100% Sénat - Mobilisations sociales : le Sénat rejette la proposition communiste d'amnistie d

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00:00 [Générique]
00:10 Bonjour à tous et bienvenue dans cette nouvelle édition 100% Sénat pour suivre aujourd'hui l'examen d'une proposition de loi communiste
00:17 qui vise à amnistier les personnes qui ont commis des actes pendant des mobilisations syndicales ou revendicatives.
00:25 Cette proposition de loi portée par le PCF a été rejetée par une large majorité de la droite et du centre.
00:30 C'était mardi en séance. Voici les meilleurs moments préparés par nos journalistes Mathilde Nuttarelli et Ella Koué.
00:38 Monsieur le ministre, mes chers collègues, je débuterai mon intervention en évacuant de suite un malentendu.
00:45 Une loi d'amnistie ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs fondant notre ordre républicain.
00:53 Par cette proposition de loi, nous ne remettons pas en cause les jugements passés et donc l'action de la justice
00:59 puisque nous ne revenons pas sur les peines ou les amendes prononcées.
01:04 Nous demandons seulement que les femmes et les hommes condamnés voient leurs sanctions amnistiées.
01:11 Cette loi d'oubli et d'apaisement est une tradition qui remonte aux lois constitutionnelles de 1875
01:18 qui vit l'usage d'ouvrir chaque législature par une mesure de clémence visant à la réconciliation nationale.
01:26 En ces murs, le sénateur Victor Hugo plaida le 22 mai 1876 pour l'amnistie des communards.
01:35 Il développait, je cite, "que les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues
01:43 et éprouvent un double besoin, le besoin d'espérer et le besoin d'oublier".
01:49 Il disait "je demande l'amnistie, je la demande dans un but de réconciliation".
01:55 L'amnistie des communards prit finalement effet le 14 juillet 1880,
02:01 visant à permettre au peuple révolutionnaire de Paris de réintégrer le camp de la République.
02:08 Le 24 mai 1936, lorsque 600 000 manifestants montent au mur des fédérés pour commémorer la Commune,
02:17 le cortège demande l'amnistie des militants syndicaux et des antifascistes.
02:23 Le 7 juin 1936, l'amnistie figure parmi les premiers projets de loi déposés
02:30 aux côtés de la semaine des 40 heures et des congés payés par le gouvernement du Front populaire.
02:37 Le 23 mai 1968, enfin, le Sénat vote l'amnistie pour les infractions et les sanctions conséquentes
02:46 à défaut disciplinaire et professionnel, commises à l'occasion de ce qu'on a appelé alors les événements.
02:54 Nous le voyons à travers ce bref rappel.
02:57 À différentes époques, lorsqu'un événement social d'une ampleur exceptionnelle survient,
03:03 le législateur sait considérer que les sanctions consécutives à l'action militante
03:10 ne doivent pas demeurer afin de faciliter la réconciliation nationale.
03:16 Cette proposition de loi concerne les infractions punies de moins de 10 ans d'emprisonnement
03:21 commises lors de conflits du travail à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives.
03:29 Elle ne concerne en aucun cas les casseurs présents dans les manifestations.
03:35 Nous proposons également d'amnistier les sanctions disciplinaires.
03:41 L'inspection du travail sera donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits
03:46 soient retirées des dossiers des intéressés.
03:50 Notons à cet égard que le Conseil constitutionnel a validé cette possibilité
03:56 dans une décision du 20 juillet 1988, en indiquant que le législateur pouvait étendre
04:03 le champ d'application de la loi d'amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles,
04:09 dans un but d'apaisement politique et social.
04:15 Par ailleurs, comme dans la loi du 20 juillet 1988,
04:19 nous demandons la réintégration des salariés licenciés.
04:24 Nous proposons enfin de supprimer les informations nominatives et les empreintes génétiques
04:30 collectées sur les militantes et les militants lors des mobilisations sociales,
04:35 et notamment lors des manifestations contre la réforme des retraites.
04:42 Je rappelle que ce fichage initialement réservé aux délinquants sexuels a été élargi à de nombreux domaines,
04:48 dont la dégradation de biens, ce qui signifie l'assimilation des syndicalistes à des criminels.
04:56 Notre groupe parlementaire a donc fait le choix de s'inscrire dans cette longue tradition sociale et républicaine.
05:05 Les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946 protègent pourtant
05:14 l'action collective qui est aujourd'hui attaquée de toutes parts.
05:19 Ce droit inhérent à toute démocratie, reconnu par notre Constitution et remis en cause
05:26 par la répression du gouvernement contre les militantes et les militants,
05:31 mais également remis en cause par les stratégies d'intimidation utilisées par le patronat dans les entreprises.
05:39 L'intimidation prend la forme du chantage à l'emploi, les menaces physiques par des barbouzes recyclées en milices patronales comme du temps du sac.
05:50 Avec les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCEK,
05:55 je m'insurge contre ces procédures qui criminalisent l'action revendicative et attaquent en plein cœur le droit de résister.
06:06 J'ai une pensée pour toutes ces femmes et tous ces hommes victimes de leur engagement militant en faveur des autres.
06:14 Je pense à Alexandre Pignon, secrétaire départemental de la Fédération des activités postales et de télécommunications des Pyrénées-Orientales
06:23 et postier à Perpignan, visé par une plainte pour entrave à la liberté de travail.
06:30 Je pense aux dix salariés de l'entreprise Sonelog dans le Vaucluse qui ont été licenciés pour faute lourde
06:38 après s'être mis en grève pour exiger de meilleures conditions de travail et une hausse des salaires.
06:46 Je pense également à Loris Tabureau, employé de restauration à Disneyland Paris, licencié en raison de son engagement lors de la grève du parc d'attraction
06:58 au printemps dernier en faveur d'une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail.
07:05 Je pense également à cet employé de 23 ans du Leclerc de Valoris dans les Alpes-Maritimes,
07:11 renvoyé pour avoir exercé son droit de grève et avoir manifesté son opposition à la réforme des retraites.
07:20 Et je pense enfin à Sébastien Ménespillier, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT,
07:30 convoqué le 6 septembre dernier au commissariat.
07:35 Au total, près de 1 000 militantes et militants sont aujourd'hui sous la menace de licenciement,
07:43 de sanctions disciplinaires, de convocation ou de poursuites judiciaires.
07:49 Mais que reproche-t-on à ces femmes et ces hommes ?
07:53 On leur reproche d'avoir défendu un idéal qui les dépasse, des convictions en faveur d'une société plus juste,
08:01 plus égalitaire, plus humaniste, plus écologiste.
08:05 Ces femmes et ces hommes qui s'opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société
08:11 sont considérés aujourd'hui comme des délinquants, des criminels.
08:16 Mais qu'ont-ils fait si ce n'est manifester leur exaspération en usant de leurs droits à la parole et à la résistance ?
08:23 Selon le 12e rapport du Défenseur des droits et de l'Organisation internationale du travail,
08:29 consacré au baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi,
08:34 les pratiques anti-syndicales parmi lesquelles les discriminations ne sont pas un phénomène isolé,
08:41 tant dans le secteur privé que public.
08:43 Ainsi, 46% des personnes interrogées estiment avoir été discriminées du fait de leur action syndicale.
08:52 67% des syndiqués perçoivent leur engagement comme un risque professionnel.
08:59 Ces chiffres illustrent la persistance de la négation de la légitimité de l'engagement syndical
09:04 par une partie du patronat qui met en place des stratégies anti-syndicales
09:09 afin de dissuader les salariés de se syndiquer et de s'organiser collectivement.
09:15 Le gouvernement n'est pas en reste en la matière, puisqu'en réponse aux manifestations, aux concerts de casseroles,
09:22 vous avez publié des interdictions préfectorales et déployé l'ensemble de la panoplie des munitions contenues dans les armureries de la police.
09:30 À l'usage disproportionné de la force à l'encontre des jeunes mobilisés dans leurs lycées ou dans leurs universités
09:37 contre la réforme des retraites, se sont ajoutées des sanctions administratives et pédagogiques.
09:48 Dans les lieux de travail comme dans les lieux d'études, la répression n'a pas sa place.
09:52 Ces femmes et ces hommes en lutte sont ainsi considérés comme des fauteurs de troubles à l'ordre public.
09:57 Mais qui sont les fauteurs de troubles ?
10:00 Les patrons voyous qui refusent de payer leurs impôts en France et délocalisent les entreprises pour satisfaire les intérêts des actionnaires
10:07 ou ces femmes et ces hommes qui luttent pour défendre leurs droits, pour gagner leur dignité, pour préserver leur environnement ?
10:15 En conclusion, avec ce texte, nous vous proposons d'amnistier les faits commis dans le cadre de conflits du travail,
10:21 d'activités syndicales ou revendicatives dans l'entreprise
10:24 ou encore de manifestations sur la voie publique et dans les lieux publics.
10:28 La majorité sénatoriale devrait se souvenir qu'en 2002, vous avez adopté une loi d'amnistie
10:34 qui couvrait les infractions commises dans le cadre de conflits du travail et de mouvements revendicatifs.
10:39 Monsieur le ministre, la liberté de manifester et la liberté syndicale sont des éléments nécessaires dans une démocratie,
10:47 car elles permettent au débat de s'enrichir et à une partie de l'opinion de s'exprimer.
10:52 Le rôle du ministère du Travail est d'agir pour protéger les syndicalistes plutôt que d'adresser,
10:58 comme il a été fait, un vademécom sur l'autorisation administrative des licenciements pour faits de grève
11:05 des salariés protégés ou de représentants du personnel.
11:08 Pour notre part, nous avons toujours été du côté de celles et ceux qui luttent
11:13 pour faire respecter leurs droits pour une société plus juste et plus solidaire.
11:17 Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à adopter cette proposition de loi.
11:22 Merci.
11:23 Merci, chers collègues. La parole est à monsieur Jean-Michel Arnault, rapporteur de la Commission des lois.
11:28 Pour dix minutes.
11:29 Monsieur le Président, Monsieur le Garde des Sceaux, mes chers collègues,
11:40 la proposition de loi présentée par Cathy Apoursopoli et plusieurs sénateurs membres du groupe CRCEK,
11:45 dont notre ancien collègue, la présidente Eyan Assassi,
11:48 vise l'amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux, d'activités syndicales et revendicatives.
11:54 Je commencerai d'abord pour rappeler le cadre général de l'amnistie,
11:58 loi d'exception dont la pratique est de plus en plus limitée.
12:01 Le quatrième alinéa de l'article 34 de la Constitution dispose que l'amnistie appartient au domaine de la loi.
12:07 Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, sur le fondement de ces dispositions,
12:11 le législateur peut enlever pour l'avenir tout caractère déluctueux à certains faits pénalement répréhensibles,
12:17 en interdisant toute poursuite à leur égard et en effaçant les condamnations qui les ont frappées.
12:22 Les effets de l'amnistie sont définis aux articles 133.9 et 133.11 du Code pénal.
12:27 L'article 133.10 prévoit que l'amnistie ne préjudicie pas au tiers.
12:31 Les préjudices civils peuvent donc être indemnisés.
12:34 Les lois d'amnistie poursuivent historiquement deux finalités.
12:39 L'une est le retour à la paix civile ou l'apaisement des passions après des périodes de troubles particulièrement déstabilisatrices.
12:44 Ce fut le cas par exemple après la guerre d'Algérie.
12:47 L'amnistie tend par l'extinction de l'action publique et la libération des personnes détenues à permettre le retour à la paix civile.
12:54 C'était également le but de la loi du 10 janvier 1990 portant amnistie d'infraction commise à l'occasion d'événements en Nouvelle-Calédonie.
13:01 La seconde finalité est le désengorgement des juridictions de contentieux, de masse considérée comme de faible importance.
13:08 C'est dans ce sens également que peuvent être interprétées les lois d'amnistie votées après les élections présidentielles sous la Ve République jusqu'à Jacques Chirac.
13:17 Les lois d'amnistie qui se sont multipliées au cours des années 1980 ont fait l'objet de critiques de plus en plus nombreuses.
13:22 De fait, depuis 1990, aucune loi d'amnistie n'a été adoptée en lien avec des événements ou un territoire donné,
13:29 et leurs indications portées en ce sens ont été écartées par le président de la République.
13:34 Plus récemment, la pratique des lois d'amnistie proposée par l'exécutif à la suite des élections présidentielles n'a pas été reconduite à l'occasion des élections de 2007,
13:42 la dernière date de 2002 comme j'y faisais allusion. Cette pratique donc semble être abandonnée depuis.
13:48 Outre l'aspect du fait du prince rendu plus fréquent par le passage au quinquennat, la tolérance de la société et des citoyens à voir des infractions pour la plupart du quotidien,
13:57 dont les infractions routières restées impunies, semblent désormais faibles.
14:01 Le nombre d'infractions exclues du champ des lois d'amnistie avait en conséquence progressivement augmenté,
14:06 au point d'interroger sur la légitimité du choix des infractions susceptibles d'être amnistiées.
14:11 Bien qu'elles tirent toutes les conséquences juridiques de l'évolution de la jurisprudence relative aux lois d'amnistie critiques,
14:17 peuvent être adressées également aux textes examinés.
14:21 La première de ces critiques concerne le caractère mal défini de la notion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux,
14:29 qui paraît être très étendu, au point d'être potentiellement insaisissable, voire de poser des difficultés d'interprétation.
14:36 La loi pénale, étant d'interprétation stricte, toute imprécision tente à priver un dispositif d'effet.
14:43 Des divergences d'interprétation sont cependant possibles, et pourraient être dommageables sur les questions d'amnistie.
14:48 La seconde, la plus importante, concerne le champ de l'amnistie prévue, qui est particulièrement large dans la proposition de loi qui nous est proposée aujourd'hui,
14:57 puisqu'il concerne la plupart des délits survenus à l'occasion de conflits du travail ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux.
15:06 Il ne concerne donc pas, dans le présent texte, uniquement les manifestants venus pour la défense d'une cause,
15:12 mais aussi ceux qui ont pu se joindre à eux dans l'intention de commettre des délits,
15:16 et naturellement, on pense et on a en tête les images des casseurs lors des derniers événements de ce printemps.
15:22 La proposition de loi s'étend par ailleurs à toutes les infractions passées, sans limitation en amont dans le temps.
15:28 L'amnistie enfin, telle qu'elle est proposée, s'étend non seulement aux délits,
15:32 mais aussi à toutes les sanctions disciplinaires touchant les salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les étudiants et élèves.
15:38 Pour ces deux dernières catégories de personnes, l'amnistie entraîne, s'il y a eu exclusion, réintégration, dans l'établissement universitaire ou scolaire, des dix enfants ou des dix élèves.
15:50 Certes, des exceptions à l'amnistie sont prévues par la proposition de loi.
15:54 Ainsi, l'article 3 de la PPL prévoit que les étudiants ou élèves exclus à la suite de faits de violences et amnistiés
16:01 ne seront pas réintégrés de droit et de plein droit dans l'établissement.
16:05 Les fautes lourdes ayant conduit au licenciement ne seraient pas non plus comprises dans le champ de l'amnistie.
16:10 Surtout, l'article 1 dispose que ne seraient pas couverts par l'amnistie les violences à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique
16:17 ayant entraîné une incapacité de travail et les atteintes volontaires à l'intégrité d'un mineur de 15 ans ou d'une personne particulièrement vulnérable.
16:25 Ces exceptions paraissent cependant insuffisamment faibles.
16:28 Plusieurs types d'atteintes aux personnes et aux biens, comme le vol précédé accompagné au suivi de violences sur autrui
16:35 ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours, seraient également, dans le cadre de cette PPL si elle prospérait, amnistiés en application du texte.
16:44 Tant du point de vue des personnes auxquelles il pourrait s'impliquer que des infractions commises dans son champ,
16:49 la proposition de loi paraît aller bien au-delà de l'objectif de protection du droit à l'action collective et syndicale qui est l'intention de ses auteurs
16:56 et qui a été rappelée par l'oratrice du groupe.
16:59 Il ne s'agit pas de lutter contre l'action syndicale, il ne s'agit pas de lutter contre les syndicalistes,
17:04 il s'agit dans la proposition telle qu'elle est formulée d'avoir un spectre beaucoup plus large tel que je viens de le développer.
17:10 Dès lors, la proposition de loi apparue à la Commission des lois comme étant une réponse, certes intéressante, mais pas souhaitable à la gestion des troubles survenus au cours des dernières années.
17:22 La Commission a en effet considéré que les garanties entourant l'action publique et les procédures relatives aux mesures disciplinaires touchant les salariés,
17:30 les fonctionnaires, les étudiants et les élèves permettent de prendre en compte de manière adéquate et proportionnée les événements survenus
17:36 à l'occasion de conflits sociaux ou d'actions revendicatives et qu'une amnistie générale serait inadaptée.
17:42 En conséquence de quoi, la Commission n'a pas adopté la proposition de loi présentée par le groupe CRCEK.
17:48 Par conséquent, elle vous demande de ne pas l'adopter aujourd'hui. Je vous remercie.
17:52 Merci, M. le rapporteur. La parole est à M. Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
18:00 M. le président de la Commission des lois, Mme la sénatrice Sylvanie, M. le rapporteur Arnaud, Mesdames et Messieurs les sénateurs.
18:20 Nous nous retrouvons aujourd'hui dans le cadre de l'ordre du jour, réservé au groupe communiste républicain, citoyen et écologiste Canec.
18:32 La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui a pour objet, comme l'a indiqué Mme la sénatrice Sylvanie, d'amnistier les contraventions et délits punis de moins de 10 ans d'emprisonnement
18:47 lorsqu'ils ont été commis à l'occasion de conflits du travail, d'activités syndicales ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux.
19:01 Arrêtons-nous, si vous le voulez bien, un instant sur les mots, car, en droit, si j'ose dire, la sémantique compte double.
19:11 Le mot « amnistie » vient du latin « amnestia », emprunté du grec ancien « amnestia » qui signifie « un oubli ».
19:22 L'amnistie peut donc être juridiquement comprise comme une forme d'oubli, d'amnésie législative qui serait consentie pour satisfaire un souhait du corps social.
19:36 Il peut s'agir de rétablir la paix civile après des événements collectifs particulièrement douloureux. Tel était le cas d'ailleurs après la guerre d'Algérie.
19:46 À ces amnisties événementielles se sont succédées des amnisties générales, une forme de solde de tout compte pratiqué systématiquement par la gauche mais aussi par la droite
20:00 entre 1981 et 2002, à la suite des élections présidentielles. Cette tradition, dont l'objet originel avait muté, s'est finalement éteinte il y a plus d'une vingtaine d'années
20:18 et disons-le clairement, il n'apparaît pas opportun de la ressusciter. En réalité, un tel oubli n'avait rien d'un pardon, mais tout d'une renonciation coupable
20:31 qui venait affaiblir l'autorité de l'État et remettre en question l'indépendance de la justice. En 2023, une telle loi d'amnistie ne ferait qu'aggraver la discorde et nourrir l'impunité.
20:47 Et ce, alors même que les voies de l'apaisement ont été trouvées et que le dialogue social a été renoué lors d'une grande conférence sociale le mois dernier.
20:58 Au-delà du principe sur lequel nous sommes en désaccord, cette proposition de loi pose deux difficultés majeures. Tout d'abord, votre proposition de loi
21:10 aurait pour effet d'amnistier un champ d'infractions très large, jusqu'à dix ans de prison encourue. A titre d'exemple, serait amnistier plusieurs types d'atteintes aux personnes et aux biens,
21:27 comme par exemple le vol précédé accompagné ou suivi de violences sur autrui, ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours.
21:39 Pour mémoire, je rappelle que cette infraction est punie de sept ans d'emprisonnement. Un vol commis lors d'une manifestation serait donc amnistier.
21:56 Voilà ce que vous nous proposez. Ensuite, les circonstances dans lesquelles s'inscrirait cette amnistie sont particulièrement larges et laisseraient planer en réalité le doute sur des faits qui méritent évidemment une réponse pénale.
22:13 En effet, la proposition de loi pose comme condition que les faits aient été commis à l'occasion de mouvements collectifs revendicatifs. Notion très large et peu circonscrite.
22:28 Elle emporterait des effets de bord dont je ne suis pas certain que vous les ayez tous mesurés. A titre d'exemple, là encore, est-ce que cela aurait vocation à s'appliquer aux événements de juillet qui ont secoué notre pays ?
22:48 Si je vous pose la question, c'est parce qu'un certain nombre de vos alliés politiques ont indiqué que les émeutes de juillet étaient en réalité une révolte populaire. Ce terme a même été repris par le syndicat de la magistrature.
23:03 Je vous pose la question, est-ce que les émeutes de juillet tomberaient sous le coup de votre loi d'amnistie ? En l'occurrence, la notion très large, trop large, que vous avez choisie, à l'évidence, fait planer le doute.
23:20 Or, il n'y a aucun doute. Il ne s'agitait pas d'une révolte, mais de délinquants, très jeunes pour la plupart. Il était impératif de rétablir l'ordre républicain.
23:34 C'était l'objet de ma circulaire du 5 juillet dernier, relative au traitement des infractions commises par les mineurs dans le cadre des violences urbaines et aux conditions d'engagement de la responsabilité de leurs parents.
23:48 J'y demandais quoi ? Une réponse ferme, rapide, systématique, ainsi que l'engagement de la responsabilité des parents, chaque fois que possible et pertinent.
24:00 Je veux d'ailleurs remercier ici, puisque l'occasion m'en est donnée, l'engagement des magistrats des Greffiers, qui nous ont permis, par leur action efficace, immédiate, de rétablir avec les forces de sécurité intérieure l'ordre républicain dans un temps record.
24:18 Mais que les choses soient clairement dites, c'est chaque fois, à l'occasion et souvent au prétexte, de tels mouvements collectifs que se sont produits ces dernières années de nombreuses violences urbaines, des pillages, des actes de vandalisme et de dégradation.
24:38 Et de tels actes n'ont rien à voir, mais rien à voir avec l'expression légitime de revendications collectives. C'est d'ailleurs pour cela que je mène une politique pénale claire et ferme.
24:52 Elle se résume ainsi. Le droit de manifester ? Oui, bien sûr. Le droit de tout démolir et de s'en prendre aux forces de l'ordre ? Non. J'insiste. Manifester ? Oui. Détruire ? Non.
25:06 Ça a été l'objet de ma dépêche du 18 mars 23, relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'occasion des manifestations ou des regroupements en lien avec les contestations contre la réforme des retraites.
25:23 Le droit de manifester, qui m'a d'ailleurs valu une contre-circulaire, Canada dry, si j'ose la qualifier ainsi, rédigée par le syndicat de la magistrature, et je le rappelle à toutes fins utiles, le seul qui conduit la politique pénale au nom du gouvernement, qui est responsable devant le Parlement, c'est le garde des Sceaux.
25:41 Je vous ai dit que le gouvernement ne souhaite pas que les personnes qui ont commis des délits passibles jusqu'à 10 ans d'emprisonnement soient amnistiées. Le gouvernement ne souhaite pas que l'on puisse offrir une impunité aux casseurs, aux pillards, aux vandales, qui ne recherchent aucune réconciliation, mais qui, bien au contraire, se repestent en permanence du désordre.
26:08 Les mesures d'amnistie prévues par cette proposition de loi n'ont rien d'un remède, d'autant qu'elles instillent le poison d'une justice qui ne serait pas indépendante. Je le rappelle, les juges de notre pays sont totalement indépendants, et c'est très bien comme ça.
26:29 Par ailleurs, cette amnistie ne contribuerait pas à enterrer des querelles passées, mais provoquerait la stupéfaction et s'est doucement euphémique chez la plupart de nos compatriotes qui ont été témoins des pillages, des destructions, à creuser davantage le fossé entre la plupart de nos concitoyens attachés à la stabilité républicaine et ceux qui guettent la moindre faiblesse des institutions.
26:57 Car s'il est évident que le droit de manifester ou de se mettre en grève sont des droits parmi les plus fondamentaux de notre République, indivisible, démocratique, laïque et sociale, ces droits s'exercent dans le cadre de la loi que nous devons tous respecter.
27:15 Je pense à ceux qui ont vu leurs vitrines détruites systématiquement pendant les Gilets jaunes, mais aussi pendant le mouvement contre la réforme des retraites.
27:29 Pensez-vous qu'ils comprendraient que l'on amnistie ceux qui ont pillé ou incendié leur enseigne, qui fait à la fois leur fierté et leur procure leur revenu ?
27:43 Je pense que ce n'est pas un bon message à adresser à ceux qui, dans les moments difficiles que traverse notre nation, ont fait le choix de la résilience, du dialogue et du suffrage plutôt que de la violence.
27:57 Les signataires de la proposition de loi indiquent vouloir notamment amnistier le secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT.
28:11 Je me permets de rappeler avec force que, bien que je ne puisse pas commenter une affaire en cours, et c'est bien normal, la justice est indépendante et elle tranchera l'affaire en question en toute indépendance dans le respect de nos principes.
28:29 Mais les auteurs, avez-vous réfléchi aux conséquences concrètes de la portée très vaste de votre texte ?
28:41 En effet, par la même proposition seraient amnistiés nécessairement les individus ayant violemment caillassé place de la nation des camions et des militants de la CGT lors de la manifestation du 1er mai 2021, faisant, je le rappelle, une vingtaine de blessés, selon l'organisation syndicale elle-même.
29:10 Je note enfin que cette proposition de loi ne prévoit aucune exception en ce qui concerne la commission d'infraction en lien avec des motifs sexistes, homophobes, racistes ou antisémites.
29:24 Par exemple, votre proposition de loi permettrait d'amnistier des auteurs de cris tels que "mort aux juifs" lors de certaines manifestations qui peuvent en effet dégénérer.
29:52 Vous partez du principe que dans une manifestation, toutes les infractions qui pourraient être commises de façon périphérique doivent être amnistiées.
30:02 Vous n'avez pas réfléchi aux conséquences et aux effets de bord du texte que vous portez.
30:08 - Richard Ferrand: La parole est à monsieur Olivier Véran.
30:18 - Olivier Véran: Pas du tout. Je suis en plein dedans, au contraire.
30:22 Je répète qu'un vol commis dans le cadre des manifestations amnistié si on est collé à votre texte, je rappelle que d'autres débordements seraient amnistiés de la même façon si on reste collé à votre texte.
30:36 Je comprendrais que ce n'est pas acceptable, d'autant qu'une telle possibilité d'amnistie serait totalement contraire à la politique pénale que je mène dans la matière.
30:46 J'ai demandé au procureur de la République de la sévérité contre les actes antisémites, les apologies du terrorisme, via ma circulaire du 10 octobre dernier, relative à la lutte contre les infractions susceptibles d'être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023.
31:05 Il en va de même pour les propos racistes ou anti-musulmans, sexistes, homophobes, qui seraient proférés dans de telles circonstances.
31:15 L'amnistie, je le dis de façon claire, nette et définitive de mon point de vue, ne serait pas acceptable.
31:23 Votre proposition de loi n'exclut pas non plus les incitations à la haine, à la violence, à la discrimination envers les forces de l'ordre ou envers les élus, puisque seules, mesdames et messieurs les sénateurs, sont exclues les actes de violence ayant entraîné une interruption temporaire de travail.
31:45 Vous comprendrez là encore que ces dispositions ne sont pas acceptables dans un contexte de radicalisation du débat public, de propagation des discours de haine.
31:56 Il n'apparaît pas opportun d'adopter de telles mesures d'amnistie.
32:01 Les victimes d'infractions et avec eux, la grande majorité des Français, attendent que la justice, à laquelle nous avons redonné des moyens inédits.
32:11 Je veux remercier le Sénat, une fois encore, d'y avoir très largement contribué par son vote.
32:18 Soit rendu en toute indépendance lorsque des infractions sont commises, y compris dans des moments de tension que nous avons pu connaître ces dernières années.
32:27 Car oui, en temps de paix et dans une grande démocratie, c'est bien la justice indépendante qui est garante de notre pacte social, pas une loi d'amnistie.
32:38 Merci Monsieur le ministre. La parole est à Madame la Présidente Cécile Kuckerman pour un rappel au règlement.
32:47 Merci Monsieur le Président, Monsieur le Garde des Sceaux. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
32:54 Monsieur le Garde des Sceaux, l'initiative parlementaire est un droit. Et comme toute initiative, bien évidemment, elle est perfectible.
33:02 Et il y a un autre droit fondamental qui est celui d'amendement.
33:06 Donc si vous avez, comme nous, à cœur de défendre notre République, qui, je le rappelle, dans ses fondements constitutionnels, prévoit également qu'elle est sociale.
33:17 Et si effectivement, comme vous le dites, notre proposition de loi, telle que rédigée, fait autant d'écueils, vous pouvez, si vous partagez cette volonté de préserver ces corps intermédiaires que sont les organisations syndicales,
33:32 nous faire toutes les propositions d'amendement que vous souhaitez. Nous avons toujours été ici, dans un travail constructif, avec les uns, avec les autres et avec le gouvernement.
33:46 Monsieur le Garde des Sceaux, nous n'avons jamais été ici, les porte-parole de telle ou telle organisation syndicale, avec lesquelles vous pouvez avoir les griefs qui sont les vôtres,
33:55 et avec lesquelles je vous invite à régler les griefs qui sont les vôtres.
34:00 Enfin, Monsieur le Garde des Sceaux, il y a, je crois, deux écueils que nous ne pouvons accepter.
34:06 Le premier, c'est un amalgame dont vos propos, qui, in fine, visent à mettre sur le même plan, dans la parole qui a été la vôtre, des responsables syndicalistes,
34:18 avec celles et ceux qui ont cassé, qui ont pillé pendant les manifestations et pendant les émeutes.
34:24 Il y en a un deuxième, qui est insupportable et inacceptable, qui est d'avoir laissé sous-entendre que, dans cette proposition de loi, nous serions celles et ceux qui permettraient demain les propos antisémites dans notre pays.
34:38 Et vous le savez, ce n'est ni notre histoire, ce ne sont ni nos valeurs, et c'est inacceptable de laisser entendre, en tout état de cause, que cette proposition de loi, nous en serions, en tout cas,
34:49 comme vous l'avez dit, avec des alliés que je ne connais pas et qui ne sont pas les miens, les auteurs également.
34:55 Merci. Actez donné de votre appel au règlement. Monsieur le Ministre.
35:01 Merci, Monsieur le Président. Madame la Présidente Kuckermann, jamais je n'ai dit que vous portiez ces valeurs.
35:16 Ce que je dis, c'est que la proposition de loi que vous nous présentez, telle qu'elle est rédigée, permet en réalité d'amnistier toutes les infractions qui sont commises dans le cadre de manifestations.
35:30 Convenez que ça puisse poser problème au gouvernement. J'ai cité plusieurs exemples, et je ne dis pas que vous êtes d'accord avec les voleurs.
35:38 Je dis qu'un voleur pourrait être amnistié... Non, s'il vous plaît. Si le vol est commis... Mais c'est votre texte.
35:48 Convenez-en. Si le vol est commis dans le cadre d'une manifestation sociale, que nous devons évidemment respecter, telle qu'il est libellée, c'est une amnistie.
36:02 Moi, je ne peux pas être d'accord avec ça. Et si des propos sont tenus, qu'évidemment, vous ne ferez jamais vôtres. Je connais votre histoire.
36:14 Non mais pardon. Mais si dans le cadre d'une manif demain, il y a des propos antisémites, des propos sexistes, des propos homophobes qui sont tenus,
36:25 si on lit votre texte, c'est l'amnistie. Vous me permettrez de vous dire que je ne suis pas d'accord avec cela. C'est tout ce que j'ai dit, rien d'autre.
36:36 Bien, M. le président, M. le ministre, M. le président de la Commission des lois, M. le rapporteur, mes chers collègues,
36:43 la proposition de loi déposée par nos collègues communistes pose en effet une question de fond.
36:51 Est-il de la compétence du législateur de s'arroger le droit d'amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ?
37:00 Alors certes, le constituant de 46 a été dit, a reconnu le droit de grève comme droit fondamental.
37:06 Mais d'ores et déjà, on peut dire que ce principe doit être toujours articulé avec d'autres principes généraux de notre droit qui garantissent,
37:17 par exemple, le nécessaire ordre public en vue de la quiétude de chacun.
37:23 Et comme l'a si justement souligné notre rapporteur Jean-Michel Arnault, les définitions des faits formulés à travers cette proposition de loi
37:33 semblent beaucoup trop évasives, beaucoup trop larges, et les exceptions prévues seront rendues quasi inapplicables par la règle elle-même.
37:43 En outre, les effets qu'aurait l'adoption de cette proposition de loi seraient bien plus larges que la volonté originelle qu'ont désiré porter ces auteurs.
37:55 Évacuons en préambule tout malentendu.
37:58 Si l'exercice du droit de grève, du droit syndical ou encore du droit de manifester a pu entraîner des poursuites abusives,
38:07 des mesures disciplinaires excessives ou des licenciements injustifiés, alors ils doivent évidemment être contestés devant les juridictions compétentes.
38:18 Et si nous considérons ces voies de recours comme insuffisantes, voire défaillantes, alors posons-nous la question de légiférer pour les améliorer.
38:29 Mais en aucun cas ces dérives, aussi condamnales soient-elles, ne peuvent justifier et être solutionnées par une NM loi d'amnestie non seulement inutile mais aussi inappropriée.
38:43 Et comme le disait si justement l'honorable juge Diplocq, on doit éviter d'user d'un marteau-pilon pour casser noix si le casse-noix fait l'affaire.
38:54 Et loin de moi encore une fois de remettre en cause le rang constitutionnel du droit de grève, mais leur exercice doit s'équilibrer avec le respect de l'ordre public.
39:07 De ces droits ne peut découler le chaos ou une contestation effrénée.
39:12 L'étendue de cette loi peut être perçue comme une offense à la plus grande majorité de nos concitoyens qui sont tout à fait capables de manifester leur mécontentement sans débordement, sans heurts, ni violence.
39:27 Ainsi ce ne sont ni la manifestation ni la grève qui sont condamnables, mais leur excès lorsqu'il trouble l'ordre public.
39:35 Et par ailleurs si cette proposition de loi a pour objectif de ramener le syndicalisme à son âge d'or en le rendant plus attrayant avec une promesse d'immunité voire d'impunité,
39:47 je pense fondamentalement que nous faisons fausse route car la réalité est tout autre.
39:52 Le contexte actuel de notre pays nécessite au contraire qu'on appelle un surcroît de responsabilisation de nos représentants syndicaux ou des porte-voix de mouvements revendicatifs.
40:06 J'espère pour ma part que le monde syndical sera toujours un acteur responsable qui préférera davantage le respect du dialogue à l'entêtement et au désordre.
40:18 Mais d'un point de vue purement philosophique, ça a été dit, l'amnistie est un geste de pardon et plus largement de reconstitution de la concorde sociale voire de pacification des mémoires.
40:32 Et le pardon des pouvoirs publics quand on regarde l'histoire sociale intervient généralement quand l'ordre public a failli.
40:41 Or, je ne crois pas que la France en soit arrivée à un tel point.
40:47 Mais en tout état de cause, l'amnistie ne peut être associée à une autorisation accordée à la violence ou à des débordements de toutes sortes.
40:56 Je pense très sincèrement qu'il s'agit d'un bien mauvais signal adressé à l'ensemble de nos concitoyens.
41:02 Ainsi, ils pourraient se demander pourquoi respecter la loi si, dorénavant, nous cédons de manière ponctuelle à la tentation de l'amnistie.
41:12 Et l'amnistie, c'est aussi la négation même de la compétence du législateur, puisqu'on nous demande d'evoter une loi qui méconnaîtrait l'application de la législation déjà en vigueur.
41:25 C'est ensuite la remise en cause du principe d'égalité des citoyens devant la loi qui est ici remise en cause.
41:33 A savoir, pourquoi respecter les principes fondamentaux de notre ordre public si aucune conséquence légale n'y est associée ?
41:42 Et ça a été dit également, c'est enfin le rôle du juge qui est remis en question,
41:47 voire l'articulation des pouvoirs entre l'autorité judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
41:54 Force est de constater que les lois d'amnistie perturbent la lisibilité de cet équilibre des pouvoirs et des autorités.
42:01 Enfin, et pour conclure, à la potentielle dérive autoritaire dénoncée par cette proposition de loi, il ne peut y avoir comme réponse une dérive judiciaire.
42:12 Il s'agirait là d'une schizophrénie juridique qui consisterait à condamner d'une main en droit commun des faits répréhensibles
42:21 et à amnistier de l'autre ces mêmes faits dans certaines circonstances via une loi d'exception.
42:27 Nous ne pouvons accepter cela en tant qu'Hôte Assemblée qui a toujours été au rendez-vous devant ses propres responsabilités.
42:36 Vous l'aurez compris, ni les conditions de fond, ni celles de forme ne sont réunies pour l'adoption d'un tel texte.
42:43 Ainsi, vous l'aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Les Républicains sont par principe hostiles à toute loi d'amnistie de cette nature.
42:51 Et c'est la raison pour laquelle nous votons contre cette proposition de loi.
42:55 Monsieur le Président, Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues.
43:01 J'ai fait mon droit dans une autre vie sous la houlette de Jean-Jacques Dupéroux avec Maurice Cohen comme professeur du droit des comités d'entreprise.
43:10 J'ai aussi suivi à l'Assemblée nationale de très près les avancées des lois Oru qui, rappelons-le, établissaient un peu d'équilibre dans le droit syndical à l'intérieur de l'entreprise.
43:20 Et je me souviens très bien des syndicats jaunes, des chiens des vigiles qui allaient sur les piquets de grève.
43:25 Du vote plural au prud'homme qu'un jeune député de talent, Alain Richard, a fait condamner par le Conseil constitutionnel,
43:32 puisque c'était une mesure tout à fait sympathique où les employeurs votaient deux fois quand les salariés ne votaient qu'une seule fois.
43:39 Autrement dit, je connais un peu le droit du travail et un peu le droit syndical.
43:45 Ça me rappelle une formule du doyen Badinter qui disait que les notables vieillissants parlaient d'eux dans leur discours.
43:51 Voilà que ça m'arrive à moi aussi.
43:53 On imagine difficilement, mes chers collègues, une société libre et ouverte dans laquelle le droit de manifester son mécontentement serait systématiquement entravé par des mesures coercitives.
44:03 C'est sans doute la différence entre une démocratie et une dictature. Je crois que nous pouvons tous être d'accord sur ce constat.
44:09 Le constituant de 46 a reconnu le droit de grève, mais non le droit à la violence.
44:13 La grève et les manifestations qui l'accompagnent doivent être articulées avec les autres principes généraux du droit
44:19 qui garantissent le nécessaire ordre public en ce fut d'assurer la quiétude et la sécurité de chacun.
44:25 Au vu des faits qui ont pu accompagner la réforme des retraites et les gilets jaunes il y a quelques années,
44:31 une telle proposition peut paraître séduisante pour certains.
44:35 Nous ferions table rase du passé et le Parlement accorderait une forme de pardon généralisée.
44:41 Or, le pardon ne peut pas viser des agissements contraires à l'ordre républicain.
44:45 Certaines infractions ne peuvent en aucun cas figurer dans une loi d'amnistie.
44:49 Certes, votre proposition de loi exclut de l'amnistie les violences commises contre les personnes dépositaires de l'autorité publique.
44:57 Mais elle ne dit rien d'autres violences et des dégradations des biens dont il faut d'ailleurs déplorer la très haute progression ces dernières années.
45:07 L'amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires.
45:13 Elle ne saurait être une autorisation généralisée accordée aux débordements de toutes sortes.
45:19 De plus, je pense sincèrement qu'il s'agit d'un signal de bien mauvaise augure adressé à tous les manifestants.
45:26 Vous ne pouvez pas le nier en effet. Le principe même d'une loi d'amnistie crée un appel d'air.
45:32 Pourquoi respecter la loi puisque les contrevenants n'auraient aucune conséquence juridique de leurs actes ?
45:38 C'est pourquoi le principe de l'égalité des citoyens devant la loi doit ici s'appliquer, de même que les principes fondamentaux du respect de l'ordre public.
45:48 En dépit du travail et des efforts des membres du groupes communistes républicains Citoyens écologistes et Ekenaki,
45:55 il n'y a pas de consensus au sein du Parlement sur une telle proposition.
46:00 Ni les conditions de fonds, ni celles de forme ne sont en effet réunies pour l'adoption d'un tel texte.
46:06 D'autant qu'il y a eu des victimes et beaucoup de dégâts, sans parler des manques à gagner de petits commerçants, des voitures brûlées, etc.
46:14 Si on comprend la colère sociale, même si on peut la partager, son expression doit rester dans le cadre des lois de la République.
46:21 La commission d'infraction allant jusqu'à 10 ans de condamnation n'en faisant pas partie.
46:27 C'est d'ailleurs ce que nous invite à faire le rapporteur Jean-Michel Arnault, dont je tiens à saluer le travail,
46:33 qui nous a rappelé que notre commission des lois était défavorable à l'adoption de ce texte.
46:39 Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste votera contre la proposition telle qu'elle figure aujourd'hui à l'ordre du jour. Je vous remercie.
46:49 (Applaudissements)
47:07 Merci, monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues.
47:11 J'aimerais d'abord remercier le groupe communiste d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour du Sénat,
47:17 parce que cette proposition de loi intervient à un moment tout particulier de notre démocratie.
47:23 Alors que le gouvernement se montre toujours plus incapable de répondre aux crises,
47:28 alors que les élus, les pouvoirs publics faillissent à remplir leur mission première, protéger l'intérêt général,
47:34 garantir à chacune et à chacun de manger à sa faim, de se loger, de vivre de son travail, de pouvoir se reposer,
47:41 d'avoir les mêmes droits que ses voisins, de ne pas craindre les discriminations, d'envisager un avenir commun sur une planète vivable,
47:48 ce sont bien souvent les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux qui sont attaqués,
47:55 plus que les pollueurs, que les évadés fiscaux, que les exploiteurs, que les racistes et que les sexistes.
48:02 C'est donc l'État qui faillit et ce sont ces enfants qui trinquent et qui trinquent deux fois,
48:07 en payant le prix de ces mauvais choix politiques et en payant celui de les contester.
48:12 Le prix de ces mauvais choix politiques d'abord. Sur la question climatique par exemple, selon les dernières données du 3 octobre 2023,
48:19 la trajectoire actuelle des émissions de la France nous garantit que nous violerons nos propres engagements internationaux, européens et nationaux.
48:28 Pendant ce temps, le gouvernement sans tête a poursuivre un projet climaticide et injuste vieux de 30 ans, l'A69.
48:35 Malgré la promesse présidentielle de 2017, le gouvernement ne demande plus l'interdiction du glyphosate au niveau européen.
48:42 Le glyphosate, un herbicide total, c'est-à-dire qui tue tous les végétaux sans distinction,
48:48 sauf ceux qui sont génétiquement modifiés pour lui résister et dont les effets sur la santé humaine,
48:54 mais aussi sur notre modèle agricole, ne sont plus à démontrer.
48:57 Dans le même temps, le gouvernement est incapable de répondre à l'urgence sociale accentuée par l'inflation.
49:03 Un huitième de la population française ne monte pas à sa fin.
49:06 Un tiers des étudiants sautent des repas.
49:08 Alors que la France, contre plus de 9 millions de pauvres, les 500 Françaises et Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 5% l'année dernière.
49:16 Rien ne saurait justifier une telle aggravation des inégalités et rien ne peut comprimer la colère qu'elle nourrit.
49:22 C'est la raison pour laquelle les citoyennes et les citoyens se mobilisent et grossissent les rangs des mouvements sociaux.
49:28 C'est pourquoi nous étions des millions dans la rue, à combattre la réforme des retraites.
49:32 C'est pourquoi il y a des militants qui passent leur week-end à essayer de protéger la nature, les arbres, l'eau, à Sainte-Soline, dans le Tarn, à Notre-Dame-des-Landes.
49:41 Le prix de les contester, ensuite, et c'est le sujet aujourd'hui.
49:45 Au lieu d'être entendus ou au minimum d'être respectés, ces mouvements sociaux sont criminalisés.
49:51 Et cette criminalisation a atteint son apogée au moment de la contestation massive contre la réforme des retraites.
49:57 Des passants qui ne manifestaient même pas se sont retrouvés au poste parce qu'ils sortaient d'un restaurant en mauvais moment.
50:04 Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national qui n'avait aucun lien direct avec les faits reprochés a été convoqué par la gendarmerie.
50:13 Dans trois semaines, trois syndicalistes doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.
50:18 600 travailleurs et travailleuses seraient, selon la CGT, ciblées par des procédures disciplinaires suite aux mobilisations quant à la réforme des retraites.
50:25 De manière similaire, des militants écologistes sont criminalisés parce qu'ils s'opposent à cette aberration écologique que constituent les méga-bassines.
50:33 Parce qu'ils se battent pour notre accès à l'eau, pas pour se faire plaisir.
50:36 Vous savez, nous aimerions toutes et tous passer des week-ends de détente entre amis et n'avoir jamais à choisir entre prendre le risque de se retrouver dans le coma et voir nos biens communs confisqués.
50:46 Mais le schéma et la doctrine de maintien de l'ordre en France, ajoutée à une répression qui s'intensifie de manière constante et systémique,
50:54 rend le fait de manifester, de militer de plus en plus difficile dans ce pays et adécent.
51:00 L'immense majorité des personnes arrêtées ne font d'ailleurs pas partie des individus violents dont, bien sûr, nous condamnons les méthodes.
51:09 Et pourquoi c'est grave ? Pas seulement parce que la cause des manifestants est la plupart du temps juste,
51:15 mais parce que la démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir,
51:20 parce que c'est le propre d'un gouvernement démocratique, c'est sa condition existentielle, sa définition,
51:26 que de permettre, et plus encore, d'organiser, de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui,
51:34 de garantir à celles et ceux dont il déteste les idées que leur expression soit libre.
51:39 Et c'est donc pour rétablir ce lien de confiance en la vitalité de notre démocratie que le groupe écologiste soutient les objectifs portés par cette loi.
51:49 Et nous entendons bien sûr les commentaires que M. le ministre a faits sur le calibrage sans doute trop large de l'article 1 de la loi.
51:59 Et nous faisons donc confiance au gouvernement pour amender ce texte ainsi qu'à nos collègues à l'Assemblée nationale,
52:06 et considérons en tous les cas que le signal politique envoyé à nos citoyens sera bien meilleur si cette loi est adoptée que si elle est rejetée aujourd'hui. Je vous remercie.
52:15 Merci. La parole est à notre collègue Cathy Apoursopoli pour le groupe communiste républicain citoyen écologiste Kanaki pour 5 minutes.
52:23 Merci M. le Président, M. le ministre. C'était il y a plus de 70 ans. Ils font partie de l'histoire, de notre histoire.
52:42 Ils sont des milliers à avoir participé à la grande grève des mineurs de 1948.
52:46 Ils sont plusieurs centaines de syndicalistes licenciés, condamnés à des amendes ou à des peines de prison, y compris les résistants mineurs à l'occupant nazi.
52:55 Sept ans avant. Essentiellement issus du Nord-Pas-de-Calais.
52:59 Ce sont autant de vies brisées, d'hommes et de familles victimes d'une parodie de justice, ne leur laissant aucune chance de se défendre.
53:07 Leur combat a duré plusieurs années. Ils seront finalement réhabilités par Mme Taubira, alors garde d'Essoe.
53:15 Parmi eux, Norbert Jilmé, syndicaliste CGT, victime d'une injustice profonde jusqu'à la fin de sa vie.
53:23 Il nous dira "J'étais syndicaliste, pas délinquant".
53:27 Mes chers collègues, voilà résumé en quelques phrases notre proposition de loi.
53:32 Ils sont syndicalistes, pas délinquants.
53:35 Ils s'appellent Sébastien Ménespillier et Mathieu Pinault, de la Fédération Mine-Énergie.
53:41 Sophie Bournazel et trois autres salariés de l'entreprise People and Baby.
53:45 Nicolas Constantin, délégué d'un entrepôt logistique du Pontelet.
53:50 Ils sont syndicalistes chez Verbaudet, dans cette entreprise du Nord.
53:54 80 femmes payées au SMIC ont décidé de se mettre en grève pour obtenir des augmentations.
54:00 La direction a fait intervenir la force publique à de nombreuses reprises.
54:04 Des salariés ont été blessés, certaines envoyées à l'hôpital et les plaintes en justice se sont succédées.
54:11 Des syndicalistes de la Fédération du Commerce, donc légitimes à intervenir sur ce conflit,
54:16 ont été interpellés chez eux, au petit matin, devant leurs enfants, devant leur famille.
54:23 La répression s'est tellement généralisée qu'un syndicaliste, Mohamed, a été interpellé par de faux policiers
54:29 qui l'ont gazé rouet de coup, puis jeté d'une voiture en marche, avant de lui avoir dérobé ses papiers.
54:36 Dans le même temps, la direction continuait d'assigner ses salariés en justice, en ayant les moyens et le temps.
54:43 Je pourrais aujourd'hui en citer plusieurs centaines de syndicalistes, victimes de procédures de convocation, d'amende,
54:49 de mise en examen, de mesures disciplinaires.
54:52 Cette proposition de loi portant amnistie des faits commet à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales
54:58 et revendicatives, vise à leur rendre justice au nom de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
55:09 selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires.
55:15 Or, aujourd'hui, nous assistons souvent à de l'acharnement, parfois individuel, à des arrestations arbitraires,
55:21 menant à des procédures pénales, comme si la répression patronale ne suffisait pas à maintenir le système.
55:28 Vous y ajoutez la répression d'Etat, en utilisant l'appareil judiciaire, la démocratie sociale et la liberté syndicale,
55:36 sans être un obstacle pour votre gouvernement.
55:40 Cette répression s'est d'ailleurs amplifiée avec la réforme des retraites,
55:44 où la violence des procédures arbitraires à l'encontre des syndicalistes a donné lieu à une tribune parue en juin,
55:50 intitulée "Pour les libertés syndicales contre toute entrave à l'engagement militant et citoyen".
55:57 Celle-ci a rassemblé plusieurs centaines de militants syndicaux, associatifs, de nombreux intellectuels, chercheurs, universitaires.
56:07 Mais au-delà de la pression judiciaire opposée aux syndicalistes, se pose aussi la question des entraves tout au long de la carrière,
56:14 blocage de l'évolution, perte de promotion, de revenus.
56:19 Monsieur le garde des Sceaux, vous avez fait l'amalgame entre les faits commis à l'occasion de mobilisation syndicale,
56:26 les violences urbaines et les actes antisémites.
56:30 Ce n'est pas acceptable. Ces faits n'ont aucun rapport avec les manifestations syndicales, ni même avec notre proposition de loi.
56:39 Et vous le savez très bien, il ne s'agit pas pour nous de ne pas sanctionner les casseurs, les black blocs,
56:46 qui se sont attaqués aux syndicalistes durement dans les manifestations.
56:51 Vous l'avez rappelé en préambule, l'amnistie ne signifie pas l'absence de sanctions de justice,
56:57 mais uniquement d'amnistier les sanctions commises lors de mouvements sociaux.
57:02 Votre condamnation de l'idée d'amnistie est étonnante. Alors même que vous-même, le 17 mai 2020,
57:10 aviez répondu à un journaliste européen que je cite,
57:15 "J'aurais souhaité que le président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d'amnistie."
57:26 Je vous remercie.
57:28 Alors je vous propose de passer au vote. J'ai été saisi d'une demande de scrutin public par les groupes Les Républicains et le groupe CRCE Kanaki.
57:42 Le scrutin est ouvert. Le scrutin est clos.
57:52 Résultat de ce scrutin, votant 344, exprimé 281 pour le texte 34, contre 246, il n'est pas adopté.
58:05 Et donc cette proposition de loi, comme je le disais, n'est pas adoptée.
58:09 Voilà, la majorité de la droite et du centre au Sénat qui a rejeté cette proposition de loi communiste pour une amnistie.
58:18 C'est la fin de cette émission. N'hésitez pas à lire les articles de la rédaction sur notre site.
58:22 Je vous donne l'adresse et elle s'affiche, c'est publicsenat.fr.
58:26 Très belle suite des programmes sur Public Sénat.
58:28 [Musique]

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