• l’année dernière
Une personne sur quatre est atteinte d’un trouble psychique à un moment de sa vie. Et la pandémie de Covid-19 a encore renforcé ces troubles. Pour briser le tabou, personnalités et anonymes se confient au micro de Yahoo dans "Tourments", le nouveau format de Yahoo.
Aline Le Guluche a appris à lire et à écrire à l’âge de 50 ans, après avoir trouvé la force de retourner sur les bancs de l’école. Pour Yahoo, celle dont le deuxième ouvrage (“Mon combat contre l’illettrisme”, ed. Prisma) est sorti le 7 septembre dernier, a accepté de se livrer sur son histoire, revenant notamment sur ses nombreuses déconvenues et sur sa quête d’autonomie et de liberté. Aujourd’hui conférencière, porte-parole de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme et égérie de la Fondation “Write her future” de Lancôme, elle a créé elle-même sa place dans la société.
Pour rappel, l'illettrisme désigne la situation d'une personne qui a bénéficié d'apprentissages mais qui n'a pas acquis - ou qui a perdu - la maîtrise de la lecture et de l'écriture. Dès lors, cette personne ne possède pas les compétences de base pour être autonome dans les situations simples de la vie courante et se trouve particulièrement exposée au risque d'exclusion sociale. Au total, en France, 2,5 millions de personnes sont concernées. Aline Le Guluche leur conseille vivement de se faire accompagner et d’appeler le numéro vert, le 0800 11 10 35.

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Transcription
00:00 L'illettrisme met les gens dans une précarité totale.
00:04 On est vraiment à même de se faire croquer par la première personne qui passe.
00:11 On n'est pas capable de se défendre, on n'est pas autonome.
00:13 C'est vraiment une grosse misère ça et il ne faut pas laisser faire ça.
00:17 Je m'appelle Aline Le Gulluche, je suis autrice de deux livres.
00:23 Ambassadrice de chez Lancôme pour la lutte contre l'illettrisme des femmes
00:28 et aussi porte-parole de la lutte contre l'illettrisme en France
00:32 avec M. Fernandez qui en est le directeur.
00:35 Mes parents étaient de simples paysans, de modestes paysans.
00:39 La priorité de notre vie c'était déjà de travailler,
00:42 s'occuper des champs, s'occuper de la ferme pour pouvoir manger.
00:45 C'était l'essentiel de notre vie.
00:47 Je suis allée à l'école à l'âge de 6 ans.
00:50 L'école ce n'était pas vraiment une priorité mais l'école était obligatoire à l'âge de 6 ans.
00:55 Je n'avais jamais tenu un stylo, ni jamais ouvert un livre.
00:59 Et en plus de ça, moi je suis dyslexique.
01:03 Et par malchance je suis tombée sur un enseignant très maltraitant
01:07 qui ne comprenait pas que je n'avais jamais touché un stylo d'ailleurs
01:11 et qui ne comprenait pas non plus que j'étais incapable d'écrire
01:16 même au crayon à papier sans casser ma mine
01:19 ou alors à la plume à l'époque c'était terrible et je mettais de l'encre partout.
01:24 J'en avais toujours plein les mains donc il n'hésitait pas à me frapper pour ça
01:29 ou à me mettre au coin, me tirer les cheveux ou arracher la page, m'humilier, m'insulter.
01:35 Il m'a dégoûtée de l'école, il m'a enlevé ma confiance en moi.
01:39 Il a fait de moi une serpillière qui n'avait plus envie d'aller à l'école, qui n'avait plus envie de rien.
01:45 Après ces deux ans de torture avec cet enseignant,
01:49 il a été enlevé de l'école
01:53 et j'ai eu le bonheur de tomber sur un enseignant, jeune, dynamique.
01:58 Avec lui j'ai appris la musique, le chant, le théâtre,
02:02 j'ai appris à jouer dans la cour de l'école puisque avec l'autre j'étais toujours punie.
02:06 Enfin il m'a éveillée au monde, il a lu à ma place,
02:09 il m'a donné beaucoup plus d'écriture que les autres enfants
02:14 et il ne comprenait pas, lui, pourquoi je n'arrivais pas à lire le P,
02:18 je n'arrivais pas à le B, je confondais les lettres.
02:22 Après multiples recherches, il a compris que j'avais un problème de dyslexie
02:27 qui à l'époque n'était pas reconnu du tout.
02:30 Donc il en a parlé à mes parents à l'époque,
02:33 mais mes parents avaient d'autres chats à fouetter
02:36 et ne savaient pas comment faire avec tout ça.
02:39 L'important pour eux c'était d'avoir de l'éducation, d'être droite, honnête, polie
02:44 et avec ça dans la vie j'y arriverais.
02:47 Ensuite je suis tombée avec d'autres enseignants qui n'ont rien compris
02:50 de ma façon de réfléchir, de ma façon de comprendre.
02:53 D'office si je n'arrivais pas à écrire c'est que j'étais bête.
02:56 Sauf que moi voilà je suis dyslexique et à l'époque j'aurais eu de l'aide,
03:00 je n'aurais pas été en situation d'illettrisme à la sortie de l'école, c'est clair.
03:05 Donc avec mes quelques compétences sous le coude, il fallait que je cherche du travail.
03:11 Bien sûr, je ne peux pas travailler dans un magasin, il faut prendre des commandes.
03:15 Je ne peux pas être secrétaire, ça serait ridicule.
03:19 Tout ce qui est trait à la lecture et à l'écriture, je ne peux pas.
03:24 Je trouve du travail à l'âge de 16 ans et dans cette usine de pâtisserie
03:28 j'y reste jusqu'à l'âge de 28 ans.
03:30 J'ai vraiment compris, j'ai vraiment analysé mon problème
03:33 à partir du moment où j'étais maman.
03:36 Déjà écrire leur prénom, être sûre de ne pas faire de fautes.
03:41 Ensuite leur lire des histoires, comment lire des histoires à un enfant
03:45 lorsqu'on ne sait pas lire, ce n'est pas possible.
03:48 Donc moi je leur racontais des histoires.
03:50 Je prenais un livre, je faisais semblant, je fauteais les pages
03:53 et je leur racontais les images.
03:56 Pour mes enfants, ça a vraiment été de grosses difficultés pour moi
04:00 parce que je ne voulais surtout pas qu'ils aient un soupçon,
04:04 le moindre soupçon sur mes incompétences.
04:06 Je ne voulais pas qu'ils me regardent comme si j'étais bête.
04:09 Alors mes enfants ont vraiment compris que j'étais illettrée
04:13 lorsque j'ai divorcé avec leur père,
04:18 lorsque je me suis retrouvée à la rue avec eux.
04:23 Je ne pouvais pas faire des courriers à mon avocat pour me défendre,
04:27 je ne pouvais pas faire une demande de logement correctement.
04:31 Mes enfants, quand ils ont découvert tardivement,
04:34 parce qu'ils étaient grands, mes incompétences, mon illettrisme,
04:39 ils n'ont jamais porté de jugement.
04:41 Ils ne pensaient pas que c'était aussi important,
04:44 mais ils ont toujours été là pour moi, tout le temps.
04:47 Ils m'ont toujours épaulée et puis sans rien dire.
04:51 J'ai été mariée pendant 18 ans.
04:53 Je pensais que c'était pour la vie, une maison, des enfants,
04:56 tout ce que je rêvais.
04:58 Comme je suis illettrée, il s'est avéré qu'il a cru
05:01 qu'il était beaucoup plus facile de me diriger, de me commander,
05:05 d'être supérieur à moi, de me manquer de respect,
05:12 ou de m'abuser même.
05:14 Un jour, j'ai été obligée de partir avec mes enfants
05:17 puisqu'il a pris le fusil pour nous tuer.
05:20 Je lui ai dit que j'allais partir, que j'allais divorcer,
05:24 que c'est moi qui allais le faire.
05:26 Du coup, il s'est senti affaibli.
05:29 Je me suis dit que pour sauver mes enfants, il faut que je parte.
05:32 J'ai sauté par la fenêtre du premier étage
05:35 et je suis partie dans la forêt plus haut.
05:38 Je suis partie de mon domicile.
05:40 Pendant qu'il me cherchait, pendant qu'il me courait après,
05:44 mes enfants étaient sauvés.
05:46 Sa famille l'a emmenée à l'hôpital pour se faire examiner
05:51 parce qu'il avait une crise de folie.
05:54 Quelques jours après, il appelle.
05:56 À l'époque, on n'avait pas de portable, on n'avait que des fixes.
05:59 Il appelle sur le fixe et dit "Oui, t'es où ? Tu fais quoi ?"
06:03 Enfin bref, parce que je n'ai pas répondu tout de suite au téléphone.
06:06 De fil en aiguille, d'insultes, il dit "De toute façon, je quitte l'hôpital
06:13 et je vais venir vous achever."
06:16 Donc j'ai pris mes enfants.
06:18 J'ai dit aux enfants "Allez, on monte dans la voiture, on s'en va et on ne revient pas."
06:24 Et on est allés au commissariat.
06:26 Le lendemain, l'assistante sociale m'a trouvé une chambre.
06:30 Une chambre pour un mois, une chambre pour les ans-abris.
06:35 Suite à mon divorce, suite à mon évolution en cuisine,
06:40 je rencontre quelqu'un qui a bien compris que j'étais illettrée.
06:49 Parce que c'était quelqu'un de très intelligent.
06:52 Lui sortait d'un divorce, il fallait qu'il rembourse la part de sa maison à sa femme.
06:58 Et il lui fallait quelqu'un pour faire un crédit immobilier.
07:03 Tout seul, il ne pouvait pas.
07:05 Et cette personne m'a dit "On achète la maison ensemble, tu seras propriétaire, tout comme moi."
07:12 Moi, je le crois, forcément.
07:14 Et je signe des crédits, crédit maison pour lui, crédit immobilier.
07:18 J'ai coulé plusieurs années avec cette personne sans me rendre compte de son abus.
07:24 Et je voulais retourner à l'école.
07:27 Parce que je ne comprenais pas tout autour de moi, ce qui se passait.
07:30 Et puis au travail, les choses évoluaient tout le temps.
07:33 J'étais de plus en plus mal dans ma peau.
07:36 Et donc je demande à ma fille de me faire un courrier,
07:40 pour faire une demande à la direction pour que je puisse retourner à l'école.
07:45 Et effectivement, dans les semaines qui ont suivi, elle m'a rappelé pour me dire
07:49 qu'on a trouvé des compétences clés à Paris.
07:52 Une école pour adultes que la NFH a mis en place.
07:56 Alors quand je suis arrivée dans cette école, c'était pour 6 mois.
08:01 6 mois tous les vendredis matins.
08:03 Alors 6 mois, ce n'est pas assez.
08:05 Ça m'a permis juste d'aller mieux.
08:09 De prendre conscience d'où j'en étais.
08:12 De me remettre un petit peu à niveau avec les verbes, avec les mots invariables.
08:16 De reprendre confiance en moi.
08:18 Et pendant ces 6 mois, j'ai travaillé tous les soirs à la maison.
08:21 Dans cette école, on a tous ramené des outils dans le monde du travail.
08:26 J'ai ramené aussi mes crédits que j'avais faits.
08:28 Mes emprunts.
08:29 Et je lui ai demandé comment on faisait pour savoir
08:34 si j'étais propriétaire de ce que j'avais acheté ou pas.
08:39 Donc on a travaillé là-dessus.
08:41 Je suis allée chez le notaire.
08:42 Le notaire m'a dit "Bien non, il y en a vous."
08:45 Et aux impôts, "Non, ce n'est pas du tout à vous non plus."
08:48 Je n'ai plus eu foi en lui.
08:50 Je l'ai quitté.
08:51 J'ai demandé qu'il me rembourse.
08:53 J'ai même pris un avocat.
08:56 Mais peine perdue.
08:57 Alors en fait, lorsqu'on retourne à l'école,
09:00 moi c'est ça qui m'a apporté le plus de retourner à l'école.
09:04 C'est que j'ai décidé de ne plus marcher à l'ombre.
09:07 J'ai décidé de marcher la tête haute au soleil.
09:09 Et ça m'a permis de rencontrer que des bonnes personnes après ça.
09:14 Alors aujourd'hui, j'ai 62 ans.
09:16 Je suis une personne libre, autonome.
09:19 Je traverse la France de long en large
09:21 pour aller voir les personnes en situation d'illettrisme.
09:25 Je suis très heureuse dans ce que je fais maintenant.
09:28 Je ne suis pas franchement revancharde,
09:30 mais je suis assez fière de ce que je suis devenue.
09:34 Je suis glorieuse, quoi.
09:36 J'ai le sourire au lèvre et je marche droit.
09:40 J'ai honte de rien,
09:42 puisque c'est les autres qui devraient avoir honte, pas moi.
09:45 Et j'encourage toutes les personnes en difficulté
09:49 de surtout appeler le numéro vert de l'illettrisme
09:54 et puis s'en sortir, quoi.
09:57 Parce qu'il n'y a pas de raison que moi je m'en suis sortie,
09:59 puis pas les autres.
10:00 Tout est possible avec de la volonté et de la persévérance.
10:03 [SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA]
10:05 Merci.

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