Antisémitisme en France : "il y a une obsession en France quant à savoir qui est juif et qui ne l'est pas"

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Transcription
00:00 - On va l'inviter aujourd'hui, Jonathan Ayoune, bonjour et merci d'être avec nous.
00:03 Vous êtes auteur, réalisateur. Vous avez notamment signé l'histoire de l'antisémitisme.
00:08 Alors ça a été sorti en 2022 sur Arte. La chaîne le repropose aujourd'hui en replay sur arte.tv.
00:16 Gérald Darmanin donnait ses chiffres hier soir. 1040 actes antisémites depuis le 7 octobre.
00:22 Il parle d'une explosion des actes antisémites.
00:24 Pour vous, l'antisémitisme plane constamment sur la France, mais quand il y a une guerre ou une intifada au Proche-Orient, il s'exprime ?
00:31 - Oui, il s'exprime depuis les années 2000, depuis la seconde intifada, à chaque fois qu'il y a un conflit au Proche-Orient.
00:37 On assiste à un pic d'antisémitisme à ce moment-là, le temps du conflit. Et puis après, ça se calme et ça revient.
00:43 Mais il y a un deuxième événement qui produit, ou en tout cas auquel qui libère une parole antisémite et qui entraîne une explosion des actes.
00:51 C'est lorsqu'il y a de l'antisémitisme meurtrier. En 2012, avec la tuerie à Toulouse dans l'école juive de Zahra Tora.
00:58 En 2006, après l'assassinat d'Ilan Halimi, à chaque fois il y a eu des explosions d'antisémitisme pendant plusieurs semaines.
01:05 Et là, quelque part, cet événement-là, c'est la somme des deux. Il y a à la fois la guerre au Proche-Orient et il y a eu le 7 octobre,
01:12 qui est le plus grand massacre de juifs depuis la Seconde Guerre mondiale.
01:15 Et donc c'est la conjonction, enfin la somme des deux, qui fait que nous avons une explosion d'actes antisémites en Europe, mais particulièrement en France.
01:24 - Et pourquoi particulièrement en France alors ?
01:26 - Parce que l'histoire de la France et l'histoire de l'antisémitisme est particulière et vivace.
01:35 Parce qu'il y a la plus grande communauté juive d'Europe et la deuxième plus grande communauté juive, entre guillemets dit, de diaspora après les États-Unis.
01:43 Et parce que le travail sur les préjugés en France progresse, évolue, mais c'est beaucoup plus, on va dire, répandu qu'ailleurs.
01:53 L'association de juifs pouvoirs, par exemple, ce préjugé-là, il est beaucoup plus important en France qu'à l'étranger.
01:59 Je me rappelle que dans la campagne de 2012, la campagne électorale, vous savez, Google suggère, quand on fait des recherches, il nous suggère des résultats.
02:07 Et il nous suggère les résultats les plus utilisés par les internautes.
02:10 Et bien, quand on tapait le nom des candidats, le mot juif venait souvent à côté.
02:13 Il y a une obsession en France qu'on retrouve moins dans d'autres pays, quant à savoir qui est juif, qui ne l'est pas.
02:18 Et donc, à la fois, il y a, en tout cas depuis la Seconde Guerre mondiale, une évolution de la société française où les préjugés baissent.
02:25 Parce qu'en 1968, 20% des Français se disaient antisémites. Je ne crois pas que ce soit le cas aujourd'hui.
02:31 Les préjugés baissent, mais en même temps, ils restent constants sur certaines associations.
02:35 Et surtout, les actes peuvent exploser à certains moments.
02:38 Donc, l'antisémitisme français est très paradoxal.
02:41 Les Français de confession juive se sentent en insécurité.
02:45 Il y a eu un article dans Le Monde aujourd'hui qui donne la parole à plusieurs Français de confession juive.
02:52 Ils se sentent également un peu isolés, pas soutenus par le reste de la population.
02:56 C'est vrai qu'après les massacres du 7 octobre du Hamas, il y a eu ce rassemblement dans le 16e arrondissement de Paris.
03:02 Il n'y a pas eu grand monde, il y a eu beaucoup de Juifs qui sont venus condamner ces actes.
03:09 Pourquoi, à votre avis, est-ce qu'il y a un amalgame aujourd'hui qui se crée entre le soutien à Israël,
03:15 le soutien à cet État et le soutien à Benyamin Netanyahou et son gouvernement d'extrême droite ?
03:21 Il est évident qu'il y a une sorte de faille empathique ou d'indifférence à l'égard des victimes lorsqu'elles sont israéliennes.
03:31 Parce qu'il y a un gouvernement, en effet, qui a été à ce moment-là,
03:34 qui l'est moins aujourd'hui puisqu'il y a une unité nationale, mais qui l'était à ce moment-là,
03:37 et qui a encore aujourd'hui des membres de l'extrême droite.
03:39 Donc ça joue la sensibilité à l'égard des victimes de l'antisémitisme, si elles sont israéliennes ou si elles sont françaises, ce n'est pas la même.
03:46 Ça aurait été un massacre en France, bien évidemment, on aurait été des millions dans la rue.
03:49 Donc ça c'est une évidence.
03:50 Mais ce sentiment, on va dire, de banalisation de l'antisémitisme n'est pas lié qu'à ce moment-là.
03:56 Déjà en 2012, par exemple, lors de la tuerie de Toulouse, nous étions 20 000 dans la rue.
04:00 Alors que pour la profanation du cimetière de Carpentras dans les années 95, dans les années 90, c'était des millions.
04:06 Donc on voit bien qu'il y a, avec le temps, puisque l'antisémitisme meurtrier revient malheureusement dans notre pays,
04:12 ou en résonance en Israël ou ailleurs, tous les 2-3 ans, une forme de banalisation de la manière de s'indigner et de se mobiliser.
04:19 - Une commémoration aussi sélective, un peu, alors ?
04:21 - Une commémoration aussi sélective, mais aussi le fait que l'accumulation des actes d'antisémitisme meurtrier
04:29 fait qu'au bout d'un moment, on se mobilise moins que par le passé.
04:31 Et puis enfin, il y a aussi, malgré tout, dans la communauté juive, il faut le dire, une peur de la solitude,
04:36 mais qui n'est pas que liée à quelque chose de rationnel, qui est liée aussi à la longue histoire de l'antisémitisme,
04:41 ou souvent à ce sentiment d'être abandonné, d'être isolé.
04:45 Si j'ai le temps de raconter une petite blague très rapide, nous sommes en Berlin en 1937,
04:50 7 Juifs marchent dans la rue, sur le même trottoir, ils voient arriver vers eux 2 nazis, 2 SS.
04:56 Et l'un des 7 dit aux autres "Vite, changeons de trottoir, nous sommes 2, euh, ils sont 2, nous sommes seuls."
05:03 Et il y a quelque chose aussi de ça, de cette solitude qui est aussi inscrit dans l'histoire de la haine des Juifs.
05:09 - Comment on fait pour sortir de cette haine ? Il y a besoin d'une parole forte, une parole politique,
05:14 ou peut-être venue d'une personnalité de la société civile.
05:18 Il y a Olivier Faure, le patron du PS, qui propose un grand rassemblement à Paris contre l'antisémitisme.
05:23 Oui, il propose un grand rassemblement au nom des partis politiques, avec une unité des partis politiques,
05:27 ce qui par ailleurs me pose problème, notamment dans le fait d'associer le RN à ce type de rassemblement.
05:32 Mais mis à part cela, je crois pas que la parole politique est la plus importante là.
05:36 Les pouvoirs publics se mobilisent, le gouvernement a des mots forts.
05:40 - Il y a des arrestations, 500 personnes qui ont été arrêtées depuis le 7 octobre.
05:43 - Et plus de 1040 actes. Mais en parallèle, je pense que ça vient de la société civile.
05:48 On attend des paroles fortes des personnes qui sont connues pour être dans un engagement antiraciste,
05:53 qui sont connues pour être dans un engagement pour les droits de l'homme,
05:55 qui sont connues pour s'adigner lorsque l'on attaque quelqu'un pour ce qu'il est.
05:59 - Vous parliez du RN, ça vous pose problème qu'il soit présent ?
06:03 Il a été présent dans le 16e arrondissement, quelques jours après les attaques du Hamas,
06:09 et la France Insoumise alors, est-ce que ça vous pose problème ?
06:11 Elle qui ne prend pas position et qui ne dit pas que le Hamas est une organisation terroriste.
06:15 - Oui, alors pas tous, mais en tout cas les plus importants,
06:18 que ce soit Jean-Luc Mélenchon ou Mathilde Panot, par exemple,
06:21 n'ont pas eu les mots justes après l'événement, voire même ont eu des mots plus que dérangeants.
06:26 Et puis aussi parce que Jean-Luc Mélenchon, à travers, on va dire, les dernières années,
06:31 a eu un grand nombre de propos qui alimentent la circulation des préjugés.
06:36 Même pas que liés au conflit au Proche-Orient.
06:39 Je pense à un mot en particulier, lorsqu'il vient raviver, réactiver l'accusation de DIC
06:44 en disant que les Juifs sont responsables de la mise de Jésus sur la croix,
06:47 qui est une des anciennes croyances populaires qui a fait des ravages à travers les siècles.
06:50 Ça passe inaperçu, en tout cas, ça ne soulève pas les foules,
06:53 et ça ne soulève pas l'indignation parce qu'on se dit "mais personne n'y croit aujourd'hui".
06:56 Mais il n'empêche qu'au regard de l'histoire, ça a eu tellement de dégâts,
07:00 et ça a construit l'association Juifs Traites, Juifs Coupables,
07:03 qu'il a une part de responsabilité en réactivant ce type de préjugés.
07:06 - Merci infiniment Jonathan Ayoun d'être venu sur France 24.
07:10 Je vous conseille l'histoire de l'antisémitisme à revoir sur arte.tv.
07:15 Merci encore.

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