François Pernin, président de la Coordination inter-associative de lutte contre l'exclusion
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00:00 - François Pernin, bonjour.
00:02 Une Corse moins pauvre demain, moins pauvre avec un point d'interrogation.
00:08 Pourquoi un point d'interrogation et pas un point d'exclamation ?
00:11 Est-ce que ça veut dire qu'on ne peut pas éradiquer la pauvreté ?
00:13 - Ah ben c'est une excellente question, car le point d'interrogation s'est transformé en point d'exclamation à la fin de notre colloque.
00:22 Car nous avons apporté non seulement des constatations, mais surtout des pistes de solutions
00:29 grâce à des experts d'un certain nombre de questions qui touchent à la pauvreté.
00:33 Le message c'est que la pauvreté n'est pas une fatalité.
00:37 Elle est construite de main d'homme, et comme le dit Joseph Wrezinski,
00:41 "Elle est l'œuvre des hommes et seuls les hommes peuvent la détruire."
00:44 Donc si on a une certaine volonté portée par une bonne analyse, on peut arriver à faire reculer cette misère.
00:50 - Alors pour éradiquer, faire reculer en tout cas la misère, concrètement, que faudrait-il ?
00:56 Alors je ne parle pas de la prise de conscience, puisqu'elle existe déjà,
01:00 mais la misère, il y a toute forme de misère, qu'est-ce qu'on peut faire ?
01:05 - Il faut changer le braquet. Nous nous sommes des humanitaires, on est dans la solidarité,
01:11 c'est un des créneaux, c'est un des fers de lance de la lutte contre la pauvreté.
01:15 On maintient les gens en survie.
01:17 Notre action n'est pas suffisante. Tous les chiffres le montrent, la pauvreté augmente malgré tout ce qu'on fait.
01:23 Donc d'acteur, on devient témoin. Et on porte ce témoignage.
01:28 Que la pauvreté, les pauvres n'en sont pas responsables, on ne peut pas leur faire porter le chapeau,
01:34 et que le problème est avant tout politique.
01:37 Et on n'a pas encore pris la mesure politique de ce problème et les armes politiques pour lutter contre.
01:42 Il faut pour lutter contre la pauvreté faire de la recherche,
01:47 et la recherche est très fournie depuis quelques années là-dessus.
01:51 Il faut faire de l'expérimentation, il faut lever des budgets et avoir les armements qu'il faut,
01:57 il faut prendre des mesures structurelles, il faut avoir une véritable politique,
02:02 c'est-à-dire à l'échelle nationale, quand 15 millions de nos concitoyens sont touchés par la pauvreté,
02:08 il nous faut un ministère dédié à ce problème entièrement,
02:11 dont l'action humanitaire qui n'est que l'une des branches.
02:15 On ne fait pas un hôpital simplement fondé sur le SAMU et le traitement des urgences.
02:19 — Mais vous parlez du problème et de la résolution du problème au niveau local,
02:22 mais c'est un problème qui est beaucoup plus large que ça, qui est international.
02:26 — Mondial. Mondial. Les causes sont les mêmes, quels que soient les pays,
02:31 mais les déclinaisons changent selon les pays et selon les régions.
02:34 Au niveau national, notre avis, c'est cela.
02:37 Au niveau régional, on a fait un grand pas,
02:39 car ça a été déclaré un problème politique majeur en 2017 par notre assemblée,
02:45 avec un plan de lutte contre la précarité qui va derrière,
02:48 mais qui se met en œuvre trop lentement et qu'il faut réactualiser.
02:52 Mais ce pas politique important a été fait.
02:54 Alors maintenant, il faut continuer à enfoncer la porte
02:58 et que les politiques s'en emportent réellement,
03:00 parce que si on laisse progresser la pauvreté,
03:03 tout le monde est capable d'écrire le scénario.
03:06 — En Corse, la pauvreté fait l'objet d'un traitement particulier de la part de la collectivité.
03:11 On parle des politiques, on parle des pouvoirs publics.
03:13 Est-ce que vous, en tant qu'association, en tant que collectif,
03:16 vous vous sentez soutenu par la région, notamment ?
03:19 — Soutenu, oui. On est entendu, on est écouté, on est appelé dans certaines réunions.
03:28 Au niveau national, il y a un relais avec un commissaire de lutte contre la pauvreté,
03:32 M. Didier Médaud, qui est très bienveillant,
03:35 qui n'a pas tous les moyens d'agir qu'il voudrait, mais qui est là.
03:38 Donc il y a des moyens politiques qui se mettent en route,
03:41 mais pas assez rapidement, vu l'ampleur du problème,
03:44 puisque tous les ans, vous avez ces statistiques, tous les ans, on en discute,
03:47 tous les ans, elle augmente, et tous les ans, la Corse est sur le podium.
03:51 Donc devant ce constat, il faut bien voir que ce que nous faisons n'est pas suffisant.
03:57 — Et ça veut dire qu'il n'y a pas de politique sociale ?
04:00 — Mais tout ne se résume pas à la politique sociale, voilà.
04:05 Il faut prendre de toutes autres mesures.
04:07 Vous parliez tout à l'heure du travail.
04:09 Il n'est pas normal que dans notre pays, on ait un salaire
04:12 qui ne permet pas de boucler la fin du mois.
04:14 Quelle est la valeur travail dans ces conditions-là ?
04:16 Il n'est pas normal qu'en Corse, nous n'ayons pas un accès à la santé
04:20 comparable aux autres régions, sans avoir un CHU, un centre hospitalier universitaire.
04:25 Il n'est pas normal qu'en Corse, qui est une région agricole,
04:28 on n'arrive pas à une meilleure autosuffisance alimentaire
04:31 en favorisant la production locale et son achat à un prix intéressant
04:36 par la population la plus pauvre.
04:38 Il n'est pas normal que dans un pays qui est baigné de soleil 300 jours par an,
04:42 nous n'ayons pas des ressources d'énergie autres que les produits pétroliers.
04:47 Tout cela doit se mettre en place.
04:49 On a des atouts.
04:50 Il faut les mettre en place.
04:51 Si on ne rêve pas la Corse nous-mêmes, personne ne la rêvera pour nous.
04:55 - 15 secondes François Pernin.
04:57 Faire en sorte que les allocataires du RSA donnent des heures à la collectivité,
05:01 c'est une mesure morale ou ça vous choque ?
05:05 - On fait porter la culpabilité des pauvres sur les pauvres.
05:10 Les pauvres ne sont pas responsables de la pauvreté qu'ils subissent.
05:14 En Irlande, il y a eu une grande famine il y a deux siècles
05:21 et l'Angleterre a envoyé des pommes de terre pour les nourrir.
05:24 On leur a dit qu'il faut qu'ils méritent ces pommes de terre.
05:26 Donc on leur a fait construire des tours en pierre qui ne servaient à rien dans les champs.
05:30 Comme la famine durait, on leur a dit qu'on allait faire déconstruire ces tours en pierre.
05:34 Il faut qu'ils méritent les pauvres l'aumône qu'on leur donne.
05:37 Ce n'est pas normal.
05:38 Merci François Pernin d'être passé ce mardi par nos studios.