Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 8 novembre 2023 : le réalisateur, Frédéric Tellier. Aujourd’hui, sort son nouveau film : "L'Abbé Pierre, une vie de combats" avec Benjamin Lavernhe.
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00:00 - Bonjour Frédéric Tellier. - Bonjour Élodie, merci de me recevoir.
00:03 - Vous êtes scénariste, réalisateur pour le cinéma, la télé, il y a eu la pub aussi pour la télé.
00:07 Vous avez réalisé "Paul Sauvage" avec Olivier Marchal, "Les Robans des pauvres" avec Michel Duchossois.
00:12 Je le précise parce que c'est un personnage hors du commun.
00:15 "Hippolyte Gerardo" ou encore "Les Hommes de l'ombre" avec Nathalie Baye.
00:18 Vous avez collaboré à la création du film "36 cas des orfèvres" d'Olivier Marchal
00:21 avant de réaliser l'affaire "SK1", l'histoire vraie du policier qui a traqué Guy Georges
00:26 et celle de l'avocate du tueur, c'est important de préciser aussi qu'il y avait un deuxième personnage.
00:30 Ce film a connu un retentissement énorme dans le monde entier et a quasiment reçu tous les prix des festivals.
00:35 Sauf un quasiment, mais vous avez été nominé donc on va dire que ce n'est pas grave.
00:39 Vous avez également rendu hommage aux pompiers avec votre film "Sauvé au périre"
00:42 et puis il y a eu "Goliath" en 2022 avec Gilles Lelouch et Pierre Ninet.
00:45 Aujourd'hui même sort le film "L'Abbé Pierre, une vie de combat" avec Benjamin Lavergne,
00:51 extraordinaire dans le rôle principal, je le précise.
00:54 Emmanuel Berco déjà présente dans "Goliath".
00:56 Pourquoi avoir réalisé un biopic sur l'abbé Pierre ? Frédéric Tellier.
01:00 Probablement par manque, par admiration et par manque de l'abbé,
01:05 mais aussi parce que je crois que je m'intéresse beaucoup aux victimes, c'est mon côté Ken Loach.
01:13 Et là j'ai pensé aux victimes de la rue et ça m'a emmené vers l'abbé.
01:20 Ça aurait pu s'arrêter là parce que l'abbé est une telle icône qu'il n'avait pas besoin de moi.
01:26 Mais c'est vrai qu'en redécouvrant quand même ces grandes actions,
01:30 notamment l'insurrection de la bonté que j'avais oublié,
01:32 moi enfin je me rappelais de "L'appel de 54" mais pas de ce grand mouvement populaire
01:36 et surtout sa vie privée, Lucie Koutaze, toutes ces contradictions, ces paradoxes,
01:43 ça m'a vraiment donné envie de raconter la vie de cet homme qui a changé le monde quand même.
01:49 On est un peu en train d'oublier ça mais il a changé, il était totalement inadapté à ce monde
01:53 parce qu'il en souffrait énormément et il l'a quand même changé.
01:56 Je trouve qu'on parle de Benjamin Laverne qui est extraordinaire dans ce film,
02:00 qui vraiment en plus a cette voix, vous parliez du fait que quand l'abbé Pierre parlait,
02:06 effectivement tout le monde en gardait des souvenirs très forts.
02:09 Cette voix-là, elle devient un personnage du film d'ailleurs
02:12 et vous avez décidé de traiter, je ne vais pas se polier,
02:15 mais de traiter en tout cas "L'appel de l'hiver 54" dans son plus simple apparat,
02:20 c'est-à-dire un micro et effectivement la voix de l'abbé Pierre
02:23 avec un public subjugué derrière la console de Radio Luxembourg.
02:27 Cette voix-là justement, elle aussi, elle a joué un rôle dans ce qu'il est devenu, l'abbé Pierre ?
02:34 Oui, par exemple Laurent Desmarres, son dernier secrétaire particulier,
02:39 qui m'a énormément aidé à l'écriture, je vous confiais,
02:42 je suis allé avec lui au téléphone juste avant de vous rejoindre,
02:45 qui est devenu quelqu'un d'important pour moi.
02:48 Il m'a dit que quand il a connu l'abbé, il est allé par hasard à une conférence
02:54 et pareil, il est tombé en trance.
02:56 Je crois qu'il avait un magnétisme incroyable, une pureté en fait,
03:00 qui passait par sa voix si particulière.
03:03 Et effectivement, quand on a enregistré "L'appel de l'hiver 54",
03:06 on travaillait beaucoup avec Benjamin sur le fait de se dire,
03:10 remettons tout dans l'époque exactement comme ça s'est passé,
03:13 c'est-à-dire à "L'appel de l'hiver 54", ce petit curé révolté
03:17 qui arrivait à s'indigner de ce qu'il voyait dans la rue,
03:20 ne savait pas que ça allait donner l'insurrection de la bonté,
03:22 qu'il allait devenir une rockstar en fait.
03:24 Donc on s'est dit, on va le faire comme probablement il l'a fait à l'époque,
03:26 de manière toute simple, très ému de ce que lui venait de voir.
03:30 Et voilà, d'un coup, on lui fait signe, le micro démarre,
03:34 et puis il fait "Mes amis au secours", et puis il sait pas trop où ça part.
03:37 Donc sa voix, elle est presque blanche, elle est fragile.
03:40 Benjamin, il a énormément travaillé ça,
03:43 parce qu'on s'est rencontrés un an avant le tournage,
03:46 on a eu un an de test de maquillage,
03:48 parce que les maquillages ont été très longs à trouver.
03:51 Mais ça a été aussi pour lui un an, l'occasion pendant cette année
03:55 de travailler le personnage.
03:56 Il avait énormément d'archives que je lui avais triées, préparées.
03:59 Il s'est vraiment inspiré, il passait sa vie à écouter "La baie",
04:03 il avait des oreillettes, il écoutait "La baie",
04:05 il regardait tout un tas d'archives que je lui avais données.
04:07 Et je crois qu'il est devenu, plus que la voix des "Sans voix",
04:11 d'ailleurs on l'appelait "La voix des sans voix", "La baie",
04:13 il est devenu l'espace d'un film, il est devenu "La baie".
04:16 Ça s'est arrêté, il a pas de problème de schizophrénie,
04:18 mais l'espace de ce film, il a été "La baie", je pense.
04:21 - Vous avez mis aussi un gros coup de projecteur sur Lucie Koutas,
04:25 qui a eu un rôle extrêmement important à ses côtés,
04:29 c'est-à-dire que c'est vraiment elle qui a dynamisé tout ça,
04:32 qui lui a donné la force de revenir,
04:35 il est tombé très gravement malade à un moment donné,
04:37 elle lui a tenu la main pour qu'il revienne.
04:40 Et puis surtout lui aussi, il avait vraiment besoin d'elle.
04:43 C'est marrant parce que personne n'en parle de Lucie Koutas.
04:47 - Ouais, elle est passée derrière les radars.
04:50 L'histoire est bouleversante, c'est ce que je vous racontais tout à l'heure,
04:54 quand j'ai pensé, vraiment ma première étincelle,
04:57 ça a été de me dire "je vais raconter l'histoire d'un des grands hommes
05:00 de notre monde qui a changé les choses".
05:04 Et puis petit à petit, je me suis dit "je vais raconter aussi l'histoire d'un homme
05:07 plein de paradoxes, très ambivalents, très ambiguës parfois même".
05:11 Et puis à l'arrivée, j'ai raconté l'histoire d'un couple,
05:15 parce que leur histoire m'a bouleversé quand je l'ai découverte,
05:18 vraiment elle est bouleversante, ils ont vécu 40 ans ensemble,
05:20 dans le même petit appartement, puis après la même petite maison,
05:23 elle était plus âgée que lui, elle est partie avant lui,
05:26 il ne s'en est jamais remis, ça a été son... je ne sais pas comment qualifier leur histoire,
05:31 une histoire d'amour platonique mais fusionnel,
05:35 je crois que c'était deux âmes sœurs en fait, c'était vraiment deux âmes sœurs,
05:38 ils étaient extrêmement complémentaires, on me l'a dit plein de fois,
05:41 ils s'entendaient extrêmement bien, ils s'engueulaient pas mal aussi,
05:45 il était extrêmement bordélique, elle était extrêmement méthodique,
05:49 il était très fuyant devant les compagnons, elle remettait de l'ordre dans les communautés,
05:53 il ne voulait s'occuper de rien de matériel, elle s'occupait du matériel,
05:58 elle le conseillait, c'est une histoire d'une beauté incroyable leur histoire.
06:04 - L'abbé Pierre c'était un bourreau de travail, vous l'êtes tout autant,
06:07 vous ne lâchez jamais d'ailleurs, pour tous vos films vous faites un grand travail de recherche et de documentation,
06:12 c'est ce que vous venez d'expliquer, est-ce que vous vous identifiez parfois aussi à lui,
06:17 dans sa façon de travailler quand vous avez tourné le film,
06:19 est-ce que vous vous êtes dit "tiens, on a des points communs" ?
06:22 - Oui bien sûr, modestement, mais je pense que je...
06:26 Oui après je ne me compare pas à l'abbé qui est incomparable,
06:29 mais bien sûr qu'on ressent des...
06:32 Par exemple, je vous dévoile un tout petit truc de ma vie, son hypersensibilité, je la connais.
06:37 Je sais ce que c'est d'être hypersensible, hyper... comment dire... réceptif à ce qui se passe autour,
06:44 d'en souffrir et d'essayer de le transformer, comme disait Baudelaire, pour en faire un truc beau, quoi.
06:50 Transformer le mal pour en faire un truc beau, c'est un truc que je connais.
06:55 Après la comparaison s'arrête là, mais comme j'essaye aussi d'être en transe avec les acteurs,
06:59 pour être dans la séquence avec eux quand ils tournent, c'est assez exténuant,
07:03 mais c'est le prix je crois pour faire un travail honnête quand on fait de l'artistique,
07:10 pour transmettre des émotions aux gens.
07:14 - Frédéric Tellier, dernière question, sur de nombreux sites aujourd'hui,
07:17 Henri Grouet, dit l'abbé Pierre, est répertorié comme étant un prêtre français.
07:22 Qui était-il vraiment ?
07:24 - Un révolutionnaire, et comme il aimait beaucoup dire, d'ailleurs je reprends sa parole dans le film,
07:31 et que surtout, on n'oublie pas de dire qu'il était le frère des pauvres.
07:36 - Le combat continue, si vous souhaitez donner les dons sont évidemment les bienvenus.
07:41 Merci d'être passé dans le monde d'Élodie Frédéric Tellier.
07:43 - Merci, merci Élodie.
07:44 - L'abbé Pierre, une vide de combat avec Benjamin Laverne et Emmanuel Berco qui sort aujourd'hui.
07:49 Merci beaucoup.