Heïdi Sevestre, glaciologue et auteure de "Sentinelle du climat" vient de participer au premier sommet international consacré aux glaciers et aux pôles. Elle nous en dit plus sur les glaciers et son engagement écologique en alertant sur leur importance.
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00:00 - Bonjour Aïdy Semestre. - Bonjour Maya.
00:01 Merci d'être avec nous ce matin.
00:02 On va évidemment parler de ce sommet,
00:04 mais d'abord, vous vous présentez comme une médecin des glaciers,
00:08 comme une sentinelle du climat aussi.
00:10 C'est d'ailleurs le titre de ce livre, paru cette année.
00:15 C'est quoi une sentinelle du climat ?
00:17 Une sentinelle du climat, c'est déjà d'essayer de prendre le pouls
00:20 de ces environnements qui sont un peu mystérieux, lointains,
00:23 qui sont les glaciers,
00:24 mais aussi d'alerter sur l'importance de ces glaciers, de leur fragilité.
00:29 Finalement, ici, même en France, à Paris, on est tous connectés à ces glaciers.
00:32 Alors, vous allez nous expliquer pourquoi vous alertez sans relâche,
00:35 effectivement, sur le sort de ces glaciers, notamment en allant sur le terrain.
00:39 Comment vous est venue cette passion pour les glaciers ?
00:42 Je crois que c'est votre timidité qui vous a emmené là-bas.
00:46 C'est vrai que j'ai eu la chance de grandir dans les Alpes déjà.
00:48 Mes deux parents étaient passionnés de montagne.
00:50 Et un jour, j'ai rencontré quelqu'un qui a changé ma vie,
00:52 un guide de haute montagne, qui m'a dit, mais tu sais Aïdy,
00:54 il y a des gens, on les paye pour étudier les glaciers.
00:56 Pourquoi est-ce que tu ne ferais pas ça ?
00:58 Et donc, je suis tombée dans la marmite assez jeune.
01:00 Je l'ai fait par amour de ces paysages.
01:02 Quand on voit à quoi ils ressemblent, c'est vraiment des paysages
01:05 qui nous hypnotisent, qui nous transforment.
01:07 Et aujourd'hui, on se rend compte vraiment de l'importance
01:09 de ces écosystèmes pour nos vies de tous les jours.
01:11 Vous êtes née à Annecy, mais vous vivez depuis vos études à Svalbard.
01:15 C'est ça.
01:16 Un archipel norvégien qui est dans l'océan Arctique,
01:18 qui est un peu au cœur, justement, du changement climatique.
01:21 Est-ce que vous pouvez nous raconter votre vie au quotidien et ce que vous voyez ?
01:24 Svalbard, c'est un peu le monde de Narnia.
01:26 Là-bas, tout est connecté à la glace.
01:29 On a 60 % du territoire qui est recouvert de glaciers.
01:32 Le sol, c'est du permafrost, c'est gelé.
01:34 On a de la banquise pendant l'hiver, de la neige de partout.
01:37 Et là-bas, mon quotidien, c'est d'aller mesurer ces glaciers,
01:40 cet environnement merveilleux.
01:42 C'est aujourd'hui, malheureusement, l'endroit qui se réchauffe le plus vite sur Terre,
01:45 six à sept fois plus vite que le reste de la planète.
01:48 C'est un des meilleurs laboratoires, finalement, pour étudier le changement climatique.
01:50 Il y a beaucoup de scientifiques.
01:51 Mais vous explorez malgré tout des glaciers un peu partout dans le monde.
01:55 Je crois qu'il y en a 220 000 dans le monde.
01:58 Il y en a beaucoup.
01:58 Il y en a-t-il qui vous ont particulièrement marqué ?
02:01 Oui, je crois que les glaciers me touchent énormément,
02:04 particulièrement ceux que l'on trouve dans les tropiques,
02:06 parce qu'il y a encore des glaciers le long de l'équateur.
02:09 Dans quelques heures, je repars en Colombie, justement,
02:11 étudier les tout petits glaciers qui sont autour de 5 000 mètres d'altitude.
02:15 Ce sont des glaciers qui sont en train de disparaître les uns après les autres,
02:19 avec des impacts sur toutes les communautés humaines
02:21 qui habitent plus en aval de ces glaciers.
02:23 Par exemple, les cultures de café en Colombie
02:25 sont directement connectées à l'eau qui vient de ces glaciers.
02:28 Alors, quand vous nous dites que nous, ici à Paris,
02:30 on est connectés aux glaciers, ça veut dire quoi ?
02:32 Ça sert à quoi un glacier ?
02:34 Pardon, cette question un peu naïve.
02:36 C'est une question essentielle.
02:37 À quoi ça sert un glacier ?
02:38 Ces glaciers, c'est déjà parmi nos meilleurs châteaux d'eau sur Terre.
02:41 Quand on pense aux glaciers des Pyrénées, aux glaciers des Alpes,
02:44 pendant l'été, c'est dingue.
02:45 Ils nous donnent de l'eau gratuitement, de l'eau douce.
02:48 C'est de l'eau qu'on va utiliser pour produire de l'énergie,
02:51 pour l'agriculture.
02:51 C'est de l'eau qu'on va utiliser un petit peu aussi
02:53 pour refroidir nos centrales nucléaires
02:55 qui sont installées le long du Rhône.
02:57 Donc finalement, ces glaciers, on est directement connectés à eux.
03:00 Et si on pense à l'Arctique,
03:02 les glaces de l'Arctique, comme la banquise, par exemple,
03:04 on sait que la disparition, le retrait de la banquise dans l'Arctique
03:08 peut impacter notre météo ici en France.
03:11 Donc finalement, notre quotidien est directement connecté à ces glaces.
03:15 Leur dégradation évolue-t-elle à la même vitesse partout dans le monde ?
03:20 Ce qui serait clair, c'est que ces glaces,
03:22 c'est parmi les meilleurs baromètres du climat.
03:24 Dès que le thermostat augmente, que ce soit la banquise, le permafrost,
03:28 les calottes polaires, le Groenland et l'Antarctique, ou les glaciers,
03:31 toutes ces zones de neige et de glace
03:33 réagissent très vite au changement climatique.
03:36 Il y a des endroits qui vont réagir un petit peu plus vite qu'ailleurs.
03:38 Par exemple, nos montagnes ici en France se réchauffent
03:41 deux fois plus vite que la moyenne planétaire.
03:43 Vous avez particulièrement étudié, je crois, les surges glaciaires.
03:46 Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?
03:48 Est-ce que c'est justement lié au changement climatique ?
03:51 C'est assez facile.
03:52 On se rend compte que tous les glaciers sur Terre se déplacent,
03:55 s'écoulent sur leur propre poids, généralement très lentement.
03:59 On est en train de voir des glaciers qui peuvent tout d'un coup accélérer très rapidement.
04:03 Là, il y a un glacier que je surveille dans l'Arctique
04:04 qui est en train de bouger à 50 mètres par jour.
04:08 C'est énorme.
04:08 Je ne sais pas si vous vous rendez compte,
04:09 pour un glacier qui fait plusieurs dizaines de kilomètres de long, c'est gigantesque.
04:13 On est en train de voir que le changement climatique
04:15 peut forcer ces glaciers à accélérer.
04:17 Et les glaciers vont s'étirer comme un accordéon.
04:19 Et toute cette avancée, malheureusement, c'est énormément de glace
04:23 qui peut se jeter dans les océans et participer très rapidement
04:26 à la hausse du niveau de la mer.
04:28 Est-ce que cette fonte des glaciers et cette dégradation de la situation,
04:32 est-ce qu'on peut en revenir en arrière, où ce qui est "fondu" est perdu ?
04:36 Alors, c'est vrai qu'il y a toute une partie de ces glaces
04:39 qui est déjà vouée à disparaître.
04:41 On sait que pour les glaciers de montagne, c'est terrible à le dire.
04:44 Mais sur ces 220 000 glaciers, on va en perdre la moitié dans les prochaines décennies.
04:48 C'est sûr, c'est plié pour eux.
04:50 Mais ce qui est quand même très chouette,
04:51 c'est qu'on peut encore sauver l'autre moitié de ces glaciers.
04:54 Et aujourd'hui, on sait qu'on ne les sauvera pas
04:56 si on n'arrive pas à réduire notre utilisation des énergies fossiles.
05:00 C'est vraiment, number one, la première chose à faire pour sauver ces glaces.
05:03 Et c'était l'objectif de ce sommet qui a eu lieu à Paris cette semaine.
05:08 Premier sommet international sur les glaciers et les pôles.
05:11 Ça sert vraiment à prendre des décisions concrètes, ce genre de rendez-vous ?
05:14 Ou c'est surtout une manière d'alerter et de faire de la pédagogie ?
05:17 Les deux ! Et en tout cas, on le salue.
05:19 C'est une super bonne nouvelle que la France mène vraiment face la trace.
05:23 Pour parler des pôles et des glaciers, on en avait bien besoin.
05:26 Et ce qu'on a eu, c'est non seulement un énorme coup de projecteur sur la cryosphère,
05:30 donc toutes ces régions de neige et de glace,
05:32 mais aussi et surtout des engagements, des déclarations qui sont très fortes.
05:36 On en avait besoin aujourd'hui parce que finalement,
05:39 on est tous reliés à la hausse du niveau des mers.
05:41 On est tous reliés à ces châteaux d'eau naturelle.
05:44 On avait besoin aujourd'hui d'avoir des ambitions fortes
05:47 et aussi d'aider à financer la recherche scientifique pour ces glaciers.
05:51 Parce qu'on estime que 2 milliards de personnes pourraient être exposées
05:55 à la dégradation des glaciers, à la hausse du niveau de la mer.
05:59 J'évoquais ce mot de Sentinelle tout à l'heure et ce livre.
06:03 C'est aussi le titre de l'expédition que vous avez menée en 2021.
06:08 Vous êtes allé effectuer des prélèvements sur la banquise.
06:10 Vous avez choisi le ski plutôt que la motoneige.
06:12 C'était un équipage 100% féminin.
06:15 Il y a des messages à faire passer aussi dans votre milieu ?
06:19 Il y en a beaucoup.
06:20 Le premier, c'était évidemment de montrer que les femmes, on est là.
06:23 On est là dans un domaine qui est principalement masculin.
06:26 En fait, on a besoin de diversité dans notre communauté.
06:28 C'est vraiment important.
06:30 Et le deuxième message, c'est que nous, les scientifiques,
06:32 on a un vrai devoir d'exemplarité.
06:34 Je viens de le faire.
06:34 On est les premiers à dire qu'il faut réduire notre utilisation des énergies fossiles.
06:39 On a beaucoup de mal à le faire dans les régions polaires
06:42 parce qu'on a une urgence d'aller récolter des données.
06:44 Il faut que nos équipes soient en sécurité pour pouvoir le faire.
06:47 Et donc, souvent, on retombe dans une tradition d'utiliser des moyens de transport
06:51 qui sont très gourmands en énergie.
06:52 Donc, on a passé un mois en ski à tirer tout notre équipement derrière nous.
06:56 Ce n'était pas facile, mais c'était bien d'essayer de montrer l'exemple.
06:58 Merci beaucoup, Heidi Sévestre.
07:00 Je rappelle le titre de ce livre, "Sentinelle du climat".
07:04 C'est chez HarperCollins et c'est passionnant.
07:06 Merci beaucoup.