bien sûr la pulsion ressentimiste,
00:04:46 la maladie du ressentiment, qui donne lieu à un autre livre,
00:04:49 15 ans plus tard, qui est un livre magnifique, qui s'intitule
00:04:52 "Sigi la mer".
00:04:53 Ce sont deux livres que j'ai cités, qui ont été publiés,
00:04:55 non, peut-être pas "Les pathologies de la démocratie",
00:04:57 mais en tout cas, "Sigi la mer", c'est aujourd'hui disponible
00:04:59 en poche folio.
00:05:01 Alors, comment est-ce qu'on fait pour résister à l'entropie,
00:05:04 à la fatigue démocratique, à l'essoufflement ?
00:05:07 Eh bien, c'est là que l'originalité de Cynthia Fleury apparaît.
00:05:10 Et sa réponse, si je l'ai bien lue, c'est en s'intéressant
00:05:12 à l'individu.
00:05:13 Et ça, ça me semble vraiment un point fort chez elle,
00:05:17 dans son travail, c'est d'aller voir du côté des sujets.
00:05:20 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de démocratie qui aille bien si les
00:05:23 sujets ne vont pas bien, et les deux sont dans une relation
00:05:26 dialectique, c'est-à-dire une démocratie consolide des
00:05:29 individus qui vont déjà bien, et les individus qui vont bien
00:05:32 consolident le système démocratique.
00:05:34 C'est-à-dire que sa réflexion sur la démocratie n'est pas du tout
00:05:36 une réflexion normative, ou c'est intéressant à ce que
00:05:40 la mécanique institutionnelle, mais va plutôt voir, va dialoguer
00:05:43 avec son travail psychanalytique.
00:05:46 D'ailleurs, il y a une phrase que j'aime bien parce qu'elle est
00:05:48 très simple et que j'ai trouvée en travaillant, qui définit bien,
00:05:52 je crois, ce que vous faites, Cynthia Fleury, et qui nous aidera
00:05:55 pendant cette discussion.
00:05:56 Vous avez déclaré un jour "J'ai toujours eu le sentiment,
00:06:00 en écoutant les patients en analyse, d'avoir la démocratie
00:06:03 sur le divan."
00:06:04 Ça, je pense que c'est très intéressant, y compris pour le
00:06:07 livre dont on va parler ce soir, qui est "La clinique de la dignité",
00:06:09 qui est paru au seuil dans la collection "Le compte à rebours",
00:06:14 qui est la collection de Pierre-Rose Amballon.
00:06:16 On y reviendra peut-être.
00:06:17 Alors, il me reste juste à dire, avant de donner la parole à
00:06:20 Cynthia Fleury, pour la présenter, que c'est une philosophe qui
00:06:25 accepte de rentrer dans l'espace public, qui est une philosophe
00:06:30 engagée.
00:06:31 Ce n'est pas évident.
00:06:32 D'ailleurs, quand on la lit bien et qu'on l'écoute bien,
00:06:33 on s'aperçoit qu'il y a plutôt...
00:06:34 Si elle pouvait être dans sa tour d'ivoire, ce serait pas mal non
00:06:37 plus.
00:06:39 Justement, il y a chez Cynthia Fleury un sens du courage.
00:06:42 Grégoire a cité tout à l'heure ce très beau livre sur le courage.
00:06:47 Il y a chez elle ce sentiment qu'il faut avoir le courage d'affronter
00:06:51 le réel, qu'il faut y aller.
00:06:53 Il faut y aller avec sérieux.
00:06:54 Et le sérieux, chez elle, c'est l'engagement, c'est-à-dire ne pas
00:06:58 fuir ses responsabilités.
00:06:59 Et c'est pour ça qu'elle est là, qu'elle écrit des livres,
00:07:02 qu'elle participe à des colloques, qu'elle a aussi un moment tenu,
00:07:05 une chronique dans la presse quotidienne, dans l'humanité,
00:07:08 pendant quelques années.
00:07:09 Et toujours...
00:07:11 Ah, je croyais que ça s'était arrêté cette année.
00:07:12 Eh ben non.
00:07:13 Voilà.
00:07:15 Je ne vais pas trouver la dernière.
00:07:17 - Ça fait 20 ans.
00:07:18 - 20 ans ?
00:07:20 - 20 ans.
00:07:21 - Il y a des fidélités aussi chez Cynthia Fleury.
00:07:23 On peut dire ça.
00:07:25 Voilà.
00:07:26 Je vais commencer tout de suite avec une question dont je sais
00:07:30 la réponse, mais je la trouve magnifique.
00:07:32 Vous avez dit quelque part, si je devais définir ce que c'était
00:07:36 la fonction du philosophe, c'est d'être un relais phénoménologique.
00:07:40 Et alors moi, j'adore cette idée de relais phénoménologique.
00:07:44 Ça veut dire que le philosophe, il est là pour rendre visible,
00:07:48 pour faire sentir quelque chose que les autres, peut-être, ne voient pas.
00:07:51 - Oui, j'avais...
00:07:53 On peut donner toujours mille...
00:07:56 Merci d'abord pour cette introduction qui est vraiment très fine.
00:08:01 Sur la question du relais phénoménologique,
00:08:05 je ne sais plus quand est-ce que j'ai dit ça, mais ça me paraît tout à fait
00:08:08 viable comme définition dynamique du philosophe.
00:08:14 Le philosophe, c'est un viatique, c'est un opérateur,
00:08:18 effectivement, de mise en visibilité
00:08:23 de tout ce qui se joue de façon invisible.
00:08:27 Mais c'est aussi un opérateur au sens premier du terme,
00:08:31 c'est-à-dire qui va faire émerger quelque chose et pas...
00:08:35 Il n'est pas simplement sur le fait de révéler ce qui est là, invisible.
00:08:39 Il est aussi un viatique et un opérateur
00:08:43 et donc il participe de l'émergence de quelque chose.
00:08:46 Et je viens, vous l'avez rappelé, d'un territoire qui est le plotinisme
00:08:51 et le néo-platonisme
00:08:53 et d'une certaine conception aussi de l'imagination,
00:08:59 puisque ma thèse tournait autour
00:09:03 des fonctions cognitives, noétiques de l'imagination.
00:09:07 Donc l'imagination comme puissance d'accès au réel
00:09:10 et non pas comme puissance d'imaginaire, fuite, que sais-je.
00:09:15 Et donc, il y a quelque chose de cela.
00:09:18 Le philosophe est un relais phénoménologique,
00:09:21 au sens, c'est un relais du réel.
00:09:23 C'est le cas, disons-le clairement, de chacun d'entre nous.
00:09:27 On pourrait tout à fait ouvrir cette définition à chacun d'entre nous
00:09:32 parce que chacun d'entre nous
00:09:34 nous participons de cette émergence du réel.
00:09:39 Mais on va dire que celui qui, entre guillemets,
00:09:43 prend un peu plus à sa charge ce fardeau-là
00:09:46 comme une fonction un peu plus systémique,
00:09:49 un peu plus archétypale, etc.,
00:09:51 et puis aussi parce que c'est son métier, c'est le philosophe.
00:09:55 Mais bien évidemment que c'est la fonction, entre guillemets, de l'homme.
00:09:58 - Oui, on peut en effet dire ça,
00:10:00 mais là, vous en faites profession d'une certaine façon
00:10:04 et c'est intéressant parce que, finalement, chaque livre...
00:10:06 On pourrait dire qu'il y a une thématique dans chacun de vos livres,
00:10:10 justement, la démocratie, le courage, le ressentiment.
00:10:13 Et là, on arrive avec ce livre à la dignité,
00:10:16 donc aussi à l'idée de rendre visible
00:10:19 cette idée de traduction ou de viatique,
00:10:21 mais on pourrait dire aussi de traduction,
00:10:22 à un moment, dans l'espace public,
00:10:23 de quelque chose que chacun d'entre nous, en effet, vit.
00:10:26 Vous le faites en dialogue avec Pierre-Rosan Vallon
00:10:28 et je trouvais que c'était intéressant
00:10:30 parce que Pierre-Rosan Vallon, c'est l'histoire des idées,
00:10:33 c'est la sociologie, plutôt, s'il fallait le...
00:10:36 - Oui, puis l'histoire. L'histoire des idées.
00:10:38 - Voilà, l'ancrer quelque part, et vous, vous arrivez comme philosophe
00:10:41 et vous vous rencontrez sur quelque chose qui est la dignité.
00:10:44 Alors, je suis allée voir dans le livre de Rosan Vallon,
00:10:47 le dernier livre de Pierre-Rosan Vallon,
00:10:49 c'est intitulé "Les épreuves de la vie".
00:10:51 S'il y avait ce mot "dignité", il l'emploie une fois.
00:10:54 Et voilà, vous aussi, vous allez tous les vérifier.
00:10:59 Et pourtant, là, il y a une rencontre qui se fait
00:11:03 parce que quand on vous lit,
00:11:04 on a l'impression de lire comme une forme de suite,
00:11:05 enfin, quelque chose de très cohérent
00:11:07 avec le dernier livre de Pierre-Rosan Vallon
00:11:08 sur cette idée que dans les épreuves de la vie d'aujourd'hui,
00:11:12 il y a cette peur de l'indignité,
00:11:15 cette peur de basculer dans une situation indigne.
00:11:18 - Oui, alors, on va...
00:11:20 Effectivement, le livre est sorti dans "Le Compte à rebours",
00:11:23 qui est une des dernières collections de Rosan Vallon,
00:11:28 et j'en profite d'ailleurs pour...
00:11:30 Comment dire ?
00:11:32 Saluer notre co-éditeur Nicolas Delaland,
00:11:35 qui est présent ici
00:11:37 et qui assume la belle direction de ce "Compte à rebours".
00:11:41 Alors, pour le dire quand même,
00:11:42 pour ceux qui connaissent pas tout à fait,
00:11:45 le "Compte à rebours"
00:11:46 et souvent les collections de Pierre-Rosan Vallon,
00:11:50 ça forme un tout.
00:11:51 C'est pas une collection qui est indéfinie.
00:11:56 Ça attrape aussi un moment.
00:11:59 Et c'est vrai que moi,
00:12:01 toujours, je l'ai dit et redit,
00:12:04 j'ai accepté à l'invitation de Pierre-Rosan Vallon
00:12:09 d'aller sur cette question de la dignité.
00:12:13 Et ça m'est presque tombée dessus,
00:12:18 parce que j'ai bien évidemment...
00:12:20 J'ai compris bien évidemment tout de suite
00:12:22 ce qu'il avait intuitionné.
00:12:26 Et en même temps, il fallait moi aussi
00:12:28 que je refasse lien avec mon propre parcours.
00:12:32 Et puis en même temps,
00:12:35 parce que cette collection,
00:12:36 je crois qu'elle veut aussi réfléchir, si vous voulez,
00:12:38 à une refonte de la philosophie des sciences sociales.
00:12:42 Donc c'est un chemin plus vaste que ce livre.
00:12:47 Donc il y a comme ça un tout.
00:12:50 On a envie de raconter aussi la place des affects, etc.
00:12:54 Donc j'ai dit d'accord, tout en étant.
00:12:56 Et puis effectivement, j'ai trouvé tout d'un coup un biais
00:13:00 qui était celui de dire, la clinique de la dignité
00:13:03 est effectivement plusieurs choses.
00:13:06 Donc comme vous le dites,
00:13:09 d'abord, la double peur,
00:13:12 il y en a peut-être d'autres, bien évidemment,
00:13:13 mais la double peur qui caractérise nos sociétés,
00:13:16 qui est que dans la relance des régimes d'incertitude,
00:13:21 parce que c'est le cas de demain,
00:13:24 de nouveau, des régimes d'incertitude très forts
00:13:27 se mettent en place avec des risques
00:13:29 et des vulnérabilités systémiques.
00:13:31 Et donc la panique, l'angoisse, la peur, la crainte,
00:13:35 ce que vous voulez, des individus de rebasculer
00:13:38 dans des situations qu'ils jugent,
00:13:40 selon les critères d'aujourd'hui normatifs, indignes,
00:13:43 alors qu'ils ne l'auraient peut-être pas considéré
00:13:46 comme tel dans les années 50.
00:13:48 Je veux dire, voilà, je pense notamment, par exemple,
00:13:52 à des conditions de logement
00:13:53 qui n'étaient pas du tout au même endroit dans les années 50
00:13:56 et aujourd'hui.
00:13:58 Et bien évidemment, aujourd'hui, vous n'avez pas accès à l'eau,
00:14:01 vous n'avez pas accès à un certain type de confort
00:14:03 et vous avez le sentiment de vivre dans des conditions indignes.
00:14:06 Ce qui était...
00:14:07 Voilà, on se souvient tous que nos aînés nous ont raconté
00:14:11 que l'eau, la promiscuité,
00:14:15 enfin, tout ça, c'était la vie classique du monde des années 50
00:14:18 et personne ne se sentait dans un sentiment d'indignité.
00:14:21 Donc on voit bien que la conquête de la matérialisation
00:14:25 nous a rendus aussi et plus sensibles,
00:14:27 c'est un bon point, mais aussi plus fragiles sur certains endroits.
00:14:31 Donc la crainte de rebasculer dans des régimes comme ça,
00:14:35 d'indignité de main, enfin, qu'on juge indigne,
00:14:38 et puis peur plus subtile, plus intéressante,
00:14:41 peut-être plus capacitaire,
00:14:43 parce que, en tout cas, moi, j'ai envie de le voir comme ça,
00:14:46 c'est-à-dire le fait de chacun d'entre nous de se dire,
00:14:49 "Mon Dieu, moi qui suis le garant
00:14:52 "de la défense de la dignité pour moi-même
00:14:56 "et vraiment, et de la défense de la dignité pour autrui,
00:15:01 "je me sens pris dans un piège où peut-être
00:15:05 "je vais devoir ou je ne vais pas pouvoir faire autrement
00:15:09 "que de me conduire de façon indigne
00:15:11 "vis-à-vis d'un migrant,
00:15:13 "vis-à-vis d'un parent que je mets en EHPAD, etc."
00:15:17 "Vis-à-vis d'un patient quand je suis un soignant."
00:15:20 Et donc, tout d'un coup, ce fait de dire,
00:15:24 "Voilà, je peux rebasculer aussi dans l'indignité
00:15:27 "parce que je ne peux pas faire de la dignité en action."
00:15:32 Alors, c'est...
00:15:34 Dans un premier temps, on a le sentiment d'une faillite terrible.
00:15:38 Dans un deuxième temps, on peut se dire,
00:15:40 "Oui, mais c'est une conscientisation assez fine
00:15:43 "parce que cette souffrance éthique, comme dit Christophe Dejour,
00:15:47 "elle peut être un levier pour refuser de faire comme ça
00:15:51 "et pour, à un moment donné, se saisir
00:15:53 "d'une politique de la dignité à reconquérir."
00:15:56 Donc, c'était ces deux points-là sur lesquels j'avais envie de travailler.
00:15:59 Puis j'avais un autre point,
00:16:01 c'est que même si je ne suis pas une philosophe du soin,
00:16:04 malgré ce terme qui revient dans certains de mes ouvrages,
00:16:07 c'est pas mon histoire.
00:16:09 Mon histoire, c'est d'être issue de la métaphysique d'abord
00:16:12 et de la philosophie politique et morale
00:16:13 au sens très générique du terme.
00:16:15 Je ne suis pas Sandra Logier, si vous voulez.
00:16:17 Je n'ai pas porté le caire
00:16:19 ou je ne l'ai pas amené comme ça sur le...
00:16:22 ou Fabienne Brugère ou que sais-je, etc.
00:16:26 Mais à un moment donné, je...
00:16:30 Oui, parce que c'est un langage commun qui est intéressant.
00:16:33 Et vous parlez de relais phénoménologiques
00:16:37 et du philosophe comme relais phénoménologiques.
00:16:40 Le caire, la philosophie du caire,
00:16:42 c'est une phénoménologie du politique.
00:16:44 C'est une phénoménologie du politique au sens où
00:16:47 ça met en lumière,
00:16:50 ça met en visibilité, notamment,
00:16:52 ce que la société veut rendre invisible.
00:16:55 Et ça aussi, j'avais envie de l'attraper.
00:16:58 Qu'est-ce que le caire pouvait raconter de la dignité en action,
00:17:01 des relations dignes ?
00:17:04 Qu'est-ce que ça pouvait nous dire, par exemple,
00:17:06 sur une notion comme existe dans le caire
00:17:08 le fardeau du soin, les pourvoyeurs de soins ?
00:17:11 Est-ce qu'il existait des pourvoyeurs de dignité ?
00:17:14 Est-ce qu'il y avait un fardeau de la dignité ?
00:17:17 Et là, tout d'un coup, je trouvais que c'était intéressant
00:17:19 de venir dire quelque chose du caire sur cette question
00:17:23 et quelque chose aussi de la clinique,
00:17:26 de comment la dignité, le sentiment de dignité
00:17:29 racontait une santé psychique de l'individu
00:17:34 et comment il était dangereux pour l'individu, à un moment donné,
00:17:38 de se dessaisir de ce sentiment de dignité de lui-même, etc.
00:17:44 Et donc, à ce moment-là, j'ai vu le chemin possible
00:17:47 pour dire, tiens, c'est ça que je peux amener
00:17:50 dans cette capsule qui est le compte à rebours.
00:17:56 - Alors, peut-être, on va évidemment reprendre plusieurs de ces thèmes,
00:17:59 mais puisque vous prenez cet exemple,
00:18:02 de par exemple mettre ses parents dans un Ehpad,
00:18:06 j'ai récemment croisé une amie que ça faisait pleurer,
00:18:09 mais qu'elle le faisait.
00:18:12 Qu'est-ce qui est blessé en nous quand on a le sentiment
00:18:16 soit d'être traité de manière indigne,
00:18:18 soit de traiter autrui de manière indigne ?
00:18:20 Au fond, qu'est-ce qui accroche ?
00:18:22 - Ce qui est blessé en nous, c'est plein de choses.
00:18:26 C'est très certainement cette conquête
00:18:30 qui ne s'est pas faite sans mal,
00:18:34 parce que c'est ça, c'est la conquête des Lumières,
00:18:37 de dire, mon Dieu, la personne,
00:18:41 l'intériorisation forte de la norme qui consiste à dire
00:18:45 nos vies sont égales et d'égale dignité, en droit, etc.,
00:18:50 mais la personne humaine est à prendre en considération.
00:18:54 Et ça, c'est une conquête qui est arrivée avec la modernité,
00:18:57 parce que si vous basculez dans le monde antique,
00:19:00 le sentiment de dignité de la personne humaine,
00:19:03 il n'est pas au même endroit du tout.
00:19:05 Et en plus, aujourd'hui, je dirais qu'il y a deux choses,
00:19:07 parce qu'il y a à la fois la dignité
00:19:09 au sens de l'appartenance au générique humain,
00:19:14 donc ça, c'est une sorte de dignité universelle,
00:19:17 mais il y a aussi, parce que nous sommes une société des individus,
00:19:21 la dignité au sens plus personnaliste du terme,
00:19:25 c'est-à-dire ma personne,
00:19:27 et pas que mon appartenance au genre humain.
00:19:31 Il y a aussi la singularité de la personne.
00:19:33 Et donc, c'est un double désaveu, si vous voulez,
00:19:37 de cette conquête lourde
00:19:41 qui a été le combat politique de nos aïeux, etc.,
00:19:48 et je pense que c'est ça qui est heurté,
00:19:51 indépendamment d'une vexation narcissique, etc.
00:19:56 C'est quelque chose de plus profond
00:19:58 et qui donne un sentiment, mais terriblement déficitaire,
00:20:03 c'est-à-dire de dire, "Mon Dieu, tout ça pour ça."
00:20:05 C'est-à-dire que, alors que c'est une conquête
00:20:12 de la modernité tardive,
00:20:14 et en fait, c'est en train de se retourner comme une peau de bête,
00:20:19 et je pense que c'est ça qui est heurté
00:20:23 comme une faillite de l'intelligence.
00:20:26 Une catastrophe...
00:20:28 Husserl avait fait, vous savez, dans les années 30,
00:20:31 il avait parlé, pour parler de la catastrophe des Lumières,
00:20:34 d'une catastrophe de la raison,
00:20:36 en intuitionnant, si j'ose dire,
00:20:41 Auschwitz et Hiroshima.
00:20:43 Bon.
00:20:44 Mais il y a quelque chose d'un retournement, si vous voulez,
00:20:49 au sens où, oui, il y a un effondrement de la raison,
00:20:55 donc vous parliez d'essoufflement,
00:20:57 mais c'est terrible de constater qu'avec toute l'intelligence,
00:21:02 avec toute la qualité des contrats sociaux qui sont les nôtres,
00:21:07 malgré tout, sur des choses aussi fondamentales,
00:21:10 nous n'arrivons pas à être au rendez-vous
00:21:13 de ce qui est pourtant pour nous le principe le plus essentiel
00:21:17 qui soit, à savoir la revendication de la dignité humaine.
00:21:24 -Ca a à voir avec l'essoufflement démocratique, finalement.
00:21:28 Le fait qu'aujourd'hui, ça aimante,
00:21:30 on voit que ça aimante aussi beaucoup de mouvements sociaux,
00:21:32 la question de la dignité, vous en parlez dans le livre,
00:21:34 mais effectivement, Black Lives Matter,
00:21:36 toutes les Pride, LGBT Pride, etc.,
00:21:39 ce sont comme des renversements du stigmate
00:21:41 où on dit à un moment, mais non, si on compte,
00:21:43 en fait, nous aussi, on est dignes.
00:21:45 C'est comme si, tout d'un coup, il fallait retraverser la frontière
00:21:48 qu'on a été poussé quelque part.
00:21:50 Est-ce que ça a un trait aussi à l'état de nos démocraties ?
00:21:54 -Très clairement, puisque, si vous voulez,
00:21:56 l'état social de droit, c'est validé, consolidé
00:22:02 d'abord sur cette reconnaissance symbolique,
00:22:09 et c'est important, c'est pas simplement théorique,
00:22:15 c'est symbolique au sens de puissance, de symbolisation,
00:22:20 donc de transformation, de sublimation pour l'être humain.
00:22:24 Donc les états sociaux de droit se sont consolidés
00:22:27 sur cette validation-là,
00:22:30 et puis, bien évidemment, derrière,
00:22:32 sur une tentative plus matérielle de consolidation.
00:22:36 Et vous avez raison,
00:22:39 depuis les Lumières, si on fait un très, très, très grand trait,
00:22:43 vous avez eu ce premier mouvement de la dignité
00:22:48 au sens d'indivisibilité avec l'égalité,
00:22:51 qui va être consolidé par 1948, bien sûr,
00:22:54 mais qui a commencé en amont avec le XVIIIe siècle,
00:22:58 et puis avec le fait aussi très kantien
00:23:01 de l'impératif kantien,
00:23:04 tu agis de telle sorte que tu ne peux pas considérer autrui
00:23:07 comme un moyen, mais comme une fin en soi,
00:23:11 mais aussi sur la revendication d'une raison.
00:23:16 C'est-à-dire...
00:23:17 Et c'est intéressant, parce qu'aujourd'hui,
00:23:21 on a dépassé, si j'ose dire...
00:23:25 En tout cas, on a dépassé.
00:23:26 Non, on n'a pas dépassé, justement,
00:23:27 mais on voudrait quand même, et il faudrait dépasser,
00:23:30 ce que moi, je peux appeler ce biais autonomiste de la dignité,
00:23:34 c'est-à-dire le fait de...
00:23:39 Hélas, d'associer la dignité à une vision très performante,
00:23:46 très productiviste de soi-même,
00:23:49 et uniquement corrélée à l'autonomie.
00:23:53 Alors que non, nous ne sommes pas dignes,
00:23:55 parce que nous sommes autonomes,
00:23:56 nous sommes dignes parce que nous sommes humains.
00:23:59 Sous-entendu, l'entrée dans la dépendance
00:24:02 ne nous sépare pas de la dignité.
00:24:05 Et en gros, la chose qui vient expliciter,
00:24:11 d'une certaine manière, la dignité,
00:24:13 c'est pas l'autonomie, c'est l'autodétermination.
00:24:17 Et d'être garant de cette autodétermination.
00:24:20 Et si on ne peut pas le faire soi-même,
00:24:22 on a des garde-fous qui sont posés pour nous aider
00:24:27 à, jusqu'au dernier moment,
00:24:30 faire entendre cette autodétermination
00:24:33 dans la mesure du possible, par un tiers de confiance,
00:24:36 ou que sais-je, si on ne peut pas soi-même le formuler.
00:24:38 Or, on voit bien que si nous sommes à ce point-là paniqués
00:24:43 de l'entrée dans la dépendance, aussi,
00:24:45 c'est que c'est antinomique, si vous voulez,
00:24:48 de la vision acceptable de l'homme.
00:24:51 Et que nous considérons qu'à partir du moment
00:24:53 où nous sommes dépendants,
00:24:55 un, c'est insupportable pour nous,
00:24:57 mais c'est aussi... On se sent indigne, inutile, etc.,
00:25:01 et qu'on a intériorisé, comme ça,
00:25:03 un biais très, très autonomiste de la dignité,
00:25:05 mais parce que la société ne fait aucune place,
00:25:09 fondamentalement, en tout cas, aucune place viable
00:25:13 et acceptable à la dépendance.
00:25:17 Donc, ça, c'est vrai que c'est...
00:25:21 Voilà, l'enjeu, là, aujourd'hui,
00:25:24 c'est peut-être d'essayer de redonner
00:25:28 une pleine définition un peu moins normative
00:25:33 et un peu plus, comme vous dites,
00:25:34 qui a été transformée par, ensuite,
00:25:38 tous les mouvements sociaux, les mouvements civiques, etc.
00:25:42 Et c'est vrai que tous ceux qui étaient en marge,
00:25:45 tous ceux qui étaient considérés
00:25:46 comme sociologiquement minoritaires, vulnérables, indignes,
00:25:52 d'une certaine manière, les homosexuels,
00:25:54 les malades du sida, les Noirs, etc.
00:25:57 Et dans le livre, je reviens justement
00:25:59 sur quantité d'auteurs qui ont sauvé la dignité d'elles-mêmes,
00:26:04 si j'ose dire, qui ont pu venir, justement,
00:26:08 montrer à quel point la dignité était universelle,
00:26:11 précisément parce qu'ils venaient de territoires
00:26:14 qui étaient jugés par la norme dominante comme indignes,
00:26:17 alors que, précisément, ils étaient plus dignes que dignes.
00:26:21 Enfin, voilà.
00:26:22 Et donc, il y a une formule géniale de Baldwin,
00:26:25 qui est dans "Chasser de la lumière", je crois,
00:26:28 ou "La prochaine fois, le feu", je ne sais plus.
00:26:30 Et Baldwin dit, "Nous, les Noirs, on a restauré le royaume",
00:26:36 sous-entendu l'Amérique.
00:26:37 On a sauvé l'Amérique de son indignité.
00:26:40 Parce que, précisément, la ségrégation, etc.,
00:26:46 c'est une faillite totale de l'Amérique.
00:26:50 Et donc, nous, en nous ressaisissant
00:26:54 et en utilisant cette épreuve de l'indignité,
00:26:56 en la retournant contre elle-même et par l'écriture
00:26:58 et par l'engagement et par les mouvements civiques,
00:27:00 on a sauvé l'Amérique.
00:27:02 Et de fait, vous avez sauvé l'universelle dignité,
00:27:06 précisément, voilà.
00:27:08 Mais on a envie de dire à quel prix.
00:27:10 Bon, mais...
00:27:12 Donc, c'est...
00:27:13 Et tous ceux qui sont, depuis les années 50, 60,
00:27:16 les femmes, bien sûr.
00:27:18 C'est pour ça que les écrits décoloniaux,
00:27:22 les écrits féministes,
00:27:24 les écrits de l'intersectionnalité, etc.,
00:27:28 sont, malgré tout, tellement...
00:27:30 Je dis malgré tout, parce qu'il peut y avoir je ne sais quel...
00:27:34 On peut attaquer le woke,
00:27:36 qui est un enfant un peu dissipé de tout cela.
00:27:41 Mais il n'empêche que la vérité, elle est là.
00:27:44 Elle est là parce que c'est un renversement du stigmate
00:27:47 et, bien évidemment, qu'on peut chaque jour les remercier
00:27:51 de nous aider à sauver,
00:27:52 parce que je suis un grand défenseur de l'universel,
00:27:54 de nous aider à sauver la notion d'universel,
00:27:57 précisément par le renversement du stigmate.
00:28:01 -Justement, vous citiez Baldwin à l'instant.
00:28:05 L'expérience, vous appuyez beaucoup sur lui pour montrer que...
00:28:10 Ce que fait Baldwin,
00:28:11 c'est l'expérience de la déshumanisation
00:28:14 à cause du racisme.
00:28:15 Et il en sort, justement, vous le disiez à l'instant,
00:28:17 plus digne que digne.
00:28:19 Je voudrais qu'on mette le doigt plus clairement sur le paradoxe
00:28:21 que vous creusez dans le livre,
00:28:23 qui est que, finalement, il y a des situations
00:28:26 qui nous privent de notre dignité
00:28:28 et, en même temps, on ne peut jamais perdre notre dignité.
00:28:30 -Ca, c'est vraiment le point vraiment nodal du livre
00:28:36 et le point plus clinicien du livre.
00:28:40 C'est-à-dire qu'en fait...
00:28:44 Et c'est ça, la petite subtilité, petite,
00:28:49 c'est que nous sommes dignes de manière irréductible, inaliénable.
00:28:55 Et si la modernité a un sens,
00:28:58 c'est celle de vraiment nous avoir fait intérioriser cette norme-là.
00:29:04 En tout cas, c'est une des défis.
00:29:05 Voilà.
00:29:07 Sinon, si la modernité a un autre sens que celui-là,
00:29:10 bon, c'est un sens insuffisant, je dirais,
00:29:14 ce qui est intéressant, c'est ce point-là.
00:29:18 Donc, alors, une fois qu'on a dit ça,
00:29:21 bien évidemment, on ne peut pas se satisfaire
00:29:24 de la seule fonction symbolique de la dignité.
00:29:27 C'est évident, parce qu'il suffirait de dire,
00:29:28 "Ecoutez, les amis, votre vie est digne, votre personne est digne,
00:29:31 "qu'est-ce que vous venez de me casser les pieds
00:29:33 "avec le fait de vivre des conditions indignes ?
00:29:36 "De toute façon, tout va bien.
00:29:38 "Ca ne met absolument pas en mal votre dignité."
00:29:42 Donc, bien évidemment, on voit bien l'instrumentalisation possible
00:29:45 du symbolique de la dignité.
00:29:47 Donc, on peut pas...
00:29:49 C'est pour ça qu'on doit tenir les deux bouts.
00:29:51 On doit à la fois tenir le fait que, oui,
00:29:54 sur une vérité psychique,
00:29:56 je dis bien une vérité psychique, pas une vérité politique,
00:29:59 sur une vérité psychique,
00:30:01 on ne doit jamais, jamais renoncer,
00:30:05 ou en tout cas, hélas,
00:30:09 perdre cette conviction profonde
00:30:13 de sa propre dignité.
00:30:15 Il s'avère que, parfois, on la perd.
00:30:17 On la perd pour plein de raisons.
00:30:18 Traumatismes terribles, violences, tortures, viols, que sais-je.
00:30:23 Moi, j'accompagne tous les jours des personnes
00:30:27 qui viennent en étant convaincues qu'elles sont indignes.
00:30:33 Voilà, et qu'elles ont perdu ce sentiment de dignité d'elles-mêmes
00:30:38 pour plein de raisons,
00:30:39 parce que la violence des autres et de la société
00:30:42 et ce qu'elles ont subi leur a fait perdre ça.
00:30:45 Moi, mon premier travail, c'est de restaurer ça.
00:30:48 Parce que sans cette restauration symbolique de la dignité,
00:30:52 souvent, je ne peux pas faire grand-chose,
00:30:53 et nous ne pouvons pas faire grand-chose.
00:30:55 Quand je dis "je", c'est pas "je",
00:30:56 c'est l'analysant lui-même ne peut pas faire quelque chose,
00:30:59 parce qu'il ne se déclenche pas comme procédure de soin,
00:31:04 comme auto-soin.
00:31:05 Il ne se met pas dans le caractère agent de cela,
00:31:11 parce qu'il n'en vaut pas la peine, d'une certaine manière.
00:31:13 Donc, la préservation de la fonction symbolique,
00:31:16 c'est absolument déterminant.
00:31:19 Ça ne veut pas dire pour autant que "ça suffit"
00:31:22 et que "la vérité politique, on va laisser tomber
00:31:25 et on ne va pas faire du combat".
00:31:27 Non, j'ai toujours défendu les deux.
00:31:30 C'est-à-dire précisément de restaurer le psychique
00:31:33 pour que politiquement s'enclenche
00:31:36 une traduction non ressentimiste.
00:31:39 Et bien sûr, le combat,
00:31:41 et bien sûr l'action collective à plusieurs
00:31:43 et la dignité en action,
00:31:45 et le réquisite de matérialisation des conditions,
00:31:48 des relations dignes,
00:31:50 de tout simplement la dynamique,
00:31:52 le paradigme relationnel de la dignité.
00:31:56 Mais je sais que s'il n'y a pas le symbolique,
00:32:01 très souvent, hélas, il y a soit une dépréciation du sujet
00:32:05 qui peut l'emmener, c'était ce que je racontais,
00:32:08 c'est là où ça fait le lien avec Sigilhamer,
00:32:10 et puis avec "La fin du courage", etc., les pathologies.
00:32:14 Depuis longtemps, maintenant,
00:32:17 je tisse ce lien entre cette qualité
00:32:20 du principe d'individuation
00:32:23 et le fait que c'est cette qualité du principe d'individuation
00:32:26 qui vient protéger la démocratie.
00:32:29 Et la démocratie qui, normalement, doit avoir
00:32:32 vraiment chevillé au corps la nécessité d'accompagner
00:32:36 et de faire naître des sujets,
00:32:38 c'est ça, le boulot de la démocratie.
00:32:41 C'est ça, son job, c'est pas autre chose.
00:32:43 C'est de faire naître des sujets libres
00:32:46 qui gardent un désir
00:32:48 de tenter cette liberté au sens spinosiste du terme,
00:32:53 c'est-à-dire personne n'est libre, on est tous au courant, merci.
00:32:56 Donc ça va, on le sait.
00:32:58 Mais dans le jeu des déterminations,
00:33:01 socio-économique, culturelle, historique, etc.,
00:33:05 il y a des petits pas,
00:33:07 il y a des... comme ça, des danses.
00:33:10 Et malgré tout, dans ce truc-là,
00:33:13 il y a quelque chose
00:33:16 d'un fer qui dit un peu de liberté.
00:33:20 Mais voilà.
00:33:21 Mais ça, simplement, cette danse-là,
00:33:24 elle est terriblement précieuse
00:33:27 et elle est terriblement fragile.
00:33:29 Et donc, quand je suis, comment dire,
00:33:34 clinicienne ou enseignante,
00:33:36 j'estime être au coeur du politique.
00:33:39 Vraiment, le coeur du politique, c'est pas le bon gouvernement.
00:33:44 Sans contrefiche, un peu, si vous voulez.
00:33:47 C'est une histoire...
00:33:49 Ensuite, l'enjeu, c'est comment nous,
00:33:52 on doit, par toutes les procédures possibles,
00:33:55 institutionnelles,
00:33:58 mais il y a plusieurs...
00:34:00 Il y a une plasticité de l'institution.
00:34:02 Voilà.
00:34:04 Nous devons accompagner cette émergence
00:34:07 du principe d'individuation de qualité.
00:34:10 Parce que simplement en faisant ça, on préserve le tout.
00:34:14 -Justement, entre cet état de droit et nous comme sujet,
00:34:18 vous avez prononcé le mot à l'instant,
00:34:19 il y a les institutions.
00:34:21 Et alors, prenons un exemple récent.
00:34:23 Il y a eu cette affaire terrible du courrier
00:34:26 envoyé par l'académie de Versailles,
00:34:29 une grosse institution, l'éducation nationale,
00:34:33 qui envoie ce courrier à des parents
00:34:34 qui se plaignent d'une situation de harcèlement,
00:34:36 qui est un courrier vraiment indigne,
00:34:39 déshumanisant pour la famille.
00:34:42 C'est l'un des exemples d'une situation dysfonctionnelle
00:34:45 à l'intérieur de l'institution.
00:34:47 Mais alors, malheureusement, on pourrait les multiplier,
00:34:48 on pourrait penser au racisme dans la police,
00:34:51 on pourrait penser à toute la difficulté à soigner
00:34:54 au coeur même de l'hôpital, etc.
00:34:56 Est-ce que là aussi, on touche pas à quelque chose
00:34:59 de problématique aujourd'hui,
00:35:01 qui est l'état de nos institutions,
00:35:03 ou même la façon dont ils conçoivent
00:35:06 leur rôle et leur statut,
00:35:07 alors qu'ils devraient être ces instances
00:35:09 qui nous élèvent justement comme sujet ?
00:35:11 -Oui. Vous avez particulièrement raison.
00:35:14 C'est qu'on a des institutions qui,
00:35:18 hélas, à un moment donné,
00:35:20 en le conscientisant ou sans le conscientiser,
00:35:26 je sais pas, les deux, mon capitaine, sans doute,
00:35:29 parce que tout dépend où,
00:35:31 ont produit une telle administration,
00:35:35 de telles procédures,
00:35:38 de telles rationalisations, etc.,
00:35:41 de telles divisions des tâches
00:35:42 avec des services qui se parlent peu,
00:35:46 voire pas.
00:35:48 Et hop, vous partez dans des couloirs comme ça
00:35:50 de régulation où, en fait, plus personne...
00:35:54 C'est très bien raconté par Anna Arendt dans d'autres temps,
00:35:57 c'est-à-dire la banalité du mal,
00:36:00 et il n'y a pas besoin, si vous voulez,
00:36:01 d'aller du côté de l'imprescriptible
00:36:03 et du crime d'humanité pour produire de la banalité du mal.
00:36:06 Ça surgit très vite, la banalité du mal,
00:36:08 parce qu'à un moment donné,
00:36:09 il y a une forme de déresponsabilisation,
00:36:12 de dilution de la responsabilité,
00:36:16 et en même temps, plus il y a cette dilution
00:36:18 de la responsabilité,
00:36:19 plus le geste peut être radical et violent,
00:36:22 puisque de toute façon, personne ne l'endosse,
00:36:25 personne ne le prend sur lui, dans son corps.
00:36:29 Voilà, et en même temps, avec la meilleure des intentions,
00:36:33 puisqu'on l'a entendu,
00:36:36 "Mon Dieu, Samuel Paty, il faut protéger les enseignants."
00:36:41 Donc on entend aussi, tout d'un coup,
00:36:44 la volonté de produire un geste comme ça,
00:36:47 parce que très longtemps, on a accusé à raison
00:36:51 le ministère de l'Enseignement et le rectorat
00:36:55 et toutes les institutions de ne pas protéger assez les enseignants.
00:36:59 Et c'est vrai.
00:37:00 Donc, mais on voit bien qu'on a, si vous voulez,
00:37:03 on n'a plus la bonne échelle.
00:37:05 On n'a plus la bonne échelle de proximité
00:37:10 avec...
00:37:13 avec la parole, la règle,
00:37:17 et qu'à chaque fois, on est dans des gestes,
00:37:21 comme dirait Aristote, bien trop indéterminés,
00:37:25 et donc nécessairement discriminants.
00:37:28 Le seul souci, c'est...
00:37:30 Voilà, la machine est énorme aujourd'hui.
00:37:31 Comment on fait ?
00:37:32 Comment on fait pour, vu le nombre d'enseignants,
00:37:36 vu le nombre de cas,
00:37:37 vu le nombre de situations particulières, etc. ?
00:37:40 Donc j'ai bien conscience qu'il nous faut réinventer
00:37:44 des dispositifs à échelle humaine,
00:37:47 parce qu'on voit bien que nos dispositifs,
00:37:50 dans leur caractère de massification,
00:37:52 en fait, ils n'arrivent plus à attraper
00:37:54 la spécificité des situations.
00:37:57 -Alors, j'aurais quand même une petite...
00:38:00 Parce qu'en réfléchissant pour ce débat,
00:38:04 je me disais, bon,
00:38:05 est-ce qu'on peut pas faire une petite objection
00:38:07 à ce texte, à cette clinique de la dignité ?
00:38:11 C'est de se dire, allons...
00:38:12 Donc, il va falloir qu'on rabaisse nos exigences,
00:38:16 qui pourraient être des exigences d'égalité,
00:38:19 de droit, d'égalité, de richesse,
00:38:22 à simplement, déjà, si on avait des conditions égales de dignité.
00:38:27 Et je me suis dit, on en est là, on pourrait aussi...
00:38:30 A la fois, on comprend qu'il faut se battre pour ça,
00:38:32 mais c'est comme se contenter
00:38:37 d'une petite promesse aussi, finalement.
00:38:40 -Pourquoi vous dites "renoncer" ?
00:38:41 Parce que là, où est-ce que vous voyez qu'il faut renoncer ?
00:38:45 -Parce que si on se dit...
00:38:47 La seule chose qui compte, c'est la dignité de chacun.
00:38:49 La dignité de chacun, elle peut aussi aller
00:38:51 avec de grandes inégalités de droit.
00:38:54 -Dans ce sens-là, c'est pour ça.
00:38:55 -On peut avoir une sorte de minimum vital de dignité,
00:38:58 pour le dire autrement,
00:38:59 qui soit une sorte de filet de sécurité pour tout le monde,
00:39:02 et ensuite, renoncer à l'idée même d'un monde commun
00:39:04 dans lequel il y a une plus grande égalité,
00:39:05 ce qui est quand même une grande valeur française
00:39:07 auquel on est attaché.
00:39:08 -C'est pour ça que... Tout à fait.
00:39:10 C'est pour ça que j'ai tout à l'heure essayé de dire
00:39:13 que, premier socle,
00:39:16 cette revendication non négociable de la dignité symbolique,
00:39:21 deuxième socle, et qui est indépassable
00:39:24 et malgré tout indivisible,
00:39:27 continuation de la matérialisation de la dignité,
00:39:31 pour éviter, justement, ce que vous dites
00:39:33 et les effets pervers qui consisteraient à un moment donné
00:39:36 à dire "Bon, ben voilà, la dignité, elle est reconnue,
00:39:39 "et donc, on n'a pas besoin d'aller vérifier
00:39:41 "qu'elle est indivisible avec l'égalité, etc."
00:39:45 Et on va pas revenir sur cette histoire de la dignité,
00:39:48 qui, d'ailleurs, a très bien fonctionné comme ça
00:39:50 dans le monde antique.
00:39:51 On avait une dignité qui était compatible
00:39:53 avec une société des inégalités.
00:39:54 Et 1948 et au-delà
00:39:59 a rendu inaudible
00:40:01 cette dialectique
00:40:04 entre société des inégalités et dignité.
00:40:07 Donc, non, il s'agit pas de renoncer
00:40:10 et de baisser le curseur.
00:40:12 Il s'agit plutôt...
00:40:14 En tout cas, c'était la proposition de la Clinique de la dignité,
00:40:18 de réfléchir à dire, voilà,
00:40:21 comment, demain, on refait de la dignité en action
00:40:25 et de la dignité une "res publica",
00:40:29 une chose un peu plus commune,
00:40:32 une affaire collective, mais de manière...
00:40:36 Parce qu'on le fait. On le fait par le théorique.
00:40:40 On le fait par le fait que, tiens, nous avons en commun
00:40:42 un principe constitutionnel qui s'appelle
00:40:44 la défense de la dignité.
00:40:45 C'est du commun.
00:40:47 Oui, c'est du commun, mais hélas, le problème,
00:40:48 c'est que sur le terrain, de moins en moins commun.
00:40:52 Donc, à un moment donné, l'idée, c'est...
00:40:56 Et ça sera insuffisant.
00:40:59 Il y a rien de toute façon, il y a pas de solution magique,
00:41:02 il y a pas de solution exclusive l'une de l'autre, etc.
00:41:04 Donc c'est pas... Voilà.
00:41:05 Mais il n'empêche que l'idée, c'est de dire
00:41:08 comment on peut faire demain pour que, sur un certain endroit,
00:41:14 on arrête la division des tâches
00:41:17 et on arrête, comment dire,
00:41:20 cette déshumanisation de la procédure
00:41:23 qui est produite par les sociétés occidentales,
00:41:26 modernes, démocratiques, etc.
00:41:29 Et on essaye de porter en commun un peu plus du fardeau
00:41:35 qui est nécessaire pour faire que nous avons tous des vies dignes.
00:41:39 Parce que malgré tout, si vous voulez,
00:41:41 nous avons des vies dignes, tous.
00:41:43 En tout cas, ceux qui sont ici, a priori.
00:41:47 Nous avons des vies dignes parce qu'il y a quelque chose
00:41:52 de ce qu'on peut appeler rapidement, et à tort sans doute,
00:41:54 mais qui est comme ça, du sale boulot,
00:41:58 qui est porté par, souvent, hélas, les plus vulnérables d'entre nous,
00:42:03 les plus racisés, etc.
00:42:06 -Les femmes. -Les femmes, et voilà.
00:42:09 Donc les femmes, les plus racisées, les plus vulnérables, voilà.
00:42:13 C'est le même souci qu'avec le soin.
00:42:16 Or, la société ne tient que par le soin,
00:42:19 et "notre société démocratique",
00:42:22 elle tient parce que nous défendons ce rêve,
00:42:26 ou en tout cas cette fiction peut-être régulatrice,
00:42:30 de dire l'égale dignité des vies, etc.
00:42:33 Donc il y a un endroit où peut-être nous pouvons revenir
00:42:37 et aller à rebours de cette division des tâches, etc.,
00:42:40 et dire qu'il y a un endroit où il faut réimpliquer les corps.
00:42:43 Il faut réimpliquer les corps des citoyens
00:42:46 dans la défense des principes démocratiques.
00:42:49 C'est ça qui est proposé par la clinique de la dignité.
00:42:52 Et il y a une notion toute bête, qui est le soin,
00:42:55 mais qui est l'entretien.
00:42:57 C'est-à-dire comment on peut porter chacun d'entre nous un petit peu,
00:43:02 et donc c'est quand même une refonte de la liberté des modernes,
00:43:07 hors de question de basculer dans le collectivisme,
00:43:11 c'est pas ça, nous sommes une société des individus,
00:43:15 les libertés individuelles, c'est fondamental, etc.,
00:43:17 mais il n'empêche qu'il y a une refonte quand même
00:43:20 de la liberté des modernes sur ce point de qu'est-ce que c'est
00:43:24 qu'en charge commune une dignité qui serait une affaire
00:43:28 un peu plus collective,
00:43:30 et comment on peut réimpliquer nos corps tous
00:43:32 dans des régimes de pénibilité qui font que, malgré tout,
00:43:36 nous vivons dans une société assez dignement.
00:43:39 Je veux dire par là...
00:43:41 D'ailleurs, on voit très bien que quand les éboueurs font la grève,
00:43:45 en une seconde, on se dit "mais qu'est-ce que c'est que cette situation ?
00:43:48 C'est immonde."
00:43:50 Et très vite, on comprend qu'en une seconde,
00:43:54 on peut rebasculer dans ce que l'on jugerait aujourd'hui d'indigne,
00:43:58 c'est-à-dire des conditions où tout d'un coup,
00:44:01 l'intégrité de mon corps peut être menacée par,
00:44:03 je n'en sais rien, des microbes, des machins...
00:44:06 Voilà, parce que tout d'un coup, l'entretien de la vie,
00:44:09 l'entretien des déchets, ce que nous produisons,
00:44:13 notre dignité, la préservation de notre dignité,
00:44:16 elle produit des déchets, si vous voulez.
00:44:18 Donc il faut bien qu'à un moment donné,
00:44:20 cette situation de produire des déchets
00:44:23 soit bien sûr portée par la division des tâches,
00:44:27 donc ceux dont c'est le métier,
00:44:29 mais il y a peut-être un endroit où non.
00:44:33 Il y a un point où on peut un peu participer.
00:44:36 Donc ça, c'est véritablement...
00:44:38 C'est très bête, ça s'appelle la participation à un intérêt général,
00:44:43 mais par l'implication des corps
00:44:44 et pas simplement par le consentement à l'impôt.
00:44:47 -Le bénévolat. -Le bénévolat.
00:44:49 Le bénévolat le fait tout seul,
00:44:51 mais le bénévolat, c'est 20% de la population,
00:44:53 22% de la population, voilà.
00:44:55 Donc c'est pas impossible que demain, on réfléchisse à se dire
00:44:59 "Tiens, en fait, notre dignité, c'est une affaire collective.
00:45:04 "Ma dignité, c'est comme mon autonomie,
00:45:07 "c'est pas un fait, en fait, ça n'existe pas.
00:45:10 "Ça n'existe que par la construction collective."
00:45:14 Et tout ça, on le sait, mais on l'oublie.
00:45:16 Et donc, pour éviter de l'oublier,
00:45:20 parce qu'hélas, le théorique, souvent, nous fait un peu oublier,
00:45:24 je réimplique mon corps dans un régime de pénibilité,
00:45:28 de partage de vulnérabilité, pour me rappeler que,
00:45:31 bah oui, une ville, ça s'entretient pas tout seul.
00:45:34 Le corps des aînés dépendants, bah oui, bien sûr.
00:45:38 Les enfants, oui, également.
00:45:40 Alors ensuite, on peut utiliser...
00:45:42 J'avais fait rire, comment dire...
00:45:45 J'espère vous faire rire aussi, mais...
00:45:48 Comment dire...
00:45:49 Bien évidemment, c'est une très mauvaise idée que je vais vous dire là,
00:45:52 mais c'est pour vous faire rigoler.
00:45:55 Parce que bien sûr, demain, si on veut organiser cela,
00:45:58 de manière un peu intelligente,
00:45:59 un peu en respectant les libertés individuelles,
00:46:03 si on va pas le faire de façon autoritariste,
00:46:05 comme à Kigali...
00:46:07 A Kigali...
00:46:08 Parce que c'était l'exemple que j'avais donné.
00:46:11 A Kigali, vous avez tous les X du mois,
00:46:16 ou tous les X de... Je sais plus quand,
00:46:17 mais tous les X du mois,
00:46:19 une invitation très musclée,
00:46:24 enfin, une sollicitation auprès des citoyens
00:46:27 d'aller nettoyer la ville.
00:46:29 Donc tout le monde descend,
00:46:31 et avec les enfants, etc.,
00:46:33 et samedi matin ou dimanche matin,
00:46:35 et participe à son niveau
00:46:38 d'un moment où on nettoie une ville.
00:46:40 Bon, voilà, rien de... Bon.
00:46:42 Et bon.
00:46:43 Donc ça, c'est de façon autoritariste.
00:46:45 Donc pour éviter, si vous voulez,
00:46:47 de rentrer dans quelque chose
00:46:49 qui serait un sentiment de régression
00:46:50 par rapport à une société, des individus,
00:46:53 des libertés individuelles, etc.,
00:46:55 j'avais trouvé cette idée grandiose de dire,
00:46:57 on pourrait créer une sorte de parcours sup.
00:46:59 Vu, voilà.
00:47:02 Et de dire, bon, en fait, chacun mettrait
00:47:04 dans cette espèce de machine atroce,
00:47:07 je sais pas, ses compétences, ses prérogatives,
00:47:11 vaguement, ses horaires,
00:47:12 enfin, j'en sais rien, truc,
00:47:13 et la machine part,
00:47:16 et sort en disant, ben tiens,
00:47:18 deux heures par-ci, deux heures par-là,
00:47:21 et machin. Bon, bien évidemment, je rigole,
00:47:22 parce que ça serait un bordel absolu.
00:47:25 Tout le monde mourrait en attendant
00:47:28 ses heures d'intérêt général.
00:47:29 Enfin, bref.
00:47:31 Donc ça serait un échec total.
00:47:33 Mais malgré tout, on voit très bien qu'aujourd'hui,
00:47:35 on a quand même assez d'intelligence
00:47:37 pour utiliser un peu d'ingénierie
00:47:39 de façon intelligente,
00:47:40 voire même, enfin, de finaliser,
00:47:45 comme il se doit les algorithmes,
00:47:47 au service capacitaire.
00:47:50 C'est-à-dire, malgré tout, c'est ça.
00:47:53 Je me souviens d'une conférence d'Asil Omar.
00:47:56 Donc la conférence d'Asil Omar,
00:47:58 il y en a eu plusieurs,
00:47:59 c'est des conférences internationales
00:48:02 qui réunissent les grands neuroscientifiques,
00:48:05 les grands spécialistes de l'IA,
00:48:07 les grands ingénieurs, etc.
00:48:09 Premier article de la conférence d'Asil Omar,
00:48:15 le fait que l'IA ne pouvait pas être "undirected".
00:48:19 Il fallait que ce soit "beneficial" pour l'humain.
00:48:22 C'était intéressant de voir que c'était les ingénieurs
00:48:25 qui disaient, "Arrêtez de nous parler de la neutralité de l'outil.
00:48:29 "Il n'y a pas de neutralité de l'outil.
00:48:31 "Il faut finaliser l'outil,
00:48:32 "et l'outil doit être au service de l'humain."
00:48:34 Voilà.
00:48:36 Donc, voilà.
00:48:37 Il y a bien évidemment...
00:48:39 Il faut créer les biais qui vont faire
00:48:41 que cet outil va être au service d'eux.
00:48:44 Donc, voilà.
00:48:46 Donc l'enjeu, ce serait ça,
00:48:47 c'est de remettre plus de corps dans cette affaire-là
00:48:51 pour essayer de faire de la dignité
00:48:54 quelque chose qui se vit,
00:48:57 et pas simplement qui se prescrit
00:48:59 ou qui se défend de façon théorique,
00:49:02 mais quelque chose aussi qui se raconte avec les corps.
00:49:06 - Pas uniquement quelque chose qui se délègue.
00:49:08 Donc, voilà, votre réponse, ce serait de mettre plus de corps.
00:49:12 Il y aurait une autre réponse qui est beaucoup plus classique
00:49:15 et qui ne fonctionne pas tellement bien,
00:49:16 mais qui reste celle à laquelle on pense spontanément,
00:49:20 c'est de mettre plus d'argent.
00:49:21 - Tout à fait.
00:49:22 C'est ce qu'on dit,
00:49:23 c'est-à-dire le consentement à l'impôt de le monter,
00:49:26 et puis plus d'argent aussi
00:49:28 par l'interventionnisme de l'Etat, etc.
00:49:31 Alors, je dis oui, sans doute, mais pas que,
00:49:34 parce qu'en fait, l'argent reste,
00:49:37 comme dirait Simmel,
00:49:39 le grand traducteur universel
00:49:42 et aussi une puissance de déshumanisation et de délégation.
00:49:46 C'est aussi fait pour ça, l'argent,
00:49:48 et que le corps, résolument, effectivement, on ne délègue pas.
00:49:55 Il y a une part de non-délégation,
00:49:57 il y a une part d'irremplaçabilité.
00:49:58 Et moi, c'est malgré tout ce que je défends
00:50:02 pour faire tenir la cohésion sociale.
00:50:06 Et donc, oui, certainement,
00:50:08 l'argent, c'est toujours intéressant, bien sûr,
00:50:10 de mieux rémunérer, de donner plus de moyens, etc.
00:50:15 Mais là, déjà, en bon pragmatique que je suis,
00:50:20 ça ne coûterait rien, si j'ose dire, à la collectivité
00:50:25 d'aller donner 1 % de notre temps,
00:50:29 2 % de notre temps privé
00:50:31 à cette chose que nous aimons
00:50:35 et qui s'appelle la société démocratique
00:50:39 au sens de la démocratie sociale,
00:50:41 ce qui est le vrai nom de la démocratie, quand même.
00:50:44 -En attendant que se mette en place cette plateforme
00:50:47 de nos tâches hebdomadaires,
00:50:51 qu'est-ce qu'on fait ?
00:50:53 Je vais parler avec des mots de Cynthia Fleury.
00:50:54 Je vais dire, comment est-ce qu'on évite le cycle
00:51:00 indignation-découragement ?
00:51:03 Parce que c'est ça qu'on vit, en fait, en permanence,
00:51:06 face à ces situations indignes.
00:51:09 -Oui, ça, c'est une des choses les plus compliquées.
00:51:14 Et qu'on a voulu traiter aussi dans l'ouvrage,
00:51:21 parce que dans l'ouvrage, on ne l'a pas dit,
00:51:24 mais il y a une spécificité qui est qu'il y a un texte central
00:51:27 et puis un accompagnement, un peu comme une constellation,
00:51:32 comme on dit dans la clinique institutionnelle.
00:51:34 Et il y a une constellation, là, ici, de 4 rebonds
00:51:38 qui attrapent un point spécifique.
00:51:41 Il y a Benoît Bertelier sur la question de l'ouverture
00:51:45 à la dignité du non-humain.
00:51:48 Et comment, aujourd'hui, on repositionne
00:51:51 la définition de la dignité, précisément parce qu'il y a
00:51:54 une extension à la question du non-humain.
00:51:57 Il y a Benjamin Lévy qui avait fait un texte,
00:52:00 je ne sais pas si vous vous souvenez,
00:52:01 précisément sur l'indignation, etc.
00:52:04 Et au début, on s'était posé la question avec Benjamin
00:52:06 de dire peut-être que toi, tu vas aller sur cette question
00:52:08 des rhétoriques de l'indignation, etc.
00:52:11 Et puis il a voulu travailler parce qu'il avait fait
00:52:15 un travail de sociologue assez important sur les prisons.
00:52:18 Et donc il est allé plutôt sur l'institution prison
00:52:22 comme étant un lieu de privation de dignité
00:52:24 plutôt qu'un lieu de privation de liberté.
00:52:26 Et donc, là aussi, il y avait eu un ouvrage de Rostin
00:52:30 qui s'appelait "L'institution dégradante"
00:52:33 qui était sorti.
00:52:34 Et donc il a poursuivi aussi ce sillage-là
00:52:38 de l'institution qui châtie d'une certaine manière.
00:52:45 Et puis Tourette-Turgis qui est allée sur
00:52:49 la clinique des patients, la clinique du sida,
00:52:52 et qui a raconté comment les patients du sida
00:52:58 ont totalement rénové la démocratie sanitaire
00:53:01 et la démocratie sanitaire pour tous,
00:53:04 vraiment le droit des patients.
00:53:06 Et puis un dernier qui est Claire Hédon,
00:53:11 la défenseure des droits,
00:53:12 qui elle est allée sur le côté plus juridique
00:53:14 de la notion de dignité, et surtout,
00:53:18 aujourd'hui, les différentes saisines
00:53:21 du défenseur des droits
00:53:23 qui passent justement et qui utilisent
00:53:26 ce leitmotiv de la dignité.
00:53:29 Donc ça, c'était la constellation.
00:53:35 Et dans un dernier chapitre, justement,
00:53:37 je suis revenue sur la notion d'indignation
00:53:40 avec la controverse qui est que depuis Hessel,
00:53:44 on va dire, personne ne peut nier
00:53:49 que Hessel a donné malgré tout ses lettres de noblesse
00:53:53 à cette notion d'indignation.
00:53:56 - Il y a des jeunes qui nous écoutent.
00:53:57 Donc Stéphane Hessel, c'est un texte qu'il a produit
00:53:59 en 2010 ou 2011, c'est ça ?
00:54:02 - Oui.
00:54:03 - Juste avant les printemps arabes, d'ailleurs, il me semble,
00:54:04 où c'était concomitant.
00:54:05 - Oui, exactement.
00:54:07 Qui s'appelait "Indignez-vous"
00:54:09 et qui était un tout petit texte, manifeste,
00:54:12 comme une sorte de tract avant l'heure,
00:54:15 entre guillemets, puisque après,
00:54:17 Gallimard a remis au goût du jour ces tracts anciens.
00:54:21 Et Hessel disait, voilà, en fait, le premier geste politique,
00:54:27 geste archétypal et primordial,
00:54:31 et d'une certaine manière, il a renversé l'indignation
00:54:35 qui était celle de l'ultima ratio, du dernier recours,
00:54:39 il l'a fait en prima ratio, en premier recours,
00:54:42 comme un geste pour dire,
00:54:45 et notamment à tous ceux à qui il ne reste que ça,
00:54:47 mais saisissez-vous de cette indignation,
00:54:50 parce que c'est pas rien, c'est énorme,
00:54:52 et il faut que ce soit un acte premier de militance, etc.
00:54:57 Et il en appelait, parce que pour lui,
00:54:59 cette indignation, c'était une dignité en action,
00:55:03 très clairement.
00:55:04 Donc il a raconté ça,
00:55:08 et bien sûr qu'il faut défendre ça,
00:55:11 parce que l'indignation, c'est une dignité en action,
00:55:14 mais hélas, aussi, ça peut être instrumentalisé,
00:55:18 et ça peut se retourner,
00:55:20 et ça peut manquer son objet, finir en ressentiment,
00:55:24 ou, ce qui est la même chose,
00:55:27 en tout cas, ce qu'il dialogue avec,
00:55:30 avec la possibilité d'utiliser l'indignation
00:55:33 comme un alibi
00:55:35 pour, comment dire, justifier la violence,
00:55:39 voire même,
00:55:42 certaines grandes conduites indignes
00:55:45 au nom de la dignité.
00:55:47 Donc ce truc est terrible,
00:55:49 parce qu'il y a une sorte de perversion.
00:55:52 -Pourquoi ?
00:55:53 -Je pense au fait que vous considérez
00:55:55 que vous pouvez tuer quelqu'un
00:55:57 au nom de la dignité,
00:55:59 pour défendre votre dignité bafouée.
00:56:04 Et Dieu sait si ça a été...
00:56:07 À un moment donné, là, c'est une des...
00:56:10 C'est une des possibilités d'interprétation de Frantz Fanon
00:56:14 sur "Les Derniers de la Terre",
00:56:18 sur son dernier texte,
00:56:19 avec une préface archiconnue de Sartre,
00:56:22 où, très clairement,
00:56:24 et pas si clairement,
00:56:26 Fanon vient dire que, tiens,
00:56:30 qu'est-ce qui désintoxique
00:56:34 la colonisation de l'être ?
00:56:36 C'est la destruction du colon.
00:56:38 C'est la destruction et c'est la mise à mort
00:56:41 de celui qui me met à mort en me colonisant.
00:56:46 Et donc, là, vous rentrez dans un truc
00:56:49 qui est que vous validez la violence,
00:56:52 le thanatopolitique,
00:56:55 dirait Norman Hajari et d'autres.
00:56:57 Voilà.
00:56:59 Et moi, je ne défends pas ça.
00:57:01 Donc, je ne crois pas à la régulation par la violence.
00:57:05 Et ce qui est très intéressant, c'est que Fanon,
00:57:08 il l'écrit,
00:57:09 et en tant que psychiatre,
00:57:12 dans ses écrits,
00:57:13 il valide le fait que ça ne marche pas.
00:57:16 Bien évidemment.
00:57:17 Et il voit qu'il est face à des colonisés
00:57:20 qui ont basculé dans une violence de torture absolue.
00:57:24 Et en fait, ils ont perdu leur humanité.
00:57:28 Ils ont traversé un Rubicon de...
00:57:31 Voilà.
00:57:32 Et qu'ils n'arrivent pas à finaliser la violence,
00:57:34 à en sortir.
00:57:35 Donc, là, encore une fois,
00:57:39 la vraie violence,
00:57:40 ni la légitime défense, ni je ne sais pas quoi,
00:57:43 voilà.
00:57:44 Non, la vraie violence, elle est sa propre fin.
00:57:48 Donc, tout ça pour dire que l'indignation,
00:57:53 il faut voir jusqu'où ça peut nous emmener.
00:57:57 Donc, l'enjeu, c'était de rebasculer de l'indignation
00:58:00 à une dignité en action.
00:58:01 Donc, à la fois, reconnaître ce qu'il peut y avoir de vrai
00:58:05 dans cette déclaration de l'indignation,
00:58:08 ne pas simplement lui mettre un soufflet en disant,
00:58:12 "Mais, mon Dieu, vous avez une conscience bien trop sensible."
00:58:17 Et ça ne tient pas la route.
00:58:19 Mais, en même temps, faire attention
00:58:21 à ne pas se faire embarquer dans un cycle
00:58:25 qui n'a la violence que pour finalité.
00:58:28 -Alors, on va donner la parole à la salle.
00:58:30 Vous avez oublié la 2e partie de la question,
00:58:32 qui était "Comment est-ce qu'on résiste au découragement ?"
00:58:36 Parce que comment vous faites pour résister au découragement ?
00:58:39 -Comment on résiste au découragement,
00:58:43 aujourd'hui, malgré tout ?
00:58:45 Si vous voulez, on peut orienter,
00:58:48 parce que c'est la vérité du monde,
00:58:53 c'est-à-dire qu'on peut, à la fois,
00:58:56 se saisir du dysfonctionnel qui existe partout
00:59:00 et qui est débordant.
00:59:03 Voilà, c'est un fait.
00:59:06 Et, encore une fois,
00:59:10 si vous avez la capacité de vous saisir de ce dysfonctionnel,
00:59:15 et d'attraper ce dysfonctionnel,
00:59:17 et de, malgré tout, déployer à partir de ce dysfonctionnel
00:59:21 une fonction de symbolisation pour aller agir
00:59:25 de manière non ressentimiste,
00:59:28 très bien.
00:59:30 Il y a des êtres qui ont la capacité de ça,
00:59:32 et même qui ont besoin de ça,
00:59:34 parce qu'ils savent, je ne sais pas,
00:59:37 se nourrir d'une colère jusqu'à un certain endroit.
00:59:41 Si...
00:59:43 Ben non.
00:59:45 Si vous êtes plus poreux à cela,
00:59:49 il importe, à un moment donné,
00:59:51 d'orienter son regard sur ce qui dysfonctionne moins.
00:59:56 Et il y a des choses qui dysfonctionnent moins.
00:59:59 Tous les jours.
01:00:01 Sans doute, nous n'avons jamais été autant
01:00:04 dans une société où il y a autant aussi de choses
01:00:08 et d'êtres qui sont engagés et sérieux
01:00:13 au sens Jean-Kélivi du terme.
01:00:15 Que ce soit des soignants, des enseignants,
01:00:17 des magistrats, des policiers, que sais-je,
01:00:19 des boulangers, des avocats, ce que vous voulez.
01:00:21 Et en plus, aujourd'hui, on a une sorte d'outil
01:00:25 à la fois magique et terrible,
01:00:27 qui s'appelle Internet,
01:00:29 ou les réseaux sociaux, etc.,
01:00:31 et qui nous permet d'identifier
01:00:33 plus aisément ce N+1,
01:00:37 non pas au sens managérial du terme,
01:00:40 mais cet autre de nous-mêmes,
01:00:44 et qui est un tout petit peu moins découragé que nous,
01:00:48 et avec lequel nous pouvons nous lier.
01:00:51 Donc, si vous voulez,
01:00:54 comment on "résiste"
01:00:58 à ces phases de découragement ?
01:01:03 En s'obligeant, voilà,
01:01:06 comme un exercice un peu de reconditionnement de soi,
01:01:11 en allant et en faisant lien,
01:01:14 quand on est jeune, avec d'autres camarades,
01:01:17 et on forme une association,
01:01:20 on s'oblige à produire des collectifs, même petits.
01:01:24 Et oui, ça sauve des vies.
01:01:28 Voilà.
01:01:30 Ça sauvera peut-être pas l'histoire,
01:01:34 mais ça sauve votre vie.
01:01:37 Donc c'est quand même terriblement important.
01:01:41 Et aujourd'hui, malgré tout, je le redis,
01:01:45 c'est beaucoup plus aisé
01:01:49 de repérer ceux avec qui on peut produire
01:01:53 une affinité élective,
01:01:56 et avec qui on peut construire des loyautés,
01:01:59 et avec qui on peut mettre en place
01:02:02 la légitimité de demain.
01:02:04 Donc voilà.
01:02:06 Donc il faut tout simplement le faire.
01:02:10 -Le faire, voilà. Il faut agir.
01:02:12 Merci pour cette discussion très dense.
01:02:15 J'étais sûre qu'il y aurait beaucoup de questions.
01:02:18 Il y a un monsieur qui est là.
01:02:20 Il va y avoir un micro qui va parvenir jusqu'à vous.
01:02:24 -Merci.
01:02:25 Une question par rapport à Opa François
01:02:28 et sa parole sur la vie.
01:02:30 L'avortement, l'euthanasie, le suicide assisté.
01:02:33 J'aimerais bien vous entendre là-dessus.
01:02:36 En tant que juriste, j'ai un autre sujet
01:02:38 par rapport au droit et sa capacité opérationnelle
01:02:40 à transformer le concept de dignité comme il l'a fait,
01:02:43 avec d'autres concepts que le droit a mani.
01:02:46 Dans le droit, on a le concept de dignité,
01:02:49 mais personne ne sait s'en servir.
01:02:51 Les juges ne savent pas s'en servir.
01:02:53 Et pour moi, c'est un obstacle et en même temps un levier capacitaire.
01:02:56 Qu'en pensez-vous ?
01:02:59 -La première...
01:03:01 Si vous voulez, le pape François,
01:03:03 il est garant de l'histoire chrétienne de la dignité.
01:03:08 Parce qu'elle a été tout à fait conséquente.
01:03:11 Et d'ailleurs, dans les âges de la dignité,
01:03:16 je reviens sur ce biais religieux, spirituel, chrétien, théologique,
01:03:22 etc., de la dignité.
01:03:24 Alors, la dignité de la personne humaine,
01:03:26 au sens, pas personnaliste du terme,
01:03:29 mais plutôt au sens générique humain,
01:03:31 c'est-à-dire que, en gros, derrière cette position, le pro-life,
01:03:37 je veux dire...
01:03:39 Et donc, il est garant de cela.
01:03:43 Et ce qui peut être ressenti comme un biais,
01:03:48 d'ailleurs ressenti à juste titre, conservateur,
01:03:51 avec une immense asymétrie
01:03:54 qui structure la dignité humaine dans sa version chrétienne,
01:03:58 qui est l'asymétrie inaugurale entre le créateur et la créature,
01:04:01 et dont il est garant aussi,
01:04:03 ce qui n'est pas la vérité de la démocratie.
01:04:06 La démocratie ne se pose pas comme ça, avec cette asymétrie-là.
01:04:11 Il n'y a pas d'asymétrie.
01:04:13 Et il y a ce que d'autres ont pu appeler
01:04:16 une souveraineté de la conscience.
01:04:18 C'est ça, l'état social de droit.
01:04:21 Et bien évidemment, ce n'est pas une position chrétienne.
01:04:24 Donc ça, c'est un premier point.
01:04:26 Donc, voilà.
01:04:28 Si on est chrétien jusqu'au bout,
01:04:31 en tout cas pas dans sa version réformée, etc.,
01:04:34 on est garant de cette impossibilité, si vous voulez,
01:04:40 de remettre en cause cet interdit-là
01:04:46 sur la question de l'euthanasie,
01:04:49 sur la question de l'avortement, etc.
01:04:51 Et en même temps,
01:04:53 parce qu'on n'est jamais à une contradiction près,
01:04:57 le pape François, il est aussi l'enfant de 1948.
01:05:01 Et donc, il a quand même un petit croisement, là,
01:05:04 sur la queue de comète,
01:05:07 avec le fait que,
01:05:11 et je pense notamment lorsqu'il dit
01:05:13 "la Méditerranée est le tombeau de la dignité",
01:05:16 donc c'était son plaidoyer pour dire
01:05:19 que ce qui se passait aujourd'hui avec les migrants,
01:05:24 c'était le cimetière de la dignité.
01:05:27 - C'est ce qu'il a dit à Marseille.
01:05:29 - C'est ce qu'il a dit à Marseille.
01:05:31 Donc, ce n'est pas rien.
01:05:33 Et il a redit et redit.
01:05:36 Donc, vous voyez, il tient les deux bouts de la chaîne
01:05:39 parce qu'à la fois, bien évidemment,
01:05:41 le migrant étant aujourd'hui, je dirais,
01:05:43 une figure archétypale bien connue dans la chrétienté.
01:05:46 De l'éminence de la dignité des pauvres,
01:05:49 on pourrait dire aujourd'hui de l'éminence de la dignité des migrants.
01:05:52 Enfin, on pourrait avoir une espèce de continuum comme ça.
01:05:56 Mais ce n'est pas que ça, quand même.
01:05:58 C'est aussi au sens de l'universel appartenance des hommes,
01:06:04 de la dignité, de la fraternité,
01:06:06 donc de quelque chose qui est...
01:06:08 Il est quand même l'enfant aussi de l'universel,
01:06:10 de l'égale dignité des vies aussi.
01:06:14 Donc, il n'est pas que, aujourd'hui,
01:06:19 dépositaire de la grande tradition chrétienne.
01:06:22 Et il est dépositaire quand même un peu
01:06:25 de cette universalité des droits.
01:06:28 Et en plus, il termine avec...
01:06:32 Pas cette fois-ci, mais il l'avait fait avec l'encyclique
01:06:36 "Laudato si", voilà,
01:06:41 qui était son encyclique dédiée au monde du vivant.
01:06:45 Parce que c'est le...
01:06:47 En tout cas, ce n'est pas le premier,
01:06:49 mais c'est un pape absolument déterminant
01:06:52 dans la prise en considération de la dignité du vivant.
01:06:56 Ce qui n'a pas toujours été une position de l'Église,
01:07:00 en tout cas pas à ce point-là, etc.
01:07:03 Donc, c'est un pape intéressant parce qu'il y a une...
01:07:09 Comment dire ?
01:07:10 Il vient raconter, si j'ose dire,
01:07:13 presque les conflits de dignité qu'on peut avoir.
01:07:17 Et il est lui-même l'incarnation de cela
01:07:20 avec des positions qui ne sont pas nécessairement,
01:07:24 comment dire, compatibles.
01:07:28 Si, justement, elles sont compatibles en sa personne,
01:07:31 et aujourd'hui, en la personne du Christ.
01:07:34 Mais voilà, on voit que ça s'est mobilisé.
01:07:37 Donc, voilà, moi, je peux simplement, si vous voulez...
01:07:41 Et c'est pour ça que le concept de dignité est tout sauf simple.
01:07:45 Parce que, bien évidemment, qu'on aura demain...
01:07:49 Enfin, pas demain, d'ailleurs,
01:07:51 on aura toujours des conflits de dignité,
01:07:54 des conflits de dignité au sens d'une dignité
01:07:56 qui est portée que spirituellement,
01:08:00 et puis d'une dignité qui peut être portée
01:08:02 au sens plus démocratique du terme,
01:08:05 et très clairement, à l'heure d'aujourd'hui,
01:08:08 la définition de la démocratie,
01:08:11 par exemple, par rapport à la question de l'euthanasie,
01:08:13 c'est celle de l'autodétermination du sujet.
01:08:18 Et dans l'autodétermination du sujet,
01:08:20 il y a à la fois la possibilité d'une dignité des soins palliatifs,
01:08:24 et puis il y a aussi la possibilité, peut-être,
01:08:28 d'une sédation profonde avant l'heure.
01:08:31 Nous, en démocratie, on attrape le spectre des possibilités.
01:08:37 Bon.
01:08:39 Donc voilà, on n'est pas au même endroit que l'Église.
01:08:43 Et puis sur le droit, oui, oui, c'est toute la polysémie,
01:08:52 parce que ça reste une idée régulatrice du droit, très clairement.
01:08:56 Et après, oui, on se heurte à l'objectivation
01:09:00 de cette notion, comment on mesure.
01:09:02 Et là, je n'ai pas de réponse,
01:09:08 parce que l'histoire tente malgré tout
01:09:11 de produire des critères pour qu'à un moment donné,
01:09:15 quand même, ce concept de dignité soit opérationnel,
01:09:19 mais en même temps, on sent bien
01:09:21 qu'il y a aussi toute la question subjective,
01:09:24 et donc que ça peut être aussi un puits sans fond.
01:09:27 Et donc je peux comprendre le droit qui...
01:09:31 Voilà.
01:09:33 Oui ?
01:09:40 Oui ?
01:09:41 Oui, c'est ce que...
01:09:46 En tout cas, avec l'air aidant, dans le...
01:09:49 Comment ça s'appelle ? Dans le livre, pardon.
01:09:51 Comment ça s'appelle ?
01:09:53 Ça s'appelle un livre.
01:09:56 Donc, ça s'appelle un livre.
01:09:58 C'est comme quoi il ne faut pas toujours dire
01:10:01 ce qu'on a dans la tête et faire le...
01:10:04 Voilà, il faut...
01:10:06 Donc, avec l'air aidant, justement, elle revient là-dessus
01:10:09 en disant comment on peut faire.
01:10:12 Et effectivement, elle rentre par le positif-négatif,
01:10:16 si j'ose dire, et donc...
01:10:18 le fait indigne caractérisé par le fait indigne
01:10:25 caractérisé.
01:10:26 Bon.
01:10:28 Mais...
01:10:29 Donc, oui, c'est une des possibilités,
01:10:33 sachant que là aussi, si vous voulez,
01:10:35 c'est pas aussi simple que ça,
01:10:37 parce que même sur la définition de ce qui est indigne,
01:10:40 on peut...
01:10:42 Voilà.
01:10:43 Mais c'est pas grave.
01:10:44 C'est comme ça qu'on fait évoluer, je pense,
01:10:47 au contraire, le droit.
01:10:49 -Est-ce qu'il y a d'autres questions ?
01:10:54 Et on va pas non plus trop les multiplier,
01:10:56 parce que, voilà, on sent que...
01:10:58 -On répond pas assez vite, en plus.
01:11:00 -Bonsoir.
01:11:13 Je voulais savoir si vous aviez réfléchi
01:11:15 à un autre sens de la dignité,
01:11:17 qui est un peu contradictoire,
01:11:19 qui est, en fait, l'injonction à rester digne,
01:11:21 l'injonction à pas épancher nos sentiments,
01:11:24 à accepter notre sort, à refuser l'indignité,
01:11:27 qui est, en fait, contradictoire
01:11:28 avec la définition que vous avez donnée de la dignité à l'instant.
01:11:32 Et je voulais savoir de quoi est-ce que
01:11:34 cet usage galvaudé de la dignité était le symptôme, selon vous.
01:11:37 -Oui, oui. Alors, dans le livre, là aussi,
01:11:42 on...
01:11:43 Je dis "on" parce qu'on est, malgré tout, une petite cohorte.
01:11:47 On revient...
01:11:48 Alors, c'est à la fois dans l'usage de la dignité,
01:11:51 sur cette conception plus antique de la dignité,
01:11:55 parce que c'est aussi quelque chose qui existe
01:11:57 dans le monde antique,
01:11:59 c'est-à-dire, d'une certaine manière,
01:12:02 la dignité qui est une forme de représentation sociale
01:12:08 de soi-même,
01:12:09 et pas simplement le dignitas au sens de statut social,
01:12:13 mais le fait de l'honneur,
01:12:17 et donc d'avoir une certaine représentation de soi-même
01:12:22 qui doit faire effacer ce qui est jugé alors
01:12:26 comme des stigmates de vulnérabilité.
01:12:31 Donc, d'insuffisance,
01:12:33 alors, bien sûr, les pleurs, la démonstration, etc.,
01:12:39 sachant que, là aussi, c'est pas si simple que ça,
01:12:42 parce qu'il y avait eu un très beau livre,
01:12:44 et là, je ne me souviens plus de l'auteur,
01:12:47 mais qui avait rappelé à quel point,
01:12:49 même dans l'histoire romaine,
01:12:51 il y avait eu un grand moment
01:12:54 de la représentation publique de la compassion.
01:12:58 Et donc, par exemple,
01:12:59 qu'il y avait un rôle, à un moment donné,
01:13:02 dédié aux larmes,
01:13:04 et au fait de...
01:13:06 Voilà.
01:13:08 Vous voyez, c'est très culturel, en fait,
01:13:11 cette représentation de ce qui est digne,
01:13:14 parce que, là, comme ça,
01:13:16 dans un premier temps très éthique protestante,
01:13:18 on se dit...
01:13:19 Rien ne doit transparaître,
01:13:22 mais il a été longtemps...
01:13:24 Comment dire ?
01:13:26 Les femmes ont été très souvent aussi pointées du doigt.
01:13:30 De toute façon, les femmes, en règle générale, elles ont tort.
01:13:33 Donc, dans l'histoire,
01:13:34 elles incarnent ce rôle pivot
01:13:37 de celle qui a tort,
01:13:39 de l'humain qui a tort.
01:13:41 Donc, de toute façon, quoi qu'elles fassent,
01:13:43 ça n'ira pas.
01:13:45 C'est comme ça.
01:13:46 Le mauvais objet de l'histoire, c'est la femme.
01:13:49 Donc...
01:13:50 Mais c'est intéressant,
01:13:51 puisque les femmes, on leur reproche
01:13:53 à la fois l'hystérie des émotions
01:13:55 et l'indignité de leurs émotions,
01:13:56 et puis, les femmes qui ne pleurent pas,
01:13:58 l'indignité de leur non-tristesse.
01:14:01 Donc, ça s'appelle un double bind.
01:14:04 C'est, de toute façon, c'est perdant.
01:14:07 Donc, je ne sais pas pourquoi tu joues,
01:14:09 parce que c'est perdant.
01:14:10 Alors, c'est pas grave.
01:14:12 Moi, j'avais une formule, enfant, je disais,
01:14:14 "Tant que je perds, je joue."
01:14:15 J'ai essayé de retourner le truc, mais bon.
01:14:19 Donc, tout ça pour dire que...
01:14:22 Oui, alors, il y a toute une histoire viriliste,
01:14:25 parce qu'il y a aussi ça, du patriarcat,
01:14:28 et très souvent de l'assimilation
01:14:31 entre l'honneur, la fierté et la dignité.
01:14:34 Et bien évidemment, ce n'est pas ça, la dignité.
01:14:38 Et la dignité, je pense, fondamentalement,
01:14:40 a conquis ses lettres de noblesse aussi
01:14:44 en renversant cette vision très rétrécie
01:14:48 et très réifiée de ce qu'est la dignité
01:14:50 et qui ne serait qu'une dignité, en fait, insensible,
01:14:55 non vulnérable, etc.
01:14:57 Et qu'heureusement, pour nous, aujourd'hui,
01:14:59 on a réouvert la notion de dignité
01:15:02 en disant, non, la notion de dignité,
01:15:05 elle est liée aux faits humains,
01:15:07 et le fait humain, la vulnérabilité, c'est le fait humain.
01:15:12 Ça ne veut pas dire qu'on rentre
01:15:13 dans une essentialisation de la vulnérabilité,
01:15:15 ça ne veut pas dire qu'on est dans une version
01:15:18 de revendication doloriste, que sais-je, non,
01:15:22 mais ça veut dire aussi que, en tout cas,
01:15:24 moi, je le vois au point de vue clinique aussi,
01:15:26 que nier les vulnérabilités les renforce.
01:15:29 Voilà. Donc, pour le coup,
01:15:33 c'est une vision viciée, pour ma part,
01:15:38 de cette idée de... Voilà.
01:15:40 Mais vous avez raison que, malgré tout,
01:15:42 comme nous avons un biais, et j'en termine, pardon,
01:15:45 autonomiste de la dignité,
01:15:48 et que nous avons encore un biais viriliste,
01:15:51 patriarcal de la dignité,
01:15:55 nous avons une très grande, aussi, intériorisation
01:15:58 chez nos aînés de ça,
01:16:01 et de se dire, "Mon Dieu, si je ne suis plus ceci ou cela,
01:16:06 "de toute façon, je suis indigne, et donc, je ne veux rien montrer,
01:16:09 "et puis, je ne veux tellement rien montrer
01:16:11 "que ça serait bien que je disparaisse."
01:16:13 Et ça, je pense que c'est quand même une faillite
01:16:18 de la modernité,
01:16:20 de ne pas avoir su faire place
01:16:25 aux différents âges de la vie
01:16:29 avec ce que ça propose.
01:16:32 - Est-ce qu'il y a une dernière question ?
01:16:37 - Je crois que le livre sur les pleurs à Rome,
01:16:47 je suis sûre qu'il est paru aux éditions Anna Mosa,
01:16:49 mais je n'arrive pas à me souvenir.
01:16:50 C'est une autrice, c'est une femme, une historienne ?
01:16:52 - C'est une autrice, c'est une femme, et l'édition, c'est Anna Mosa.
01:16:55 Tout à fait. Et le livre est super.
01:16:58 Mais alors, "Incapables et honte à nous", pardon.
01:17:00 Parce que ceux qui ont ce machin fantastique
01:17:06 qui s'appelle Google,
01:17:08 vous pouvez aller chercher Anna Mosa, les pleurs et tout ça.
01:17:12 - J'ai une question tout simple par rapport à l'actualité.
01:17:16 À la fois clinicienne et philosophe,
01:17:19 je voudrais savoir si vous avez, dans votre édition,
01:17:21 le droit de mourir dans la vie ?
01:17:25 - Ce que j'entends, si vous voulez,
01:17:26 dans le droit de mourir dans la dignité,
01:17:28 c'est à la fois toute la controverse autour du fait de dire
01:17:34 "En fait, ça n'a pas lieu d'être
01:17:36 "parce que nous sommes dignes de toute façon jusqu'à la fin."
01:17:40 Et en même temps, bien évidemment, ce que j'entends,
01:17:42 c'est la crainte intériorisée de chacun d'entre nous
01:17:45 de se dire "Au moment où je vais perdre mon rapport de force
01:17:48 "avec la société, où je vais entrer en dépendance,
01:17:52 "il se pourrait bien que la société ne se comporte pas
01:17:56 "de façon digne avec moi."
01:17:58 C'est ça, en fait.
01:18:00 Et donc, que je ne puisse pas accéder à des soins palliatifs viables
01:18:06 et de bonne qualité,
01:18:08 ou que le respect de mon autodétermination
01:18:12 ne soit pas suivi, etc.
01:18:14 C'est ça, le droit de mourir dans la dignité.
01:18:17 - C'est une réponse de clinicienne ou de philosophe ?
01:18:21 - C'est une réponse...
01:18:24 Non, c'est une réponse d'abord de philosophe.
01:18:26 Voilà.
01:18:28 Si je dois faire une réponse de clinicienne,
01:18:31 le droit de mourir dans la dignité,
01:18:33 bien,
01:18:34 rien de rien.
01:18:35 Pour une fois, elle ne serait pas si éloignée que ça,
01:18:41 parce que...
01:18:42 Oui, c'est une réponse de philosophe.
01:18:48 C'est une crainte, si vous voulez,
01:18:51 qui est ressentie à l'adresse de la société, je pense.
01:18:55 Parce que de soi à soi,
01:18:58 la question ne se pose pas.
01:19:01 De soi à soi, nous savons que nous sommes dignes.
01:19:05 Ce qui est terrible, c'est à un moment donné,
01:19:08 le regard de soi à soi,
01:19:10 mais parce qu'il s'est passé un biais
01:19:13 qui s'appelle la société,
01:19:15 et qui nous donne le sentiment soit d'avoir honte,
01:19:18 soit de devenir un fardeau pour autrui.
01:19:21 Et donc c'est ça qui...
01:19:22 Mais de soi à soi,
01:19:24 normalement, si la société était au bon endroit,
01:19:26 bon, voilà.
01:19:28 -Merci beaucoup, Cynthia Fleury. -Merci à vous.
01:19:33 -On peut vous retrouver juste...
01:19:36 (Applaudissements)
01:19:38 (...)
01:19:48 -Merci de votre écoute et de votre attention,
01:19:51 de votre concentration.
01:19:52 C'était un moment très agréable, en tout cas pour moi.
01:19:55 Merci.
01:19:56 [SILENCE]

Recommandée