L’interview d’actualité - Laurence Des Cars
Maya Lauqué reçoit Laurence Des Cars, présidente et directrice du Louvres. Le prestigieux musée a ouvert une campagne de dons pour acheter le tableau Le Panier de fraises des bois, de Jean Siméon Chardin.
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00:00 Bonjour Laurence Descartes, merci d'être avec nous.
00:02 Et si vous apportiez le dessert, c'est ce que vous proposez aux Français
00:05 en ouvrant une grande campagne de dons pour sauver un panier de fraises.
00:09 Mais alors, pas n'importe lequel, on va le voir évidemment.
00:11 Cette œuvre du peintre Jean-Simeon Chardin pourrait bien quitter la France.
00:16 Elle a été achetée aux enchères par un musée texan.
00:17 La voici. Pourquoi faut-il sauver ce panier de fraises ?
00:21 D'abord parce que c'est un magnifique tableau,
00:24 sans doute un des plus beaux du 18e siècle français.
00:26 Vous savez que Chardin est un artiste très présent en Louvre.
00:30 Il y a 41 œuvres déjà, il ne fait pas suffisant.
00:32 Oui, mais ça c'est le chef-d'œuvre de la dernière période de Chardin.
00:35 Peut-être celle qui nous touche le plus parce que c'est peut-être la plus pré-moderne.
00:39 Regardez l'économie de moyens, c'est presque une construction géométrique.
00:43 Oui, c'est ça, parce que d'autres natures mortes sont plus chargées.
00:46 Et là, quand Chardin va à l'essentiel, il élimine en quelque sorte le détail
00:52 et il se concentre sur le plaisir du regard.
00:55 Et au fond, la gourmandise de ce sujet,
00:57 puisque c'est un sujet qui nous ramène à l'enfance, à notre propre désir aussi.
01:02 Et donc, c'est un merveilleux, merveilleux tableau.
01:05 Vous voyez, c'est le plaisir des petits riens, des riens simples de tous les jours.
01:09 Petite pyramide de fraises, un verre d'eau, quelques fruits, des œillets.
01:12 Et pourtant, c'est tout un monde de peinture.
01:14 Et qui a inspiré beaucoup de ses contemporains.
01:16 Oui, absolument. C'est un tableau qui a été exposé au Louvre en 1761,
01:20 parce qu'à l'époque, l'exposition des artistes contemporains se faisait au Louvre tous les ans.
01:25 Chardin travaillait au Louvre, il avait son atelier au Louvre,
01:27 parce qu'à l'époque, le Louvre accueillait les artistes avec des ateliers.
01:31 Et le tableau, et regardez à nouveau,
01:34 on oublie un peu le 18e siècle dans la première moitié du 19e,
01:37 évidemment, on passe à autre chose.
01:38 Et puis, sous le Second Empire, on redécouvre la peinture du 18e siècle.
01:42 Et les peintres de la génération après-sénite,
01:46 Manet, Fantin-Latour, Renoir, ont vu ce tableau.
01:49 Et notamment, l'ont vu dans une collection qui est aujourd'hui,
01:53 le tableau sort des descendants de cette collection au 19e siècle.
01:57 Qui a donc été vendue aux enchères en 2022.
02:00 Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous avez été pris de court.
02:02 Pourquoi ne pas l'avoir acheté directement ? Est-ce que les caisses étaient vides ?
02:05 On n'était pas en capacité, effectivement, financière de le faire.
02:07 Donc, ce qui s'est passé, c'est que le ministère de la Culture a classé le tableau,
02:10 juste après la vente, "trésor national".
02:12 Ce qui veut dire que ça bloque la vente ?
02:13 Ça bloque la sortie du territoire français pendant deux ans et demi,
02:17 et pour nous donner le temps de construire le financement pour acheter le tableau.
02:22 Et là, je voudrais saluer et remercier l'immense générosité du groupe LVMH,
02:26 qui nous aide à financer plus de deux tiers de cette acquisition.
02:30 Nous avons aussi le soutien des Amis du Louvre,
02:32 qui sont toujours très fidèles dans nos projets d'acquisition.
02:34 Et puis, nous faisons appel à la générosité des Français.
02:37 Parce que là, concrètement, c'est un tableau qui coûte 24 millions, 300 millions d'euros ?
02:44 Oui, 24 millions, 300 milles, et des poussières.
02:47 Donc, c'est cher. C'est un tableau cher, mais c'est un chef-d'œuvre.
02:50 C'est le prix du chef-d'œuvre.
02:51 Et il reste quelle somme à rassembler aujourd'hui ?
02:53 Il reste quelques millions d'euros à rassembler.
02:56 Nous espérons 1,3 million d'euros de cette campagne.
03:00 Et ce serait vraiment déterminant pour, tout simplement,
03:04 pouvoir totalement sécuriser cette acquisition.
03:07 Sachons que les Français ont des difficultés aujourd'hui à boucler les fondements.
03:10 Tout à fait, on y est très conscients.
03:12 Il n'y a pas de petits dons.
03:13 Tous ceux qui ont envie de participer, même un don de quelques dizaines d'euros nous aide.
03:18 Il faut savoir aussi que ces dons permettent une défiscalisation à 66%.
03:23 Donc, c'est comme si vous donniez à une association.
03:25 C'est le même système fiscal, d'encouragement fiscal.
03:28 Donc, voilà.
03:29 Et ce que je vois, c'est la campagne, on l'a lancée mardi.
03:32 Et je vois énormément de messages sur le site tousmécènes.fr.
03:35 C'est là qu'il faut absolument consulter tout ça et se rendre.
03:41 C'est des messages extrêmement touchants,
03:43 parce que je crois que le tableau, c'est un rassembleur de générations.
03:47 Il y a énormément de gens qui disent "je fais mon don pour mes enfants, mes petits-enfants.
03:52 Je viens d'être papa ou maman et j'ai envie que ce tableau reste en France, reste au Louvre
03:59 et que mes enfants, mes petits-enfants puissent profiter de ce tableau".
04:02 Et ça, c'est merveilleux parce que je veux dire, c'est la fonction fondamentale d'un musée.
04:06 Nous, on est là pour transmettre le patrimoine.
04:08 On est là pour transmettre le panier de fraises et plein d'autres choses et le partager.
04:12 Et le Louvre, c'est un lieu de partage intergénérationnel.
04:16 C'est comme ça que vous le voyez ?
04:17 Absolument. Et c'est un lieu de cohésion.
04:19 On vit une époque difficile, très compliquée en ce moment.
04:21 On a besoin de beau et de se rassembler ?
04:23 On a besoin de beau, de se retrouver collectivement, individuellement.
04:27 Venez dans les musées, venez au Louvre.
04:28 Ce soir, on est ouvert en nocturne.
04:30 Il ne va pas faire très beau.
04:31 Venez passer votre soirée au Louvre.
04:32 Venez voir le tableau.
04:33 Vous sentez que les gens, les visiteurs ont besoin d'art ?
04:36 Oui, absolument.
04:38 Je crois qu'on a plus besoin que jamais d'un endroit comme le Louvre
04:42 pour se rassembler, pour retrouver du temps pour soi,
04:45 se confronter au temps long de l'histoire aussi,
04:47 à la diversité et de la beauté du monde.
04:50 C'est très important.
04:52 Je crois que c'est presque une question d'épanouissement personnel et collectif.
04:55 Juste un mot d'une autre œuvre,
04:57 qu'on ne va pas voir parce que je crois qu'elle est en train d'être restaurée,
04:59 mais que vous avez acquis,
05:00 parce que 20% de la billetterie du Louvre est consacrée...
05:03 Oui, ça fait à peu près 12 millions d'euros par an.
05:04 ... à l'acquisition d'œuvres.
05:07 C'est une œuvre de Chimabue,
05:08 qui est considérée comme l'un des précurseurs de la Renaissance.
05:11 Ce tableau, il a une histoire incroyable.
05:12 Il a été retrouvé, il était destiné à la déchetterie.
05:15 Absolument.
05:16 À la faveur d'un déménagement dans une maison dans l'Oise,
05:20 la famille qui en était propriétaire pensait que c'était une petite icône sans intérêt.
05:24 Heureusement, l'expertise a joué
05:26 et des experts très agglisés ont vu que c'était un tableau fondamental.
05:32 Presque le démarrage de la peinture occidentale de l'après-Renaissance,
05:36 nous sommes en 1280 en Toscane,
05:39 et vous voyez Chimabue qui se détache de l'icône orientale,
05:43 qui est sur fond d'or, avec ses visages très figés,
05:46 très hiératiques, très géométriques.
05:48 Vous voyez le début de portrait, de personnage individualisé,
05:51 de mouvement, début de la perspective.
05:54 C'est bouleversant.
05:55 Ce sera le point de départ du département des peintures,
05:58 du circuit des peintures, maintenant au Louvre.
06:00 Donc on le restaure avec beaucoup d'enthousiasme.
06:02 On avait déjà un grand Chimabue.
06:03 Oui.
06:04 On a maintenant un plus petit Chimabue.
06:05 Petit, petit, mais d'importance.
06:06 Et ils sont tous les deux au cœur d'une exposition-événement
06:08 en janvier 25 au Louvre.
06:09 Alors justement, on va se projeter un tout petit peu.
06:11 C'est la dernière question.
06:12 On évoquait la fréquentation du musée.
06:13 Dans quelques mois, il y a les JO de Paris.
06:15 Il va y avoir beaucoup de visiteurs, beaucoup de spectateurs,
06:17 probablement beaucoup de gens qui veulent visiter le musée.
06:19 Bien sûr.
06:20 Est-ce que vous anticipez ça avec des mesures particulières ?
06:23 Écoutez, on est prêt.
06:24 On accueille beaucoup de visiteurs tous les jours.
06:26 Vous savez que j'ai souhaité aussi remettre le plaisir de la visite
06:29 au cœur du Louvre, c'est-à-dire que nous limitons le nombre
06:31 de visiteurs par jour à 30 000 maximum,
06:34 pour justement que vous puissiez admirer les fraises de chardin
06:36 dans quelques mois en toute tranquillité.
06:40 Et donc...
06:41 Donc ça veut dire qu'il va falloir réserver là très rapidement.
06:44 Absolument. La préservation n'est pas obligatoire,
06:45 mais elle est fortement conseillée.
06:47 Ça vous garantit de rentrer rapidement dans le Louvre
06:51 et d'être, si possible, et j'en suis sûr,
06:54 parce que je sais que les équipes du Louvre font le maximum,
06:56 accueillies dans les meilleures conditions.
06:58 Merci beaucoup, Laurence Descartes, d'avoir été avec nous.
07:00 Merci infiniment de votre invitation.
07:01 Et merci à tous ceux qui nous aideront pour...
07:02 tousmécène.fr
07:03 ... pour ce magnifique projet.