Quand les mots n'ont plus de sens, quand les repères sont brouillés, quand le discours s'émancipe du réel, à la fin c'est l'extrême droite qui gagne. C'est ce que décrypte Cyprien Caddeo après la marche du 12 novembre contre l'antisémitisme, qui a marqué un réel tournant et convaincu de nombreux citoyens que le RN est dorénavant fréquentable.
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00:00 Quand les mots n'ont plus de sens, quand les repères sont brouillés,
00:02 quand le discours divorce du réel, à la fin c'est l'extra-droite qui gagne.
00:06 Bonjour, vous êtes sur la Tête dans le Flu, et aujourd'hui, faut qu'on parle du RN.
00:09 [Musique]
00:18 Le 12 novembre, dans les rues de Paris, plus de 100 000 manifestants
00:21 ont défilé pour dire non à l'antisémitisme qui, en France, malheureusement, reprend de plus belles.
00:25 En France, les actes antisémites continuent d'exploser depuis le début de cette guerre, on en compte désormais plus de 1500 selon le ministre de l'Intérieur.
00:32 La marche était évidemment nécessaire, tant le contexte opprocheuriant contribue à nourrir l'hydre antisémite
00:37 et à ajouter de la confusion entre les juifs d'un côté, le peuple israélien et la politique de Netanyahou de l'autre.
00:42 Tout se mélange et nourrit la haine.
00:44 On a donc besoin de clarté. Cette marche aurait dû servir à ça, de la clarté.
00:49 Bah c'est pas gagner-gagner en fait.
00:50 [Cris de la foule]
00:56 Je trouve ça assez culotté, pour ne pas dire plus, de la part de ces gens qui ont tout fait pour qu'il y ait de plus en plus d'immigrés venus des contrées musulmanes.
01:07 On aura donc vu défiler contre l'antisémitisme la fille qui danse des balles nazies en Autriche
01:11 et le gus qui nous explique que Pétain est l'ami des juifs. On n'est pas dans la merde.
01:15 Ici on va pas refaire le débat, fallait-il y aller, fallait-il ne pas y aller, avec un cortège séparé, avec un cordon sanitaire ou avec des pinces à linge et des canses pongex.
01:23 En réalité, de toute façon, c'est échec et mat.
01:25 Ce qu'a montré cette séquence, c'est la force du RN.
01:27 Par la simple hypothèse de sa présence à la marche, et grâce à l'inconséquence de l'archer et bronne pivée qui se sont servis de l'extrême droite pour porter les stocks à la gauche,
01:34 le parti a réussi à provoquer un bordel, sans nom, un brouhaha d'opposition auquel on ne comprenait rien.
01:39 Et résultat, qui s'est fait élever dans le cortège ? La gauche.
01:42 Les vrais fachos, ils sont là ! Ils sont là les vrais fachos !
01:46 Qui s'est fait perturber son rassemblement solitaire devant le Veldiv ? La France Insoumise.
01:52 L'extrême droite, elle, n'a pas été si mal accueillie que ça.
02:02 Il faut mesurer le niveau de dinguerie, et il faut bien se rendre à l'évidence.
02:05 Le RN a presque acheté sa dédiabolisation. Certains l'y ont bien aidé.
02:08 Mais il y a quelques années, le Front National était contre l'Europe. Il y a quelques années, le Front National était contre l'euro.
02:13 Il y a quelques années, le Front National était contre l'avortement. Vous le savez ?
02:18 Oui, oui.
02:19 Bon, aujourd'hui, ils ont changé sur tous ces sujets. Je vais vous dire, s'ils changent sur l'antisémitisme, ça me va très bien.
02:24 Lui, c'est le type qui se prépare à compter le RN en 2027, pour vous dire où on est rendu.
02:27 Et par contraste, Olivier Véran, pourtant porte-parole du gouvernement, est apparu bien seul en Macronie à dire que la situation n'était pas normale.
02:34 Est-ce que le RN a changé ? Moi, c'est ça que j'entendais dans les discussions qui ont eu lieu il y a quelques jours.
02:40 D'abord, il y a 10 ans, on ne m'aurait même pas posé la question de la présence du RN dans une manifestation contre l'antisémitisme.
02:44 C'est un signe que les temps ont changé. Mais est-ce que le RN a changé ?
02:47 C'est le propre de l'extrême droite que d'être capable de muter pour gagner par la ruse.
02:51 L'extrême droite est capable de vous dire, quand elle pense que c'est bon pour elle, qu'elle est contre l'Europe et l'euro.
02:55 Puis après vous dire finalement non. L'extrême droite est capable de vous dire qu'ils sont pour l'IVG, qu'ils sont devenus des grands progressistes,
03:00 qu'il n'y aura aucun problème, tout en s'associant à l'extrême droite européenne au Parlement européen
03:04 pour voter des textes extrêmement régressifs sur les droits des individus.
03:08 La dédiabolisation est si bien avancée que le RN peut, sans déclencher de tollé majeur,
03:12 se prévaloir de la lutte contre l'antisémitisme pour développer des thèses anti-islam et anti-étranger.
03:18 Les rappels historiques sur la fondation du FN pèsent bien peu face à sa dynamique dans l'opinion.
03:22 Et en fait, c'est même pire que ça. L'histoire, il se sent assez en jambes pour la réécrire.
03:26 Jean-Marie Le Pen, il l'est anti-sémite. Et je ne crois pas, je ne sonde pas les coeurs et les reins, je ne le crois pas.
03:33 Ah vous ne croyez pas que Jean-Marie Le Pen est anti-sémite ? Non, je ne le crois pas.
03:35 Est-ce que Jean-Marie Le Pen, qui aujourd'hui a 95 ans et ne peut plus lui-même se défendre, était au fond lui-même anti-sémite ?
03:41 On ne le sait pas, mais ça n'intéresse personne.
03:43 On a clairement passé un cap là. Le RN est tellement dédiabolisé, il est tellement en position ascendante,
03:47 il a tellement réécrit sa propre histoire, rebrandé sa marque en quelque sorte, qu'il peut y réintégrer Jean-Marie Le Pen.
03:52 Avant, la ligne c'était "non, non, on n'a rien à voir avec lui, rien à voir avec ses dérapages, c'est une nouvelle page qui s'écrit".
03:57 C'en est une autre d'affirmer maintenant "non, Jean-Marie Le Pen n'a jamais été anti-sémite".
04:01 Sous-entendu, si le père fondateur n'a jamais été anti-sémite, le parti non plus.
04:04 Jean-Marie Le Pen, pas anti-sémite ? Non mais, quelques extraits quand même.
04:07 "Monsieur Durafort, crématoire, merci de cette aveugle."
04:12 "Le personnage en question a cru devoir dire que c'est parce qu'il était juif qu'il avait été expulsé.
04:19 Ça ne se voyait pas ni sur sa carte ni sur son nez, si j'ose dire."
04:23 "Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir.
04:29 Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre Mondiale."
04:36 Voilà, le rôle de Bousquet, ancien baffon SS dans la création du FN, Durafort crématoire, la fournée, le point de détail, il faut croire que tout ça n'a pas existé.
04:44 Ou alors c'était peut-être de l'humour noir hache-quenaze, qui sait ?
04:46 Bon, tout ça, ça a un nom, le révisionnisme, et un effet, le confusionnisme.
04:50 Dans ce monde-là, plongé dans la plus grande confusion, le RN protège les Juifs, la gauche est accusée de collaborer,
04:56 la République s'est aimée les flics même quand ils tuent des gosses, et les progressistes deviennent le nouvel extrême, le nouvel épouvantail.
05:02 C'est ça qui est en train de s'installer. La marche est un tournant, une bascule. Elle n'aurait pas dû servir à ça.
05:07 "À quoi ça sert, les marches ? Ça sert aussi à dire qu'un phénomène n'est pas normal.
05:10 Un des problèmes qu'on a aujourd'hui, c'est pas seulement la banalisation de l'antisémitisme, c'est la banalisation de l'indifférence à l'expression de l'antisémitisme."
05:17 On ajoutera au propos de l'historien Nicolas Lebourg, l'indifférence à la banalisation de l'extrême droite.
05:21 La lutte contre l'antisémitisme méritait mieux que de servir à blanchir le RN.
05:25 Parce que soyons honnêtes, il n'y aura pas moins d'acteurs antisémites au lendemain de la marche.
05:28 Par contre, de citoyens convaincus que le RN est fréquentable, il y en aura beaucoup plus.
05:32 Voilà, c'est tout pour cette fois, merci d'avoir suivi cet épisode.
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05:40 Nous on se dit à dans 15 jours. Allez, salut !
05:42 [Musique]