Élection de Javier Milei en Argentine : une victoire "surprenante", commente un chercheur en Sciences politiques

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David Copello, chercheur en sciences politiques à Cergy Paris Université et spécialiste de l’Argentine, était lundi 20 novembre l'invité de franceinfo petit matin. Il répondait aux questions d'Aurélien Accart.

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Transcription
00:00 David Copello, chercheur en sciences politiques à Cergy-Paris Université, spécialiste de l'Argentine.
00:04 Ravir Melaïs sera donc le futur président argentin.
00:07 Il a prévenu cette nuit, on vient de l'entendre, il n'y a pas de place pour la tiédeur ou les demi-mesures.
00:11 Lui qui annonce des coupes à la tronçonneuse dans la dépense publique,
00:15 tronçonneuse qu'il a exhibée lors de ses différents meetings.
00:19 Il veut dynamiter aussi la Banque centrale.
00:21 D'abord peut-être l'ampleur de la victoire de ce candidat anti-système.
00:25 Est-ce qu'elle est surprenante dans un pays qui est habituellement l'Argentine plutôt conservateur ?
00:31 La victoire est surprenante d'abord parce que les sondages ne la prédisaient pas du tout
00:35 et parce qu'elle est très nette.
00:36 12% de points d'écart entre les deux candidats,
00:39 c'est quelque chose qui dans un second tour en Argentine ne s'est jamais vu jusqu'ici.
00:43 Comment l'expliquer du coup ? Les Argentins ont eu envie de tourner la page ?
00:48 Visiblement, Melaïs a réussi à combiner entre le premier et le deuxième tour un vote anti-caste
00:53 qui était son vote de base avec un vote de rejet du centre-gauche, du péronisme, du kirchnérisme
00:58 qui sont au pouvoir.
00:59 Il a réussi à faire le plein des voix de cette droite plus classique.
01:05 On le voit d'ailleurs dans le fait que les quartiers les plus huppés de la capitale
01:09 ont survoté pour Melaïs ce qui n'était pas nécessairement le cas au premier tour.
01:12 Est-ce qu'il aura les moyens d'appliquer sa politique et ses choix qui apparaissent extrêmement radicaux ?
01:17 C'est une excellente question dans la mesure où Melaïs n'a aucun gouverneur,
01:21 l'Argentine est un état fédéral, aucun maire et qu'il a seulement 15% des députés à l'Assemblée nationale.
01:27 Est-ce qu'il va réussir à constituer une majorité avec les députés déçus de la droite classique ?
01:32 C'est toute la question qui se pose et ça paraît quand même assez difficile.
01:36 L'Argentine, on l'a rappelé, connaît une crise économique terrible.
01:40 La solution pour Javier Melaïs c'est donc d'abandonner le peso argentin
01:44 dont la valeur s'effondre de jour en jour pour passer au dollar américain.
01:48 Est-ce que c'est un gadget ou est-ce que c'est une solution qui est possible et qui peut porter ses fruits ?
01:52 C'est une solution qui probablement fonctionnerait pour stopper l'inflation argentine.
01:56 S'il n'y a plus de monnaie nationale, il n'y a plus d'inflation liée à cette monnaie.
02:00 En revanche, c'est une solution qui emporterait avec elle de grandes inégalités sociales
02:04 et qui empêcherait l'État de gérer sa propre économie.
02:08 Finalement, ce serait la Banque centrale américaine avec le dollar qui déciderait de la politique monétaire argentine.
02:13 Raviel Minala, avec ces excès de langage, est-ce que ça annonce aussi un virage diplomatique important pour l'Argentine ?
02:20 Écoutez, il a annoncé dans le cours de la campagne qu'il voulait rompre les relations diplomatiques et commerciales officielles
02:26 avec le Brésil et la Chine qui sont les deux principaux partenaires commerciaux de l'Argentine.
02:30 Est-ce qu'il va réussir à avancer de ce point de vue-là ?
02:33 Ça paraît difficile de l'imaginer dans un cadre de gouvernabilité
02:37 mais en même temps jusqu'ici tout a surpris chez ce candidat et donc rien n'est à exclure.
02:40 L'impact du mandat de Jair Bolsonaro au Brésil a été important notamment sur les questions environnementales.
02:47 Est-ce qu'il faut craindre le même impact avec Rafiar Milhaï ?
02:51 Rafiar Milhaï, c'est un climato-sceptique qui veut réduire l'intervention de l'État à son minimum.
02:56 Toutes les activités polluantes de l'ensemble des acteurs économiques argentins ne seront en rien limitées par l'action de l'État.
03:04 Il se prend pour un Donald Trump.
03:07 Il se revendique fan de Donald Trump qui lui n'est plus au pouvoir.
03:11 Jair Bolsonaro a aussi été chassé par les électeurs brésiliens lors des dernières élections.
03:17 Est-ce qu'il représente néanmoins un courant, une sorte d'international complotiste dont il serait désormais la tête de pont en Amérique ?
03:23 C'est une question qu'on va pouvoir vérifier dans les semaines à venir.
03:26 Jusqu'ici Milhaï se revendiquant de Trump, de Bolsonaro avec quand même cette spécificité de se définir comme un anarcho-capitaliste,
03:32 comme un paléo-libertarien avec un agenda ultra-libéral, mais plus qu'ultra-libéral de disparition de l'État,
03:38 ce qui n'est pas exactement ce que proposaient Trump et Bolsonaro qui l'ont félicité à l'instar des leaders de Vox en Espagne
03:44 qui sont sur un profil plus conservateur, plus traditionnel que celui de Milhaï.
03:48 À voir dans quelle mesure le Milhaï président va être un conservateur ou va être une espèce de national-révolutionnaire, quelque chose comme ça.
03:55 Justement, il se situe comment Ravier Milhaï par rapport à Trump et Bolsonaro ?
04:00 C'est un admirateur de ces deux présidents-là, sans aucune espèce de doute.
04:04 Admirateur mais qui aille sur une ligne différente, c'est ce que vous étiez en train d'expliquer ?
04:07 Oui, c'est ça. C'est-à-dire que Trump a eu à la fois un discours libéral, mais également en parti protectionniste pour s'adresser aux classes populaires blanches aux États-Unis.
04:16 Milhaï s'adresse aux classes populaires argentines, mais avec un discours d'éradication totale de l'État.
04:20 Il propose de supprimer la Banque centrale, ce qui est quelque chose qui réduirait l'existence institutionnelle de l'État de manière assez drastique,
04:27 ce qui n'a pas été le cas de l'extrême droite nord-américaine ou brésilienne.
04:31 On pense notamment à l'impact sur les services publics qu'il entend tronçonner pour réduire la dette argentine.
04:38 Est-ce qu'on peut imaginer une réaction de la société civile argentine et éventuellement des violences après cette élection,
04:46 ou en tout cas après l'application des potentielles premières mesures du nouveau président ?
04:49 Ecoutez, l'Argentine, c'est un pays qui a une importante tradition de mouvements sociaux.
04:53 Il n'y a pas de raison qu'il n'ait pas lieu dans le contexte actuel.
04:56 D'ailleurs, Millet a adressé un avertissement dans son discours de victoire en disant qu'il n'y aurait pas de pitié pour les violents.
05:04 Donc les modalités classiques, notamment de piquets, de coupures de routes,
05:08 risquent d'être sévèrement réprimées dans les semaines à venir par Millet une fois qu'il sera en poste.
05:13 Est-ce que c'est étonnant d'ailleurs ce discours de Ramir Millet ce soir ?
05:18 On sait que généralement quand un président est élu, il met un peu d'eau dans son vin et il essaye de rassembler.
05:22 Ce n'est pas tout à fait ce qu'on a entendu.
05:23 Ce n'est pas tout à fait ce qu'on a entendu.
05:25 Millet avait plutôt mis de l'eau dans son vin entre le premier et le deuxième tour pour essayer de rallier le centre-droit à la droite classique.
05:31 Et là, il est redevenu lui-même sans aucune espèce de doute le soir de son élection.
05:36 Un tout dernier mot sur le pape qui est argentin, le pape François, qui a souvent été vertement critiqué par ce nouveau président.
05:42 Ça, c'est quelque chose qui peut être clivant en Argentine ?
05:45 Ça peut être clivant en Argentine, mais visiblement, ça n'a pas suffi pour empêcher Millet d'arriver au pouvoir.
05:50 Oui, Millet a considéré, a déclaré que le pape était le représentant du malin sur la terre, complice des dictatures communistes du Venezuela, etc.
05:58 Un discours extrêmement farfelu, on pourrait dire.
06:01 Bon, il est là. Qu'est-ce qui va se passer ? On verra.
06:04 Et on suivra ça, évidemment, dans les prochains mois, les prochaines semaines sur France Info.
06:07 Merci beaucoup, David Copello, chercheur en sciences politiques à Cergy, Paris Université et spécialiste de l'Argentine.
06:14 Votre dernier ouvrage, "Les droits humains armés, guérilla, dictature et démocratie en Argentine", qui va paraître dans quelques semaines aux presses universitaires de Rennes.
06:23 Vous étiez l'invité de France Info. Petit matin, merci beaucoup.

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