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Entretien entre Laurent Faibis, Directeur de Xerfi Canal et Jean-Philippe Denis, professeur agrégé des universités, Université Paris Saclay, autour de Michel Foucault et de l'enfermement managérial en entreprise.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:15 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:16 Bonjour Laurent Phibis.
00:17 Est-il vraiment nécessaire de vous présenter sur Xerfi Canal ?
00:21 Bon, rappelons quand même que vous êtes professeur agrégé en sciences de gestion,
00:24 que vous avez été pendant 8 ans le rédacteur en chef de la revue française de gestion,
00:28 la principale revue de gestion en France et celle de référence,
00:31 et qu'au moment où nous enregistrons, vous êtes président du jury de l'agrégation du supérieur,
00:38 nommé par madame la ministre, pour recruter des futurs enseignants en gestion.
00:44 Futurs professeurs des universités.
00:45 Voilà.
00:46 On va parler de Foucault.
00:48 Alors Foucault, un petit peu étonnant, quand on pense à surveiller et punir,
00:52 j'ai sorti ça de ma bibliothèque, c'est un petit peu étonnant pour un chef d'entreprise,
00:56 l'archéologie du savoir, mais je crois que vous êtes aussi venu avec votre petite collection.
01:01 Je suis venu avec l'histoire de la sexualité, volume 1, la volonté de savoir, qui est passionnante,
01:06 qui a marqué une grande rupture chez Foucault.
01:08 Je suis venu avec Les mots et les choses, l'histoire de la folie à l'âge classique.
01:11 Moi aussi, surveiller et punir, parce que vous avez raison, beaucoup de choses à discuter.
01:15 Puis un tome 4 des 10 écrits que je recommande.
01:19 Alors Michel Foucault nous laisse un héritage intellectuel absolument passionnant.
01:24 Rappelons qu'il est disparu en 1984, rappelons qu'il n'était pas un enseignant agrégé en sciences de gestion.
01:29 D'ailleurs l'agrégation n'existait pas, je crois, à l'époque.
01:32 C'était un philosophe.
01:34 Mais ses écrits trouvent des résonances extrêmement intéressantes
01:39 dans le management de l'entreprise et dans le leadership.
01:42 Absolument. Alors il y a plusieurs Foucault.
01:44 C'est ça qui est toujours gênant avec Foucault.
01:46 On a tendance à dire Michel Foucault, en fait il y a plusieurs générations de Foucault.
01:49 Il a fait des sauts importants.
01:51 Le Foucault 1, c'est le Foucault de l'archéologie du savoir,
01:54 les mots et les choses, histoire de la folie à l'âge classique.
01:57 C'est comment le discours, les mots, mettent en ordre le réel, les choses.
02:02 Et ça c'est passionnant parce que finalement l'idée de Foucault,
02:05 c'est qu'il y a un ordre dans le discours.
02:08 C'est le titre de sa leçon du Collège de France.
02:11 Et cet ordre du discours impose une violence au réel.
02:14 Il va nous dire ce qui est vrai et ce qui n'est pas vrai.
02:17 Foucault fait émerger, fait travailler un concept qui est celui d'épistémé.
02:21 C'est le seul positif de notre savoir, nous dit Michel Foucault.
02:24 Quand on l'apporte en entreprise, c'est passionnant.
02:26 Pour vulgariser un peu, expliquons de façon un petit peu simpliste
02:30 que l'épistémé, c'est ce qui structure de façon inconsciente notre réflexion
02:35 et qui traverse également de façon inconsciente toute une génération
02:40 où toutes les disciplines se mettent à penser avec les mêmes structures.
02:44 C'est bien cela.
02:45 C'est exactement ça.
02:46 Ce n'est rien pour ça que ça nous enferme quand même dans tout un tas de préjugés.
02:51 Et l'idée de Foucault, enfin Foucault a fait scandale quand il a produit cette œuvre.
02:56 On l'accusait de relativisme absolu, c'est-à-dire de dire que finalement tout se vaut,
03:00 alors qu'à l'évidence tout ne se vaut pas.
03:02 Et Foucault, lui, travaillait en disant, mais non, c'est une construction progressive
03:06 qui va nous donner ce seul positif du savoir.
03:09 Quand on l'apporte à l'entreprise, tous les dirigeants le savent.
03:12 À un moment, on se représente le réel, non pas de manière objective.
03:15 On fait une violence au réel, notamment quand on fait de la stratégie,
03:18 en disant notre environnement c'est ça, nos concurrents c'est ça, etc.
03:21 Et tout ça se diffuse dans l'organisation et est partagé comme un inconscient.
03:25 Alors vous avez dit, cela nous enferme, mais l'entreprise n'en est pas moins,
03:30 enfin ce n'est pas du tout d'ailleurs une prison quand même.
03:33 Détrompez-vous Laurent Phoebus, c'est ce que nous dit précisément Michel Foucault.
03:37 Quand il analyse la prison, il dit on n'a jamais compris la prison.
03:40 C'est une technologie, la prison, qui permet la mise en discipline des corps.
03:44 Et finalement, elle sert à autre chose que simplement à enfermer des individus
03:48 en espérant qu'ils vont ressortir en étant redressés.
03:51 Elle faillit dans cette mission.
03:53 L'objectif de la prison, c'est l'image même de la société disciplinaire
03:57 et toutes les organisations quelque part sont des prisons.
04:00 Que ce soit la prison, l'hôpital, l'école, l'entreprise.
04:05 Et Foucault le dit explicitement, l'entreprise est une prison
04:08 puisque dans l'entreprise on est surveillé, on est puni.
04:11 Très provocant ce que vous dites.
04:13 Ce n'est pas moi qui suis, c'est Foucault.
04:15 D'autant plus provoquant quand on parle de Foucault
04:17 que Foucault nous revient en France des Etats-Unis via le wokisme.
04:22 Mais c'est un autre Foucault dont nous parlons aujourd'hui.
04:27 Un Foucault qui nous permet d'envisager une entreprise plus libérée.
04:31 Oui, c'est un autre Foucault et en même temps j'ai envie de dire
04:34 qu'il est détourné aux Etats-Unis par le courant wok Foucault.
04:38 Foucault n'a jamais dit que nous pouvions vivre dans une société
04:41 qui serait débarrassée des questions de pouvoir.
04:43 Au contraire, il a dit exactement l'inverse dans le tome 4 des 10 écrits.
04:47 Pour lui il y a toujours du pouvoir, il y a toujours des relations de pouvoir.
04:49 Ce qu'il faut c'est qu'il y ait le moins possible de relations de domination.
04:52 Ça c'est à méditer peut-être par le courant wok.
04:54 Là où Foucault est très intéressant, c'est finalement dans le troisième Foucault,
04:59 celui de l'histoire de la sexualité, celui du souci de soi.
05:02 Foucault va nous dire qu'en nous proposant de devenir toujours plus autonome,
05:06 en nous proposant de prendre en charge nous-mêmes
05:09 tous les aspects de notre vie personnelle, voire professionnelle,
05:13 on est appelé à devenir entrepreneur de nous-mêmes.
05:16 Et donc finalement on est de plus en plus discipliné.
05:19 Parce que si j'échoue, ce sera de ma faute.
05:21 Si j'échoue, c'est parce que je n'aurais pas été suffisamment bon.
05:24 Quelle meilleure manière de me discipliner ?
05:26 Donc c'est une stratégie d'émancipation, de libéralisation, d'autonomie même ?
05:31 Chez Foucault, il y a cette volonté en rendant ceci visible.
05:35 Foucault travaille beaucoup sur le visible et l'invisible.
05:38 En rendant cette dynamique visible, il nous en libère quelque part.
05:41 Quand on me dit « sois entrepreneur de toi-même »,
05:44 je me dis « mais quel sale coup on est en train de me faire là ? »
05:46 Plutôt que de foncer tête baissée en me disant
05:48 « oui, je vais être le super entrepreneur de demain ».
05:50 L'entreprise n'est certes pas une prison,
05:53 mais le paradigme de la prison peut nous être utile
05:57 pour comprendre le discours, le système d'enfermement.
06:01 Merci, M. Philippe Denis.
06:03 Merci à vous, Laurent Phibis.
06:05 [Musique]

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