CINÉMA - Musique angoissante, mise en scène saccadée, il se regarde comme un thriller, la boule au ventre. Sauf que les personnages et leurs traumatismes n’ont rien de fictif. Le documentaire Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique, qui sort dans quelques salles en France ce mercredi 4 octobre, s’attaque au cyberharcèlement des femmes à travers le témoignage de plusieurs victimes et le décryptage d’expertes.
Les réalisatrices québécoises Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist ont suivi quatre femmes, vivant dans des pays et continents différents, pour montrer les conséquences bien réelles de la misogynie en ligne. Parmi elle, la Française Marion Séclin, qui a été la cible d’une campagne virulente de cyberharcèlement en 2016 suite à la publication d’une vidéo sur le harcèlement de rue pour Madmoizelle.
Les réalisatrices québécoises Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist ont suivi quatre femmes, vivant dans des pays et continents différents, pour montrer les conséquences bien réelles de la misogynie en ligne. Parmi elle, la Française Marion Séclin, qui a été la cible d’une campagne virulente de cyberharcèlement en 2016 suite à la publication d’une vidéo sur le harcèlement de rue pour Madmoizelle.
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Court métrageTranscription
00:00 J'ai l'impression de passer ma vie à essayer de dire
00:01 "J'ai vraiment vécu quelque chose de traumatisant"
00:03 mais je suis obligée de dire des chiffres.
00:04 Je suis obligée d'expliquer que j'ai eu envie de mettre fin à mes jours
00:08 parce que sinon, ça n'est pas entendu.
00:09, 40 000 insultes, menaces de mort et menaces de viol.
00:28 En 2016, je faisais des vidéos pour le site Madmoizelle
00:41 et j'avais fait une vidéo pour casser les idées reçues sur le féminisme.
00:44 Et je parle de harcèlement de rue, je parle du fait que dans la rue constamment,
00:48 en tant que femme, je ne me sens pas en sécurité.
00:50 Et je dis juste, avant d'aller interpeller une femme,
00:53 même si t'es super gentille et que ça te demande un courage fou,
00:55 réfléchis, ne va pas l'interpeller
00:56 parce que tu n'es peut-être pas le premier aujourd'hui.
00:58 Et là, cataclysme.
01:02 J'ai été insultée, menacée de mort, de viol, appel au suicide
01:07 de manière constante, quotidienne, pendant près de deux ans.
01:09 Sous la vidéo en question, au bout de deux mois,
01:21 il y avait à peu près 40 000 commentaires,
01:24 dont zéro étaient des commentaires sympas.
01:29 C'était tous des menaces de mort, des menaces de viol,
01:31 des insultes, des choses qui sont normalement illégales.
01:36 C'est juste deux mois.
01:37 Aujourd'hui, ce serait une blague de recompter.
01:39 J'ai l'impression de passer ma vie à essayer de dire
01:41 "j'ai vraiment vécu quelque chose de traumatisant,
01:42 mais je suis obligée de dire des chiffres,
01:44 je suis obligée d'expliquer que j'ai eu envie de mettre fin à mes jours
01:47 parce que sinon, ça n'a pas entendu.
01:49 Je dois en plus dire que ça va, on s'en sort."
01:52 Ouais, cool. Tout le monde ne s'en sort pas.
01:55 Cette manière de se dire que dans une foule, tu ne seras pas repéré,
02:06 parce qu'effectivement, c'est physiquement impossible
02:09 de poursuivre toutes ces personnes.
02:10 Ça fait qu'ils sont tranquilles.
02:13 Dans les cas où, par exemple, Nadia Damm a poursuivi
02:15 cinq de ses harceleurs au hasard,
02:18 quand j'ai vu leur gueule, je me suis dit "mais...
02:21 elle est pauvre, quoi".
02:23 Et du coup, je n'ai pas eu envie de le faire,
02:25 j'avais envie que tous soient punis,
02:27 mais le problème, c'est que qu'est-ce qui se passe après ?
02:30 Parce que les réseaux ne donnent pas les identités.
02:32 Et encore une fois, t'imagines 40 000 personnes à poursuivre ?
02:36 Ce ne sont pas les seules responsables.
02:47 Évidemment, elles sont responsables.
02:49 Elles laissent faire, mais en l'occurrence,
02:51 elles auraient tant à perdre
02:53 s'il n'y avait plus ces utilisateurs-là.
02:55 Ceux qui, justement, sur l'indignation,
02:57 sur l'acharnement, sur la violence,
02:59 font que leur réseau fonctionne,
03:01 ils ne voient jamais le risque, ces réseaux sociaux,
03:04 de perdre toutes les femmes.
03:05 Parce qu'on est assez docile et gentil,
03:07 et qu'en fait, on ne partira pas.
03:09 Et on le voit bien dans le documentaire,
03:10 il n'y a pas de solution.
03:11 Si on reste, on s'abime.
03:13 Si on part, on a abandonné.
03:14 [Musique]
03:23 Il faut que l'éducation s'y mette,
03:25 il faut que les parents s'y mettent.
03:27 Il faut qu'on éduque les parents.
03:29 Il faut qu'on éduque les politiques,
03:30 parce qu'ils font des lois sur des trucs qu'ils ne connaissent pas.
03:32 Donc, ils se disent "oui, on va mettre
03:34 des lois extrêmement inaccessibles,
03:36 très loin de l'adolescente
03:37 qui est en train de se faire harceler,
03:38 qui ne sait pas quoi faire.
03:40 Il faut former les policiers,
03:41 et ouais, c'est un gros taf.
03:44 Est-ce qu'il ne voudrait pas mieux demander aux femmes
03:45 de juste faire profil bas,
03:46 comme elles ont fait d'habitude ?
03:48 Si, et c'est souvent la solution.
03:50 J'ai passé énormément de temps à l'Assemblée,
03:52 aux conseils à l'égalité, à dire "moi, peut-être,
03:54 ma proposition, ce serait d'éduquer".
03:56 Et tout le monde est là "oh, oh là là".
03:59 On m'a même demandé de trouver une solution
04:00 qui ne serait pas l'éducation.
04:01 [Musique]
04:10 J'ai vu une évolution dans la manière d'être au monde
04:13 de la nouvelle génération.
04:15 Moi, je demande encore vachement la permission.
04:17 Je vois la jeune génération qui est là,
04:19 "excuse-moi, ça c'est ma place".
04:22 Ça, ça va changer quelque chose.
04:24 J'espère profondément.
04:26 Il y a encore beaucoup de choses à faire,
04:27 et je pense qu'il va falloir trouver l'art et la manière,
04:31 parce que ça fait un certain nombre d'années
04:32 que ça n'avance pas.
04:33 La planète, elle ne va pas tenir ce temps-là.
04:35 Je pense que la planète mourra
04:38 avant que la femme soit tranquille.
04:40 [Musique]
04:45 [Musique]