Pinar Selek, sociologue, écrivaine et militante turque : "Je suis féministe, j'écris, j'agis, cela dérange le pouvoir turc"
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00:00 à l'instant la Turquie. La Turquie par ailleurs poursuit sa répression des
00:03 opposants et des figures de la société civile.
00:05 La sociologue et écrivaine franco-turque Pinar Selek est à nouveau jugée
00:09 aujourd'hui par Compte-Humas dans le cadre d'un cinquième procès.
00:11 Elle risque toujours la perpétuité pour des faits qui remontent à 1998 et pour
00:16 lesquels elle a déjà été acquittée quatre fois. A chaque fois le procureur
00:21 a fait appel. Cette militante féministe de tous les combats dans la défense des
00:25 minorités en Turquie est poursuivie par la justice turque depuis 25 ans maintenant
00:30 et on est justement en ligne avec Pinar Selek. Bonjour, merci d'avoir accepté
00:34 notre invitation sur France 24. Vous avez donc été accusée par la justice turque
00:39 de terrorisme après une explosion en 1998 sur le marché aux épices d'Istanbul.
00:45 Explosion qui en réalité s'est avérée être accidentelle. Pourquoi est-ce que
00:49 vous avez le sentiment que la justice vous pourchasse depuis ?
00:54 Bonjour, d'abord excusez-moi, je voulais partager mon état d'esprit.
01:02 Je suis sidérée de ce qui se passe pour le peuple arménien,
01:07 le peuple qui a vécu le génocide et qui est survécu au génocide.
01:13 Nous savons bien que l'Arménie continue ce qui avait commencé la Turquie.
01:21 Ce sont des pays plus sûrs de même aujourd'hui sur le plan économique
01:27 géostratégique comme nous avons entendu maintenant.
01:32 Moi en travaillant sur l'histoire du génocide de 1915, j'avais beaucoup
01:38 cherché les justes parce qu'il y avait beaucoup d'écrivains que j'aimais beaucoup,
01:44 il y avait beaucoup de musiciens que j'aimais beaucoup et j'avais beaucoup
01:47 essayé de chercher ce qu'ils ont dit, ce qu'ils ont fait.
01:52 Quelquefois je n'avais rien trouvé.
01:54 Aujourd'hui pour être juste, ce ne concerne pas seulement notre pays,
02:00 parce qu'on vit dans un monde assez mondialisé,
02:04 pour être juste il faut faire quelque chose.
02:08 Il faut dire que ce ne sont pas les valeurs démocratiques qui sont importantes,
02:13 ce sont les rapports de force, mais il faut trouver une façon de réunir
02:19 nos forces toutes ensemble.
02:21 Donc je veux commencer avec ça.
02:23 Deuxièmement, pour répondre à votre question,
02:27 moi je n'étais pas arrêtée par rapport à l'attentat, ça n'a rien à voir.
02:32 C'était pour votre travail sur justement les minorités en Turquie
02:36 et vos engagements concernant les droits de l'homme dans le pays ?
02:40 Oui, c'était juste mes engagements, mais au début il y a 25 ans,
02:44 j'étais une jeune sociologue "turque" et je travaillais sur le mouvement kurde.
02:50 J'avais fait plein d'entretiens et la police m'a arrêtée.
02:52 Elle m'a dit "tu ne vas pas publier ce livre et tu vas nous donner
02:55 toutes tes sources, tous les noms X, Y, Z".
02:59 Donc j'ai résisté, j'ai été torturée gravement.
03:02 Après on m'a mise en prison pour aider à l'organisation, etc.
03:06 Mais j'ai tenu bon. Mais deux mois après,
03:11 il y a eu plein de complots de cette manière.
03:15 Il y avait un autre complot, donc ils ont monté pour criminaliser les Kurdes
03:19 et ils m'ont mise dedans.
03:21 Donc ils ont arrêté un jeune qui disait que moi j'ai fait pour le mouvement kurde
03:27 et avec Pénal Select. Donc c'est commencé comme ça.
03:29 J'ai appris à la télévision en prison que j'ai été mise dans cette affaire.
03:34 Mais depuis notre lutte continue comme des fourmis.
03:38 Mais par exemple, je peux vous dire que les Arméniens m'inspirent beaucoup
03:42 parce que quand ils étaient déterritorialisés,
03:45 ils n'ont pas oublié la lutte de justice et ils ont continué.
03:51 Donc moi j'essaie de le faire avec tous mes amis.
03:54 Et donc c'est toujours ces reportages, quatre acquittements.
04:00 Et à la fin, tous mes engagements aussi auprès d'autres opprimés,
04:07 aussi le fait que je suis féministe, j'écris, j'agis, etc.
04:13 Donc ça dérange beaucoup le pouvoir turc.
04:16 Et c'est pour cette raison-là que le procès continue.
04:20 Et maintenant on vient d'apprendre qu'ils ont reporté le jugement
04:25 le 26 juin, donc à peu près au nom.
04:30 Et en demandant, ils ont renvoyé à la France la demande d'extradition.
04:36 Donc ils ont envoyé des nouveaux éléments,
04:39 il n'y a pas de nouveaux éléments pour convaincre la France.
04:43 Donc ils ont renouvelé leur demande de notice rouge
04:49 et leur demande d'extradition à la France.
04:51 Et ils ont donné à peu près neuf mois, je pense,
04:55 de temps pour que la France m'extrade.
04:59 Voilà, et moi je suis entourée maintenant, je suis à ma maison d'édition
05:04 et je donne le message que je persiste et je signe.
05:08 Je viens de publier un nouveau livre, "Le chaudron turc militaire"
05:11 et je me dis, je ne veux pas arrêter de réfléchir.
05:16 Tout le monde me dit "fais attention, il faut que tu ne parles pas beaucoup,
05:20 tu ne parles pas sur ce sujet, etc."
05:23 J'ai dit non, je ne vais pas assister et signer,
05:27 même si j'ai des menaces très fortes.
05:31 Donc c'est bien de vivre, même peu, mais librement.
05:34 - Pinar Szelek, après plus de 25 ans de traque judiciaire
05:38 dont vous faites l'objet,
05:39 quelles conséquences sur votre vie personnelle, familiale ?
05:43 Et est-ce que vous gardez espoir ?
05:46 - Je finis ce livre, la première fois que je finis un livre
05:51 avec une phrase très pessimiste,
05:54 je ne sais pas pessimiste mais pas optimiste.
05:57 "Le mal enraciné dans le pays n'est pas un rhume,
06:01 on ne peut pas le soigner avec un peu de miel et de citron."
06:04 Donc je pense que c'est très difficile de revenir en arrière,
06:09 surtout par rapport à ce pays,
06:11 parce que toutes ces relations, toutes ces traditions sont très structurées
06:16 et c'est multicausal et c'est très historique.
06:20 Donc il faut un vrai travail, une lutte de long terme,
06:23 mais je n'ai pas l'espoir de court terme, si vous voulez.
06:28 - Merci beaucoup Pinar Szelek d'avoir témoigné sur notre antenne.