Thomas Bangalter _ J'avais la volonté de mettre les machines de côté

  • l’année dernière
Transcript
00:00 Salamé, votre invité ce matin est un musicien mythique.
00:03 Et quel musicien ! Bonjour Thomas Bangalter.
00:05 Bonjour Léa.
00:06 Merci d'être avec nous ce matin en direct et sans casque, mais avec une casquette.
00:11 Thomas Bangalter, on connaît votre peu d'enthousiasme pour les interviews, vous en avez très peu
00:15 donné quand vous étiez membre du duo iconique Daft Punk.
00:18 Alors ce matin ça va ? C'est pas trop dur de se réveiller devant un micro ?
00:22 Non, non, ça va.
00:23 Ça va ?
00:24 Très bien.
00:25 Vous êtes là pour votre premier album solo depuis la séparation des Daft Punk il y a
00:28 deux ans qui fut un choc pour vos millions de fans dans le monde entier, nous ici aussi.
00:32 Mythologie, ce nouvel album, est un album symphonique stupéfiant et ambitieux, très
00:38 loin de votre univers électro.
00:39 C'est une composition pour le ballet d'Angelin Preljokaj, présenté l'an dernier à l'Opéra
00:44 de Bordeaux puis au Théâtre du Châtelet.
00:46 C'est votre premier album instrumental de musique classique, la première fois que vous
00:50 écrivez pour un orchestre, pour des musiciens en chair et en os qui jouent avec des instruments.
00:54 Vous aviez envie de prendre des risques, de sortir de votre zone de confort, de retrouver
00:58 au fond la sensation d'être un débutant.
01:00 Exactement.
01:01 En même temps, j'avais eu avec Daft Punk l'occasion de travailler avec des orchestres
01:05 auparavant pour la musique du film Tron, l'Héritage, un film Disney et puis aussi dans notre dernier
01:12 album où il y avait des orchestres.
01:14 Mais on travaillait avec des orchestrateurs, des arrangeurs et depuis longtemps j'avais
01:20 envie de me frotter à cet exercice de l'orchestration et la proposition et l'invitation d'Angelin
01:28 est arrivé à un moment judicieux et qui m'a permis de pouvoir m'atteler à ce projet.
01:37 Alors la proposition d'Angelin Prêche-Blocage, lui il dit qu'à l'origine il vous a demandé
01:41 une composition qui mêlait classique et électro et c'est vous qui avez choisi, qui avez dit
01:46 "non, pas d'électro", qui avez pris la décision radicale de dire "non, je veux me débarrasser
01:49 des machines totalement".
01:50 À ce moment-là, moi j'ai l'impression depuis longtemps de questionner mon rapport à la
01:54 technologie, la place de la technologie dans ma vie et dans mon processus créatif.
01:59 Et c'est vrai que j'avais à la fois la volonté de mettre les machines un petit peu de côté
02:05 pour vraiment expérimenter avec l'orchestre et en même temps un orchestre c'est un équilibre
02:14 qui fonctionne en lui-même et je n'avais pas envie de rajouter un paramètre supplémentaire.
02:18 Et c'était libérateur pour vous de vous passer des machines, des ordinateurs ?
02:22 J'ai l'impression que ça l'est pour beaucoup.
02:24 Quand on met un peu ces machines de côté, on a l'impression d'être dans un environnement
02:30 calme, apaisé.
02:33 Donc moi j'ai toujours été fasciné par les machines et par la technologie en général.
02:38 Ce que je questionne et ce qui me fait un petit peu peur, c'est le rapport qu'on entretient
02:43 avec elles et la nature de ce rapport.
02:45 Et j'ai envie de vous poser la question, quand vous voyez débarquer l'intelligence artificielle
02:49 partout dans tous les pans et notamment dans la musique, ça vous fascine ou ça vous fait peur ?
02:53 On parle du mythe d'Icare à un moment dans ce spectacle.
03:00 Il se brûle les ailes.
03:02 Dédale, le père d'Icare, lui fabrique des ailes avec de la cire et des plumes et le
03:10 met en garde en fait sur cet outil qu'il lui fabrique et la manière dont il va pouvoir
03:16 l'utiliser, dédale, Icare monte et il est complètement grisé et il finit par se rapprocher
03:22 un peu trop près.
03:23 Donc je pense qu'avec toutes ces technologies, c'est vraiment la manière effectivement
03:28 dont on peut y réfléchir, se réguler, intégrer le maximum d'éthique et de philosophie
03:34 dans toute cette approche.
03:35 Il faut réguler, on pensait.
03:37 Après d'un point de vue philosophique presque éthique, c'est ça qui est compliqué, c'est
03:40 comment on lit une forme de régulation philosophique et éthique avant tout.
03:47 Mais il y a un peu aussi cette idée de l'apprenti sorcier qui commence à arriver, c'est-à-dire
03:51 que même par rapport au moratoire proposé par les scientifiques, on commence à y comprendre
03:58 exactement que bizarrement, eux-mêmes commencent à avoir peur de leur propre création et
04:03 c'est effectivement un petit peu inquiétant.
04:04 Pour écrire une partition pour un orchestre, ce n'est pas donné à tout le monde.
04:09 D'ailleurs, Préle Jocach parle d'une véritable prouesse de votre part.
04:12 Comment vous avez appris cette écriture particulière ? Vous vous êtes replongé dans les partitions,
04:16 vous saviez lire, écrire une partition ? Vous avez écrit à l'encre et à la plume, à
04:20 l'ancienne ?
04:21 Non, moi j'ai un rapport à la danse et à la musique orchestrale, en tout cas à la
04:28 danse qui vient de loin parce que ma mère était danseuse.
04:32 Je viens d'une famille de mon oncle et ma tante aussi et finalement j'ai pris des cours
04:39 de piano avec un professeur qui était répétiteur à l'opéra quand j'étais petit et c'est
04:44 vrai que ça faisait partie quand même de ma vie.
04:47 Après, je n'ai pas fait de conservatoire et à un moment donné, je me suis vraiment
04:52 posé en lisant des traités d'orchestration.
04:55 Vous avez bossé quoi ?
04:56 Je suis de nature souvent à bosser, même si ça ne se voyait peut-être pas au moins,
05:01 ça ne se voit toujours pas.
05:02 Non, si ça se voit là.
05:03 Oui, j'ai travaillé mais comme vous l'avez mentionné, c'est vrai que moi j'aime bien
05:12 être dans une position, dans une posture, sortir d'une zone de confort et continuer
05:18 à rester un peu un débutant, c'est ce qui me motive principalement.
05:23 Vous dites "j'ai toujours essayé de sortir des cases dans lesquelles je m'enfermais moi-même",
05:26 c'est ça qui vous motive tout le temps, qui vous fait vous réveiller, c'est-à-dire faire
05:29 un énième album que vous savez faire, ça ne vous intéressait plus ?
05:34 Non, et puis même, je pense qu'avec Daft Punk, on a fait vraiment quatre albums en
05:38 28 ans et chaque disque était différent, avait un point de départ différent, des
05:43 techniques différentes et c'était un petit peu comme rentrer dans une sorte de formation
05:48 accélérée dans un nouveau monde à chaque fois.
05:51 Et c'est un peu un processus naturel de pouvoir continuer cette approche.
05:57 En tout cas, le résultat est impressionnant.
05:58 Une heure et demie de musique classique, à la fois nerveuse et lyrique, vous revendiquez
06:01 les influences de Bach, de Vivaldi et de Prokofiev et c'est vrai qu'on entend tout ça.
06:06 Moi je revendique juste ma musique, je n'ai pas la prétention de revendiquer toute cette
06:12 histoire-là.
06:13 On y entend en tout cas beaucoup Prokofiev.
06:14 Chaque morceau est associé à un thème, à une mythologie, antique ou actuelle.
06:18 Il y a le Minotaur, il y a les mythologies de Barthes comme le Catch, il y a même le
06:23 Covid-19 et la guerre, des mythologies contemporaines selon Prael Jocaj.
06:27 Et puis il y a les Amazones.
06:29 On écoute.
06:30 * Extrait de « Les Amazones » de Beethoven *
06:47 Qu'est-ce que les Amazones, qu'est-ce que ces guerrières de la Grèce antique, ces
06:51 combattantes, ces femmes fortes vous évoquent ? Qu'est-ce qu'elles disent de la femme
06:55 d'aujourd'hui, Thomas Van Kelter ?
06:57 - Les Amazones, oui, ce sont des guerrières.
06:59 La reine des Amazones, Thalestris, elle ne fait qu'une bouchée d'Alexandre le Grand.
07:06 Et c'est à la fois un monde imaginé qui a pu contrebalancer cette domination masculine
07:16 pendant des siècles.
07:17 Et c'est un monde rêvé aussi.
07:19 Donc c'est très exaltant et très excitant de pouvoir les mettre en musique.
07:25 - Icar, vous parliez d'Icar tout à l'heure.
07:29 Il y a un autre morceau très beau sur Icar.
07:31 Est-ce que c'est quelque chose qui vous est arrivé dans votre vie de vous brûler les
07:35 ailes ?
07:36 - Je n'ai pas l'impression, justement.
07:39 Il y a les Gorgones aussi avec Persée qui se bat contre Méduse.
07:47 Et Persée, lui, il a un bouclier.
07:49 Et à l'intérieur de son bouclier, c'est un miroir pour se protéger du regard pétrifiant.
07:54 Et finalement, moi, j'ai l'impression, effectivement, avec ce casque, avec ce masque, d'avoir eu
08:07 un peu cette forme de bouclier pour peut-être imaginer me protéger de la pétrification,
08:16 de la célébrité ou du succès ou de l'exposition.
08:19 Donc ça m'a parlé peut-être davantage le mythe de Persée.
08:23 - C'est vrai que quand on regarde votre carrière, pardon, mais ces 28 années de succès planétaire
08:29 des Daft Punk, vous avez été ambassadeur de la French Touch, mais au-delà de la French
08:33 Touch, vous avez été ambassadeur de la France.
08:34 Vous étiez une de nos plus grandes fiertés françaises pendant 28 ans.
08:38 Comment on vit avec ça ? Comment on se protège ? Est-ce que vous l'avez vécu avec excitation,
08:44 avec angoisse, avec distance ?
08:46 - Avec distance, avec beaucoup de détachement.
08:48 Ces personnages de robots, on a navigué entre la fiction et la réalité, mais j'ai un peu
08:57 l'impression d'avoir...
08:59 C'était comme un illusionniste ou comme un marionnettiste.
09:04 C'est-à-dire qu'à ce moment-là, on est très concentré sur le dispositif, on est
09:07 très concentré sur le spectacle.
09:10 Et finalement, on peut le demander à des comédiens aussi au théâtre, on ne regarde
09:14 pas vraiment le public autant, finalement.
09:17 - Parce qu'il pétrifiait ?
09:18 - Je ne sais pas.
09:20 Déjà parce que la visibilité était extrêmement réduite dans les casques, il faisait très
09:23 chaud et on ne voit rien.
09:24 Donc finalement, j'ai l'impression que ça m'a aussi protégé.
09:28 On a joué à Bercy, je n'ai rien vu.
09:35 J'étais effectivement sur les machines comme ça.
09:39 À un moment donné, j'avais essayé de mettre des lunettes qui bloquaient avec un dispositif
09:44 un peu d'air conditionné, mais finalement...
09:47 - Il ne faut pas regarder.
09:48 - Il ne faut pas regarder.
09:49 - Thomas Banguelter, vous n'êtes pas obligé de me répondre, mais depuis que votre venue
09:51 a été annoncée hier soir, j'ai reçu sans rire plus d'une vingtaine de SMS de collègues
09:55 et d'amis qui m'écrivent la même chose.
09:57 Demande-lui si Daft Punk, c'est vraiment, vraiment fini, fini.
10:00 Et comme je ne veux pas perdre mes amis, je vous pose la question.
10:03 - C'est une histoire où il y a eu un début, un milieu, une fin.
10:07 Je suis très content d'avoir refermé cette aventure.
10:11 Mais c'est avec un grand plaisir que je me retourne et que je regarde ce qu'on a pu
10:16 faire ensemble.
10:17 - Vous êtes fier de ce que vous avez fait ?
10:18 - Je suis satisfait.
10:19 La fierté, je ne sais pas, mais je suis satisfait.
10:21 - Et c'est fini, fini.
10:22 Donc si j'ai bien compris, j'ai ma réponse.
10:25 Elle ne me plaît pas, je pense qu'elle ne plaît à personne.
10:27 Mais en attendant, il faut écouter sa mythologie.
10:31 Je montre le vinyle avec la pochette qui est magnifique.
10:33 Premier album symphonique, bluffant, de Thomas Banguelter, avec, pour le ballet, "Dangelin",
10:40 - Nathalie Boucher - Merci infiniment de nous avoir accordé une interview.

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