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La ville de Buenos Aires ne compte pas moins d'un psy pour 500 habitants, un record mondial. En Argentine, psychanalyse est presque devenue un sport national au même titre que le football. Un psychologue argentin nous éclaire sur ce phénomène et raconte comment lui-même en a fait... une radio !

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 Atelier 4 reprend. Attention, vous allez louper le début.
00:04 Alors bonjour, je suis de la radio. Radio c'est pour parler, des fois on chante, c'est pour communiquer la parole, les langages et tout.
00:17 Comment s'appelle notre radio ?
00:19 Association Coliphata.
00:21 Salut les Coliphatos, les Coliphatas, les auditeurs, les auditrices, les... Merde, je recommence.
00:29 Bonjour.
00:30 Sommes-nous toutes et tous un peu timbrés ?
00:33 Je réponds oui, évidemment, et pas particulièrement parce que je suis folle, juste parce que j'ai ouvert le dictionnaire et que la définition de la folie c'est comme les horoscopes, en fait tout le monde peut s'y retrouver.
00:42 La folie comme trouble mental, alors ça c'est moi au réveil, la folie comme patience sans limite, ça c'est moi devant mon pain au raisin, la folie comme absence de raison, ça c'est moi sur Tinder.
00:51 Je fume ma radio et là je passe de ma folie à moi, à la folie des autres. Orgueil des stars, avarice des hyper-riches, envie, paresse, luxure, bulle informationnelle.
00:59 Si on n'est pas timbrés, expliquez-moi pourquoi on achète des pantalons trop serrés fabriqués par des Ouïghours, pourquoi on ira fêter Noël en avion en pleine crise climatique.
01:06 Allez, c'est pas comme s'il y avait la folie des autres et notre folie à nous. C'est plutôt un continuum avec plein de dérapages possibles.
01:12 Enfin, je dis ça mais c'est probablement le biais de confirmation qui parle, à moins que ce soit la preuve anecdotique ou bien la loi des séries, je ne sais plus.
01:19 Sur Wikipédia, on trouve au moins 200 biais cognitifs différents, 200 formes de folie acceptables qui nous feront prendre des vessies pour des lanternes et des corrélations pour des causalités.
01:27 Et le pire, c'est que tout ce que je viens de décrire, c'est notre comportement sain, efficace, productif, issu de notre évolution.
01:33 C'est ces absurdités qui nous ont permis de survivre et même d'inventer un concept aussi dingue que la nation des lumières.
01:38 Alors, je ne dis pas qu'on avance totalement dans le noir mais quand même, soyons raisonnables, soyons sages, l'irrationalité on ne fera pas contre, mieux vaut faire avec.
01:46 - Et Maïa, aujourd'hui tu reçois Alfredo Oliveira. Bonjour Alfredo Oliveira. - Bonjour.
01:49 - Vous êtes psychologue, vous nous venez d'Argentine mais vous vivez en France depuis 2012. En Argentine, il y a un psy pour 500 habitants, en France il y en a un pour 770 habitants.
01:58 C'est beaucoup, comment est-ce que vous expliquez que ces deux pays soient aussi obsédés par la question de la santé mentale ?
02:05 - Obsédé déjà c'est un mot... - Ah oui, fort ! - On a commencé, c'est chaud. Moi aussi, quand j'ai eu 4 ans, j'ai eu ma première séance en psychanalyse. 4 ans.
02:19 Ça veut dire que tout ça s'inscrit dans la culture, surtout à Buenos Aires. Et pourquoi ?
02:30 - Et pourquoi cette passerelle entre la France et l'Argentine en plus ? - Il y a différents courants. Le premier psychanalyste, ils sont arrivés dans les années 40.
02:42 C'est Henrique Pichon-Rivière qui a fait un travail très important autour des groupes. Et après, ça a donné la place à plein de groupalistes d'extraction psychanalytique.
02:57 Mais qui viennent de psychanalyses. Pas uniquement ça, sinon dans les années 50, l'influence anglaise, Mélanie Klein, etc. Et c'est avec Lacan qui rentrent fortement les psychanalyses à Buenos Aires.
03:15 - Donc c'est Lacan qui ferait la passerelle entre la France et l'Argentine ? - Pas uniquement. Parce que même Pichon-Rivière est né en France. Et aussi, dans le fondateur de l'association psychanalytique argentine, il y a eu certains gens qui ont été formés en France.
03:34 Dans une école, largement parlant, assez humaniste, même existentielle. Et je pense que le psychanalyse, il est toujours autour des questions liées à l'humain.
03:48 - Pourquoi la psychanalyse par exemple, plus que les thérapies plus rapides, les thérapies comportementales ?
03:54 - Ça correspond aussi à un modèle, d'une façon plus large, économique aussi. La question comportementaliste, il cherche une réponse immédiate par rapport, je parle très... c'est un peu grotesque, mais à une demande de production et d'efficacité.
04:17 La question de psychanalyse remet aux origines, à ce qu'est fond l'être humain, c'est une alienation constitutive.
04:28 - C'est plus long comme travail, donc moins efficace, moins productif pour le travailleur, pour le producteur que nous sommes tous.
04:36 - Il y a eu un changement historiquement en Argentine par rapport aux immigrants, je crois. Nous avons reçu un courant en 1890, et après la première guerre mondiale, des immigrants qui viennent principalement d'Espagne et d'Italie.
04:50 Et il y a plein d'histoires liées au trauma, liées à les origines.
04:57 - Il paraît qu'en France, on est plus malheureux que dans les autres pays. Est-ce que ça peut expliquer notre passion pour la psychanalyse ?
05:02 - Peut-être.
05:05 - Est-ce qu'on est plus fou qu'ailleurs en France ? Donnez-nous votre avis de spécialiste.
05:10 - Non, je ne crois pas. Ça veut dire quoi la folie ? Ici en France, les choses sont assez bien cadrées.
05:20 - Vous êtes le fondateur de Radio Colifata, est-ce que vous pourriez nous raconter un peu ce que c'est ?
05:27 - C'est une radio qui a été créée en 1991 à Buenos Aires. C'est une radio qui émet en direct depuis un hôpital psychiatrique.
05:40 Cet hôpital a hébergé, quand j'ai commencé à y aller, j'étais jeune au début, il y a un hôpital avec 1300 lits. Plus de la moitié a vu de là-bas depuis plus de 10 ans.
05:59 Et là, les gros de la population ont perdu vraiment la connexion avec le monde extérieur.
06:05 - Les liens.
06:07 - Les liens. Et la radio a été créée. J'ai écouté votre reportage avant. Vous avez dit que vous arriviez en France sans parler un mot.
06:21 Vous avez rentré via la musicalité et peu à peu la grammaire. Nous sommes très habitués à la crise en Argentine.
06:34 Tout le temps, il y a des accidents. C'est pour ça que parfois l'accident devient l'opportunité.
06:41 La radio Colifata est née avec un travail de montage, de petits extraits de deux minutes, un minute, qu'on a redistribué dans plusieurs radios normales de l'Argentine.
06:57 Ça a permis d'exfiltrer les discours que l'on appelle psychotiques, fous, dans les interstices de la vie quotidienne de la société.
07:08 - Vous avez entendu parler de la radio Colifata sur d'autres radios à Buenos Aires ?
07:11 - A l'origine, c'était comme ça. Mais après, il est venu une vraie radio hairtienne.
07:19 Cette méthodologie nous a permis que ces discours, a priori différents, ou dérangeants parfois, touchent les sens communs institués.
07:39 Pour permettre de poser certaines questions autour du sens de la langue déjà instituée. Mais c'est la catastrophe expérientielle de la langue, justement, la souffrance psychique.
07:52 On a créé une passerelle, une présence quotidienne ailleurs d'un discours qui a été catalogué de malsain, de malade, etc.
08:06 Et ce discours a produit des effets, si vous voulez, critiques, sans aller chercher l'effet critique.
08:11 Et tout ça nous a permis de tisser un lien de plus en plus solide et fort, et à accompagner à plusieurs patients à sortir de l'hospitalisation, et à récupérer une vie quotidienne assez bien.
08:23 - Et vous dites que la plus grande menace sur ce lien, c'est le néolibéralisme ?
08:28 - Je pense que non. La menace c'est qu'il n'existe pas la place pour vous. Personne ne t'attend, ni la langue en soi-même.
08:42 Il est en train d'attendre ton avenir. Après le néolibéralisme, on a développé aussi un programme de télévision qui s'appelle "Colifata Filosa", autour de la philosophie.
08:57 Et on a réussi à en inviter un qui s'appelle Pierre Dardot, un philosophe français, qui a écrit beaucoup autour du néolibéralisme.
09:06 Et on a travaillé avec les patients et aussi les étudiants de philosophie de l'Université de Buenos Aires, pour décortiquer tous ces types de concepts.
09:19 Et on a travaillé autour de l'idée des communs. Et grâce à Pierre Dardot et aussi à les patients, on a interpellé un peu ce qu'on appelle le néolibéralisme.
09:28 - Nawal Peres Biskayar, vous connaissiez, vous, Colifata ? C'est connu à Buenos Aires ?
09:32 - Oui, c'est très connu. C'est très connu à Buenos Aires, oui. Peut-être que c'est dans un milieu qui s'intéresse.
09:38 - Bon, les mamans sont psys, mais...
09:41 - J'avais plein de potes qui donnaient des cours de théâtre à l'Hôpital Borda. Dans le milieu de l'art, oui, quand même, c'est quelque chose. Même au-delà de ça.
09:52 - Et c'est quelque chose que j'invite absolument tout le monde à découvrir, puisqu'on peut vous écouter en France, en direct, le mardi de 14h à 16h, sur colifatafrance.com.
10:04 Merci infiniment, Alfredo Oliveira.

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