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Invité de France Inter ce vendredi, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, a décrit un "malaise démocratique". Mais il souligne que la Constitution de la Ve République, qui fête ses 65 ans, "a le mérite de durer", "d'être stable" et "d'être adaptable".

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Transcription
00:00 Un anniversaire et des questions dans le Grand Entretien.
00:02 Ce matin, cette semaine, mercredi, la Vème République célébrait son 65ème anniversaire.
00:08 Un anniversaire qui tombe en plein malaise démocratique.
00:11 Et avec Marion Lourds, notre invité, est aujourd'hui le président du Conseil Constitutionnel.
00:15 Intervenez, chers auditeurs, citoyens, au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:23 Bonjour Laurent Fabius.
00:24 Bonjour.
00:25 Et bienvenue mercredi, c'était au Palais de Montpensier, en plein cœur de Paris, au
00:29 Conseil Constitutionnel, cet anniversaire.
00:31 Vous avez pris la parole, suivie par le président de la République et en vous regardant, en
00:36 vous écoutant tous les deux, et particulièrement vous Laurent Fabius.
00:40 On se disait qu'il y avait une forme de paradoxe que vous formuliez.
00:43 La Vème République est à bout de souffle, mais la Constitution est formidable.
00:49 Je ne suis pas sûr de votre expression.
00:54 Sentiment de spectateur ? Non, à bout de souffle, je ne crois pas.
00:59 Il y a des difficultés, sûrement.
01:01 Mais moi, mon travail, c'est de veiller à ce que les lois soient conformes à la Constitution.
01:07 Et c'était normal de fêter le 65e anniversaire parce que, quand on regarde l'histoire de
01:19 France, depuis en tout cas la Révolution française, c'est incroyable la succession
01:24 de constitutions qu'il y a eu.
01:25 Il y en a eu 14.
01:27 Et donc, ça veut dire qu'elles ont en général été pour peu de temps.
01:35 En France, nous adorons les constitutions, mais celle-ci a cette particularité qu'elle
01:39 dure plus longtemps que les autres.
01:40 Oui, mais cette particularité, à mon avis, est un atout.
01:44 Quand vous regardez, balayons rapidement, au moment de la Révolution, pendant la période
01:50 de la Révolution, il y a trois constitutions, sans compter la Constitution de 1793, qui
01:56 n'a jamais été appliquée.
01:57 Donc, ça fait déjà trois.
01:58 Après, au moment de l'Empire et du Consulat, vous en avez trois.
02:06 Et en plus, vous avez celle de 1815, des 100 jours.
02:12 Après, vous avez la Restauration et le Ménage constitué, deux chartes.
02:15 Ensuite, vous avez 1848.
02:16 Ensuite, vous avez 1852.
02:17 Ensuite, vous avez 1875.
02:18 Ensuite, vous avez 1946.
02:19 Donc, à chaque fois, on change, on change, on change, on change.
02:24 Toute la liste, d'ailleurs, je le recommande, est sur le site du Conseil constitutionnel.
02:28 Vous êtes un sage et aujourd'hui un professeur.
02:32 On peut citer Napoléon, "Une constitution doit être courte et obscure, elle doit fixer
02:36 les règles du jeu et s'adapter aux aléas de l'histoire".
02:39 Au fond, c'est ça.
02:40 La courte peut-être, l'obscure non.
02:42 Mais la cinquième, c'est donc une constitution, sous l'impulsion principale du général
02:49 de Gaulle, qui a le mérite de durer et d'être stable.
02:53 Mais son autre mérite, c'est d'être adaptable.
02:57 J'ai parlé, moi, de stabilité adaptative.
03:01 Ça veut dire donc qu'elle a quand même surmonté cette constitution des événements
03:05 qui ne sont pas minces.
03:06 La fin de la guerre d'Algérie, les événements de mai 68, l'alternance en 1980, la cohabitation,
03:18 les crises, les émeutes, etc.
03:20 Stabilité, mais adaptation.
03:22 Ça veut dire qu'il y a eu pas mal de révisions de la constitution.
03:25 Il y en a eu 24 jusqu'à présent.
03:27 Il y a eu très souvent une pratique présidentialiste ou hyper-présidentialiste, mais de temps
03:33 en temps, une pratique parlementaire.
03:34 Et donc, cette stabilité, cette souplesse, c'est un atout.
03:38 Ça ne veut pas dire, et vous avez utilisé cette expression que j'utilise moi-même,
03:42 qu'il n'y ait pas de malaise démocratique.
03:44 Malheureusement, il y en a un.
03:45 Et la première traduction de ça, c'est les taux d'abstention aux élections qui
03:49 sont absolument massifs.
03:50 Bon, et on ne peut pas lier uniquement à la constitution ou à la pratique constitutionnelle
03:55 ce malaise.
03:56 Non, mais on va en débarquer.
03:57 Ça intervient quand même.
03:58 Un des outils qui existent dans cette constitution, c'est le référendum.
04:02 Il y a eu neuf référendums depuis 1958.
04:04 Est-ce qu'il faut élargir le champ du référendum comme le souhaite le président de la République ?
04:08 Évidemment, son opinion est absolument décisive.
04:12 Parce qu'en matière de référendum, il y a quatre intervenants.
04:18 Et le président de la République, bien sûr, au premier chef, les assemblées, le conseil
04:26 de la présidentielle et le peuple.
04:28 Le référendum, il est prévu.
04:30 Et Gérard Legault lui-même a pratiqué plusieurs fois le référendum depuis 2005.
04:38 Depuis 2005, il n'y a pas eu de référendum.
04:43 Parce que c'est un risque ?
04:47 Parce que c'est un risque, parce qu'il y a une procédure qui est assez complexe et
04:52 qu'il faut respecter, parce qu'il ne faut pas qu'il y ait un élément passionnel là-dedans.
05:00 Mais quand on consulte les Français, est-ce que vous souhaitez des référendums ? La
05:04 réponse est massivement oui.
05:06 Et lorsqu'on prend un certain nombre d'items, c'est oui, oui, oui.
05:10 Donc, je crois que c'est un instrument dont il ne faut pas se priver.
05:15 Et puis il y a un référendum un peu particulier, qui est le référendum d'initiative partagée,
05:20 où là, l'initiative elle-même appartient au Parlement.
05:24 Mais l'enjeu sur le référendum, est-ce que c'est de le transformer en autre chose
05:28 qu'un plébiscite, qu'il a souvent, peut-être trop souvent, été pour le pouvoir en place
05:32 et qui peut être une porte ouverte à un césarisme démocratique ?
05:36 Oui, et puis aussi, ça fausse un petit peu le processus.
05:40 Parce que si au lieu de répondre à la question posée, on répond, comme c'est souvent
05:44 le cas, à la personne qui le pose.
05:46 Et donc ça, il faut bien choisir les thèmes.
05:50 Alors les thèmes aujourd'hui sont définis par l'article 11 de la Constitution.
05:54 J'invite nos auditeurs à se rapporter l'article 11.
05:56 L'organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique,
05:59 les ASA, la ratification d'un traité non contraire à la Constitution mais susceptible
06:02 d'influencer le fonctionnement.
06:03 C'est tout.
06:04 Mais ça veut dire donc, le Conseil Constitutionnel n'a pas eu à se prononcer là-dessus, mais
06:09 ça veut dire en gros que ce qu'on appelle les questions de société, actuellement ne
06:13 sont pas prévues dans le champ du référendum.
06:15 Donc, même si...
06:16 Prenons un exemple que vous avez évidemment en tête, comme beaucoup de nos auditeurs,
06:20 l'immigration.
06:21 Est-ce qu'on peut faire un référendum sur l'immigration, Laurent Fabius ?
06:23 Aujourd'hui, le Conseil Constitutionnel n'a pas tranché cette question, parce qu'elle
06:26 n'y a pas été soumise, mais la plupart des juristes considèrent, et madame vous
06:32 venez de le citer, que réforme de la politique économique, sociale ou environnementale, c'est
06:39 difficile à dire que l'immigration est concernée.
06:41 Donc, ça veut dire que si on veut faire un référendum, non pas sur l'immigration
06:47 en général, mais sur un texte sur l'immigration, ça veut dire d'abord, et ce n'est pas une
06:50 astuce de dire ça, ça veut dire d'abord qu'il faut modifier donc le champ de l'article
06:54 de la Constitution, et pour ça, il faut réviser la Constitution selon une certaine procédure.
06:58 Mais si cette révision a lieu, ça devient possible.
07:04 Mais hier, vous avez tenu un discours qui, si on avait les sous-titres, était au fond
07:08 politique, profondément politique, Laurent Fabius.
07:11 J'ai eu tort, j'ai eu tort.
07:13 Alors, laissez-moi terminer, puisque Emmanuel Macron venait avec cette demande de pouvoir
07:17 élargir et de faire davantage de référendums, c'est une question qui est dans l'air du
07:21 temps depuis quelques années maintenant, et vous, pendant votre discours, vous avez
07:26 dit qu'un référendum doit porter non sur un slogan flou et passionnel, impossible de
07:31 ne pas penser à l'immigration par exemple, dans ce cas-là, mais sur un texte précis
07:36 de loi.
07:37 Alors, je précise…
07:39 C'est comme si vous répondiez par avance au président de la République.
07:42 Non, non, non.
07:43 Si vous avez compris ça, c'est que je me suis mal exprimé.
07:46 Bon, donc, merci de nous donner l'occasion de corriger les choses, si c'est nécessaire.
07:50 Bon, le rôle du conseiller constitutionnel, et donc de son président, c'est pas d'être
07:54 un juge politique.
07:56 C'est de répondre à une question, est-ce qu'une loi, ou en l'occurrence un référendum,
08:03 c'est conforme à la Constitution ou pas ? C'est ça notre rôle.
08:06 Donc, c'est pas du tout un rôle politique, c'est un rôle juridique.
08:09 Bon, alors, le président de la République a dit lui-même qu'il pensait que le référendum,
08:17 et notamment il pensait que le référendum d'initiative partagée était un peu compliqué.
08:22 Il a cité un certain nombre de champs souhaitables pour le référendum.
08:28 La Nouvelle-Calédonie, il a cité l'IVG.
08:32 Bon, il n'a pas cité l'immigration, mais on pensait quand même à cela.
08:36 Bon, on verra ce qui est proposé.
08:39 Il y a des partis politiques qui sont favorables à ce référendum sur l'immigration.
08:46 On verra ce qui est proposé.
08:48 Et à ce moment-là, le Conseil Concierge se déterminera.
08:51 Le porte-parole du gouvernement parlait, il y a quelques jours, de préférendum,
08:55 d'un référendum qui peut-être justement éviterait le côté plébiscite avec des choix multiples.
08:59 Est-ce que ça existe ? Est-ce que c'est possible aujourd'hui ou dans l'avenir ?
09:02 Je ne suis pas sûr d'avoir compris exactement de quoi il s'agissait.
09:07 Bon, je répète qu'un référendum porte sur un texte de loi, bon,
09:13 article 1er, article 2, article 3, et répond par oui ou par non.
09:17 - Forcément oui ou non.
09:18 - Ah oui, oui, oui.
09:19 Alors, ce n'est donc pas sur un slogan général, c'est sur un texte de loi.
09:24 Une autre question, c'est peut-être à ça qu'il faisait allusion, je ne sais pas,
09:27 c'est est-ce qu'on peut faire plusieurs référendums dans la même journée ?
09:31 Alors, bon, techniquement, c'est peut-être possible,
09:34 mais il faut qu'il y ait plusieurs textes de loi,
09:37 et qu'à ce moment-là, il y ait un oui ou non à chaque question.
09:42 Parce que, là on revient au contrôle du conseil constitutionnel,
09:45 nous nous demandons que le scrutin soit clair et loyal,
09:50 ce qui est la moindre des choses.
09:52 Bon, mais je ne sais pas si c'est à ça qu'il faisait allusion,
09:55 en tout cas le président de la République n'a pas repris cet exemple-là.
09:59 - Elle a un caractère essentiel cette constitution,
10:01 et c'est le général de Gaulle qui l'a voulu ainsi,
10:03 elle donne une tête à l'État, le président de la République,
10:06 mais un président, pour quoi faire ?
10:07 Est-ce qu'il faut que le président gouverne, Laurent Fabius ?
10:10 C'est une question qui est posée,
10:12 oui, mais on aimerait avoir votre réponse.
10:15 Édouard Philippe, par exemple, récemment critiquait
10:18 l'exercice du pouvoir par Emmanuel Macron, par Nicolas Sarkozy,
10:22 en disant "un président ne doit pas s'occuper de gérer les affaires du pays".
10:26 - Je vais avoir une réponse qui, je crains,
10:28 le crain ne va pas totalement vous satisfaire.
10:31 Sachant que j'ai fait le serment,
10:33 ça c'est dans tous les membres du conseil constitutionnel,
10:36 de ne pas me mêler de politique.
10:38 Bon, donc j'ai un devoir de réserve, comme on dit.
10:40 - Ah mais c'est une question de principe.
10:42 - Oui.
10:43 Il y a plusieurs lectures possibles de la Constitution,
10:47 quand vous regardez l'histoire récente.
10:48 Il y a eu des présidences
10:52 où le président a eu un rôle absolument déterminant
10:57 et s'est occupé de presque tout.
10:59 C'est donc une lecture présidentialiste,
11:02 voire hyper-présidentialiste.
11:03 Vous avez eu, inversement, des périodes,
11:06 notamment les périodes de cohabitation,
11:08 où c'était plutôt une lecture parlementariste.
11:11 Et c'est ça, me semble-t-il, un atout de cette Constitution.
11:16 Voilà.
11:17 Alors maintenant, si je sortais un instant de mon rôle,
11:21 compte tenu de mon expérience politique,
11:23 - Allez-y.
11:23 - Le long passé, puisque...
11:25 - Citoyen Fabius, qu'en pensez-vous ?
11:27 - Non, le citoyen, il garde ça pour lui.
11:30 Mais je pense, si vous voulez,
11:34 on est en 2023, tout le monde sera d'accord là-dessus.
11:37 - Oui.
11:39 - Les problèmes sont nombreux, très compliqués.
11:42 Je pense qu'un président de la République
11:46 ne peut pas s'occuper de tout.
11:48 Et donc, le Premier ministre doit avoir un rôle important
11:50 et le Parlement doit avoir un rôle important.
11:52 - Donc ça, c'est déjà un élément de réponse.
11:54 Mais avant d'aller au standard, Laurent Fabius,
11:56 vous allez voir qu'il y a une véritable passion
11:59 pour la Constitution chez les citoyens français.
12:02 Puisque beaucoup d'auditeurs veulent vous interroger,
12:04 juste rapidement, on peut dire quand même que
12:06 depuis ses tous débuts, la Ve République
12:09 est allée vers une monopolisation des pouvoirs
12:12 entre les mains du Président de la République.
12:14 - On ne peut pas dire les choses,
12:16 je suis désolé, d'une façon aussi simple.
12:21 Bon, c'est dommage, mais c'est comme ça.
12:24 Je répète qu'au moment des cohabitations,
12:27 qui avaient leurs avantages et leurs inconvénients,
12:28 mais c'est les Français qui avaient décidé,
12:31 le Président n'avait pas la même pratique,
12:34 évidemment qu'au moment où il y avait une majorité conforme.
12:39 - Bonjour Olivier, merci de participer
12:41 au grand entretien de France Inter.
12:43 Vous nous appelez de tour et vous avez une question
12:45 pour Laurent Fabius.
12:46 - Bonjour Monsieur Fabius, bonjour Ali et les équipes.
12:51 Justement, quand on voit que la Ve République
12:54 a été beaucoup amendée et que c'est un peu un mouton à 5 pattes,
12:58 et qu'on voit les futurs scrutins
13:02 qui pourraient donner une hyper-prévalidentialisation,
13:06 pour moi dangereuse,
13:07 est-ce qu'il ne serait pas temps de regarder de manière posée
13:11 à opérer une cinquième République pour aller vers une sixième,
13:17 mais dont on prendrait le temps, dans le consensus,
13:21 d'une manière apaisée, de voir à la création ?
13:25 - Merci Olivier pour votre question.
13:27 Il y a beaucoup d'auditeurs Laurent Fabius
13:29 qui sont déjà passés à l'étape d'après,
13:32 qui souhaitent une sixième République
13:33 ou qui en tout cas l'exigent pour davantage de démocratie.
13:37 - Alors, le souci de la démocratie, oui, ça c'est très important.
13:42 Et il y a telle ou telle formation politique qui dit
13:46 "non, nous ne voulons plus de la cinquième République,
13:49 nous voulons une sixième République",
13:52 dont on peut discuter des contours.
13:55 Bon, écoutez, mon rôle,
13:58 un mot sur ce que fait le Conseil constitutionnel,
14:01 parce que souvent ce n'est pas connu.
14:03 - Le gardien.
14:04 - Oui, la loi, ce sont les parlementaires qui font la loi,
14:08 très bien, donc députés et sénateurs.
14:11 Bon, mais dans les démocraties avancées, comme la nôtre,
14:15 il y a une loi suprême, si je puis dire.
14:18 L'autre jour, on recevait au Conseil constitutionnel des élèves,
14:23 et à l'un d'entre eux, je lui demandais "mais qu'est-ce que c'est pour toi que la Constitution ?"
14:28 et il me répondait "c'est le super règlement de la République".
14:31 Bon, ce n'est pas très juridique, mais c'est très juste.
14:33 Donc, les lois doivent être conformes à la Constitution.
14:37 - Donc vous êtes le super proviseur.
14:38 - Non.
14:40 Mais il faut bien qu'il y ait un organisme qui vérifie si, oui ou non,
14:44 les lois sont conformes à la Constitution.
14:46 C'est le Conseil constitutionnel, c'est pour ça qu'on nous appelle les sages et on essaye de l'être.
14:50 Alors, une fois qu'on a défini ce rôle-là et le rôle de la Constitution,
14:55 bon, je trouve que l'un des mérites de la Constitution de la Ve,
14:59 c'est cette stabilité, parce que c'est quand même un atout pour un pays
15:03 d'avoir des institutions qui sont stables.
15:06 Mais beaucoup disent "ce n'est pas assez démocratique,
15:11 il y a trop de pouvoir d'un côté, pas assez de pouvoir de l'autre,
15:14 il n'y a pas assez de décentralisation, etc."
15:16 Mais ça, ça ne nécessite pas forcément qu'on change de République et de Constitution.
15:22 On peut dire "il faut réviser la Constitution",
15:24 le cas échéant avec des référendums.
15:26 Donc, compte tenu de mon rôle, je ne vais pas dire "il faut abandonner la Ve République".
15:33 Je crois qu'il y a des modifications, alors la liste est assez longue,
15:38 qui peuvent être adoptées et qui feraient qu'il y ait une réponse
15:44 à ce qu'on appelle le malaise démocratique.
15:45 - C'est vrai qu'avec cette Ve République, il y a souvent eu une lecture présidentielle.
15:49 On vous a accusé, en tout cas le Conseil Constitutionnel,
15:51 au départ d'être un peu à la solde du président.
15:54 - Oui, mais maintenant ce n'est plus le cas.
15:55 - Il y a une question sur l'application.
15:57 Pourquoi le Conseil Constitutionnel fait-il toujours une lecture de la Constitution
15:59 toujours favorable aux puissances ?
16:01 C'est ce que dit Marius et son avis,
16:02 au détriment des libertés individuelles des citoyens.
16:05 Qu'est-ce que vous lui répondez ?
16:06 - Je respecte beaucoup Marius, que je ne connais pas,
16:08 mais je l'invite à regarder nos décisions.
16:11 - Mais les choses ont évolué.
16:14 On a traité le Conseil de chien de garde de l'exécutif,
16:17 le canon braqué sur le Parlement.
16:19 Ça, ça a évolué.
16:20 - Je vais vous donner un simple exemple statistique, si vous voulez.
16:24 Aujourd'hui, nous sommes saisis surtout de ce qu'on appelle
16:27 des questions prioritaires de constitutionnalité.
16:29 C'est-à-dire que n'importe quel justiciable, devant n'importe quel tribunal,
16:32 peut dire "Ah, Madame la Présidente, Monsieur le Président,
16:34 vous voulez m'appliquer telle ou telle loi, elle est contraire à la Constitution."
16:38 Bon, nous, examinons cela.
16:39 Eh bien, je vous surprendrais peut-être en disant que dans un tiers des cas,
16:46 nous annulons les lois.
16:48 Donc, ça veut dire que nous ne sommes absolument pas soumis au pouvoir exécutif.
16:53 Et lorsqu'on me demande quelles sont les qualités qu'on demande
16:56 à un membre du Conseil constitutionnel, je dis qu'il y en a trois.
17:00 La première, c'est d'être compétent, juridiquement.
17:02 La deuxième, c'est d'avoir une certaine expérience.
17:04 Et la troisième, c'est un mot en trois syllabes, indépendant.
17:12 Indépendant.
17:14 Je n'ai jamais reçu un coup de fil d'un président de la République
17:19 en me disant "Mon cher Laurent Fabius, il y a tel ou tel problème là."
17:22 Peut-être ne le font-ils pas parce qu'ils savent que...
17:24 - Ils l'ont fait par le passé.
17:26 - Par le passé, sans doute.
17:28 Mais qui dit du passé, faisons table rase ?
17:33 - C'est une bonne question.
17:34 En l'occurrence, c'est injuste.
17:36 - Non, non, mais le Conseil constitutionnel a évolué.
17:38 - C'est intéressant que vous vous référiez à la Révolution.
17:40 Parce qu'en l'occurrence, c'est vrai que la Constitution est mal connue des Français.
17:44 Vous faites un grand travail avec des enfants, d'ailleurs, de différents âges,
17:48 pour qu'ils connaissent mieux la Constitution.
17:50 - Ils vont pouvoir avoir cette bande dessinée.
17:53 - Alors nous sommes à la radio, donc décrivez-nous cette bande dessinée
17:54 que vous avez apportée avec vous.
17:56 - Merci de me rappeler qu'on était à la radio, je ne l'avais pas notée.
18:00 Bon, il y a une bande dessinée, mais de temps en temps, il y a aussi un…
18:04 - Il y a des caméras aussi ?
18:05 - Il y a des caméras.
18:06 - Non, mais expliquez-nous alors, en fait.
18:07 Comment se fait-il qu'aux Etats-Unis, la Constitution soit un texte sacré
18:11 lié à l'indépendance du pays et qu'en France, au fond, on connaisse assez mal ce texte,
18:15 à part l'article 49.3 qui indigne beaucoup de nos concitoyens ?
18:19 - Oui, mais vous avez raison de soulever cette question.
18:21 Etats-Unis, Allemagne.
18:23 Aux Etats-Unis, l'indépendance des Etats-Unis, c'est, sauf que de ma part, 1776.
18:29 Et la Constitution, c'est 1787.
18:32 Et donc, il y a une adéquation chronologique, une identité historique
18:37 entre la Constitution et l'indépendance.
18:41 En Allemagne, période nazie, fin de la période nazie,
18:45 accession à la démocratie à l'issue de la guerre,
18:47 et en 1949, donc quelques années après, loi fondamentale.
18:52 En France, l'indépendance et la démocratie existaient avant la Constitution de la Ve.
18:58 Bon, alors je prends souvent un exemple un petit peu anecdotique.
19:01 Si vous allez à Washington, la plus belle avenue de Washington,
19:05 c'est l'avenue de la Constitution.
19:07 À Paris, si vous cherchez une ruelle de la Constitution,
19:10 vous ne l'entraînerez pas. - Il n'y en a pas.
19:12 - Pourquoi ?
19:13 - Parce qu'il n'y a pas cette identification historique.
19:17 Et puis aussi, il y a une certaine méconnaissance.
19:20 Et ça, c'est à nous, au ministère de l'Éducation nationale,
19:23 à d'autres qui ont entrepris ce travail, de faire mieux connaître la Constitution.
19:27 Non pas qu'on se réveille chaque matin en disant "que fait le Conseil constitutionnel ?"
19:31 mais qu'on sache qu'il y a un groupe de femmes et d'hommes indépendants,
19:36 et réputés compétents, qu'on appelle les sages,
19:38 qui disent "oui, les lois, c'est très bien,
19:41 les principes, il faut être sûr que les grands principes,
19:45 les libertés en particulier, sont respectés".
19:48 C'est notre rôle. - Il reste très peu de temps.
19:49 Question à l'autre président que vous avez été rentré.
19:52 - Oui, l'ancien président de la COP, la COP21, on se rappelle de vous,
19:54 avec votre marteau en train de célébrer le fait qu'il y avait eu un accord à cette COP21
19:59 pour limiter la hausse des températures à 1° et demi.
20:03 Bientôt la COP28, le président de la future COP a déclaré en début de semaine
20:07 que l'industrie pétrolière faisait partie de la solution.
20:10 On voit aussi que les températures continuent d'augmenter à une vitesse très élevée,
20:13 que cet objectif ne sera pas forcément atteint d'un degré et demi.
20:16 Qu'est-ce que ça vous inspire, à vous, ancien président de la COP ?
20:19 Est-ce que vous avez un petit marteau chez vous et des illusions perdues ?
20:23 - Non mais je continue à regarder tout ça de près au niveau international
20:28 parce que compte tenu de la COP de Paris qui est quand même la Bible,
20:31 on me consulte pour dire dans quel sens.
20:35 Alors, en deux mots, puisque on est pressé par le temps...
20:38 - Non mais j'aimerais qu'on parle de votre émotion Laurent Fabius,
20:40 parce qu'en l'occurrence, indépendamment de ces deux mots que vous alliez prononcer,
20:43 on se souvient de vos larmes au moment où vous avez conclu les accords de Paris.
20:50 On est quelques années plus tard, les objectifs que vous vous étiez fixés
20:54 avec la plupart des pays de la planète ne seront pas tenus.
20:58 Est-ce que, comme le disait Marion, ne vous restent que des illusions perdues ?
21:02 - Non. Pourquoi cette émotion au moment du succès final de la COP ?
21:09 Parce que...
21:11 On est trois dans ce studio mais je ne sais pas quelles sont vos opinions.
21:15 Mais sur cette question climatique,
21:17 il est évident que c'est quelque chose qui détermine le sort de l'humanité.
21:21 Donc, avoir pu, grâce au concours de tous,
21:25 arriver à un accord qui reste la Bible en matière climatique,
21:29 de lutte contre le changement, c'était très très fort.
21:32 Et quand c'est très fort, évidemment...
21:33 - Mais la Bible a été enterrée en 1907 !
21:36 - Non, je ne peux pas laisser dire ça.
21:38 La COP de Paris et le résultat qui a été adopté par tous les pays du monde,
21:44 ça reste la Bible.
21:46 Si vous n'avez pas d'objectif, vous ne pouvez pas avancer.
21:48 Donc les fameux 1,5°C, le bilan global, l'engagement de ce qui est Paris...
21:53 Ça, ça reste.
21:54 Simplement, l'application par les gouvernements,
21:58 par un certain nombre d'entreprises, par quelques autres, n'est pas conforme.
22:02 Ça ne veut pas dire du tout que l'accord de Paris doit être jeté.
22:05 Ça veut dire au contraire qu'il faut renforcer l'action.
22:08 Alors, il y a, dans quelques mois, à Dubaï, la COP 28.
22:12 C'était votre question à l'âme.
22:14 Et il est évident que l'industrie pétrolière,
22:17 de même que le gaz, de même que le charbon,
22:19 sont au premier rang, j'espère de toutes mes forces,
22:22 que les pays vont arriver à se rapprocher de l'objectif de l'accord de Paris.
22:29 Non pas que rien n'a été fait.
22:30 Beaucoup de choses ont été faites.
22:32 Mais pas suffisamment.
22:33 Écoutez ce que dit le secrétaire général des Nations Unies,
22:37 qui est un homme bien informé.
22:38 Écoutez ce que dit le GIEC.
22:40 - L'effondrement.
22:42 - Il a raison.
22:43 Parce que ça détermine, on dit toujours la vie de nos enfants.
22:46 Oui, la vie de nos enfants, mais également la nôtre.
22:49 Alors, je reconnais que c'est difficile à faire.
22:51 Mais pendant ce temps-là, le CO2 continue d'émettre et d'aller en l'air.
22:58 Et il y reste des dizaines, voire des centaines d'années.
23:00 - Et donc les énergies fossiles font partie des solutions ?
23:02 - Bien évidemment.
23:04 Il faut beaucoup plus d'énergie renouvelable.
23:06 Et aller vers, certains disent, en partie le secrétaire général des Nations Unies,
23:11 la disparition interne des énergies fossiles.
23:14 - C'est quand même assez paradoxal d'aller dire ça à Dubaï.
23:17 Mais ce sera une autre histoire.
23:19 Laurent Fabius le dit.
23:20 - Non mais ce n'est pas une autre histoire.
23:21 C'est paradoxal, mais je crois quand même que si on veut faire baisser
23:26 les investissements pétroliers, etc.,
23:29 il n'est pas non plus inutile d'en parler avec ceux qui les réalisent.
23:33 - Et tous les acteurs.
23:34 Merci infiniment.
23:35 Robert Badinter disait que le constitutionnalisme est un art national,
23:39 que nous avions la passion des constitutions, des amendements.
23:44 Et en l'occurrence, il y avait énormément de questions d'auditeurs.
23:47 Laurent Fabius, sans standard interne.
23:48 - Si Robert Badinter est à l'antenne, qui est un homme magnifique et un ami de 40 ans,
23:55 je lui dis "Robert, on essaye de suivre ton exemple".
23:59 - Vous l'aimez la constitution ?
24:01 D'un mot, oui ou non ?
24:03 - Ce n'est pas une question d'amour.
24:05 - Est-ce que vous avez un rapport affectif ?
24:07 - J'ai des rapports affectifs.
24:09 - Vous avez du mal à dire vos émotions quand même.
24:11 - Oui, je m'exprime rarement, mais je ne suis pas venu ni pour rire ni pour pleurer.
24:18 Je suis venu pour expliquer pourquoi c'est bien qu'il y ait des sages
24:24 qui veillent au respect de la constitution par les lois.
24:28 - Merci infiniment, monsieur le président du conseil constitutionnel,
24:31 Laurent Fabius, d'avoir été l'invité de France Inter.

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