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Ils s’appelaient la Licorne, la Marie-Séraphique, l’Olympe, l’Aurore, ou l’Artibonite. Ils naviguaient dans l’océan Indien ou l’Atlantique vers les Antilles pour rapporter en France, puis dans les ports européens, ces denrées coloniales dont la consommation était en plein essor dans les villes mais dans l’entrepont et sur le pont s’entassaient les cargaisons humaines indispensables pour produire ces nouvelles richesses. De 1595 à 1866, au moins 27 235 expéditions de navires négriers européens ont été lancées à travers l’Atlantique dont 3 343 faites par des navires français. Quelle était la réalité du navire négrier, comment s’organisait une campagne de traite, quels étaient les routes et les lieux de traite, quelle était la composition et l’importance de la cargaison de traite, pourquoi tant d’armes à échanger ?
Dans son ouvrage "Traite des noirs et navires négriers aux XVIIIème siècle - Journal de la Licorne de Bordeaux", Patrick Villiers, professeur émérite des universités en histoire maritime, cinq fois lauréats de l’Académie de Marine, se propose d’apporter quelques réponses en s’appuyant sur les documents d’archives.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:05 Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom, aujourd'hui en compagnie de Patrick Villiers.
00:10 Bonjour monsieur.
00:11 Bonjour.
00:12 Patrick Villiers, professeur émérite des universités en histoire maritime.
00:17 Vous êtes cinq fois lauréat de l'Académie de Marine et vous publiez l'ouvrage que voici.
00:22 Un sujet particulier traite des Noirs et navires négriers au XVIIIe siècle,
00:28 "Journal de la licorne" de Bordeaux,
00:31 que l'on pourra certainement retrouver sur la boutique officielle de TV Liberté.
00:35 Alors pourquoi un ouvrage, Patrick Villiers, sur la traite négrière
00:40 à l'heure de la multiplication des demandes de repentance à l'État français
00:46 venant de tout un tas de communautés différentes ?
00:51 Alors, il faut appeler un chat un chat.
00:54 L'Europe fait sa croissance économique et devient la première puissance du monde
00:59 par la conquête du monde colonial.
01:02 Donc à partir de Christophe Colomb et même avant, parce qu'il y avait un débat,
01:08 l'Europe fait la conquête du monde, le Portugal fait sa première richesse,
01:12 ensuite c'est l'Espagne et devant ces richesses,
01:16 hollandais, anglais, puis français, et les suédois, et les autres, etc.
01:20 Toute l'Europe se rue dans le commerce colonial.
01:24 Et le moteur du commerce colonial, c'est la traite des Noirs,
01:28 parce que le moteur du commerce colonial, c'est le sucre, c'est le coton,
01:33 c'est l'indigo, c'est le café, et que la main d'œuvre blanche,
01:38 qui a commencé à arriver aux Antilles, car le premier peuplement des Antilles,
01:42 c'est un peuplement blanc, d'engager, donc en fait de déporter volontaire
01:46 pour quitter la misère de la guerre de Trenton,
01:49 pour aller vers le mirage des Antilles,
01:52 ils ne sont pas suffisants et leur mortalité est trop forte
01:55 pour qu'on puisse créer l'économie sucrière.
01:57 Pour créer l'économie sucrière, il faut une main d'œuvre beaucoup plus abondante,
02:01 et les Portugais l'avaient découvert, les Hollandais,
02:04 avec leur système économique et leurs banques, vont financer
02:08 ce modèle du sucre qui repose sur la main d'œuvre esclave.
02:12 – Alors, vous expliquez, Patrick Villiers, et c'est tout à fait précis,
02:16 dans votre ouvrage, de 1595 à 1866,
02:21 vous recensez 27 235 expéditions de navires négriers lancées à travers l'Atlantique,
02:29 dont 3343 de navires français, ce qui représente un taux
02:35 de représentation de navires français de 12%.
02:39 Comment expliquez-vous cette faible proportion alors ?
02:42 – Alors d'abord, l'historien n'existe que parce qu'il est une communauté.
02:47 Quand je reprends les chiffres sur la traite des Noirs,
02:50 je reprends des gens qui font des dépouillements et des travaux
02:53 en France, au Portugal, en Angleterre, en Allemagne, depuis plus de 50 ans.
02:56 Donc il y a une communauté d'historiens de toute nationalité,
03:01 aussi bien d'Afrique que d'Amérique, que des Antilles, etc.
03:05 Et l'histoire n'existe que par la critique, que par le commentaire du document.
03:09 – La science.
03:10 – C'est une science, et c'est une science parce que tout le monde peut aller vérifier.
03:15 C'est-à-dire que si je vous donne un chiffre, si je vous donne où je l'ai trouvé,
03:18 je vous donne la code d'archive et vous pouvez aller dans les archives anglaises,
03:21 françaises, hollandaises ou africaines.
03:24 – Tout est documenté.
03:25 – Tout est documenté.
03:26 La science, ça n'existe que parce que vous pouvez me critiquer,
03:30 parce que moi j'ai trouvé un chiffre et vous pouvez l'interpréter différemment.
03:33 Ou vous pouvez aussi contester mon chiffre.
03:36 Bon, les chiffres que je donne sont juste à peu près 5 ou 6% près.
03:40 Donc chaque année on découvre justement un journal négrier de plus, un jour…
03:44 Mais ça ne change pas globalement la proportion qu'on vient de trouver.
03:48 – Donc ce chiffre par rapport au total,
03:52 3 000 et quelques navires français sur cette période, sur 27 000.
03:58 Pourquoi la France est si peu représentée dans cette traite des Noirs ?
04:02 – Tout simplement parce que la France arrive tardivement dans le commerce colonial.
04:06 Le commerce colonial ce sont les Portugais et les Espagnols.
04:10 Vous savez que par le traité de Tordesillas,
04:12 les Espagnols et les Portugais ont divisé l'Atlantique en deux.
04:16 Et donc les Espagnols n'ont pas le droit d'aller sur la côte africaine chercher les captifs.
04:20 C'est le monopole des Portugais.
04:22 Donc les Portugais achètent les captifs sur la côte africaine
04:26 et ensuite vont les vendre sur le marché espagnol,
04:30 au titre du marché de Tordesillas.
04:32 Et ce profit faisant le succès du Portugal,
04:38 les Hollandais et les Anglais vont essayer d'y pénétrer,
04:42 et ça, ça sera le XVIe siècle et le début du XVIIe siècle.
04:46 Et les Français avec leur guerre civile, la guerre de religion, la fronde, etc.,
04:51 ne vont commencer à véritablement pénétrer le commerce colonial que sous le XIVe.
04:56 – Donc fin XVIIe siècle, vraiment XVIIIe siècle,
05:01 alors pourquoi, vous l'expliquez un petit peu,
05:03 mais pourquoi donc cette traite française est initiée ?
05:07 – Alors, déjà avec Henri IV on avait autorisé,
05:12 ensuite c'est Richelieu qui a essayé de lancer le commerce colonial.
05:18 Et une des raisons pour lesquelles la traite coloniale est autorisée par Louis XIII,
05:23 c'est parce que derrière une dimension religieuse,
05:25 les captifs français, les captifs faits par les navires français
05:30 et qui seront dans les colonies françaises,
05:31 devront obligatoirement être évangélisés,
05:36 et notamment le dimanche est réservé à l'éducation religieuse des captifs
05:40 qui doivent se marier, les enfants doivent être baptisés, etc.
05:43 Ce qui est totalement différent des plantations protestantes, par exemple.
05:46 – D'accord, est-ce que le traitement,
05:48 on peut faire une digression sur ce que vous nous dites à l'instant,
05:51 est-ce que le traitement de ces esclaves était différent
05:58 quand il y avait un navire marchand avec un capitaine catholique à sa tête
06:04 et quand il y avait un protestant à la tête ?
06:06 Est-ce qu'il y avait une différence de traitement ?
06:09 – Oui, on le retrouve au 19ème siècle
06:13 avec le transport des émigrants irlandais vers les États-Unis.
06:17 Les capitaines protestants européens
06:21 sont beaucoup plus impitoyables que les capitaines catholiques.
06:26 – Alors, le journal de la licorne de Bordeaux,
06:28 conservé dans le fonds marine aux archives nationales,
06:31 vous a permis de mieux saisir la traite des esclaves dans l'Atlantique
06:36 qui a fait, rappelons-le, 12 millions de personnes déportées.
06:40 Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment se déroulait,
06:44 comment se lançait une traite négrière ?
06:47 – Alors, vous l'avez compris, il ne peut pas y avoir de plantation
06:51 s'il n'y a pas une main d'œuvre.
06:54 Donc, l'acheteur final de la cargaison négrière, c'est le planteur.
07:01 Mais ce planteur va vendre à qui ?
07:04 À des négociants qui sont en Europe.
07:06 Et le négociant en Europe, on l'appelle armateur ou on l'appelle négociant,
07:12 de manière qu'il a une multitude d'activités,
07:14 mais fondamentalement, ces activités sont d'une part,
07:17 d'avoir des marchandises coloniales,
07:19 et d'autre part, ces marchandises coloniales, il faut les obtenir.
07:22 Donc, là, se crée une relation, et notamment, c'est l'originalité de Nantes.
07:28 Nantes n'ayant pas suffisamment de marchandises,
07:31 à des prix suffisamment bas pour aller sur le marché de Saint-Domingue,
07:34 qui est de plus en plus pris par Bordeaux,
07:37 Nantes va se spécialiser dans le commerce négrier.
07:41 Et donc, on estime qu'un navire négrier qui vend,
07:44 c'est captif aux Antilles,
07:46 ça va rapporter 4 fois le prix d'une cargaison de sucre, de café, etc.
07:53 Eh bien, la proportion entre les navires négriers et coloniaux,
07:57 et le commerce colonial à Nantes, c'est exactement la même chose.
07:59 C'est-à-dire qu'on a 120 navires à Nantes, il y en a 25 qui sont négriers.
08:04 C'est-à-dire qu'il y a, véritablement, le commerce négrier,
08:07 c'est ce qui permet à Nantes d'être dans le commerce colonial.
08:10 Et Nantes est dans le commerce colonial parce que Orléans
08:12 est la capitale du sucre européen,
08:14 et donc Nantes, au lieu de respecter son sucre,
08:16 Nantes vend son sucre à Orléans.
08:17 Et les raffineurs d'Orléans ont des parts de négriers,
08:21 les raffineurs d'Orléans ont des parts de plantations.
08:24 Donc on est dans un cycle dans lequel le profit se situe en Europe
08:28 par la transformation du produit colonial.
08:31 Il faut prendre, en fait, à la limite,
08:33 peu importe qu'on fasse du profit aux Antilles,
08:35 le profit, il se trouve en Europe
08:38 par la transformation des produits coloniaux.
08:40 – Alors, je voudrais qu'on arrive à ce point qui est fondamental
08:43 et qui est souvent très problématique,
08:45 en tout cas, pointé du doigt dans les médias,
08:48 c'est quand les navires marchands arrivent en Afrique
08:52 et repartent avec une cargaison d'hommes, d'esclaves noirs.
08:58 Comment ça se passe ?
09:00 Est-ce qu'ils vont dans les terres pour ramener ces populations,
09:03 les kidnapper, les enlever de force ?
09:06 Comment ça se passe ?
09:06 – Alors, il y a une confusion dans l'esprit du grand public
09:09 entre la traite des Noirs par les Arabes,
09:11 qui est une traite des Noirs qui se fait par terre,
09:14 avec des razzias qui font plus de 1500 ou 2000 km
09:18 pour aller jusqu'au centre de l'Afrique.
09:20 Ça, c'est la traite des Noirs par les Arabes
09:22 et donc qui part d'Égypte, qui part de Libye,
09:25 qui part de Tunisie ou d'Arabie.
09:28 Et puis, de l'autre, on a la traite des Noirs par les Européens.
09:31 C'est la traite qu'on appelle la traite des Noirs par l'Atlantique.
09:33 Donc, le navire négrier mouille devant la côte africaine,
09:39 la barre est tellement forte que les chaloupes européennes
09:44 ne savent pas aller sur la côte.
09:45 – La barre, vous voulez dire, c'est des vagues.
09:46 – C'est ce phénomène de vagues qui est sur la côte.
09:48 – Donc, le navire ne peut pas accoster.
09:49 – Il ne peut pas accoster, donc il mouille à 300 ou 400 mètres en mer.
09:53 Et ce sont donc déjà les tribus côtières africaines
09:57 qui vont, avec leur bateau, faire le va-et-vient
09:59 entre le navire négrier et la côte.
10:02 Sur cette côte, on décharge les produits
10:05 que le capitaine négrier estime être susceptibles
10:08 d'être intéressés par le roi africain et par ses représentants.
10:11 – Alors, qu'est-ce qui les intéresse ?
10:13 – Alors, la conquêtion négrière comporte entre 20 et 25 % d'armes.
10:18 – Donc, les rois africains achetaient des armes au blanc.
10:21 – C'est ça, on échange les captifs contre des armes.
10:24 Alors, les armes, c'est des sabres, ce sont des coups de l'homme,
10:27 mais ce sont surtout des fusils, des pistolets, de la poudre, des balles,
10:32 enfin tout ce qu'il faut pour faire la guerre.
10:34 Et vous comprenez bien pourquoi.
10:35 Les rois africains vont donc armer leurs troupes
10:38 et vont faire des razzias à l'intérieur de l'Afrique.
10:41 Donc, effectivement, les blancs arment les noirs
10:44 qui vont faire à leur place les razzias à l'intérieur du centre de l'Afrique.
10:48 – Alors, une fois que le navire repart pour aller traverser l'Atlantique,
10:54 quelle est la réalité du navire négrier ?
10:56 – Alors, là, on va un tout petit peu vite parce qu'il ne faut pas oublier,
10:59 ou justement, c'est une chose que les gens ignorent,
11:01 un navire négrier séjourne entre 3 et 9 mois le long de la côte africaine.
11:05 En fait, un navire négrier qui va charger 200, 300, 400 captifs selon la période,
11:11 parce qu'on charge 200 captifs en 1715, on en charge plutôt 400 en 1789,
11:16 pour obtenir un tel nombre de captifs, on en achète en moyenne 2 à 3 par jour.
11:20 – Ah non, c'est très long.
11:21 – C'est très très long, et puis c'est très compliqué
11:24 parce qu'on vend des prisonniers de guerre,
11:26 mais les rois africains se débarrassent aussi des jeunes gens
11:30 qui sont un peu trop entreprenants auprès de leurs épouses.
11:33 Donc, il y a tout un système, et c'est un troc très long
11:40 qui fait que les navires négriers français, je vous l'ai dit,
11:45 à la grande époque, on arrive à 50 ou 60 navires négriers par an,
11:49 par rapport à 500 à 600 navires coloniaux.
11:52 – Alors, combien d'hommes on peut embarquer,
11:56 d'hommes africains, est-ce qu'on peut embarquer sur ces navires ?
11:58 – Alors, le capitaine de la Licorne dit bien qu'au début,
12:02 il pensait que l'intérêt c'était de mettre le plus possible de captifs
12:05 à bord du bateau, et puis il s'est rapidement rendu compte,
12:07 d'une part, que les captifs sont de plus en plus chers,
12:09 et donc si les captifs meurent, eh bien, la cargaison,
12:14 on a perdu toute leur interdicté.
12:15 Donc, par exemple, le père de Châteaubriant,
12:17 qui était le premier corsaire de la guerre de Sept Ans,
12:20 quand la guerre est finie, il se lance dans le commerce négrier.
12:22 C'est un échec total.
12:24 Pourquoi ? Parce que la mortalité à bord de ces navires
12:26 a été de plus de 20%.
12:28 Ce que l'on montre statistiquement, c'est qu'on passe d'une mortalité
12:32 de 15% en 1715, à une mortalité de 5% en 1749.
12:38 Joseph Bruggevin publie le journal de la Licorne de Bordeaux
12:41 parce qu'il prétend avoir éliminé la mortalité à bord de ces navires négriers,
12:45 et donc qu'on va pouvoir développer le commerce négrier
12:48 grâce aux méthodes qu'il emploie.
12:50 – Donc, ce qu'il faut bien comprendre dans cette traite négrière,
12:53 c'est que les rois africains dillent les hommes qui sont dans l'intérieur du pays
13:02 contre des armes au blanc.
13:04 – Contre des armes, contre des… – Du métal.
13:07 – Du métal, contre des… comment ça s'appelle ?
13:09 Beaucoup de tissus, parce que l'Afrique n'a pas la richesse de tissus de l'Europe.
13:15 Donc en fait, c'est comme le dit Brodel,
13:18 le malheur de l'Afrique, c'est que sa richesse sont les hommes.
13:21 Et donc les rois africains, ils changent les hommes contre les produits européens.
13:24 – Alors cette traite négrière peut nous sembler,
13:27 nous semble totalement épouvantable à nos yeux aujourd'hui d'homme occidental,
13:32 mais comment se fait-il qu'il y a un tel décalage
13:36 avec l'état d'esprit des Européens de l'époque du 17e, du 18e siècle ?
13:41 – Alors, il faut rappeler que, dans le cas de la France,
13:45 jusqu'en 1790, la société française est une société raciste.
13:51 Les nobles ont le sang bleu et le tiers-état c'est de la valetaille.
13:55 Si vous lisez la vie quotidienne d'un domestique…
13:57 – En interne quoi, oui.
13:59 – Non mais si vous lisez la vie quotidienne d'un domestique en France en 1780,
14:03 la vie quotidienne d'un mousse, la vie quotidienne d'un matelot,
14:06 la vie quotidienne d'un ouvrier dans les villes, etc.,
14:11 c'est une condition abominable.
14:12 Et donc, pour ces marins embarqués sur un navire négrier
14:18 et transportés des Noirs, c'est misère contre misère.
14:22 – Et alors vous faites un distinguo qui peut paraître très polémique
14:26 entre servage et esclavage.
14:29 – Oui, alors, il faut distinguer.
14:34 C'est un peu compliqué mais le droit français du sol dans les colonies
14:40 n'est pas le droit américain de la case de l'oncle Tom.
14:43 C'est-à-dire qu'en fait, la plupart du temps dans les plantations françaises,
14:46 les esclaves restent attachés à la terre, donc c'est une sorte de servage.
14:50 Alors qu'au contraire, on raconte bien aux États-Unis
14:52 que le propriétaire vendait la femme, les enfants séparés, etc.
14:57 La plantation française est une plantation catholique
15:00 où il y a mariage et les enfants sont baptisés.
15:02 Donc oui, effectivement, on peut séparer les hommes et les femmes.
15:06 La plupart du temps, on vend des familles.
15:09 Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu des cas.
15:11 Mais donc, les relations sont très différentes sur la plantation.
15:17 – Quelles étaient les routes de la traite française,
15:19 de la traite négrière française ?
15:21 – Alors, les routes de la traite française, elles évoluent au XVIIIe siècle.
15:23 Donc, elles commencent par le Sénégal,
15:25 puis ensuite elles vont se localiser sur le golfe de Guinée.
15:31 Et puis, au fur et à mesure, on descend vers l'Angola.
15:34 Et puis, vers 1770, on prend le risque de faire le tour,
15:38 pour passer le Camp de l'Hopital de l'Espérance.
15:40 Et on va aller dans les colonies portugaises du Mozambique.
15:45 Et là, il va y avoir une rivalité avec la traite arabe.
15:47 Parce que les négriers anglais, français et hollandais
15:51 vont se trouver en concurrence avec les négriers arabes,
15:54 qui, eux, sont plutôt ceux qui exploitent le plus la côte est.
15:58 – Alors, les protagonistes de la traite des esclaves,
16:02 on l'a compris, ce sont donc des privés, les Français en tout cas,
16:06 qui, on peut dire, des "entrepreneurs", c'est un terme…
16:11 – Complètement, oui, des entrepreneurs, oui.
16:13 – En fait, ce n'étaient pas des personnes qui travaillaient pour l'État français.
16:18 – Non, non, le navire négrier nécessite un tel capital
16:24 que l'armateur n'est jamais plus propriétaire de plus de 10 à 15%
16:29 à la fois du navire et de la cargaison.
16:33 Et donc, sans que ce soit tout à fait des sociétés par action,
16:37 on est quand même dans un système où on a des actionnaires
16:39 qu'on rémunère, à qui on fournit des comptes,
16:41 comptes qui sont imprimés et que les historiens trouvent
16:44 dans les archives de Nantes, par exemple.
16:46 – Alors, quels étaient les lieux de traite en France ?
16:49 Vous évoquez plusieurs villes…
16:51 – Les ports négriers, vous voulez dire ? – Oui.
16:52 – Alors, les ports négriers, historiquement, c'est effectivement Nantes
16:56 qui est le premier port négrier.
16:59 Et ensuite, compte tenu de la contrainte des guerres coloniales du XVIIIe siècle,
17:04 on voit Bordeaux devenir navire négrier.
17:06 Et ensuite, quand par exemple, La Rochelle perd le Canada,
17:08 La Rochelle devient port négrier, avec un petit peu Saint-Malo.
17:14 On est un petit peu en fleur, un petit peu Dunkerque,
17:16 et un petit peu Marseille.
17:18 Mais on voit très bien qu'en fait, c'est très compliqué
17:20 d'être un armateur négrier.
17:22 C'est très facile de ne pas faire fortune, justement, de faire faillite.
17:26 – Quand vous entendez le traitement médiatique de cette traite négrière
17:32 au XVIIIe siècle, avec l'œil actuel des journalistes,
17:36 qu'est-ce qui vous choque le plus ?
17:38 Est-ce qu'il y a des détails dans le récit moderne
17:41 qui va à l'encontre de la science historique ?
17:44 – Le grand problème de beaucoup de journalistes,
17:48 c'est simplement qu'ils n'ont jamais regardé l'ombre d'une archive.
17:51 Et donc, on préfère chercher le fantastique,
17:55 ce qui va faire avoir de l'audimat,
18:01 plutôt que de regarder la réalité.
18:04 C'est que le XVIIe, XVIIIe siècles, c'était des siècles abominables.
18:09 Quand on lit un auteur du XVIIIe siècle, je ne sais pas moi,
18:11 Beaumarchais, Molière, etc.,
18:13 on croit qu'il pourrait être notre contemporain, mais pas du tout.
18:18 Leur mode de vie est totalement différent.
18:20 Il faut imaginer l'hygiène, l'odeur, les machins, etc.
18:23 On est à 300 siècles de distance,
18:25 on est pratiquement sur deux planètes différentes.
18:27 Comme le disait un grand historien américain,
18:31 "l'historien doit-il s'interdire des champs historiques ?"
18:35 La traite des Noirs est un champ d'histoire.
18:38 Et en entrant dans ce champ, on en voit la réalité,
18:44 c'est une déportation.
18:47 12 millions de personnes ont été déportées sur trois siècles.
18:52 À l'apogée du commerce colonial français,
18:54 la traite des Noirs, c'est 20 000 Noirs
18:56 qui sont pris à l'Afrique et envoyés aux Antilles.
19:01 Ouserais-je dire que la mortalité par le tabac en France
19:04 est de 40 000 morts par an ?
19:07 – Est-ce que dans le journal de la licorne de Bordeaux,
19:09 que vous avez épluché dans tous les sens pour faire ce livre,
19:13 Patrick Villiers, vous trouvez des échanges
19:16 entre les capitaines de navires et ces rois africains ?
19:20 – Alors, les relations…
19:23 – Quelle relation entretenait-il ?
19:24 – Alors, c'était une relation qui était tout à fait codée.
19:28 D'ailleurs, par exemple, quand on va au Bénin…
19:30 – Il y avait un protocole.
19:31 – Ah, il y avait un protocole, et notamment, par exemple,
19:33 le roi du Bénin avait l'interdiction de s'approcher
19:36 de plus de 15 km de la mer.
19:38 Donc en fait, c'était son représentant
19:40 qui venait faire les négociations.
19:42 Et puis, exceptionnellement, les capitaines aigriers
19:44 pouvaient rentrer à l'intérieur de l'Afrique
19:46 et aller à 15 ou 20 km à l'intérieur
19:49 pour participer au cérémonie des rois noirs.
19:53 Et justement, puisque vous me posez la question,
19:55 au 18e siècle, les Blancs ne sont pas rentrés dans l'Afrique.
19:59 – Mais vous dites que ça n'intervient qu'en 1815.
20:02 – C'est ça.
20:02 – Avant 1815, aucun Blanc ne rentre dans les terres africaines.
20:06 – Sauf le cas très particulier du Portugal
20:08 qui, en Angola, a commencé une colonisation.
20:10 Autrement, la colonisation, c'est le 19e siècle.
20:13 Autrement, les lieux de traite des Noirs,
20:17 qu'on appelle des forts ou qu'on appelle des comptoirs,
20:20 il faut imaginer que c'est une petite fortification
20:23 où on a une dizaine de canons,
20:25 où on a 60 à 70 Blancs qui sont là, entourés par 4 000 Noirs.
20:31 Donc ils sont tolérés, non seulement ils sont tolérés,
20:33 mais chaque année, on renouvelle la présence,
20:36 le traité de présence aux archives coloniales d'Aix-en-Provence.
20:39 Vous avez, chaque année, les traités de renouvellement
20:43 pour qu'on soit à côté de Dakar,
20:45 pour qu'on soit sur tel ou tel comptoir.
20:48 Et il y a le nombre de barres de fer, le nombre de tabac,
20:50 le nombre de comptes qu'on donne pour le droit d'être présent
20:54 sur cette terre africaine.
20:56 La colonisation, c'est le 19e siècle.
20:59 – Ce serait ma dernière question.
21:00 Quand la traite française prend-t-elle fin ?
21:03 – Alors la traite française prend fin une première fois
21:06 pendant l'évolution française,
21:07 avec l'abolition de la traite par Robespierre et le Parlement français.
21:12 – 1794.
21:14 – Elle est rétablie, comme on le sait, par Bonaparte,
21:18 qui la supprime en 1815 parce qu'il veut se réconcilier avec l'Angleterre.
21:21 Et la restauration relance la traite des Noirs
21:24 puisqu'elle existait du temps de Louis XVI.
21:26 Et d'autre part, la traite des Noirs,
21:29 on pense que les ports français qui ont été ruinés
21:32 par la guerre de la Révolution et de l'Empire
21:35 vont refaire du profit par la traite des Noirs.
21:38 Et en réalité, c'est un échec.
21:41 Et grosso modo, la traite des Noirs s'arrête vers 1825-1830.
21:46 Il ne reste plus qu'à quelques exemples de navigriers.
21:49 Et puis ensuite, la France s'allie avec l'Angleterre
21:53 pour mettre fin aux navigriers clandestins.
21:55 Et on va donc avoir des escadres anglaises et françaises
21:58 qui vont patrouiller dans l'Atlantique pour interdire les navigriers
22:02 et pour intercepter les navigriers clandestins brésiliens
22:05 avec capitaux américains.
22:06 – Mais pourquoi l'État français et les Anglais se disent
22:11 "on a toujours des colonies mais on va supprimer l'esclavage" ?
22:16 Pourquoi cessent-ils économiquement ?
22:17 C'était complètement à l'encontre de leurs intérêts,
22:21 je veux dire, purement économiques.
22:22 – Non, non, non.
22:23 Les économistes, donc Adam Smith et les autres,
22:28 oui, Ricardo, etc.
22:30 démontrent qu'il vaut mieux que l'homme s'exploite lui-même
22:33 plutôt qu'en soit esclave.
22:35 Bon, on va en prendre un cas très simple.
22:37 Sur une plantation africaine, bon, on ne travaille pas la nuit
22:40 parce qu'il n'y a pas d'électricité,
22:41 parce que si on utilise des torches au milieu des cannes à sucre,
22:44 on va mettre le feu et la canne à sucre.
22:45 Donc on ne travaille que de jour, c'est-à-dire grosso modo
22:47 comme on est entre les Tropiques et l'Équateur, 12 heures par jour.
22:51 Vous vous rappelez le texte de 1848 qui dit que les enfants de moins de 8 ans
22:55 dans un atelier de moins de 12 personnes
22:58 ne devront pas travailler plus de 16 heures par jour.
23:01 Voilà la condition de la vie ouvrière en France et en Angleterre au 19ème siècle.
23:06 Aucun pays n'a été plus abominable vis-à-vis de la cruse ouvrière
23:09 que la France et l'Angleterre au 19ème siècle.
23:12 Ce n'est pas par hasard si Karl Marx est apparu.
23:14 – Et l'Ancien Régime, comment ça s'était…
23:16 alors que dans l'Ancien Régime, les enfants n'avaient pas leur place dans…
23:20 – Oui.
23:21 – Dans les champs ?
23:22 – Si, si, si, si, si, dans le monde paysan,
23:27 les enfants sont dans les champs à 5, 6, 7 ans, gardent les poules, etc.
23:31 Mais ils sont dans un contexte de vie paysanne.
23:35 Là, quand vous descendez dans les mines
23:37 et que vous devez conduire les chevaux aveugles
23:39 qui traitent le charbon, etc.
23:41 et que vous avez 8 ou 9 ans et vous faites ça entre 12 et 14 heures par jour…
23:46 – C'est autrement plus difficile.
23:48 – Germinal, ce n'est pas de la science-fiction, Germinal.
23:51 Et on est en 1880.
23:53 – Patrick Villiers, votre ouvrage, j'en rappelle le titre,
23:56 "Traite des Noirs et Navires Négriers au 18ème siècle",
24:00 un journal de la Licorne de Bordeaux, collection archéologie navale française,
24:06 un ouvrage que l'on peut retrouver sur la boutique officielle de TV Liberté.
24:10 Merci à vous, monsieur.
24:11 – Merci à vous.
24:12 [Générique]

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