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Après 40 ans cloîtrée dans un couvent, Catherine Draveil a quitté la vie ecclésiastique qu’elle ne pouvait plus endurer. Depuis, la septuagénaire, autrice de l’ouvrage “Métamorphose” (ed. Pierre Favre), apprend à se connaître et à découvrir le monde, loin de toute culpabilité. Pour Yahoo, elle a accepté de se livrer sur son histoire, revenant notamment sur son enfance, sur ses années au couvent marquées par le labeur, l’emprise hiérarchique et les remises en question. Mais aussi, sur sa toute nouvelle vie.
D’après une enquête du Vatican, publiée en 2020, près de 650 000 sœurs dans le monde seraient victimes de burn-out. Comme rapporté, les cas d'humiliations, de stress extrême et même d'abus sexuels seraient nombreux, ce qui aurait poussé des milliers de nonnes à abandonner leur vocation et à se retrouver à la rue, sans aucun accompagnement de l’Église. Face à cette situation, le pape a donc ouvert un centre d'accueil à Rome pour les ex-soeurs concernées.

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Transcription
00:00 En 1975, j'avais 22 ans et demi, après quatre années d'études de médecine,
00:04 je suis rentrée dans un monastère cloîtré.
00:07 J'en suis sortie 40 ans plus tard.
00:10 J'avais 60 ans.
00:11 Je suis la quatrième de dix enfants.
00:17 Pendant toute mon enfance, la religion prendra une place vraiment très importante.
00:22 Nos parents nous aiment, ils nous donnent tout ce qu'ils peuvent,
00:25 mais à l'époque, ils n'ont pas appris la tendresse
00:27 et c'est quelque chose qui me manque énormément.
00:29 Leur foi fait qu'ils vont me donner,
00:32 j'appelle ça le mode d'emploi d'une vie chrétienne pour arriver un jour au ciel.
00:35 Je me sens sans cesse bridée.
00:37 Dieu est la réponse à tout, quelle que soit la question,
00:40 ce qui est quand même assez enfermant.
00:42 À cinq ans, on me fait faire ma première communion.
00:44 Il faut trouver du péché à dire, des petites bêtises normales,
00:47 mais qui en moi vont se transformer en péché et donc me culpabiliser ?
00:51 C'est de là que vient ce sentiment de culpabilité
00:54 qui m'a enfermée toute ma vie jusqu'à ma sortie
00:58 et où j'en suis complètement libérée aujourd'hui.
01:00 Dans les familles catholiques à l'époque,
01:02 il faut qu'un enfant sur trois soit consacré à Dieu.
01:06 Donc nous, nous sommes dix enfants et nous serons effectivement trois religieux
01:09 qui avons tous les trois mal tourné.
01:11 Je peux dire, enfin, mon frère aîné est décédé dans un accident à 33 ans,
01:15 mais je crois savoir qu'il n'était pas heureux.
01:18 Et mon dernier frère qui était moine est sorti lui aussi il y a cinq ans.
01:21 Donc nous étions deux moines et une moniale,
01:24 puisque j'étais religieuse bénédictine moniale.
01:28 Je ne sais pas comment c'est venu, mais toute petite,
01:30 j'étais sûre que je serais religieuse.
01:32 J'avais une petite voix en moi qui me disait que je serais religieuse,
01:34 mais ça me plaisait.
01:35 Je me déguisais religieuse avec un long voile.
01:37 C'est le jour où maman est venue me raconter comment un papa et une maman ont un enfant.
01:42 Et alors là, ça a tout fait exploser.
01:43 Je me suis dit non, non, mais attends, moi, je ne veux pas être religieuse.
01:45 Je veux me marier, avoir des enfants.
01:47 J'ai eu une soif de tendresse et de fonder une famille
01:51 qui fait qu'à ce moment-là, j'ai tout fait pour essayer d'étouffer cette petite voix en moi,
01:56 mais qui s'est transformée en injonction morale et qui ne m'a pas lâchée.
01:59 Il faut dire aussi qu'à six ans, j'ai subi des attouchements de la part d'un adolescent.
02:03 Je suis allée le raconter à maman, qui m'a crue,
02:07 mais qui m'a dit méfie-toi des garçons.
02:09 Ce qui fait qu'à 20 ans, quand un garçon a voulu m'embrasser,
02:11 je me suis complètement bloquée.
02:12 Je suis partie en courant.
02:14 Tout ça, ça peut expliquer aussi la décision que j'ai prise à 22 ans
02:18 de tout arrêter pour rentrer dans un lieu de sécurité et au couvent.
02:23 J'ai passé mon bac philo parce que mes parents voulaient qu'on ait une formation philosophique,
02:28 mais ils savaient que je voulais faire médecine.
02:30 Donc, je me suis inscrite en médecine.
02:32 Et là, vraiment, maman a été extrêmement inquiète.
02:34 Elle a tout fait pour m'en dissuader.
02:36 C'était en 70.
02:38 C'était la loi Veil qui se préparait.
02:40 Les catholiques étaient vent debout contre la loi Veil.
02:42 Et maman m'a dit, mais tu ne te rends pas compte.
02:44 Quand tu seras en gynécologie, on te fera faire des avortements.
02:46 Tu n'as pas le droit de te mettre dans cette situation.
02:48 Et là, j'ai tenu bon et j'ai fait mes quatre années de médecine.
02:52 Mais j'avais toujours cette petite voix qui me disait,
02:55 et la volonté de Dieu et ta vocation, et ta vocation.
02:58 Et ce qui s'est passé, c'est que je redoublais ma troisième année.
03:03 J'ai fait une retraite parce qu'à la maison, il fallait faire une retraite régulièrement.
03:05 J'y avais un petit peu échappé les premières années où j'avais trop de travail.
03:08 Et je ne me doutais pas que c'est là que ma vie allait basculer.
03:11 Le prédicateur, qui n'était pas compétent, c'est certain, m'a fait faire un choix de vie.
03:16 Mais ensuite, plus tard, les jésuites, quand j'en ai parlé, m'ont dit,
03:19 mais on ne fait pas faire un choix de vie à une personne en quatrième année de médecine.
03:23 On attend qu'elle ait fini médecine et après, elle peut faire un choix de vie.
03:26 Et à ce moment-là, j'ai dit, si c'est ça, j'arrête tout et je rentre au couvent.
03:31 Mais ce jour-là, j'ai brisé mes désirs les plus profonds.
03:35 J'ai arrêté de m'écouter.
03:37 Ça m'a rendu extrêmement vulnérable et ça explique aussi toute la suite de mon existence.
03:43 Le 6 janvier 1975, je suis à la messe dans le monastère dans lequel je vais rentrer.
03:48 Papa et maman sont à côté de moi et ma petite sœur qui m'a accompagnée.
03:51 Ma décision est prise.
03:53 Vers 15h, on monte vers la porte de clôture, qui est une porte qui est fermée.
03:58 Les personnes de l'extérieur n'ont pas le droit de rentrer.
04:00 Je me mets à genoux devant papa, qui me fait un signe de croix sur le front et qui me dit,
04:05 tu es toujours allé jusqu'au bout de tout ce que tu as fait, tu seras sainte.
04:09 Et moi, je lui réponds du tac au tac, non, je n'ai pas fini médecine.
04:13 Donc déjà, peut-être un petit regret.
04:16 Et la porte s'ouvre, je franchis la porte, la porte se referme, papa et maman sont derrière,
04:22 moi je suis à l'intérieur, on me donne un crucifix, on va à l'église,
04:26 là il y a des prières et des bénédictions et puis ensuite, ça y est, on m'emmène me montrer ma cellule.
04:31 Et à partir de ce moment-là, j'ai quand même pleuré tous les jours parce que ça a été un arrachement.
04:36 Mais je suis quelqu'un qui va au bout de ce qu'il a décidé.
04:39 C'était ma vie désormais et puis au moins, je n'avais plus cette petite voix qui me contrariait en permanence.
04:45 Alors, je me suis souvent posé la question de ma part de liberté et de responsabilité dans ce choix.
04:49 Parce que je serais rentrée de la retraite en disant "je continue mes études, personne ne m'en aurait empêchée".
04:56 Quelque part, c'est quand même moi qui ai pris ce chemin.
04:59 Mais c'était un chemin qui est pris hors de toute liberté.
05:02 Et en plus de rentrer dans cette abbaye, c'était une abbaye traditionnelle
05:07 parce qu'à Versailles, on était dans un milieu très fermé,
05:10 un petit peu hostile aux évolutions demandées par l'Église pendant le concile de Vatican II.
05:16 Donc, un entre-soi, on ne voyait personne en dehors de ceux qui avaient les mêmes idées que nous.
05:22 Et donc, c'est pour ça que j'ai choisi cette abbaye où une amie était rentrée deux ans auparavant,
05:26 une abbaye bénédictine.
05:27 La règle de Saint-Benoît date du VIe siècle, donc elle a fait ses preuves.
05:33 Enfin, dans mon esprit, à l'époque, aujourd'hui, je trouve que c'est un peu obsolète,
05:36 une règle du VIe siècle pour des personnes du XXIe siècle.
05:40 Mais enfin, à l'époque, c'était ça mon état d'esprit.
05:41 Mais malheureusement, dans cette abbaye,
05:45 je suis tombée sur une supérieure qui était manipulatrice et paranoïaque.
05:50 Donc, et comme j'étais dans cet état d'extrême vulnérabilité
05:55 du fait d'avoir brisé mes désirs et de ne plus du tout m'écouter,
05:59 j'étais la proie idéale pour ce genre de personne.
06:01 J'ai passé 40 ans dans cette vie religieuse.
06:05 Il y a bien sûr toute une part de lumière et ça m'a apporté en profondeur,
06:10 mais je n'étais pas à ma place.
06:11 Jamais j'aurais dû y rester.
06:13 La première année, c'est une année d'adaptation, donc je suis très écoutée.
06:18 Je parle en jeu parce que je tiens à préciser aussi que c'est une histoire personnelle
06:22 qui n'est certainement pas généralisée.
06:24 Même dans cette abbaye, il y a d'autres sœurs qui ont probablement échappé à l'emprise, je ne sais pas.
06:27 Donc la première année, je suis absolument choyée.
06:31 Tout nous est facilité, sauf une chose nous est interdite,
06:35 c'est de remettre en question le choix que j'ai fait.
06:38 Normalement, l'Église prévoit que ces années-là, c'est justement fait pour savoir si je suis à ma place ou pas.
06:44 Aujourd'hui, une supérieure voyant quelqu'un pleurer comme j'ai pleuré,
06:47 me dirait "retourne finir tes études et reviens nous voir après, dans un ou deux ans si tu veux".
06:54 Or là, elle-même était tellement conditionnée par ses croyances
06:58 que plus j'étais malheureuse, plus je faisais un grand sacrifice, plus je laissais sauver d'âme.
07:02 Et de toute façon, si j'acceptais de me poser une question,
07:05 c'est que j'allais trahir Dieu qui m'avait appelée à cette vocation qui est la plus belle au monde.
07:09 Voilà, c'était ça les croyances.
07:11 Et puis la seconde année, on resserre un peu la vis.
07:13 Et là, je commence à avoir ce que j'appelle aujourd'hui des éclairs de lucidité,
07:17 mais à l'époque, c'était des mauvaises pensées.
07:19 C'est-à-dire que je commence à voir que la supérieure, elle s'offre des trucs,
07:23 elle fait des choses, elle fait des actions qu'elle nous reproche.
07:26 Au réfectoire, elle a ses petits plats.
07:28 Petit à petit, elle va se permettre de ne plus aller à l'office.
07:30 À la fin de sa vie, on va lui apporter une coupe de champagne tous les matins
07:34 parce que le champagne, ça donne de l'énergie
07:36 et qu'on est tellement lourde et tellement fatigante qu'elle a besoin de cette énergie.
07:40 Donc moi, la seconde année au noviciat, j'ai commencé à sentir ces choses-là,
07:44 donc à lui faire des réflexions.
07:46 Mais un jour, elle m'a amenée à la porte de clôture.
07:49 Elle m'a dit "Si vous n'êtes pas contente de ce que vous vivez ici, sortez".
07:52 J'ai dit "Ah mais non, mais j'en supplie, je vais me convertir, je vais changer.
07:56 Gardez-moi, je vous en supplie".
07:57 Parce que dans ma tête, si je sortais, je prenais le chemin de l'enfer.
08:01 Voilà, donc vous voyez, c'est un conditionnement terrible.
08:04 Moi, je pensais à l'entrecouvent pour apprendre à vivre, j'y ai appris à mourir.
08:08 Quand on vit à côté de ses pompes, on n'est pas bien.
08:10 Donc petit à petit, je me suis recroquevillée sous une carapace
08:14 pour souffrir de moins en moins.
08:15 Et c'est ça que j'appelle mourir.
08:17 Et quand, 40 ans plus tard, j'ai commencé à évoluer,
08:21 c'est vraiment parce que je n'en pouvais plus,
08:24 mais j'ai eu cette chance d'avoir une petite incelle de vie
08:27 qui m'a permis de faire tout exploser.
08:30 Mais j'étais morte psychiquement au bout de 38 ans.
08:32 Je me rappelle très bien me dire "Un coucher de soleil, ça ne me fait plus rien.
08:37 Un joli bouquet de fleurs, ça ne me fait plus rien", alors que j'adore ça.
08:41 La beauté ne me touchait plus.
08:44 Je ne savais même plus pourquoi j'étais là.
08:45 Mais la seule fois où je suis allée en parler à la supérieure,
08:48 ça faisait 30 ans que j'étais là, je dis "Vous savez, j'ai une énorme angoisse,
08:51 je ne sais même plus pourquoi je suis là".
08:53 Elle m'a répondu "Mais vous en êtes encore à vous écouter,
08:55 après 30 ans de vie monastique ?"
08:57 Mais le Christ ne s'est pas écouté, sortait de mon bureau.
09:00 Petit à petit, la communauté s'est transformée en dérive sectaire,
09:03 ça faut être clair.
09:04 L'Abbesse manipule tout le monde,
09:07 mais aussi bien les gens de l'extérieur que ceux de l'intérieur.
09:09 Quand je suis rentrée, nous étions 25,
09:11 il y a 4-5 jeunes qui rentrent tous les ans,
09:13 à une époque où les monastères se vident,
09:16 parce qu'après le Concile, il y a justement une libération,
09:19 prise de conscience, liberté.
09:21 Beaucoup de personnes, notamment de femmes,
09:23 quittent leurs monastères ou leurs couvents,
09:25 parce qu'elles se sont rendues compte qu'elles sont rentrées
09:27 sous la pression de la société.
09:29 Et nous, on rentre et pour cause, on ne sort pas,
09:31 parce qu'on n'a pas le droit de se poser de questions.
09:33 Petit à petit, on doit toutes penser la même chose.
09:37 Par exemple, en récréation,
09:39 quelquefois on peut émettre un avis différent,
09:41 mais à la fin de la récréation,
09:42 il faut qu'on soit toutes d'accord avec l'Abbesse sous prétexte d'unité.
09:44 Et elle interdit toute vraie relation d'amitié entre nous.
09:49 Parce que quand on manipule,
09:50 si on autorise ce genre de relation horizontale,
09:53 il va y avoir des prises de conscience qui risquent de se faire.
09:56 On va mettre en danger son pouvoir.
09:58 Non seulement on n'avait pas le droit de se faire d'amis,
10:00 ça c'est clair,
10:01 mais dès qu'on voyait que deux sœurs étaient un petit peu trop proches,
10:05 par charité, on allait le dire à l'Abbesse.
10:08 En plus, c'était catalogué « amitié particulière »,
10:10 donc il y avait une connotation morale à l'époque
10:12 qui voulait dire « attention ».
10:14 Alors l'emprise était partout,
10:16 et elle m'a fait faire des actes qu'aujourd'hui,
10:19 j'ai du mal à comprendre comment je les ai faits,
10:21 mais ça montre bien que j'étais sous emprise.
10:24 Dans ce contexte, il y avait quand même des sœurs de temps en temps
10:26 qui ruaient dans les brancards, qui s'agitaient,
10:28 et donc pour garder la paix,
10:30 la supérieure avait trouvé un bon moyen.
10:33 Évidemment, j'étais à l'infirmerie,
10:35 et on fait quatre ans de médecine.
10:36 Elle nous faisait donner des neuroleptiques,
10:38 Aldol, Dipiperon, en goutte,
10:41 dans des petits verres à ces sœurs-là.
10:43 Mais aux sœurs, on leur disait que c'était,
10:45 par exemple, un antalgique parce qu'elles avaient mal au dos,
10:48 un antidouleur, enfin des choses comme ça.
10:50 Donc j'ai donné des neuroleptiques à des sœurs à leur insu.
10:53 Mais les neuroleptiques sont quand même sur ordonnance, par exemple.
10:56 On ne peut pas les avoir comme ça dans une pharmacie,
10:58 parce que c'est une catégorie de médicaments
11:02 qui sont assez forts.
11:03 Et alors, évidemment, il fallait qu'on se procure les neuroleptiques,
11:07 mais sans dire ce qu'on en faisait.
11:08 Et alors on avait un médecin, un médecin complaisant,
11:11 qui nous faisait payer ses consultations
11:13 parce qu'il avait une horde de chiens à nourrir,
11:15 contrairement à l'ensemble des médecins à l'époque
11:17 qui ne faisaient pas payer les religieux.
11:19 En contrepartie, il nous donnait son ordonnancier,
11:21 on rédigeait nos ordonnances en choisissant bien les personnes
11:24 sur qui on mettait les neuroleptiques,
11:26 et puis on avait ce qui nous permettait d'avoir notre réserve.
11:29 Et puis un jour,
11:31 j'ai passé 38 ans dans la vie monastique,
11:33 j'ai 60 ans,
11:34 la première abbesse a donné sa démission.
11:38 On a élu la prière,
11:41 pratiquement à l'anonymité,
11:43 comme nouvelle abbesse.
11:45 L'évêque a interdit à l'ancienne abbesse de revenir,
11:48 donc premier tsunami,
11:49 des sœurs quittent la communauté.
11:52 Ensuite la deuxième abbesse part,
11:54 et nous téléphone, il dit "je ne reviens pas,
11:56 je donne ma démission, je retourne dans le monde".
11:58 Deuxième tsunami, d'autres sœurs partent,
12:01 et là, moi je ne comprends plus rien,
12:03 je suis dans un burn-out total,
12:05 j'ai un disque mental qui tourne à mille à l'heure,
12:08 et je demande d'aller me reposer une semaine
12:10 dans une abbaye de moines.
12:12 Et puis au milieu de la semaine,
12:15 il neige dans la nuit,
12:16 comme je suis savoyarde, la neige et les montagnes, ça me parle.
12:19 Et le lendemain matin, un immense soleil,
12:22 donc je pars marcher à 6h du matin,
12:23 et tout d'un coup,
12:25 je ressens la chaleur du soleil,
12:27 je vois le scintillement de la neige,
12:30 et mon disque mental s'arrête.
12:32 J'entends les oiseaux qui chantent,
12:33 parce qu'on est bientôt au printemps.
12:35 Mais là c'est l'émerveillement,
12:36 et j'ai compris plus tard, parce que j'ai analysé tout ça,
12:39 qu'à ce moment-là, c'est mon être profond
12:41 qui a refait un petit peu surface à ma conscience.
12:46 Bon, je finis ma semaine, je rentre au monastère,
12:48 je retrouve tout comme je l'ai laissé,
12:50 et le lendemain matin,
12:51 à 6h,
12:53 je me réveille,
12:54 je m'assieds sur mon lit et je m'entends dire,
12:57 j'ai obéi 38 ans,
13:00 à partir d'aujourd'hui, on m'a traité comme une enfant,
13:03 à partir d'aujourd'hui, je dis non.
13:05 Et puis je me dis, mais qu'est-ce qui parle ?
13:07 Qu'est-ce qui se passe ?
13:08 Ce qui, un mois auparavant, avait retrouvé un peu de conscience,
13:14 a permis à cette pulsion de vie de traverser
13:17 tout mon inconscient pendant la nuit,
13:19 et à me dire, ce jour-là en fait,
13:22 la vie m'a dit,
13:23 aujourd'hui tu choisis un chemin de mort ou un chemin de vie,
13:25 tu restes, c'est ta mort,
13:26 tu fais quelque chose, c'est ta vie.
13:28 Je suis restée dans le silence parce que c'est
13:30 un énorme chamboulement intérieur psychologique,
13:33 et j'ai demandé d'aller me reposer un mois.
13:35 Moi j'ai demandé d'aller me reposer un mois
13:37 pour me guérir de mon burn-out et revenir.
13:40 Pour moi il était impensable de ne pas revenir.
13:44 J'ai mis deux ans avant que l'idée de quitter la vie religieuse
13:46 puisse m'atteindre.
13:47 Donc je vais passer un mois dans une communauté
13:49 qui nous connaissait bien, qui connaissait notre histoire,
13:51 donc là j'ai passé un mois merveilleux.
13:53 Et puis au bout d'un mois, formaté,
13:54 j'avais obéissance un mois,
13:56 je ne me pose aucune question,
13:58 je vais voir la supérieure dans une angoisse mortelle
14:01 à l'idée de revenir, mais je dis,
14:02 quand est-ce que je prends mon billet de retour ?
14:04 Et elle me dit, mais vous n'êtes pas du tout en état de revenir.
14:07 On discute une heure et finalement j'accepte de rester un mois de plus.
14:10 Puis finalement je suis restée une année,
14:12 c'est la première qui m'a sauvée.
14:14 Et pendant cette année, je suis en contact avec le Père Abbé
14:17 de la communauté de mon frère,
14:19 puisque j'avais besoin de parler.
14:21 J'ai été suivi par un jésuite
14:23 qui m'a tout de suite déculpabilisé.
14:24 Il m'a dit, on vous a culpabilisé à outrance pendant toute votre vie,
14:27 vous avez besoin d'apprendre maintenant, d'apprendre à vivre,
14:31 même pas de réapprendre, d'apprendre à vivre.
14:33 Faites tout ce qui vous passe par la tête, sans vous poser de questions.
14:36 Et ça, il m'a libéré de la culpabilité complètement,
14:39 ce qui fait que j'ai revécu ma vie.
14:41 J'ai repassé toutes les étapes,
14:42 4 ans, l'adolescent qui fait n'importe quoi,
14:44 la jeune de 20 ans, enfin voilà.
14:46 J'ai commencé une psychothérapie bien entendu,
14:48 et j'ai commencé à envoyer des mails à partir du mois de septembre au Père Abbé,
14:53 parce que j'ai une colère qui montait,
14:55 j'avais besoin d'exprimer ma colère, une colère envers tout et tous,
14:59 envers moi, l'Église, les parents, le monde, voilà tout.
15:02 Tout y passait, mais c'est la bonne colère,
15:04 celle qui montre que les énergies se réveillent,
15:07 les énergies de vie se réveillent.
15:08 Mais à l'époque, je ne le savais pas.
15:10 Donc tous les jours, j'envoie un mail au Père Abbé,
15:13 et il me répond tous les jours,
15:14 "Continue, ça te fait du bien, je te comprends."
15:17 C'est ce qu'on appelle l'écoute empathique,
15:19 et qui est la première étape de reconstruction.
15:22 Je passe un an dans cette communauté,
15:25 et au mois de juin 2014, j'ai donc 61 ans,
15:28 je vais passer un mois chez ce Père Abbé,
15:31 là où mon frère était encore moine à l'époque.
15:33 Et un jour, il me dit, là ça a été le déclencheur,
15:37 il me dit, "Catherine, tu me parles toujours de retourner dans ton abbaye,
15:41 qu'est-ce que tu ressens à cette idée ?"
15:44 Moi, je n'ai jamais été autorisée à écouter mes ressentis,
15:46 mais là, je n'ai même pas eu le temps de l'écouter mon ressenti.
15:49 Il est sorti, il a jailli, sans que je sache ce que j'allais dire,
15:54 une immense angoisse, comme si je repartais en prison.
15:58 Puis je dis, mais, prison ?
16:00 Alors il me dit, "Mais Catherine, Dieu veut que tu sois heureuse, aujourd'hui,
16:05 si c'est une prison pour toi, ce n'est peut-être plus ton chemin."
16:08 Alors là, j'explose en sanglots,
16:10 je lui dis, "Mais si je ne suis plus religieuse,
16:12 je suis en miettes, en mille morceaux par terre,
16:14 qu'est-ce que je suis, qu'est-ce que je deviens ?"
16:16 C'est la vraie crise existentielle où tout, tout explose.
16:20 Alors, c'est des moments qu'on n'oublie pas,
16:22 vous savez, il pose sa main sur mon épaule, très délicatement,
16:24 il me dit, "Catherine, celle qui est par terre, ce n'est pas toi,
16:26 c'était quelqu'un qui était conditionné et formaté,
16:29 on va t'aider, tu n'es pas la première,
16:32 tu vas te construire, tu vas devenir toi-même.
16:35 Et je te le dis tout de suite,
16:37 si tu ne peux pas rentrer dans une communauté religieuse,
16:39 même une autre, c'est normal,
16:40 tu as été trop trompée dans ta confiance et l'obéissance."
16:44 Et après, j'ai fait une semaine de jeûne,
16:47 ma petite sœur m'avait dit, "Je connais quelqu'un de bien,
16:48 un animateur, qui en plus était prêtre, à l'époque, ça me rassurait."
16:51 J'y suis allée, et là, il m'a dit une phrase,
16:53 "Il n'y a que toi qui sais ce qui est bon pour toi."
16:57 Mais ça, c'était la première fois de ma vie que j'entendais ça.
16:59 Donc ça, ça m'a permis de me réapproprier moi-même,
17:03 mes désirs, mon corps.
17:05 Depuis la prise de conscience de mars 2013,
17:08 je me suis fait relever de mes levées en août 2016.
17:11 Donc il m'a fallu plus de trois ans,
17:14 de tout un chemin de psychologie, beaucoup accompagné.
17:17 Ce qui a été pour moi le plus difficile,
17:19 une fois que j'ai passé les deux premières années,
17:22 ça a été de prendre mes décisions toute seule.
17:25 Un exemple tout bête,
17:26 j'ai une amie qui m'emmenait au restaurant,
17:29 puis elle me dit, "Choisis ton menu."
17:30 Je dis, "Non, mais je ne suis pas capable, moi."
17:31 Je ne peux pas choisir, je ne sais pas ce que j'aime,
17:33 je ne sais pas ce que je n'aime pas.
17:35 Et là, elle a tenu bon, parce qu'elle était là
17:37 pour me sortir de mon formatage, elle m'a dit,
17:39 "Catherine, peu importe, tu choisis n'importe quoi,
17:41 mais je ne choisirai pas à ta place.
17:43 C'est à toi de prendre ta décision."
17:45 Mais ça a été tellement dur qu'un jour, dans le métro,
17:47 je me disais, "Bon, je vais retourner au monastère,
17:50 au moins là-bas, j'ai l'assurance vie,
17:52 l'assurance vieillesse, je ne suis pas toute seule,
17:54 l'assurance alimentaire."
17:57 Et puis, on me dit ce que j'ai à faire du matin au soir,
17:59 j'ai fait des prises de conscience,
18:00 je devrais pouvoir m'en sortir.
18:01 C'est là où la vie est extraordinaire,
18:03 parce que c'est à ce moment-là que mes yeux sont tombés
18:06 sur une phrase d'Oscar Wilde,
18:08 "Dans le métro, la plupart des gens existent,
18:11 très peu vivent."
18:13 Et ça a été comme une flèche qui m'a percé au plus profond,
18:16 "Mais attends, tu es en train de passer de l'existence à la vie,
18:20 tu es en train de faire ta métamorphose,
18:21 tu sors de ta larve pour devenir l'ibellule."
18:25 Là, l'ibellule, quand elle vole, elle est dans le vide.
18:27 Donc, tant que tu te raccroches à quelque chose,
18:29 tu ne pourras pas devenir l'ibellule.
18:31 Il faut que tu sautes dans le vide pour que tu puisses voler
18:34 de ta propre vie, de tes propres ailes.
18:36 Et donc, j'ai compris ce jour-là que
18:40 il ne fallait surtout pas que je retourne en arrière,
18:43 et ça a été le vrai déclic profond.
18:46 Je découvre la vie avec émerveillement.
18:49 Il y a des choses qui ont changé en 40 ans.
18:51 Il y a 40 ans, le métro était bondé à 7h00,
18:54 maintenant, il est bondé à 9h00 du matin,
18:56 mais à 8h00 du soir, il n'y a plus grand monde,
18:58 c'est à 10h00 qu'il est bondé.
18:59 C'est comme si la vie s'était décalée de 2h.
19:01 Je me rappelle, j'étais dans le métro, dans la ligne aérienne,
19:03 et je vois une ligne de voitures, c'était tout gris, blanc ou noir.
19:06 Je me dis, "C'est dommage, avant elles étaient jaunes, vertes, rouges,
19:09 enfin, c'était joli."
19:10 Voilà, parce qu'en réalité, en moi, j'ai ma petite fille intérieure,
19:15 en tant que psychologue, on parle beaucoup de petite fille intérieure,
19:18 qui a été cachée pendant 60 ans, et là, qui s'est réveillée.
19:22 Et c'est elle qui me donne cet émerveillement dans la vie,
19:24 qui découvre tout, qui me fait faire des tas de choses
19:28 qu'on ne fait pas normalement quand on est vraiment adulte.
19:30 Aujourd'hui, je vis le moment présent à plein.
19:33 La femme qui se réveille, c'est toujours une de mes cousines,
19:37 qui un jour me dit, "Écoute, Catherine, est-ce que..."
19:40 Elle m'envoie un petit mail, puis elle me dit,
19:41 "Écoute, je connais un homme qui est divorcé, qui est sympathique,
19:45 est-ce que tu veux que je vous présente l'un à l'autre ?"
19:47 Tout de suite, je lui dis oui, bien sûr.
19:50 On se retrouve, je me rappelle, au Palais du Luxembourg,
19:53 on parle, je lui raconte tout de suite mon histoire,
19:55 parce que je tiens à ce que les gens le sachent tout de suite.
19:57 Il m'invite le lendemain au musée d'Orsay,
19:59 lui, il est divorcé, il a deux enfants.
20:01 Il m'invite un week-end chez lui, et le lendemain, justement,
20:04 ligne 14, au moment de prendre le métro, il me dit,
20:06 "Écoute, je vais être un petit peu raide,
20:08 mais je ne me vois pas coucher avec une ancienne bonne sœur."
20:11 Bon, j'avale ma salive.
20:14 Mais on peut être amis, donc il m'invite le mois d'août,
20:16 une semaine en vacances avec deux autres amis,
20:18 on fait de la montagne.
20:19 Mais là, à un moment, il me prend par les épaules,
20:21 on prend une photo, puis en descendant, il me dit,
20:22 "Catherine, oublie, oublie, c'était l'oxygène de l'altitude,
20:27 j'aurais pas dû faire ça."
20:28 Mais moi, il ne se rend pas compte que toutes mes cellules
20:31 ont été mises en émoi.
20:32 Fin octobre, il m'invite une semaine de nouveau chez lui, à Briançon,
20:36 mais là, on sera tous les deux tout seul.
20:37 On arrive un jour, et le lendemain matin, après un petit déjeuner,
20:40 il me dit, "Bon, je vais rebookiner dans ma chambre,
20:42 donne-moi au moins un bouquin, que je m'ennuie pas toute seule dans la mienne."
20:45 Il me dit, "T'as qu'à venir avec moi dans mon lit."
20:49 Ni une ni deux, j'y vais.
20:51 Ça se passe tout naturellement.
20:54 Vraiment, la première relaxation sexuelle se passe.
20:57 Je me dis, "Mais Dieu sait que j'ai été plombée par des fantasmes."
21:00 Parce que j'avais beaucoup de fantasmes,
21:02 beaucoup d'idées de préjugés, et puis d'oukazes et tout.
21:06 Je me dis, "Mais c'est tellement naturel, c'est tellement simple."
21:08 Aujourd'hui, je dis, "C'est bien agréable,
21:11 mais c'est pas le tout de la vie non plus, faut pas non plus."
21:15 Là, ça a été vraiment la découverte de ma féminité.
21:18 Donc, d'être l'objet de l'attention d'un homme,
21:21 pour moi, j'ai vraiment vécu comme un amour, tout en sachant...
21:25 Je le trouvais quand même assez autoritaire.
21:28 Il m'avait dit, "Si j'apprends que tu as parlé de notre relation à la moindre personne,
21:31 j'arrête direct."
21:33 Et puis un jour, il m'a dit, "Catherine, il faut qu'on espace nos rencontres,
21:38 tu me montres trop de tendresse."
21:39 Puis un mois après, il m'a dit, "Je vais épouser telle personne."
21:42 Ce qui est amusant, c'est que j'ai vécu un amour d'adolescente,
21:46 un chagrin d'amour qui m'a mis en dépression,
21:49 et puis après, mais tout en sachant que c'était pas le bon.
21:53 Finalement, quand j'ai été à la retraite, je suis partie à Saint-Étienne.
21:56 Et puis donc, en rentrant du Covid, j'ai fait ce que mes amis me conseillaient de faire
21:59 depuis des années, m'inscrire sur un site.
22:03 Mais moi, j'avais l'impression que...
22:03 Avant, j'en étais incapable, je me dis, "Mais je vais pas me vendre."
22:06 Mais là, je me suis dit, "Je m'en fous, je vais m'inscrire sur un site."
22:10 Je me suis inscrite sur un site de rencontres,
22:12 et six mois après, avec Yves, on a commencé à tchatcher.
22:16 Il a beaucoup d'humour, il m'a beaucoup fait rire,
22:18 il aime le bridge, j'avais envie d'apprendre le bridge, il est très musicien.
22:22 Un jour, il m'a dit, "Mais faudrait bien qu'on se voit."
22:24 Donc je suis allée le voir à Lyon,
22:26 et puis ça n'a rien passé de la journée.
22:29 Je suis rentrée le soir, j'étais avec ma petite sœur,
22:31 je dis, "Oh, ça n'a rien passé, j'ai peur que ça..."
22:34 Et puis en fait, il m'a expliqué après que,
22:36 lui, il aime les femmes grandes et lancées, blondes et tout, physiquement.
22:40 Donc il a réfléchi, parce que c'est pas tout à fait mon cas,
22:44 et puis il m'a dit, "Mais j'ai senti quelque chose."
22:47 J'ai senti quelque chose, donc il m'a rappelé au bout d'une semaine.
22:51 Et donc il est venu chez moi, je lui avais fait un bon déjeuner,
22:53 puis l'après-midi, on était dans le canapé,
22:55 puis à un moment, j'ai senti une tendresse,
22:56 c'est moi qui me suis rapprochée de lui,
22:58 il m'a pris dans ses bras, et puis le soir, je suis revenue avec lui à Lyon.
23:01 Et à partir de ce moment-là, j'allais chez lui le week-end,
23:04 j'y suis allée pendant les vacances, et puis ça a très, si bien marché,
23:07 qu'en juin, il m'a demandé de venir habiter chez lui.
23:09 En septembre, un jour, il m'a dit, "Catherine, tu sais, j'ai 50 plus que toi,
23:14 quand je mourrai, je voudrais..."
23:16 Alors je lui ai dit, "Mais attends, tu vas pas parler de mort, là,
23:17 on commence notre vie ensemble."
23:19 Il m'a dit, "Attends, quand je mourrai, je veux pas te laisser
23:23 avec uniquement ta petite retraite, te retrouver dans la rue,
23:25 je veux que tu puisses garder mon appartement,
23:27 parce que souvent, les hommes meurent avant les femmes."
23:29 Et je crois que là, j'ai beaucoup réfléchi,
23:30 je crois que la bonne solution, ça serait qu'on se marie.
23:33 Alors je dis, "Moi, je suis d'accord, ça m'est égal de me marier ou pas."
23:36 Parce que toutes mes conventions, tout ce que j'avais appris,
23:38 tout ça, ça a explosé.
23:40 En novembre, on est venus passer un week-end à Paris, trois jours,
23:43 et il m'a invité chez Beaufinger, et là, il a sorti un cadeau,
23:47 il y avait ce coeur, là.
23:48 Je dis, "Mais pourquoi tu m'offres ça ?"
23:49 Il me dit, "Parce que je veux te demander si tu veux bien m'épouser."
23:53 Alors évidemment, j'ai dit oui tout de suite,
23:55 et c'est là où on s'est mariés en janvier 2022.
23:59 [Générique]

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