Dimitri Kantcheloff présente "Vie et mort de Vernon Sullivan", paru chez Finitude. Ce livre retrace l’histoire vraie d’un Boris Vian qui a 26 ans et voit un prix littéraire lui passer sous le nez, un prix qui lui aurait permis de quitter son emploi d’ingénieur pour se consacrer à l’écriture à plein temps. Il se lance alors le défi d’écrire un best seller en dix jours pour un ami éditeur dont la maison menace de fermer. C’est ainsi qu’est né "J’irais cracher sur vos tombes" qu’il écrira en quinze jours, un pastiche de roman noir américain publié sous le pseudo de Vernon Sullivan dont le succès fut aussi controversé que fulgurant et le suivra pour le pire et le meilleur jusqu’à son dernier souffle.
Category
📺
TVTranscription
00:00 Alors je pense que tout le monde autour de la table a eu envie de le faire un jour.
00:03 Écrire un best-seller en dix jours, quelle est la recette du best-seller pour Boris Vian ?
00:07 - Déjà il a une facilité par rapport à la plupart des écrivains, c'est que lui est capable d'écrire 12 ou 15 pages par jour.
00:14 Donc ça, ça l'aide vachement.
00:16 Et puis ce qu'il comprend assez rapidement, c'est que pour faire un best-seller américain, son exemple là c'est Henry Miller,
00:22 ce qui à l'époque c'est le grand succès, c'est Tropique du cancer.
00:25 Et donc il sait qu'il va mettre plein de violence, plein de sexe, il va parler de choses qu'on a surtout pas envie d'entendre parler,
00:31 que des blanches fassent l'amour avec des noires, etc.
00:34 Il y va à fond quoi, il met tout dedans et il se dit "bon normalement avec ça, ça devrait fonctionner".
00:39 - Et alors grâce à l'intervention de sa femme Michelle, le livre s'appelle donc, je dirais, "Craché sur vos tombes".
00:44 Et surtout il est signé d'un certain Vernon Sullivan.
00:47 Alors qui est Vernon Sullivan ? Dont vous écrivez quand même dans ce livre la biographie, Dimitri Concevaz.
00:51 - Oui, c'était l'idée de base, exactement.
00:53 Vernon Sullivan c'est un écrivain américain, noir, alcoolique, victime de la censure.
00:59 Et ça en tout cas c'est ce que Boris Vian essaie de faire croire.
01:02 - Complètement mytho, complètement inventé.
01:04 - Complètement mytho.
01:05 Et d'ailleurs il s'amuse bien parce que quand ils vont sortir le livre aux éditions du Scorpion,
01:10 ils vont écrire un avant-propos en expliquant tout ça, en disant qu'il a beaucoup de talent littéraire,
01:15 tant qu'à faire autant se lancer soi-même les lauriers,
01:18 et puis il explique que ça va faire un malheur et que tout le monde va en parler.
01:21 Ils ont vraiment tout préparé.
01:22 - Mais ce qui est très beau c'est que c'est déjà une fiction en fait,
01:24 c'est déjà un effet de texte, c'est déjà un roman.
01:27 Vous écrivez "Vernon Sullivan ou la promesse d'une main qui vous claque, l'autre qui vous caresse,
01:32 comme un slogan, un leitmotiv mieux, une mélodie dont on ne se départ pas".
01:37 Et ce que j'aime beaucoup dans votre livre, c'est le fétichisme que vous pouvez avoir pour tout ce qui touche à Boris Vian.
01:42 Vous nous avez carrément apporté la première édition de "J'irai cracher sur vos tombes", Dimitri Concevaz.
01:47 Que vous décrivez d'ailleurs dans le texte avec beaucoup de sensualité,
01:50 qu'est-ce que ça vous fait de la tenir entre les mains ?
01:52 Qu'est-ce qu'elle vous dit ? Qu'est-ce qu'elle vous raconte cette édition ?
01:54 - Alors ça me raconte... Je vais être très terre à terre.
01:56 - Pas trop. - Non, pas trop.
01:59 - Sur le service public. - C'est vrai.
02:01 Non, non, mais je fais moi-même un peu de graphisme, donc ça m'intéresse.
02:04 Ce qui est assez intéressant, et on voit qu'il y a une forme d'amateurisme un peu quand ils ont lancé le livre,
02:09 c'est la première édition, et je pense qu'ils ne savaient pas tellement comment vendre de livres.
02:12 Ils voulaient à la fois faire un livre de littérature en collection blanche,
02:17 donc ils ont gardé une couverture grise, beige,
02:21 mais en même temps ils voulaient vendre un truc un peu rock'n'roll comme ça,
02:24 donc ils étaient déjà dans les grosses typographies.
02:26 Je ne sais pas où je dois le montrer. - À moi, c'est bien.
02:28 - À moi ? - Oui, c'est bien, c'est parfait.
02:30 - Et donc il y a déjà ces grosses typographies, comme ça, rouges et tout.
02:33 Et c'est ensuite, quand le succès du livre est arrivé et que ça a fait scandale,
02:37 qu'ils se sont dit "on va jouer à fond le truc",
02:39 et là il y a les couvertures, donc on est du scorpion noir, rouge, blanche, très très…
02:44 - Et il se dit quand il se dit "il faut raconter", parce que c'est jugulatoire.
02:47 C'est une histoire que je ne connaissais pas, je ne sais pas pour vous.
02:50 C'est-à-dire qu'en fait, ce roman, j'irais cracher sur vos tombes marchottes,
02:53 il entre dans le collimateur du cartel d'action sociale et morale,
02:56 pour outrage, au bonheur, c'est incitation à la dépauche.
03:00 Et alors, en fait, ce qui va tout changer, c'est complètement dingue, c'est un fait divers.
03:05 - C'est un fait divers macabre même, on pourrait dire.
03:08 C'est l'histoire d'Edmond et de Marianne.
03:11 Donc Edmond et Marianne, c'est des amants, et puis ils sont à Montparnasse,
03:15 ils sortent du cinéma, ils se voient depuis longtemps, mais ça ne va pas très bien.
03:19 Ils se rendent dans l'hôtel dans lequel ils ont l'habitude d'aller faire leur petite affaire.
03:23 Et pendant la nuit, Edmond décide d'égorger Marianne, parce qu'il pense qu'elle va le quitter.
03:28 Et le matin, quand il quitte la chambre, il laisse un exemplaire de "j'irais cracher sur vos tombes"
03:33 ouvert à la page de "L'étranglement d'une femme".
03:36 - Alors là, c'est parti, la responsabilité de l'écrivain.
03:39 - Évidemment.
03:40 - Oui.
03:41 - Abassé, Boris Vian, est un meurtrier par procuration.
03:44 Et donc, c'est des semaines et des semaines d'un battage médiatique abominable
03:48 où il se fait traîner dans la boue.
03:50 C'est lui le meurtrier, quoi.
03:51 Il a beau d'ailleurs expliquer, personne ne croit vraiment qu'il est simplement traducteur,
03:55 de toute façon, il est fautif, il est responsable.
03:58 Et c'est abominable, et en même temps, c'est comme ça que le livre devient un best-seller.