• l’année dernière
Lola, Thomas, ... Autant de prénoms instrumentalisés par l'extrême droite ces dernières semaines. Dans ce nouvel épisode, Cyprien Caddeo décrypte pourquoi la droite identitaire raffole des faits divers, à haute charge émotionnelle, pour peu qu'ils collent à son récit de guerre des civilisations, qu'elle espère bien précipiter.

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Transcription
00:00 Et bien aux Etats-Unis, ils avaient le type chelou, avec une tête de bison là.
00:03 Et bien nous, on a un néo-nazi qui s'appelle Gros Lardon.
00:06 Ouais, il y a clairement un gros problème de style à l'extrême droite.
00:09 Enfin, si c'était ça le problème, allez...
00:12 Bienvenue dans la Tête dans le Flux.
00:24 Aujourd'hui, on va revenir sur ce qui s'est passé à Romain Surizer,
00:27 mais aussi à Rennes, et surtout on va se demander pourquoi l'extrême droite adore les faits divers.
00:32 Enfin, ceux qui l'arrangent du moins.
00:33 Dans la nuit du 25 au 26 novembre dernier, environ 80 militants d'ultra-droite
00:37 se sont donc donné rendez-vous à l'entrée du quartier populaire de la Monnaie,
00:41 à Romain Surizer, dans la Drôme, dans l'optique de faire une ratonnade.
00:45 Le tout à l'initiative d'un ancien militaire de Rouen,
00:48 fan d'Hitler et surnommé Gros Lardon.
00:51 Et non, ce n'est pas une blague.
00:53 Bon, en vrai, l'opération Lardon a fini en eau de boudin,
00:56 puisque entre les CRS et les jeunes de cité eux-mêmes,
00:59 les fafs n'ont pas fait long feu.
01:01 Mais ce qui nous intéresse, c'était leur objectif.
01:03 Une expédition punitive pour venger, selon eux, le jeune Thomas,
01:06 tué dans la Drôme une semaine plus tôt,
01:08 par plusieurs individus a priori originaire de Romain.
01:11 Tout part donc d'un fait divers, et c'est très important.
01:14 Deux jours plus tôt, l'Irlande avait connu une situation quasi identique,
01:17 des émeutes menées par l'extrême droite à Dublin,
01:19 après une attaque au couteau à la sortie d'une école.
01:22 Mais ce n'est pas tout.
01:23 Regardez ce sujet de France 24, à propos de l'extrême droite allemande cette fois,
01:27 ça date de 2019.
01:28 "Une femme, une main sur la bouche avec ce texte.
01:31 Chaque jour en Allemagne, 43 actes de violences sexuelles sont commis par des réfugiés.
01:36 Voici l'un des tracts de campagne de l'AFD,
01:38 le parti d'extrême droite allemand, pour les élections européennes.
01:42 À quelques semaines du scrutin, le message du parti est clair,
01:45 les migrants sont statistiquement des criminels,
01:47 et surtout, une menace pour l'Allemagne."
01:49 Partout en Europe, l'extrême droite se régale de faits divers.
01:52 Pas tous, bien sûr.
01:53 Si une femme se fait tuer par son mari dans l'intimité de leur couple,
01:56 ils en ont rien à carrer.
01:58 Il faut que le suspect soit étranger, ou que son nom sonne comme tel, évidemment.
02:02 Et à chaque fois, on a le même schéma.
02:04 Un fait divers tragique, à haute charge émotionnelle,
02:07 à fortiori quand ça touche à des enfants ou à des adolescents.
02:10 Et dans ces situations, on baisse tous un peu la garde intellectuelle.
02:13 On cherche des coupables, des boucs émissaires.
02:15 Et ça tombe bien, des boucs émissaires, l'extrême droite en a plein ses tiroirs.
02:19 Les Arabes, les Noirs, les Juifs, les Wouks, les femmes, les profs d'université,
02:23 faites votre choix, c'est Black Friday.
02:25 La récupération politique est alors facile pour l'extrême droite.
02:28 Elle est désormais même quasi instantanée.
02:30 Écoutez par exemple Jordan Bardella, président du Rassemblement National,
02:33 à propos de Thomas.
02:35 "Il s'appelait Thomas et vivait dans la Drôme.
02:37 Il avait 16 ans et aimait le rugby.
02:39 Il aurait pu être votre ami, votre frère, votre enfant.
02:43 Comme tant d'autres, avant lui, ce drame insupportable nous attriste et nous révolte.
02:47 À chaque fois, la même barbarie, les mêmes individus,
02:50 les mêmes indignations, les mêmes faits, et après quoi, rien."
02:55 Peu importe que le parquet appelle à la prudence quant aux raisons de cet homicide.
02:58 Pour l'extrême droite, l'affaire est entendue,
03:01 c'est l'œuvre de jeunes maghrébins qui ont voulu se faire la peau d'un bon petit français.
03:05 L'objectif ici, c'est de pouvoir généraliser.
03:07 Si un français issu de l'immigration tue,
03:10 c'est que tous les français issus de l'immigration veulent tuer.
03:12 Alors évidemment c'est absurde, mais chaque fait divers doit venir confirmer
03:15 la thèse générale d'une cinquième colonne anti-France, les étrangers.
03:19 C'était tout l'objet de l'invention du mot "francocide" par Éric Zemmour,
03:23 dont on vous parlait déjà dans la première chronique de La Tête dans le Flu,
03:25 pour ceux qui nous suivent depuis le début, l'année dernière.
03:28 Un mot que le président de Reconquête avait pu tester
03:30 au moment d'un autre fait divers tragique, l'affaire Lola.
03:33 Éric Zemmour assumait alors que le meurtre sordide de la fillette
03:36 ne l'intéressait que parce que la principale suspecte était algérienne.
03:40 "La suspecte est une femme algérienne.
03:43 Est-ce que vous auriez fait la même manifestation
03:46 si la suspecte avait été une femme française ?
03:48 C'est une question que se pose beaucoup de français."
03:50 "Non."
03:51 "Pourquoi ?"
03:52 "Parce que tout simplement, cette femme algérienne est une étrangère,
03:55 qu'elle ne devait pas être en France,
03:57 et qu'un crime commis contre un enfant français
04:00 n'est pas de la même eau qu'un crime commis par les français."
04:04 Mais il n'était pas le seul à l'époque à instrumentaliser l'affaire.
04:07 Il y avait aussi le RN, bien sûr, mais aussi, et c'est bien plus inquiétant,
04:11 les Républicains.
04:13 "Par le laxisme de votre politique d'immigration,
04:16 cet enfant a été martyrisé, violé, tué par une clandestine
04:22 qui faisait pourtant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français."
04:26 Et quand on voit comment réagit Éric Ciotti, président de ELR,
04:29 à ce qui s'est passé à Romain Suéryzer,
04:31 on se dit que les choses ne s'arrangent pas.
04:33 "Je vous le redis, mais vous voulez me faire dire autre chose ?
04:35 Je ne vous le dirai pas, je ne vous le dirai pas,
04:38 vous êtes dans le commentaire, et je vois bien aujourd'hui
04:41 qu'il y a une dérive médiatique qui voudrait accorder à des faits
04:45 qui sont en réaction à Crépol, une importance plus importante que Crépol.
04:49 Vous ne me ferez pas dire ça."
04:51 Bon, tout ça, c'est de la récupération institutionnelle.
04:54 Ça entretient le climat général, disons.
04:56 Là, on parle de passage à l'acte, par des groupuscules violents,
04:58 et pour certains, néo-nazis.
05:00 Et pour bien comprendre de quoi il en retourne,
05:02 il faut s'intéresser à une thèse bien précise,
05:05 à laquelle il souscrive, l'accélérationnisme.
05:07 "La guerre civile, mon cher, elle est déjà là.
05:10 Quand on va dans le Bataclan,
05:13 et qu'on massacre plus de 100 personnes à la Kalachnikov,
05:16 ça s'appelle la guerre civile."
05:18 En gros, comme Zemmour, là,
05:19 ils sont persuadés qu'une guerre civile raciale guette.
05:21 Et donc pas qu'ils la redoutent, non non.
05:23 Au contraire, ils ont super hâte que ça arrive.
05:25 Selon eux, il faut la précipiter avec tous les moyens possibles,
05:28 puisque si on attend trop, avec le grand remplacement,
05:31 autre thèse conspirationniste,
05:33 les blancs seront bientôt en infériorité numérique.
05:36 Donc il faut être à l'initiative, la déclencher soi-même.
05:38 Au moment de l'affaire Nael, cet été,
05:40 ces militants suprémacistes avaient déjà cru que l'heure était venue.
05:44 "La France est française ! Le camp roule ! La France est française ! Le camp roule !"
05:50 "Enlèvez-vous ! Enlèvez-vous ! Enlèvez-vous ! Enlèvez-vous ! Enlèvez-vous ! Enlèvez-vous !"
06:00 "Allez, dépêchez, dépêchez !"
06:04 "Non, on peut marcher, on peut marcher, on peut marcher !"
06:06 Chaque fait divers, pour peu qu'il corresponde à leur lecture strictement raciale des événements,
06:11 et dans leur tête, l'étincelle qui peut déclencher cette guerre qu'ils fantasment.
06:14 Voilà ! Sur cette bonne ambiance, c'est la fin de cet épisode.
06:17 Merci de l'avoir suivi. N'hésitez pas à liker, commenter,
06:20 vous abonner à la chaîne et à l'Huma.
06:22 Nous, on se dit à dans deux semaines pour un prochain épisode.
06:24 Allez, salut !
06:26 [Musique]

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