Fatma Saïd interprète Schéhérazade de Ravel avec le Philhar de Radio France sous la direction de Pietari Inkinen. Extrait du concert donné le 6 octobre 2023 à l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.
Venus d’Inde, passés en Perse, traduits en arabe, les contes des Mille et Une Nuits font rêver les hommes depuis des temps immémoriaux. Français et Européens les découvrirent au xviiie siècle, dans la traduction d’Antoine Galland. À la fin du xixe , le jeune Ravel en subit à son tour la fascination. Encore étudiant au Conservatoire, le futur auteur de Ma Mère l’Oye imagina une sorte d’opéra-ballet dont la belle Schéhérazade serait l’héroïne. De ce mirifique projet, seule vit le jour une Ouverture de féerie (1899), bientôt enterrée, mais le jeune musicien ne tarda pas à revenir, par un chemin détourné, à la conteuse légendaire.
En 1903, son ami Tristan Klingsor publiait un recueil de poèmes intitulé Schéhérazade. Membre, comme Ravel, du groupe des Apaches, joyeuse bande d’artistes d’avant-garde, Klingsor était à la fois poète, peintre, musicien et critique d’art. Séduit par le pittoresque oriental, la souplesse et la musicalité de ses vers libres, Ravel choisit trois pièces pour en faire un cycle de mélodies avec orchestre. Sa prosodie, soucieuse « d’en exalter les accents et les inflexions, de les magnifier par la transposition mélodique », rappelle par sa justesse celle de Debussy dans Pelléas et Mélisande (1902), même s’il opte pour une vocalité plus ample et variée, allant du simple recto tono au lyrisme le plus expressif.
Il se révèle aussi un magicien de l’orchestre et laisse éclater son admiration pour les grands Russes : Rimski-Korsakov, Borodine et Balakirev, qui ont eux-mêmes tant célébré les prestiges de l’Orient.
« Asie » est l’évocation d’un fabuleux voyage imaginé par un poète fin-de-siècle, enchaînant comme dans un rêve les « escales successives d’un bateau ivre » (Jankélévitch) sur les rivages orientaux. Appelée par l’ensorcelant solo de hautbois initial, la voix entre sur une triple invocation dont le rythme iambique (brève-longue) unifie toute la partition. Au fil de ses visions, enclenchées par d’incantatoires « Je voudrais… », un orchestre aux mille couleurs, tour à tour berceur, dansant, exalté ou sensuel révèle à nos oreilles les multiples facettes d’un continent mystérieux. Les deux autres mélodies sont plus brèves.
Dans « La Flûte enchantée », duo d’amour paradoxal, une odalisque repose auprès de son vieux maître endormi, tandis que son bien-aimé, au dehors, joue de la flûte. L’instrument séducteur enlace la voix de la jeune femme, donnant un relief étonnant à cette scène d’intérieur. Plus énigmatique, « L’Indifférent » est le portrait ambigu et troublant d’un jeune éphèbe déclinant des avances à peine voilées. À l’image de ce « bel indifférent », la mélodie suit un rythme indolent, atteignant son apogée sur l’évocation du chant de l’adolescent à la clarinette, « comme une musique fausse ».
#FatmaSaïd #Sch
Venus d’Inde, passés en Perse, traduits en arabe, les contes des Mille et Une Nuits font rêver les hommes depuis des temps immémoriaux. Français et Européens les découvrirent au xviiie siècle, dans la traduction d’Antoine Galland. À la fin du xixe , le jeune Ravel en subit à son tour la fascination. Encore étudiant au Conservatoire, le futur auteur de Ma Mère l’Oye imagina une sorte d’opéra-ballet dont la belle Schéhérazade serait l’héroïne. De ce mirifique projet, seule vit le jour une Ouverture de féerie (1899), bientôt enterrée, mais le jeune musicien ne tarda pas à revenir, par un chemin détourné, à la conteuse légendaire.
En 1903, son ami Tristan Klingsor publiait un recueil de poèmes intitulé Schéhérazade. Membre, comme Ravel, du groupe des Apaches, joyeuse bande d’artistes d’avant-garde, Klingsor était à la fois poète, peintre, musicien et critique d’art. Séduit par le pittoresque oriental, la souplesse et la musicalité de ses vers libres, Ravel choisit trois pièces pour en faire un cycle de mélodies avec orchestre. Sa prosodie, soucieuse « d’en exalter les accents et les inflexions, de les magnifier par la transposition mélodique », rappelle par sa justesse celle de Debussy dans Pelléas et Mélisande (1902), même s’il opte pour une vocalité plus ample et variée, allant du simple recto tono au lyrisme le plus expressif.
Il se révèle aussi un magicien de l’orchestre et laisse éclater son admiration pour les grands Russes : Rimski-Korsakov, Borodine et Balakirev, qui ont eux-mêmes tant célébré les prestiges de l’Orient.
« Asie » est l’évocation d’un fabuleux voyage imaginé par un poète fin-de-siècle, enchaînant comme dans un rêve les « escales successives d’un bateau ivre » (Jankélévitch) sur les rivages orientaux. Appelée par l’ensorcelant solo de hautbois initial, la voix entre sur une triple invocation dont le rythme iambique (brève-longue) unifie toute la partition. Au fil de ses visions, enclenchées par d’incantatoires « Je voudrais… », un orchestre aux mille couleurs, tour à tour berceur, dansant, exalté ou sensuel révèle à nos oreilles les multiples facettes d’un continent mystérieux. Les deux autres mélodies sont plus brèves.
Dans « La Flûte enchantée », duo d’amour paradoxal, une odalisque repose auprès de son vieux maître endormi, tandis que son bien-aimé, au dehors, joue de la flûte. L’instrument séducteur enlace la voix de la jeune femme, donnant un relief étonnant à cette scène d’intérieur. Plus énigmatique, « L’Indifférent » est le portrait ambigu et troublant d’un jeune éphèbe déclinant des avances à peine voilées. À l’image de ce « bel indifférent », la mélodie suit un rythme indolent, atteignant son apogée sur l’évocation du chant de l’adolescent à la clarinette, « comme une musique fausse ».
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