Antoine Bernard de Raymond, chercheur à BSE (Bordeaux Sciences économique)
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00:00 2018 et ça a marqué l'histoire sociale de la France. Le mouvement des gilets jaunes a démarré il y a cinq ans aujourd'hui.
00:05 Des manifestations contre la hausse des prix, du carburant et la baisse du pouvoir d'achat.
00:10 Un chercheur à bord de sciences économiques a beaucoup travaillé sur ce phénomène et il est votre invité ce matin dans l'éco d'ici Laetitia Oveline.
00:17 Bonjour Antoine Bernard de Raymond.
00:19 Bonjour.
00:20 Alors vous avez compris dès le début de ce mouvement des gilets jaunes que c'était pas quelque chose de classique.
00:26 Vous avez donc décidé de suivre des groupes locaux dans le sud-ouest et vous avez fait ça pendant un assez long moment.
00:33 Oui c'est ça. Moi le 17 novembre 2018 j'étais chez moi, j'avais suivi ça d'un peu distraitement et puis j'ai regardé ça chez moi à la télévision, sur les réseaux sociaux.
00:45 Et j'ai tout de suite eu l'intuition qu'il se passait quelque chose d'inédit, de pas commun.
00:51 Et donc ça m'a amené à travailler sur ce mouvement dans une enquête collective suite à un appel de collègues de Sciences Po au Bordeaux.
01:00 Et donc j'ai travaillé très longtemps avec mon collègue Sylvain Bordiac sur des groupes de gilets jaunes du sud-ouest de la France jusqu'au confinement en fait.
01:09 Jusqu'au confinement. Et donc vous avez fait quoi ? C'est quoi votre travail quand on est comme ça sur un mouvement qui dure et qui est là tous les week-ends ?
01:17 Vous y allez tous les week-ends sur les ronds-points ?
01:18 Oui c'est ça. Il y a des ronds-points, des cabanes qui ont tenu très longtemps.
01:22 Donc on était dans les différents lieux, les différents moments de mobilisation des gilets jaunes, notamment le samedi dans les manifestations régionales.
01:31 Et puis le reste de la semaine aussi dans les rassemblements un petit peu plus informels sur les ronds-points.
01:37 Donc il y avait toute cette vie, toute cette convivialité aussi, pas que les moments de mobilisation, de contestation, de conflit, qu'il fallait observer.
01:44 Donc on a fait par plusieurs méthodes, il y avait des enquêtes par questionnaire et puis aussi des observations au long cours, des entretiens.
01:51 Ça a donné lieu à plusieurs publications, à des articles, il y a un livre qui est même en préparation.
01:56 Vous avez travaillé évidemment sur comment s'est formé ce mouvement, comment il s'est transformé aussi.
02:01 Et puis également sur le point de contestation, le prix de l'essence mais en fait pas seulement.
02:07 Oui voilà, c'est le point qui pour moi est important. L'essence c'était la première revendication.
02:13 Ça posait très fortement la question de la mobilité dans les espaces ruraux et périurbains, notamment pour les catégories populaires.
02:21 Mais ce dont on se rendait compte assez rapidement quand on discutait avec les gilets jaunes, c'est que l'essence était une première revendication parmi d'autres.
02:28 Et que ce qui faisait cohérence dans ces revendications, c'était l'accès à un certain nombre de produits de base, on pourrait dire.
02:35 Typiquement, juste après l'essence, il y avait l'alimentation.
02:38 Les gilets jaunes, ils nous disaient "le 15 du mois on n'a plus rien à manger" ou "ça coûte de plus en plus cher de remplir le frigo" etc.
02:45 Et puis après il y avait aussi l'énergie, le chauffage etc.
02:49 Et donc, moi je pense que la question que ça pose, c'est la question finalement de ce qu'on appelle la reproduction en sociologie.
02:57 Et il y avait un grand débat au tout début du mouvement des gilets jaunes, c'était de savoir "est-ce que c'est un mouvement de gauche ou est-ce que c'est un mouvement de droite ?"
03:04 Certains disaient "c'est de gauche parce que c'est les classes populaires, c'est le peuple qui se révolte contre les inégalités"
03:09 et d'autres gens qui disaient "c'est un mouvement de droite parce qu'ils sont contre l'État, ils sont contre les taxes, c'est pougéadiste si vous voulez".
03:15 Et moi je pense qu'il faut reformuler la question et plutôt se dire "pourquoi la gauche n'arrive pas à parler à ces publics-là, qui devraient théoriquement être son public ?"
03:25 Et c'est parce que la gauche aujourd'hui, elle se base beaucoup sur la question des inégalités de revenus.
03:31 C'est ça la question, c'est les salaires, les inégalités de salaire, etc.
03:34 Alors les gilets jaunes, ils ont pris la question des inégalités par l'autre bout, c'est quand on a un certain revenu, qu'est-ce qu'on en fait, à quoi on a accès, les questions de pouvoir d'achat.
03:42 Et c'est la question que ça a posé très fortement le mouvement des gilets jaunes.
03:48 Et pour moi, ça traduit une crise de la reproduction sociale dans certains milieux en France, et notamment des transitions entre les différents âges de la vie.
03:57 Antoine Bernard de Raymond, le gasoil à l'époque, il était à 1,39€, aujourd'hui on est à 1,80€, on a envie de se demander, mais pourquoi, alors que c'est pire, ça ne repart pas ?
04:07 Cette situation du pouvoir d'achat que je viens d'évoquer, je pense qu'elle s'est détériorée depuis la pandémie de Covid, depuis l'inflation, des coûts de l'énergie, l'inflation alimentaire.
04:18 Et pourtant, effectivement, il n'y a pas de grande révolte populaire aujourd'hui.
04:24 Alors on peut dire deux choses, d'une part il n'y a pas de lien mécanique, il y a un lien, mais ce n'est pas immédiat, entre la détérioration des conditions socio-économiques de vie et puis une révolte populaire.
04:34 Et deuxièmement, il faut voir aussi que les prix, ce n'est pas simplement des grandeurs quantitatives, c'est des choses qui sont aussi chargées de tout un ensemble de normes.
04:44 Et c'est ça, c'est là qu'il faut aller voir le sentiment d'injustice et de révolte.
04:48 Et il faut voir qu'en 2018, si le prix du diesel a augmenté, c'était suite à une décision du gouvernement d'augmenter les taxes.
04:55 Et le prix du carburant, c'est à peu près 50% de taxes en France.
04:59 Et donc c'est ça qui a créé ce sentiment, c'était inacceptable, le gouvernement ne jouait plus son rôle de garantir l'accès du peuple à un certain nombre de produits de base.
05:11 Alors qu'aujourd'hui, on est sur tout un ensemble de choses qui font augmenter le prix du carburant.
05:17 Au pouvoir des marchés, au pouvoir de certaines grandes entreprises sur ces marchés.
05:21 Donc c'est une autre configuration.
05:23 Merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin Antoine Bernard de Raymond.
05:26 Je rappelle que vous êtes chercheur à Bordeaux Sciences Économiques.
05:30 Et vous réécoutez cette interview dans son intégralité également en vidéo sur francebleu.fr, 7h22.