Marie Portolano reçoit Anthony Martins-Misse, chef d'entreprise et athlète judoka paralympique non voyant. Il revient sur l'agression qu'il a subi de la part d'un chauffeur VTC qui ne souhaitait pas le prendre à bord avec son chien guide. L'occasion d'évoquer les difficultés du quotidien rencontrées par les personnes en situation de handicap.
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00:00 -Bonjour, Anthony Martin-Smith.
00:01 Merci d'être avec nous.
00:03 Thomas le disait, vous êtes chef d'entreprise, entrepreneur.
00:06 Vous êtes un athlète judoka paralympique.
00:08 Vous êtes non-voyant.
00:10 Il y a quelques mois, on a entendu parler de vous à cause de ça.
00:13 -60 000 euros !
00:15 Remets-le, s'il te plaît !
00:16 Non, monsieur ! Arrête !
00:18 Descends ! Descends !
00:20 C'est malchiste !
00:21 C'est quoi, le délicat ?
00:23 Tu veux me battre ?
00:24 Tu veux pas les chiens de l'abattir ?
00:26 -Un chauffeur VTC qui refuse de vous prendre en charge
00:29 et qui vous agresse car vous êtes accompagné,
00:32 de Népia, votre chien guide.
00:33 Pouvez-vous nous raconter ce qui s'est passé ?
00:35 -J'emmenais ma fille à l'école,
00:36 et lorsque le chauffeur VTC que j'avais commandé
00:39 sur une plateforme qui était Uber a vu le chien,
00:43 il a prétexté tout un tas d'excuses pour ne pas le prendre.
00:46 Finalement, il a voulu obtempérer parce que des passants s'en mêlaient.
00:50 Et dans un moment d'incompréhension, je crois qu'on est OK,
00:55 que ça y est, on va pouvoir partir, je fais monter le chien,
00:58 il me saute dessus, ma grippe, me met un coup au niveau des côtes,
01:01 qui m'aura valu derrière une fracture, et un épanchement pleural.
01:05 Et ensuite, s'en prend au chien pour le faire sortir,
01:08 et tout ça sous les yeux de ma fille de 4 ans.
01:11 -Evidemment, outre la violence,
01:12 est-ce que ça ressemble à ça, pour vous, le quotidien ?
01:14 Cette difficulté d'utiliser les transports ?
01:18 -Je vous dirais que depuis cet épisode,
01:20 les choses vont quand même un peu mieux pour moi.
01:23 Maintenant, pour les autres, je ne sais pas.
01:25 -Pourquoi ça va mieux pour vous ?
01:27 -Parce que la médiatisation a fait que ce sujet a été pris à bras-le-corps
01:30 par le gouvernement, par Uber,
01:33 le sujet a été entendu par les chauffeurs,
01:38 s'ils ne l'ont pas vu, ils en ont forcément entendu parler,
01:40 donc il y a quand même une vigilance bien plus accrue,
01:43 maintenant ils savent qu'à tout moment, ils peuvent se faire filmer,
01:46 c'est notre arme de défense, puisque la police, malheureusement,
01:49 n'applique pas la loi, ne verbalise pas,
01:52 et c'est pour moi, en tout cas, une problématique très sérieuse
01:57 et endémique, malheureusement, à notre pays.
01:59 -Parce que justement, vous disiez, vous n'êtes pas le seul,
02:01 en 2022, 167 personnes accompagnées de leurs chiens guides
02:04 se sont vues refuser l'accès à des lieux publics,
02:07 qu'est-ce qu'il faut faire, selon vous, concrètement ?
02:08 -Pas que les chiens guides, les chiens d'assistance aussi,
02:10 mais aussi les personnes qui sont avec un fauteuil roulant,
02:12 et moi, ces gens-là, je ne veux pas qu'on les oublie,
02:15 puisque pas plus tard que la semaine dernière,
02:17 des chiens d'assistance ont été refusés dans un fast-food
02:20 ou un factorien, pour ne pas les nommer,
02:22 il y a eu cette jeune femme dans un intermarché
02:24 à qui on a aussi refusé son chien d'assistance,
02:26 malgré la présentation des papiers qui attestent de la qualité de son chien,
02:31 et à chaque fois, la police, on les appelle,
02:33 soit ils nous disent "on ne peut pas intervenir",
02:35 ou quand ils viennent, "prenez un autre taxi,
02:37 ou allez faire vos courses ailleurs".
02:39 Jusqu'à quand on va continuer de fermer les yeux
02:41 sur ce qui se passe dans notre pays ?
02:42 -Parce qu'il n'y a pas de condamnation.
02:44 -Non, il n'y a pas de condamnation.
02:45 -Votre chauffeur VTC n'a pas été condamné, il s'est excusé.
02:48 -Il s'est juste excusé.
02:49 -Il s'est excusé, mais est-ce que c'est suffisant ?
02:50 Est-ce que ça répare les préjudices que j'ai connus ?
02:52 Est-ce que ça répare le préjudice que toute la déficience visuelle connaît chaque jour ?
02:57 Je ne crois pas.
02:58 -À quoi ça ressemble, votre quotidien, vous ?
03:01 -Moi, ça ressemble, je dirais,
03:04 entre l'appréhension de prendre un véhicule avec chauffeur
03:08 et la crainte de me faire refuser,
03:10 ça ressemble sinon à un combat
03:13 où je m'efforce de courber les chines, baisser la tête
03:17 et puis faire en sorte de faire le dos rond en disant "ça va peut-être passer".
03:21 -Alors, dans l'actualité, quand même,
03:22 on est à quelques 200 jours du lancement des Jeux olympiques à Paris,
03:26 l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap,
03:28 vous l'avez dit, est très, très limitée.
03:30 Aller au cinéma, prendre le métro, aller au restaurant,
03:33 c'est quoi, être handicapé en France aujourd'hui ?
03:36 -Je crois que vous venez de le résumer.
03:38 Chaque chose est une épreuve.
03:40 Vous voulez aller au cinéma, les salles ne sont pas toutes accessibles,
03:43 les salles ne sont pas toutes équipées de dispositifs d'audiodescription.
03:46 Moi, c'est un sujet d'ailleurs qui me préoccupe beaucoup
03:48 par rapport aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
03:51 Aller au restaurant, là aussi,
03:53 vous prenez le risque que le restaurant ne soit pas accessible.
03:56 Alors, je salue néanmoins les efforts que veut faire le politique
04:00 en ouvrant des enveloppes, là, très récemment,
04:02 de 300 millions pour équiper les lieux publics,
04:04 et en tout cas pour accompagner le privé à se rendre accessible,
04:08 ou alors, comme vous le disiez, le métro.
04:10 Il y a 13 stations de métro aujourd'hui qui sont sur la ligne 14.
04:13 -Il n'y a que 9 % des stations qui sont accessibles.
04:15 -Ou 40 % des métros qui ne sont toujours pas vocalisés.
04:18 -Alors, comment vous expliquez ça ?
04:20 Parce qu'aujourd'hui, il y a 12 millions de personnes
04:22 en situation de handicap en France,
04:23 ça fait quand même 18 % de la population.
04:25 Comment on explique que l'accessibilité soit encore un problème ?
04:29 -Je vous dirais qu'il y a le gouvernement,
04:31 il y a le politique, il y a les législateurs,
04:33 et de l'autre côté, il y a la société, il y a l'État,
04:35 il y a chaque individu dans l'État, les agents, la police,
04:39 comme tout à l'heure on le disait,
04:40 qui ne fait pas l'application stricte de la loi.
04:43 Là, là-dessus, je vous dirais qu'il y a une considération générale.
04:46 Est-ce que ce n'est cela pas, pour moi, en tout cas,
04:49 ça l'est, une forme de racisme, j'ai l'impression,
04:51 et je vous le dis avec tristesse, que j'appartiens à une race,
04:53 les handicapés, et que nous sommes des sous-citoyens,
04:57 avec des devoirs, certes,
04:58 parce que je dois payer mes impôts comme les autres,
05:00 d'ailleurs, le site des impôts n'est pas accessible
05:01 pour déclarer mes impôts.
05:03 -Comment vous faites, alors ?
05:05 Vous avez une assistante ?
05:06 -Je suis obligé de me faire assister.
05:07 Si vous voulez avoir un minimum de confidentialité,
05:09 de dignité dans votre vie, vous ne pouvez pas.
05:11 Donc, j'ai des devoirs,
05:13 moi, je voudrais juste rappeler qu'on a des droits.
05:15 Je ne suis pas un sous-citoyen.
05:17 -Alors, est-ce que vous avez...
05:20 Vous êtes non-voyant depuis que vous avez 7 ans,
05:22 vous avez développé des astuces
05:24 pour faciliter votre quotidien, vous, personnellement ?
05:26 -Oui, ce qu'on appelle les méthodes de contournement,
05:28 on en a tous, notamment le numérique.
05:30 Avant de rentrer sur ce plateau,
05:31 je me suis amusé avec quelqu'un de votre équipe
05:33 à prendre une photo de votre plateau,
05:35 et grâce à l'intelligence artificielle,
05:36 notamment avec GPT, qu'on connaît depuis un an,
05:39 qui bouleverse un petit peu nos usages,
05:41 eh bien, on arrive à avoir des descriptions assez exhaustives.
05:44 Je vais vous faire écouter.
05:45 -Alors, on voit la photo que vous avez prise,
05:47 et on va écouter le débit. -Ecoutez ce que ça donne.
05:50 -La photo montre l'intérieur d'un studio de télévision.
05:53 En haut de l'image, on peut voir un plafond
05:55 rempli de projecteurs et d'équipements d'éclairage.
05:58 Au centre de l'image, il y a un plateau de télévision
06:01 avec un grand bureau en forme de "U".
06:03 Derrière le bureau, il y a un grand écran
06:05 affichant une image de bâtiment la nuit.
06:07 Il y a trois personnes sur le plateau,
06:09 deux sont assises à la table et une est debout.
06:11 Il y a aussi plusieurs caméras autour du plateau,
06:14 dont une au premier plan à gauche de l'image.
06:16 -Et alors, vous voyez visuellement avec cette audio-description ?
06:22 -Ça m'aide à comprendre que vous étiez sur le plateau,
06:26 de comprendre globalement l'environnement qui m'entoure.
06:29 L'intelligence artificielle, comme la réalité augmentée,
06:31 permet de se positionner aussi,
06:33 de se faire guider à une destination, en tout cas,
06:35 ce sont des choses qui nous aident.
06:36 Voyez cette synthèse vocale qui est embarquée
06:38 sur tous les smartphones aujourd'hui,
06:39 qu'ils soient de chez Apple ou chez Google,
06:42 nous permettent d'utiliser dès la sortie de la boîte son téléphone,
06:46 mais qu'on soit déficient visuel ou qu'on soit même
06:48 avec une motricité ou une audition réduite.
06:51 -Donc le numérique peut vous aider dans le futur
06:54 à améliorer votre quotidien ?
06:55 -Oui, et pas toujours, parce que la considération
06:57 du sujet de l'accessibilité n'est pas traitée de façon transversale
07:01 et dès l'origine d'un projet.
07:03 Un frein dans l'emploi, c'est l'accessibilité des outils métiers.
07:07 Vous avez aussi, là, ça pullule de partout,
07:12 les terminaux de paiement avec écran tactile,
07:14 où on est obligé, nous, de confier notre code pour pouvoir payer.
07:17 Et lorsque vous avez des transactions frauduleuses,
07:20 ça m'est arrivé, à votre banque, dans ces cas-là,
07:22 vous dites "Vous avez donné votre code PIN, vous n'êtes plus couvert".
07:24 -En fait, concrètement, vous n'êtes vraiment jamais autonome.
07:27 Alors, le gouvernement a annoncé qu'il allait débloquer
07:29 un milliard et demi d'euros au renforcement de l'accessibilité
07:32 aux lieux publics.
07:32 On espère que les choses vont être faites avant les Jeux olympiques
07:36 et même avant.
07:37 Merci beaucoup, Anthony Martinuis, d'être venu nous parler
07:40 de l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap.
07:43 Merci à Népia aussi, qui a été très très sage
07:45 pendant cette interview.
07:47 Merci beaucoup.
07:48 -Merci beaucoup.
07:49 -Je vous écoutais parler, monsieur, et je me disais,
07:51 si on vous proposait d'être ministre, pas sous secrétaire d'État,
07:54 mais ministre de ces questions-là, est-ce que vous iriez ?
07:57 -Je sais pas, parce que c'est beaucoup de risques
07:59 que vous prenez quand vous êtes ministre.
08:02 Moi, je pense que mon travail au quotidien dans la société,
08:05 je vous le disais tout à l'heure,
08:06 c'est pas le gouvernement qui est seul en responsable, ni le politique.
08:08 La société a ses responsabilités.
08:10 Au mois de mars, le 12, on organise à la Maison de la radio
08:14 un grand débat avec le gouvernement, les acteurs économiques.
08:17 Ça, c'est ma contribution pour mon pays.
08:19 -Merci beaucoup à vous d'être venu.