Antisémitisme: L'interview de Claude et Evelyn Askolovitch en intégralité

  • l’année dernière
Claude Askolovitch, journaliste à France Inter, et sa mère, Evelyn, rescapée de la Shoah, étaient les invités de BFM Story pour évoquer leur livre "Se souvenir ensemble" (éd. Grasset) et les actes antisémites en France.
Transcript
00:00 C'est un duo que nous recevons maintenant, une mère et son fils.
00:03 Il s'agit de Evelyne et Claude Askolovitch.
00:05 Bonsoir, Evelyne, bonsoir Claude.
00:07 Bonsoir.
00:08 On connaît le journaliste.
00:09 On a l'habitude de vous voir sur les plateaux de radio et de télévision.
00:13 On ne connaît pas du tout votre mère qui est là ce soir avec nous.
00:16 Le livre s'appelle « Se souvenir ensemble », c'est aux éditions Grasset.
00:20 En fait, c'est un récit, c'est une évocation familiale d'un drame absolu,
00:26 celui de la déportation dont vous êtes revenu.
00:29 Vous avez été déporté jeune, mais je dis en fait…
00:31 À l'âge de 4 ans.
00:31 À l'âge de 4 ans.
00:33 En fait, vous l'aviez tu et vous avez décidé d'en parler au sein de la famille.
00:39 Pourquoi tard sur le tard ?
00:40 À partir de 1979, vous avez commencé à l'évoquer,
00:43 puis là maintenant, ça devient public.
00:45 Pourquoi, Evelyne ?
00:46 Non, en 1979, je l'ai juste un petit peu évoqué.
00:53 Mais j'ai décidé d'en parler quand j'ai eu des papiers
00:59 qui m'ont prouvé que moi, j'ai été dans des camps.
01:02 Parce qu'avant, je pensais que ça ne concernait que mes parents.
01:06 Vous avez été déportée des Pays-Bas.
01:07 Moi, j'étais petite.
01:08 Vous aviez 4 ans, vous vous le rappelez.
01:10 Entre 4 ans et demi et 6 ans et demi.
01:12 Et quand on est revenu, j'étais dans une classe d'école juive,
01:18 41 élèves, et on avait tous été soit dans des camps de concentration,
01:24 soit cachés, soit nous tous, pareil.
01:30 Et personne n'en a jamais parlé.
01:32 On savait que les parents avaient été dans des camps.
01:35 On savait vaguement que nous, peut-être aussi.
01:37 Mais ça ne nous concernait pas.
01:39 On n'en parlait jamais.
01:40 Pourquoi personne n'en parlait, en fait ?
01:42 Parce que d'abord, je crois que les parents voulaient nous épargner.
01:46 Et puis en plus, les parents pensaient honnêtement
01:49 qu'on n'était pas concerné, que puisqu'on avait été petit.
01:53 Je crois que mes parents, surtout ma mère,
01:57 parce que les pères travaillaient en dehors un peu.
02:01 Ma mère croyait honnêtement quand on a été tout de suite,
02:06 on a été pris en avril 1943.
02:10 Et tout de suite, j'ai été séparée de mes parents.
02:13 J'étais mise dans une crèche pendant deux semaines.
02:16 Et ma mère écrit dans son livre, elle a écrit deux livres,
02:20 "Evelyne est allée à la crèche pour qu'elle puisse dormir."
02:23 Je crois qu'ils ne se rendaient pas compte
02:25 que c'était quand même très traumatisant
02:27 pour un enfant de 4 ans et demi
02:29 d'être séparée d'une seconde à l'autre de ses parents.
02:33 Mais donc, on n'était pas concerné puisqu'on était petit.
02:38 Mais alors justement, est-ce que vous avez des souvenirs ?
02:41 De cette crèche, je n'ai aucun souvenir.
02:43 Après, on a été...
02:44 Je n'ai aucun souvenir d'aucun des moyens de transport.
02:49 C'était dans des trains, des trains de bestiaux.
02:51 En partance des Pays-Bas ?
02:52 En partance des Pays-Bas, des trains de bestiaux.
02:57 J'ai aucun souvenir.
02:59 Et on est arrivé dans le premier camp de concentration,
03:02 deux semaines après la crèche.
03:04 Et encore une fois, j'ai été immédiatement séparée de mes parents.
03:09 Les pères dans la baraque des dômes,
03:12 les femmes dans la baraque des femmes
03:13 et les enfants dans la baraque des enfants.
03:16 Et dans ce camp, Furt, qui était un camp à côté des usines de Philips,
03:21 90% des enfants sont morts de faim, de misère et de maladie.
03:29 J'ai failli mourir.
03:30 Vous auriez dû mourir sur place, en fait.
03:32 J'aurais pu mourir sur place.
03:33 Si, c'est 90%.
03:35 Mais peut-être que...
03:37 Je ne sais pas, peut-être que j'avais envie de vivre.
03:40 Mais je me rappelle que j'ai eu la varicelle,
03:44 que je pleurais, que j'avais cassé un thermomètre,
03:48 qu'on m'a engueulé, qu'on m'a donné du lait sucré.
03:51 Et après, j'ai décidé, j'ai fermé la porte.
03:54 Je ne voulais plus.
03:56 Un enfant de 4 ans et demi a peut-être la faculté
04:00 de ne plus se souvenir, tout petit.
04:03 Ce qui est intéressant dans ce dialogue à deux,
04:05 dans ce dialogue intergénérationnel,
04:07 c'est que finalement, ce que vous avez vécu,
04:09 Claude, votre fils, ne le savait pas.
04:11 On n'en parlait pas.
04:13 Vous l'avez su quand ?
04:14 Et à quel moment, finalement,
04:15 Évine, votre maman, est devenue cette personne
04:18 qui témoigne aujourd'hui et qui veut faire,
04:20 justement, œuvre de mémoire ?
04:22 Alors, on a toujours su qu'elle avait été déportée.
04:24 C'était un fait acquis.
04:25 Mais on n'en parlait jamais.
04:26 Je savais que mes grands-parents avaient été déportés.
04:28 Je n'en ai jamais parlé avec eux.
04:30 Pourquoi ?
04:30 Mon grand-père n'en parlait pas.
04:31 J'ai appris la Shoah en lisant le journal d'Anne Franck,
04:34 en lisant le choix de Sophie, en voyant des films.
04:37 Pas par ma mère ou par mes grands-parents,
04:39 qui étaient juste à côté de moi.
04:40 Mon grand-père était un homme qui avait été brisé.
04:42 Ils avaient des faux papiers, mes grands-parents et ma mère.
04:44 Donc, on s'était fait comme ça.
04:46 Moi, je n'avais rien à oublier.
04:48 Le paradoxe, c'est que j'ai grandi à côté d'une personne
04:50 qui, pour vivre, a refoulé ses quelques souvenirs,
04:54 parce qu'elle n'en a très peu, à 80, elle n'en a très peu.
04:55 On n'en parlait pas.
04:56 Donc, c'était à côté de nous, on savait.
04:58 Elle était chiante, elle était géniale,
04:59 elle était drôle, elle était inquiète, elle était emmerdante.
05:01 Tout venait, tout ou partie, de la Shoah,
05:03 mais on n'en savait rien.
05:04 Et moi, et ça c'est mon problème dans le livre,
05:06 je n'ai jamais eu la moindre curiosité pour discuter avec ma grand-mère,
05:10 mon grand-père et à leurs âges.
05:11 - Et ça, vous le regrettez aujourd'hui ?
05:12 - Ce n'est même pas que je le regrette, c'est que j'ai 60 ans.
05:13 La chance qu'on a, c'est qu'à un moment donné,
05:16 par l'idée d'un éditeur qui est un type génial,
05:19 qui s'appelle Christophe Bataille,
05:20 qui est mon éditeur chez Grassec, qui est ma vieille maison,
05:22 il nous fait faire ce truc impossible.
05:24 Lévi n'a pas envie de partager ses souvenirs avec moi.
05:27 Je déteste ces témoignages,
05:29 parce qu'il y a une petite dizaine d'années, 6-7 ans,
05:31 elles changent du tout au tout.
05:33 Et cette Shoah qu'elle avait refoulée,
05:34 elle passe son temps en parlant aux enfants des écoles.
05:36 Je déteste ça, je suis un sale bosse dépossédé.
05:38 Parce que je suis dépossédé.
05:39 Parce que j'ai une mère qui ressemble à une mère,
05:41 avec les qualités et les défauts,
05:42 beaucoup de qualités et quelques défauts.
05:44 Et brusquement, j'ai un témoin professionnel,
05:46 ceux que vous invitez sur les plateaux en leur disant
05:48 "mais quand tu seras mort, t'es vri,
05:50 on ne pourra plus parler de la Shoah, c'est traumatisant pour le fils".
05:53 Et l'histoire du livre, c'est moi acceptant la liberté de ma mère,
05:57 de ne pas avoir parlé d'abord et de parler ensuite,
06:00 et elle acceptant que les autres personnes de la famille,
06:04 mon père qui est décédé, mes enfants, ma sœur, moi,
06:08 sommes aussi concernés par ce dont elle ne nous parlait pas.
06:10 Mais Evelyne Wittling de l'Antisémites…
06:11 Oui, mais moi je ne voulais pas.
06:13 Oui, mais aujourd'hui, parce que vous nous racontez cela,
06:17 mais dans trois jours, il y a cette grande manifestation,
06:20 cette grande marche qui est organisée à Paris contre l'antisémitisme.
06:23 On n'a pas réglé le problème de l'antisémitisme,
06:25 il est toujours là, notamment en France.
06:29 Vous allez participer à cette marche ou pas ?
06:31 Je pense que je vais y aller.
06:32 Je n'aime pas tellement les manifestations,
06:34 mais je vais y aller parce que c'est vrai qu'il y a de l'antisémitisme,
06:39 mais je ne pense pas du tout que nous sommes,
06:43 quelqu'un a dit, nous sommes dans les années 30.
06:45 Non, on n'est pas dans les années 30.
06:48 M. Macron, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, il n'est pas Hitler.
06:52 Il n'y a pas un chef d'État qui est pour l'antisémitisme,
06:58 mais en même temps, tout est lié.
07:00 Le livre est lié à l'antisémitisme.
07:03 Il y a un climat ?
07:05 Il y a un climat, non, et puis il y a également aujourd'hui,
07:08 c'est le 85e anniversaire de la Nuit des Cristals.
07:14 Et la Nuit des Cristals, mes parents étaient d'origine allemande
07:19 et c'est un judaïsme allemand qui a complètement disparu d'où je viens.
07:25 Et si je n'avais pas envie d'en parler,
07:29 et quelque part, je ne voulais pas que quand je ne serais plus là un jour,
07:35 que mes enfants, mes petits-enfants, mes arrières petits-enfants,
07:39 ils me souviennent de moi, de ce pauvre baba qui a été dans des camps de concentration.
07:44 Non, moi j'ai envie de rester quelqu'un un peu dingue, un peu fofolle.
07:50 Et je n'ai pas envie de... Je peux parler à des enfants,
07:55 mais ce sont des enfants que je ne connais pas et que je ne verrai peut-être plus jamais.
07:59 Quand vous êtes dans les collèges, comment les jeunes que vous avez en face de vous réagissent ?
08:04 Merveilleusement.
08:04 Ils m'écoutent. Je n'ai jamais, jamais, jamais eu un seul problème. Jamais.
08:11 Vous faites parole, elle est importante.
08:13 Je leur raconte, parce que je veux qu'ils sachent.
08:16 Je veux qu'ils sachent. Moi, mon dada, c'est les Pays-Bas,
08:20 ce pays civilisé où 75% des Juifs ne sont pas revenus. 75%.
08:29 Mais vous avez des professeurs qui sont aujourd'hui démunis ?
08:31 Une chose sur les témoignages.
08:33 Qu'il y ait de l'antisémitisme en France, que ce soit revenu de manière violente,
08:38 j'ai écrit il y a plus de 20 ans, je travaillais au Nouvel Observateur,
08:40 l'Obs aujourd'hui, il y a des articles là-dessus.
08:42 Ce n'est pas nouveau. C'est très désagréable, c'est chiant.
08:44 Ce n'est pas dangereux, sauf malchance absolue, madame Knoll.
08:48 Il y a eu des attentats qui ont visé précisément les Juifs.
08:53 Cela existe, mais sur la logistique...
08:54 Elle n'est pas dangereuse, la période ?
08:56 Évelyne Askelovitch, ici présente, témoigne de sa choix partout, en banlieue.
09:02 Le nombre de choses qu'on raconte autour de l'antisémitisme
09:05 sont parfois extrêmement paradoxales pour quelqu'un comme moi
09:07 qui vit dans des quartiers populaires, dans le nord-ouest de Paris,
09:11 qui est métissé, mélangé, où les mamans des copains de mes gosses,
09:16 à l'école, les plus petits, sont parfois voilées, parfois pas voilées.
09:19 Jamais eu le moindre problème.
09:21 Le deuxième témoignage que fait Évelyne,
09:24 au bout du bout du bout de son parcours de liberté, elle décide de témoigner.
09:27 Le deuxième témoignage que tu fais, tu te souviens,
09:30 c'est au lycée musulman AVERES à Lille,
09:33 qui représente pour les ultra-laïques de ce pays une horreur absolue.
09:36 Elle rencontre des mômes absolument adorables, filles voilées, filles pas voilées.
09:40 Tu te souviens, toi ?
09:40 - Tout à fait, je suis venue, c'était le premier jour du ramadan.
09:44 Je ne savais pas que c'était le premier jour du ramadan.
09:46 Ils m'ont invitée, ils m'ont donné à déjeuner.
09:49 J'ai parlé à une classe de troisième, où toutes les filles étaient voilées.
09:55 Et après le déjeuner, dans une classe de terminale,
09:58 où plus personne n'était voilée, j'ai posé la question.
10:01 Et on m'a dit qu'en terminale, ils ont enlevé le voile
10:05 parce qu'ils voulaient aller étudier à l'université.
10:08 Je n'ai eu aucun problème.
10:11 - Mais il y a une inquiétude qui est très présente aujourd'hui quand même,
10:14 qui est très prégnante.
10:16 - Moi, je ne suis pas inquiète.
10:17 - Vous ne la partagez pas, cette inquiétude ?
10:18 - Il y a une inquiétude.
10:20 - Il y a des temps.
10:22 Maurice Lévy, qui était là hier, le patron de Publicis Group,
10:26 disait "J'ai des amis autour de moi qui sont inquiets,
10:28 il faut être vigilant, faire attention.
10:31 Ceux qui n'iront pas à la manifestation sont complices de l'antisémitisme."
10:34 - C'est une exagération.
10:35 - Et du Hamas, notamment.
10:37 - Ça me paraît être, avec l'immense respect que j'ai pour Maurice Lévy,
10:41 à mains égards, avec qui mon épouse, qui n'est plus de ce monde, a travaillé.
10:45 Non, je regrette absolument que des gens sous des prétextes fallacieux
10:49 n'aillent pas manifester contre l'antisémitisme.
10:52 Je regrettais absolument que des gens pour des prétextes fallacieux
10:56 passent sous silence les discriminations, les blessures, les violences.
11:00 - Le prétexte fallacieux, pour qu'on comprenne votre pensée ?
11:03 - Non, juste, juste.
11:06 Pardon, parce que j'ai découvert.
11:07 Je regrettais de la même manière que des gens n'aillent pas manifester
11:11 quand un attentat s'était produit devant une mosquée à Bayonne.
11:14 Je ne fais pas de différence là-dessus, pour autant je suis juif.
11:17 Ma sœur vit en Israël.
11:18 Ma sœur fait partie de ces Israéliens de gauche
11:20 qui manifestait chaque semaine contre Netanyahou.
11:23 Ma mère ici présente, ancienne déportée, manifestait avec elle quand elle allait la voir.
11:27 Et ma sœur est absolument bouleversée.
11:28 Si quelqu'un est en danger, en péril, malheureux, déboussolé,
11:34 confronté à 1 400 morts, confronté à une guerre que mène son pays,
11:37 c'est ma sœur qui est israélienne.
11:39 Moi, je suis un journaliste français reçu dans une télé française
11:42 dont la mère française est décorée de la Légion d'honneur après le père.
11:45 Je n'ai pas à me plaindre de mon sort.
11:48 - D'accord, mais Claude, que pensez-vous de cette querelle politique
11:51 depuis 2-3 jours, depuis qu'il y a eu cet appel à une marche citoyenne ?
11:54 Chacun se lance des anathèmes.
11:57 Vous, vous n'avez pas le droit d'y aller.
11:59 Moi, je n'irai pas parce que ceux-là y vont.
12:00 Qu'est-ce que vous en pensez ?
12:01 Est-ce que c'est à la hauteur de l'enjeu ?
12:04 - Non, bien évidemment.
12:05 - Le Rassemblement national a sa place dans cette manifestation dimanche ?
12:08 - Bah oui.
12:10 - Oui ? Evelyne ?
12:11 - Bah oui. Moi, je viens de m'engueuler sur Facebook.
12:14 Heureusement, il ne l'a pas encore vu.
12:15 - Je déteste quand elle est sur Facebook.
12:17 - Oui, mais racontez-nous la colère.
12:18 - Non, non, parce que j'ai beaucoup d'amis.
12:22 Facebook, plutôt de gauche.
12:24 Et puis alors, quelqu'un écrit "Je suis très fière, je ne vais pas y aller.
12:28 Je ne veux pas être manipulée par la droite et l'extrême droite."
12:32 Et j'ai dit que c'était absolument honteux,
12:34 que s'ils ont peur d'être manipulés,
12:36 ils n'ont qu'à venir en masse la gauche pour que la droite soit manipulée.
12:42 C'est complètement stupide.
12:43 - Je suis plutôt d'accord avec ça.
12:45 - Sarkozy est d'ailleurs sur cette ligne-là.
12:47 - Non, mais sur Marine Le Pen, quand elle a pris la succession...
12:51 Ça va être chiant comme la pluie,
12:52 mais Marine Le Pen, quand elle a pris la succession de son père,
12:54 a pris l'inverse de sa position.
12:56 Le Pen considérait tout au long de sa vie que les Juifs,
12:58 le souvenir de l'H.E.A. était un obstacle à son arrivée au pouvoir.
13:02 Et donc, moi, j'ai connu l'époque où dans le journal du Front National,
13:04 on interviewait Faurisson.
13:06 J'étais journaliste politique, je couvrais le front,
13:07 je connaissais bien le vieux Le Pen.
13:09 Marine Le Pen a pris le parti absolument inverse,
13:11 et c'est une très très vieille stratégie,
13:13 de coller aux Juifs, de donner l'impression que ce sont les meilleurs amis des Juifs,
13:17 parce qu'au fond, c'est le même raisonnement.
13:18 Les Juifs, c'est très puissant, c'est un obstacle,
13:19 alors on se les met dans la poche cette fois-ci.
13:21 C'est leur problème.
13:22 Euh...
13:26 Tout ce qui tourne autour de cette manifestation
13:29 est émouvant, parce que c'est important,
13:32 mal aisé, hasardeux, gênant,
13:34 parce que je ne me sens pas menacé au point que toute la République
13:36 devrait manifester pour moi,
13:37 et par moments détestable.
13:39 Détestable, l'évolution de Jean-Luc Mélenchon,
13:41 que j'ai très bien connu.
13:43 Mon épouse Valérie décédait,
13:44 travaillait avec lui au ministère de l'Enseignement Professionnel.
13:47 - C'était claustre, oui.
13:47 - C'était une femme juive religieuse, pas pratiquante,
13:50 qui mangeait cachet au ministère,
13:52 et Jean-Luc Mélenchon était absolument fraternel et paternel avec elle.
13:56 - Qu'est-ce qui s'est passé alors ?
13:57 - Je n'en sais rien, il faudrait lui demander.
13:59 J'en ai parlé 20 fois avec lui,
14:01 comme journaliste, et parfois de son implombion intime.
14:03 Je suis désespéré par ce qu'il dit, je ne suis pas le seul.
14:06 Que voulez-vous que j'y fasse, à un moment donné ?
14:08 Ce qui me rend cette manifestation mal aisée,
14:11 ce n'est pas tant le fait que le Rassemblement National,
14:13 ex-Front National, était un parti antisémite,
14:15 cela tout le monde le sait.
14:17 C'est horrible, ils ont envie de changer, good for them.
14:19 Mais à côté de cela, ce qui est étrange à vivre,
14:23 c'est de voir que des gens qui se comportent,
14:25 ou qui parlent de manière ignoble,
14:27 des migrants, des clandestins,
14:30 des Français d'origine arabo-musulmane,
14:32 qui font la différence entre les Français dites de "souches"
14:34 et les Français qui n'en seraient pas, qui viennent de l'immigration,
14:36 ceux-là sont à mon rendez-vous, à mon rendez-vous, à moi, juif.
14:39 Je n'ai pas envie de ça.
14:40 Je n'ai pas envie que les défenseurs des Juifs dans ce pays,
14:42 et je crois qu'Evelyne, tu es d'accord avec moi,
14:44 soient des gens qui pratiquent, manipulent,
14:47 pratisent le racisme dans ce pays.
14:49 Ça, c'est une tragédie juive.
14:51 Parce qu'on n'a jamais été de ce côté-là,
14:53 et il y a quelque chose d'inversé.
14:55 Donc, ça ne veut pas dire que je n'irai pas manifester,
14:57 parce que l'antisémitisme est une réalité.
14:59 Ça veut dire que quelque chose, quelque part, dans ce pays ne va pas.
15:03 – Claude, certains disent ou écrivent qu'aller manifester dimanche,
15:07 c'est manifester contre les Arabes.
15:09 Je pense à Mona Cholet, l'autrice,
15:11 là on est quand même plutôt dans un cercle d'intellectuels,
15:14 elle dit carrément, aller sur place,
15:17 c'est finalement manifester contre les Arabes,
15:21 c'est une marche contre les Arabes.
15:22 – C'est débile.
15:23 – C'est débile ?
15:23 – C'est débile.
15:24 Une fois que j'ai dit ce que je vous ai dit,
15:26 je trouve extrêmement désagréable
15:27 que des gens qui attisent le racisme anti-Arabe,
15:29 et l'islamophobie, et le racisme anti-musulman,
15:31 comme vous voudrez, ce n'est pas une question de vocabulaire,
15:33 se retrouvent défenseurs des Juifs.
15:35 C'est paradoxal, c'est affreux.
15:37 Pour autant, Mona Cholet est extrêmement intelligente
15:39 dans son analyse du féminisme,
15:41 et extrêmement idiote dans son appréciation de ces manifestations.
15:44 – Ecoutez, c'est très simple.
15:45 Quand j'étais au lycée AVEROS, il y avait un enseignant,
15:51 et il m'a "liké" quelque chose que j'ai écrit sur la Shoah.
15:56 Et je lui ai écrit, je lui ai dit "je suis contente que vous m'avez liké,
16:01 et je reviendrai avec plaisir dans votre lycée".
16:04 Et il a dit "oui, moi aussi je serai contente de vous voir,
16:07 et je viens contre l'antisémitisme manifester".
16:11 Je veux dire, ce n'est pas une manifestation contre les Arabes, pas du tout.
16:16 – On fabrique quelque chose d'horrible dans ce pays,
16:18 à partir d'incidents réels que j'ai traités comme journalistes,
16:22 et d'atmosphères qui sont…
16:24 – Vous savez ça ?
16:26 On fabrique une fracture entre des morceaux de la France
16:30 qui n'ont pas à être composés.
16:32 Nous tous, toi on se connaît, moi, journalisme, système médiatique,
16:38 hommes politiques, bout de feu, Éric Zemmour, Éric Ciotti,
16:41 commentaires, paresse, Mona Chollet, Jean-Luc Mélenchon,
16:43 qui vous voulez, "just limit" comme disaient les Anglais.
16:45 – On peut avoir de la nuance encore, on peut avoir un discours raisonnable.
16:50 – J'essaye, j'étais parmi les premiers journalistes à parler
16:53 de la résurgence des antisémitismes il y a une vingtaine d'années,
16:55 j'ai été parmi les rares journalistes qui ont dénoncé le sort,
16:58 notamment en parole, fait aux Arabes ou musulmans en France.
17:00 Je pense tenir les deux.
17:02 Il y a un type extraordinaire qui s'appelle Haria Alimi,
17:05 qui est un avocat d'extrême gauche d'apparence pour toutes les causes
17:08 qu'il défend, notamment les contrôles au faciès et discrimination
17:11 à la violence policière, et qui en même temps est un enfant juif de Sarcelles,
17:14 qui mange cachère à ma connaissance, qui a élevé dans les écoles juives,
17:17 et qui se sent comme moi profondément blessé
17:19 par ce qui s'est passé le 7 octobre.
17:20 On peut dire deux choses en même temps ?
17:21 Oui, c'est pour ça qu'on fait un livre à deux.
17:23 Merci, ce souvenir ensemble, merci Evelyne et Claude Ascolovitch.
17:27 Le livre est aux éditions, grâce et merci d'avoir été avec nous.

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