Alexandra Bensaid reçoit Marco Bellocchio, réalisateur de "L'Enlèvement" (au cinéma le 1er novembre), un film France Inter. Il y raconte l'histoire vraie d'un enfant juif de Bologne, enlevé par le Vatican pour recevoir une éducation catholique, après avoir été baptisé en cachette par sa nourrice. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-01-novembre-2023-9609249
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00:00 Bonjour Marco Bellocchio, votre nouveau film "L'Enlèvement" c'est l'histoire vraie d'un
00:05 fait divers qui a fait un scandale international.
00:07 Ça s'est passé en Italie, à Bologne, dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
00:12 C'est important parce que ce n'est pas le Moyen-Âge.
00:14 C'est l'histoire d'un enfant qui s'appelle Edgardo Mortara, un enfant juif de 6 ans qui
00:18 est arraché à sa famille pour être converti de force au catholicisme à Rome.
00:23 Le commanditaire du rapt, c'est le pape, il s'appelle Pineuf.
00:27 Est-ce que cette histoire Marco Bellocchio vous habite depuis longtemps ?
00:30 Non, parce que par hasard j'ai lu sur un livre cette histoire qui m'a beaucoup bouleversé.
00:39 Sûrement il y a des relations avec ma vie privée aussi.
00:43 Je suis catholique, je n'étais jamais enlevé.
00:47 Mais il y a quelque chose qui me regarde, qui regarde l'Église, qui regarde la religion,
00:55 qui regarde un peu cette manière de m'obliger à croire à la religion catholique.
01:06 Ma famille c'est catholique, mais en tout cas, ce n'a pas été un choix pour moi.
01:14 C'était normal, obligatoire d'apprendre la religion catholique, le catechisme, aller
01:24 à l'Église.
01:25 Alors cette foi forcée qui a été aussi pour le petit garçon, c'est quelque chose
01:35 qui m'a touché, comme quelque chose que j'avais vécu d'une manière complètement
01:40 différente.
01:41 Et cependant c'est ça, c'est le sujet, la foi forcée.
01:44 L'affaire Mortara elle a de ce fait déclenché l'indignation jusqu'en Amérique parce
01:49 que le pape n'a jamais fléchi face au désespoir des parents, face aux pressions même de
01:54 son banquier juif Rothschild.
01:56 Il n'a jamais fléchi, il a répondu non posmus, c'est impossible de faire autrement,
02:02 c'est forcé.
02:03 Et ça, la foi forcée, ça s'appelle le dogme.
02:06 J'ai l'impression que c'est ça qui vous met en colère.
02:07 Si, le dogme, l'absolu.
02:11 Oui, le dogme, l'absolu.
02:14 C'est un dogme et ça on ne peut pas le discuter, ça on ne peut pas le mettre en
02:20 discussion.
02:21 Et ça c'est le côté intolérable pour moi, intolérant pour moi de toute la religion,
02:31 on peut dire aussi, pas seulement la religion catholique, c'est-à-dire qu'il y a des
02:35 principes qu'on ne peut pas discuter.
02:37 Autrement, c'est aussi compréhensible parce que si tu mets en discussion, par exemple,
02:44 la religion catholique, la frénétie, tout cadre.
02:47 Il y a tout qui tombe, il y a la structure qui s'écroule.
02:51 Mais c'est quand même quelque chose à quoi le petit garçon qui avait commencé
03:00 à être enlevé par la religion juive a été obligé pour le fait qu'il était baptisé
03:09 clandestinement quand il a été né par un servant catholique.
03:15 C'est ça l'histoire, c'est Edgardo, en fait il y a une servante qui est catholique
03:19 dans sa famille juive, elle le baptise en douce et du coup l'inquisiteur va récupérer
03:23 le petit garçon et l'emmener à Rome où on en fait un parfait petit catholique.
03:29 Mais c'est intéressant Marco Bellocchio parce que vous avez dit, en fait ça n'est
03:35 pas un film sur la religion catholique, c'est un film sur les religions.
03:39 Et vous faites tout le temps dans le film cet effet miroir entre le catholicisme, le
03:43 judaïsme, des religions qui imposent.
03:45 Oui un peu, mais c'est l'essence de la religion dans le sens qu'aujourd'hui il
03:51 y a une attitude différente.
03:52 Aussi le pape est pour le dialogue, pas seulement avec les autres religions, mais aussi pour
04:03 qui ne croient à rien, c'est-à-dire avec les non-croyants.
04:08 Ça c'est une nouveauté très récente, c'est-à-dire parce qu'on comprend que
04:15 c'est dans une situation tellement catastrophique dans le monde que seulement le dialogue, seulement
04:24 se comprendre, seulement se reconnaître, seulement se tolérer peut donner un petit
04:30 espoir au monde entier.
04:34 Donc avec l'enlèvement vous regardez en arrière et vous dites c'était noir, mais
04:37 en 2023 vous êtes plus optimiste sur la tolérance.
04:41 On voit les choses qui se passent aujourd'hui, mais c'est la seule...
04:49 Le pape, je le dois reconnaître, il est contre les conversions, il est contre les missions,
04:57 il est contre l'oblige à chercher de convaincre avec la force à devenir catholique.
05:07 Ça c'est quelque chose de nouvel, mais il y a encore dans le monde une intolérance,
05:14 une haine les unes contre les autres qui va créer, comme on se voit, des catastrophes.
05:21 On est très loin de ça.
05:24 Mais la seule solution où on arrive à la destruction totale, mais on ne peut pas le
05:35 souhaiter.
05:36 Autrement seulement, comprendre l'autre.
05:41 Mais c'était au fond un principe du grand illuministe français.
05:50 J'ai mon idée, mais je respecte la tienne même si elle est différente de la mienne.
05:57 Le grand illuminisme, je fais référence à Voltaire, le siècle des lumières.
06:02 J'ai mon idée, mais je respecte la tienne.
06:09 Alors on n'en est pas là avec l'affaire Mortara, en effet on en est bien loin.
06:14 Edgardo Mortara, il est mort en 1940.
06:17 Il est mort catholique.
06:19 Vous le décrivez dans le film, même en train d'essayer de baptiser sa mère qui est agonisante.
06:23 Vous vous intéressez, Marco Bellocchio, depuis longtemps je crois à la psychanalyse.
06:27 Est-ce que vous expliquez ce qui s'est passé pour Edgardo ?
06:30 C'est difficile.
06:32 C'est difficile.
06:35 Il a cherché de survivre.
06:47 Il a cherché d'éviter de mourir.
06:51 Le seul moyen d'éviter de mourir, c'était le fait d'accepter la religion catholique
06:57 qui, entre autres, le pape lui propose avec beaucoup de gentillesse, beaucoup de générosité.
07:05 Edgardo Mortara, je pense, il n'a jamais été touché ou obligé, contraint physiquement
07:15 car c'était un sujet tellement précieux pour le pape.
07:21 Il était une sorte de modèle de conversion.
07:27 En étant si précieux, Edgardo Mortara lui-même a subi ces attentions du pape et de l'Eglise
07:39 catholique.
07:40 Un autre réalisateur a longtemps voulu faire un film avec l'affaire Mortara, c'est Steven
07:45 Spielberg.
07:46 On dit qu'il a jeté l'éponge parce qu'il n'a pas trouvé son jeune acteur.
07:50 Vous, vous avez trouvé un garçon formidable, énéas ça là.
07:55 Oui, il a dit ça.
07:57 J'écoutais, il n'avait pas trouvé.
07:59 Mais là, il y avait une complication qui est celle de la normalité dans le cinéma
08:07 américain, c'est-à-dire d'un jeune garçon qui parlait anglais.
08:11 Tandis que pour moi, l'histoire d'Edgardo Mortara, c'est une histoire italienne, une
08:19 histoire régionale.
08:20 Vous ne pouvez pas, mais pour les Italiens, c'est très important que le jeune Edgardo
08:29 parle avec une Italienne qui est Emiliano, avec une cadence.
08:35 Pour moi, c'était très important.
08:39 Vous dites que c'est une histoire italienne et en même temps, quand on regarde le film,
08:43 on ne peut pas s'empêcher de penser au rapte d'enfants du 21e siècle.
08:47 Moi, je pense là aux enfants ukrainiens que Poutine veut forcer aussi à changer d'identité.
08:52 Il veut les russifier.
08:53 Est-ce que vous êtes sûr que vous ne racontez que des histoires italiennes ? Est-ce que
08:57 vous n'êtes pas en train de raconter des histoires universelles ? Et ça vaut pour
09:00 vos autres films sur la mafia, le terrorisme, les faces noires de l'humanité ?
09:05 Je ne sais pas.
09:06 Je me suis concentré sur cette histoire italienne et je vois qu'il y a un intérêt qui est
09:16 du film, mais ce n'était pas dans mon calcul.
09:21 Ce n'était pas une idée que j'avais.
09:24 Le film va être distribué aussi dans les Etats-Unis, en France.
09:32 Alors, c'est une histoire qui regarde pas seulement l'Italie.
09:39 Et ça me fait plaisir.
09:41 Ça me fait très plaisir.
09:43 Mais ce n'est pas que j'ai dit alors je fais ce film qui va plaire aux Français, aux Allemands,
09:51 aux Américains.
09:52 Je cherche de faire un film que j'aime et de le faire au mieux possible.
09:57 C'est un film puissant en tout cas, où il y a énormément de maîtrise.
10:01 Vous amenez le spectateur exactement là où vous voulez.
10:03 Soit on pleure, soit on rit, parce que justement, vous offrez des pas de côté.
10:09 Vous offrez tout à coup le rêve qui devient réalité.
10:12 Vous offrez des scènes où il y a énormément d'ironie et c'est là qu'on rit.
10:15 Le pas de côté dans la narration, ça vous paraît être nécessaire en tant que réalisateur?
10:20 C'est la partie sognata.
10:22 La partie rêvée.
10:24 C'est sur les rêves et le rire.
10:28 C'est une histoire.
10:30 On a respecté l'histoire.
10:32 Toutes les faits sont vraies.
10:34 On regarde l'histoire d'Edgard de Montal.
10:39 Mais on ne fait pas un film, pas une tritére d'histoire.
10:43 Il y a des moments, il y a des espaces dans lesquels l'imagination est libre,
10:53 qui suit son chemin.
10:56 Et ceci ne concerne pas seulement les rêves, mais également des actions
11:00 qui ne sont pas documentées dans l'histoire d'Edgard de Montal.
11:04 Par exemple, à la fin, pendant les funérailles du pape,
11:09 sa rébellion est subite.
11:14 C'est quelque chose qui n'est pas documenté.
11:17 C'est quelque chose qui a été inventé car j'étais intéressé à raconter.
11:24 C'est comme si Edgard, tout en acceptant la religion catholique,
11:37 avait encore en soi une rébellion contre le pape
11:42 qui en quelque sorte l'avait obligé à se dessiner.
11:46 Il y a aussi une scène qui est documentée par Edgard Montal en même,
11:53 c'est-à-dire quand, dans l'église, il va contre le pape pour l'embrasser
11:59 et arrêter, risque de le faire tomber.
12:02 Et le pape qui était intelligent dit "toi tu voulais me tuer, tu voulais m'atteindre".
12:09 Car sûrement, il y avait quelque chose d'un végu, d'un bivalent dans cet égard.
12:20 On a l'impression, on entend dans vos paroles, que là je n'ai pas une frontière pour vous en tant que réalisateur.
12:26 Vous n'êtes pas le seul, Martin Scorsese va avoir 80 ans.
12:29 Vous vous enchaînez les séries, les films, sur des sujets quand même difficiles Marco Bellocchio,
12:35 sur des sujets auxquels vous vous coltez.
12:38 L'inspiration, l'énergie, ça ne s'arrête jamais ?
12:41 Je ne sais pas.
12:43 Je suis assez vieux, mais je vis dans le présent.
12:50 Je me dis de manière très simple, si la santé est encore bien,
12:57 et si surtout la tête marche, on va en avant.
13:03 Et aussi s'il reste une passion, il reste de faire, de raconter des histoires.
13:10 Après, il y aura la retraite.
13:15 Mais c'est inévitable, je ne me coure pas dans l'éternité.
13:19 Mais il y a aussi une capacité d'indignation qui semble intacte depuis les années 60,
13:24 le début de votre carrière, jusqu'à maintenant.
13:26 Est-ce que vous vous levez encore ?
13:28 Vous avez des sujets qui vous font bondir.
13:31 Ça dépend des sujets.
13:34 Il faut... c'est-à-dire, je n'ai pas de programme,
13:42 mais si on trouve, soit dans l'histoire, soit dans des choses qu'il peut inventer,
13:49 dans sa propre vie, des choses qui me coïnvolent.
13:58 Des choses qui m'interpellent.
14:00 Comme cette histoire, par exemple.
14:04 J'essaie de le faire, de le représenter.
14:09 Et vediamo, si, questo si.
14:12 Si, infatti, sono in buona compagnia.
14:14 Mais je suis en bonne compagnie, à Scorsese, aussi.
14:18 Ken Loach.
14:20 Ken Loach est plus vieux que moi.
14:23 Regardez ça.
14:24 Si lui continue à faire des films, vous l'aurez aussi.
14:28 C'est un bon espoir.
14:30 L'enlèvement, votre film est en salle en France le 1er novembre.
14:34 Allez le voir.
14:35 Marco Bellocchio, merci à vous d'avoir accepté notre invitation.
14:38 Merci à vous.
14:40 Merci.