• l’année dernière
Transcription
00:00 On m'a volée ma toute petite enfance,
00:03 uniquement parce que j'étais juive, je n'avais rien fait.
00:05 Elle savait qu'elle avait été dans les camps,
00:07 mais entre les camps et elle, entre ce qui lui était arrivé à elle,
00:11 il y avait un mur d'une épaisseur absolue.
00:13 On a été envoyés dans le premier camp.
00:17 C'était un camp de concentration qui était dans l'est des Pays-Bas,
00:22 Furt.
00:23 Peut-être une petite fille de 4 ans et demi à la faculté
00:26 d'enregistrer ce qu'elle veut bien.
00:29 Je sais juste des bribes du premier camp de concentration
00:33 que j'ai cassé un thermomètre, qu'on m'a engueulée,
00:37 que j'ai pleuré.
00:38 Je n'ai enregistré aucun train, même pas le dernier train quand on est sorti.
00:43 Et puis j'ai fermé parce que j'étais tellement malade que je pense,
00:48 peut-être que j'avais envie de vivre
00:50 et que c'était le seul moyen de survivre, de ne pas se rappeler.
00:55 Evelyne est quelqu'un, ça fait partie des souffrances qu'elle s'est infligée,
00:57 c'est quelque chose qu'elle a redécouverte en témoignant.
00:59 Elle commence par témoigner pour retrouver son histoire
01:02 et témoignant, on retrouve l'histoire de son pays.
01:04 On ne savait pas, rien ne disait que la proportion de Juifs tués aux Pays-Bas
01:09 est équivalente à celle de la Pologne.
01:10 Parce que je veux qu'on sache qu'aux Pays-Bas,
01:14 on n'en parle toujours pas et que ça a existé
01:17 et que les trois quarts des Juifs ayant vécu aux Pays-Bas ne sont pas revenus
01:22 et qu'on occulte ça complètement parce que ça,
01:26 je veux qu'on le sache et qu'on ne l'oublie pas.
01:28 Après la guerre, pas beaucoup d'enfants sont sortis.
01:31 Il y avait des gens qui s'étaient enfuis aux États-Unis,
01:33 qui revenaient aux Pays-Bas.
01:34 À ce moment-là, on allait chercher Evelyne dans son lit.
01:36 On la faisait se lever parce qu'il voulait toucher
01:38 cette petite fille qui s'en était sortie.
01:40 Elle a fui cela aussi pendant des années.
01:43 Elle ne voulait pas être la petite fille qui s'en était sortie.
01:45 Elle ne voulait pas.
01:45 Ma grand-mère à Bergen-Belsen va donner des cours de français...
01:48 - Anglais. - Des cours d'anglais, pardon.
01:50 Des gens qui sont très durs, qui sont des déportés Juifs de Salonique,
01:54 qui travaillaient avec les nazis et qui étaient des capos
01:56 à qui on avait confié la garde du camp.
01:59 Donnant ces cours-là, elle avait un peu plus de nourriture.
02:02 Elle avait pu échanger de la nourriture contre un médicament
02:04 dont mon grand-père avait besoin, sinon il allait mourir.
02:06 Elle les a sauvés et en même temps,
02:09 et en même temps, ça c'est quelque chose qui tourmente Evelyne,
02:12 qui est sous un syndrome d'abandon depuis toujours,
02:14 le jour où les Allemands sont rentrés aux Pays-Bas,
02:17 elle a essayé de se tuer.
02:18 Il y a eu beaucoup de suicides ce jour-là, surtout des médecins.
02:21 Il y a un coin dans le cimetière à Amsterdam
02:24 où il y a des tombes, tous morts le même jour,
02:28 le jour de l'entrée.
02:29 Des Juifs allemands réfugiés qui voyaient brusquement
02:32 le monstre les rattraper.
02:33 Et je me suis toujours demandé comment elle a pu essayer de se tuer
02:39 et de me laisser seule avec mon père.
02:42 Mon père l'a découvert, lui a sorti la tête du four.
02:47 - Et après elle a rattrapé. - Et après elle a rattrapé.
02:49 Avec la même force, parce que ma mère était une forte...
02:52 Elle allait à travers les murs pour atteindre un but.
02:56 Quand j'étais petite, je me disais très fort,
02:59 quand j'ai très peur de quelque chose, les choses n'arrivent pas.
03:03 Et je me suis défendue d'être très heureuse,
03:07 parce que dans ma tête d'idiote,
03:11 quand on est très heureux, après quelque chose arrive
03:14 et qu'il faut presque mériter un bonheur total.
03:19 - On paye. - On paye.
03:22 Je paye chaque instant où peut-être je n'ai pas le droit.
03:27 J'essaye de ne plus le faire, mais c'est très compliqué.
03:31 Quand je suis petit, j'ai 3-4 ans,
03:33 elle me retire d'école maternelle parce qu'elle pense que j'y suis malheureux.
03:35 C'est l'âge auquel elle a été déportée et séparée de ses parents.
03:39 Je n'étais pas plus malheureux que ça.
03:40 Ça fait de moi un pleutre et un couard toute ma vie.
03:43 Mais elle, l'idée, c'était, à mes enfants, il n'arrivera rien.
03:47 Et bang !
03:48 Entre 2008 et 2011, le mec de ma soeur meurt,
03:53 ma femme meurt, mon père meurt.
03:55 Et c'est après cela que la Shoah lui revient,
03:59 parce qu'il n'y a pas d'autre choix, parce que c'était là, ça t'attendait.
04:02 Et elle est brave, parce qu'elle y va, et elle y va toute seule.
04:05 Et j'ai pris un amoureux.
04:07 Voilà.
04:09 En tremblant que j'allais payer encore,
04:12 mais que peut-être que j'avais quand même aussi le droit à un bonheur.
04:18 Mais attends, c'est un amoureux dont les deux parents sont morts en déportation.
04:22 Quand des photographes photographient des vieux déportés,
04:24 ils sont dedans avec leur bon sourire.
04:26 Ils en sont très fiers.
04:28 On m'a volé ma toute petite enfance, uniquement parce que j'étais juive.
04:33 Je n'avais rien fait.
04:34 Je raconte que ça a existé.
04:37 Puis j'essaie qu'on n'oublie pas qu'il est possible.
04:41 Je crois que l'antisémitisme, c'est quelque chose.
04:44 Je l'ai eu en France.
04:47 J'ai travaillé, j'étais dans une boîte où ma chef de service,
04:51 en 1961, a pu me dire, je sais très bien pourquoi vous travaillez,
04:57 Madame Ascolo-Bisch, parce que vous, vous autres, vous aimez l'argent.
05:03 On a pu le dire tranquillement en 1961.
05:06 Un jour, parce qu'elle doit donner des documents pour avoir droit à une pension
05:10 pour les anciens déportés, une amie lui envoie des documents
05:13 qu'elle récupère au musée de l'Holocauste à Washington,
05:17 qui sont des registres des camps nazis dans lesquels elle était.
05:20 Que j'imprime et sur lesquels je pleure pendant trois jours.
05:25 Des listes avec mon nom à moi.
05:28 Et là, c'est devenu la réalité.
05:30 J'avais vraiment, moi, été dans des camps.
05:34 C'était la vérité soudain, la vraie vérité.
05:38 Et là, à l'époque, tu as quel âge ?
05:39 J'avais 73 ans.
05:42 Je pense que la Shoah est vraiment quelque chose
05:47 que personne ne peut imaginer.
05:49 On ne peut pas imaginer qu'on a décidé en janvier 1942
05:55 qu'il fallait la solution finale du peuple juif
06:00 et qu'il fallait qu'il n'y ait plus un seul juif en Europe.
06:04 C'est quand même quelque chose d'assez unique,
06:07 qu'au moins qu'on s'en rappelle.
06:09 En juin 2022, il y a une cérémonie à Fürth.
06:12 Et Evelyne, pour la première fois, donc âgée à l'époque de 83, presque 84 ans,
06:17 accepte l'invitation.
06:18 Je suis arrivée là.
06:20 J'étais assise et j'étais paralysée.
06:23 Et là, les enfants, c'est mon truc.
06:26 J'aime les enfants.
06:27 Je vais voir une petite fille, un petit garçon.
06:30 Et j'ai dit c'est vous qui allez présider la cérémonie.
06:33 Et elle me fait "oui, oui, madame".
06:35 J'ai dit "t'as peur ?"
06:36 Elle me dit "ah oui".
06:37 J'ai dit "tu sais, j'ai plus peur que toi".
06:40 J'ai quand même fait mon discours.
06:42 Je ne sais pas comment je l'ai fait.
06:44 Mais le camp, plus jamais.
06:47 *BIP*

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