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Se donner du courage, soutenir son équipe ou impressionner l'adversaire, l'histoire du football regorge d'hymnes et de chansons qui ont porté les plus belles victoires. Aujourd'hui, nous recevons un réalisateur sonore et fan de foot qui analyse les chants des supporters.

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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😹
Amusant
Transcription
00:00 La question de Maya aujourd'hui c'est "faut-il chanter pour se souder ?"
00:03 Alors Marine et moi évidemment on a une opinion mais elle vaut pas vraiment le coup qu'on vous la donne.
00:07 Maya Cantel, notre non-experte du blind test, elle a des opinions très tranchées.
00:12 C'est l'heure de la question de Maya Masorette.
00:14 [Musique]
00:18 [Chant]
00:24 [Chant]
00:29 [Chant]
00:38 [Chant]
00:48 Faut-il chanter pour se souder ?
00:50 Alors sachant que moi vraiment je chante comme une casserole, je vous épargne la pratique et je reste à la théorie, la pure, la scientifique.
00:56 Oui, chanter soude, plus précisément chanter en chœur active.
01:00 Le circuit de récompense diminue, le stress améliore, l'oxygénation du corps, c'est bon pour l'esprit, c'est excellent pour la mémoire.
01:06 C'est pas un hasard si depuis toujours le chant est utilisé à la fois comme thérapie et comme manière de mobiliser un collectif.
01:12 De fait, chanter ensemble c'est prendre un capital culturel commun, la chanson, pour créer une expérience physique commune, le chant.
01:18 Une expérience d'autant plus impliquante qu'elle induit une forme de dissolution du soi.
01:22 Au sein du chœur, notre petite émotion individuelle devient une vibration qui se fond dans celle des autres.
01:27 On dirait que je parle d'une orgie dans un parking, mais pas du tout, c'est de la musique que je parle.
01:31 D'ailleurs, cette dissolution de l'individu dans le groupe est utilisée par les États comme par les armées.
01:36 Chanter ensemble, c'est un pilier fondamental de ce que les militaires appellent l'esprit de corps.
01:40 Il y a même quelque chose d'un peu perturbant dans cette histoire.
01:43 Comment se fait-il qu'en partageant un truc aussi impalpable qu'une onde sonore, on crée des liens tellement solides
01:47 qui peuvent littéralement servir de bouclier à une nation ? La Marseillaise nous le rappelle quasi textuellement.
01:52 Chanter ensemble, c'est potentiellement chanter à la vie, à la mort.
01:56 Pour dire autrement, chanter soude, et de temps en temps, chanter dessoude, au risque que tout ça se termine par une autre expérience collective, la minute de silence.
02:04 Et puisqu'on parle de liens puissants, de liens qui nous dépassent, il reste à aborder la question la plus compliquée.
02:08 Qu'est-ce qu'on chante ? Parce que pour faire groupe, il faut une mélodie consensuelle.
02:12 Sauf qu'aujourd'hui, ce n'est même plus chaque génération qui écoute une musique différente, c'est chaque personne individuellement,
02:17 avec ses petits écouteurs, même au karaoké, il y a de plus en plus de cabines individuelles.
02:21 Et pourtant, de la fête nationale au café du coin, il y a encore des chansons qui soudent, les lacs du Conémara, l'Aventurier, la Kiffence.
02:28 Aucune archipélisation de la musique, aucune menace de tapage nocturne,
02:31 ne semble pouvoir entamer notre envie de chanter tous ensemble et d'être des aventuriers contre tous guerriers.
02:36 Quand on n'a pas l'esprit de corps, il reste toujours l'esprit du cœur.
02:39 Et Maïa, pour chanter avec toi ce soir, tu reçois Noé Béal.
02:42 Bonjour Noé Béal. J'espère qu'on ne va pas chanter ensemble, peut-être vous, mais pas moi.
02:47 Vous êtes réalisateur de documentaires sonores dans la région de Bruxelles, grand supporter de la Sainte-Étienne,
02:52 et vous êtes l'auteur d'un article sur les chants de supporters dans le dernier numéro de la revue Audimat, parue en novembre.
02:58 C'est quoi l'origine des chansons de supporters ?
03:01 Je pense qu'elle a deux fondements.
03:03 Un premier qui pourrait être celui qui s'apparente au hooliganisme, qui est plutôt une culture anglaise.
03:09 Et en France, on est plutôt issus de la culture ultra, qui est une culture qui est issue de l'Italie.
03:16 Et qui prend racine en 1980, je dirais.
03:20 Donc historiquement, c'est ça en tout cas.
03:23 J'ai appris dans votre article que ce n'est pas seulement des chansons, c'est aussi du clapping, du clappage de mains.
03:27 Exactement. On associe souvent l'animation en tribune, au chant, mais en fait, ça peut être tout.
03:31 Ça peut être le clapping, ça peut être des tifos aussi, donc les grandes bâches qui sont dépliées pour passer des messages,
03:36 ou alors simplement des banderoles, des fumigènes.
03:39 C'est un spectacle total, c'est un spectacle aussi pyrotechnique,
03:42 qui est interdit, qui est souvent par la ligue, mais qui peut être effectivement global.
03:48 Est-ce que chanter pour soutenir une équipe, ça marche ?
03:51 Oui, ça marche. On parle souvent de douzième homme.
03:56 Donc oui, on peut pousser l'équipe pour performer.
04:03 Mais est-ce que ça marche ? Pas tout le temps, malheureusement.
04:06 Ah oui, sinon ça serait pratique.
04:08 Est-ce que ça peut aussi avoir un effet pour intimider l'adversaire ou pour intimider d'ailleurs les autres supporters ?
04:13 C'est vrai que c'est rigolo, mais on associe souvent l'opposition entre les 22 joueurs, 11 contre 11,
04:19 mais on peut aussi penser cette opposition comme deux copes adverses.
04:22 Un cope, c'est une tribune.
04:24 On peut se dire que ce serait une opposition entre les supporters à domicile et les supporters à l'extérieur.
04:29 On pourrait se dire ça aussi.
04:31 Ou parfois contre un seul homme, parce que dans le documentaire sur David Beckham,
04:34 qu'on a vu, ça nous avait vraiment marqué.
04:36 D'un coup, il y avait toutes les tribunes qui se liguaient contre David Beckham.
04:39 C'était très impressionnant.
04:41 Et d'un autre côté, derrière, il y a eu des chants pour David Beckham
04:43 qui l'ont accompagné au moment de sa remontada.
04:45 Voilà, c'est tout.
04:47 On vous laisse continuer cette interview avec Maya.
04:49 Moi, j'avais l'impression que les chants des supporters, c'était quelque chose qui se passait uniquement pendant les matchs.
04:53 Mais en fait, en lisant votre article, j'ai réalisé que c'était aussi la culture populaire beaucoup plus générale que ça.
04:57 Vous pouvez nous donner quelques exemples de chants que tout le monde connaît ?
05:00 Oui, de manière un peu historique, on peut citer assez rapidement Pierre Bachelet, les corons à Lens.
05:06 On peut citer Hugo Fray avec ICO à Marseille.
05:12 C'était des chants de supporters à la base ?
05:14 Ce n'est pas des chants de supporters, ça a été des reprises.
05:16 Alors effectivement, c'est un chant, je dirais, que les corons non plus.
05:19 Ce n'est pas un original. Il y a des reprises et des chants originaux, je dirais.
05:22 Mais aujourd'hui, pour avoir des exemples plus contemporains, qui parleront peut-être à plus de monde,
05:27 aujourd'hui à Caen, on réinterprète Orelsan.
05:30 À Toulouse, on chante James.
05:32 Donc à travers l'histoire, à travers le temps, je dirais que les références changent aussi.
05:36 Et en fait, la culture de la musique, elle intègre les stades et ensuite, ça redéborde des stades sur, par exemple, les Gilets jaunes.
05:42 Oui, alors ça c'est un truc qui est assez intéressant.
05:44 Au début des années 2010, je dirais 2012, les Tigers, qui est un groupe de supporters l'an soie,
05:49 chantent le fameux "On est là, on est là".
05:52 Même si vous ne le méritez pas, nous on est là.
05:55 Ce qui sera un chant qui sera après, que les Gilets jaunes vont se réapproprier.
06:01 Sur les ronds-points, en chantant "On est là, on est là", même si Macron ne le veut pas, nous on est là.
06:06 Je ne vais pas vous le chanter, le reste du couplet, je ne le connais pas par cœur.
06:10 Mais voilà, en fait, il y a une porosité entre le supporterisme et le militantisme.
06:16 Et ça depuis des années.
06:17 Pour les gens comme moi qui n'ont pas l'expérience, qu'est-ce qu'on ressent quand on chante avec des milliers de personnes ?
06:22 Alors, je crois que c'est... Oui, il y a quelque chose de l'ordre de...
06:26 On se sent stimulé, il y a une symbiose, il y a un amour aussi commun, un amour partagé.
06:30 Quelque chose un peu qui est de l'ordre de la pudeur,
06:33 d'avoir l'impression de quand on jette sa télécommande contre la télé parce que son équipe n'assure pas.
06:40 Oui, je pense qu'il y a ce côté "On est ensemble". Dans la défaite comme dans la victoire, on est ensemble.
06:45 Il y a une chose un petit peu plus négative dont on parle parfois dans l'actualité,
06:48 c'est les dérives racistes, sexistes et homophobes aussi dans ces chants.
06:52 Oui, je crois que oui, moi je les condamne à 100%.
06:55 Je pense qu'ils sont intégrés dans un système plus global aussi.
06:58 Ce qui serait intéressant de se questionner, c'est dans quelle mesure les institutions aussi travaillent pour plus d'inclusivité.
07:04 Pour exemple, en 2009, la Fédération française de football demandait aux footballeuses de poser nu pour la campagne du football féminin.
07:12 Sérieux ?
07:13 En 2011, ils ont fait aussi une campagne pour les jeunes filles en l'appelant "les petites princesses du foot".
07:19 Je vous passe aussi les formules journalistiques, des crampons au talon ou des choses comme ça.
07:23 Aujourd'hui, je pense qu'on peut incriminer les spectateurs, les spectatrices, les ultras pour des faits racistes, pour des faits homophobes.
07:30 Effectivement, mais je pense qu'on peut aussi se questionner sur l'impact aussi de politiciens, politiciennes, d'éditorialistes
07:37 qui promettent aussi et qui nourrissent ces discours racistes, xénophobes sur des chaînes aussi de plus grande audience.
07:44 Je pense que c'est un tout, c'est systémique.
07:45 Donc je pense qu'on peut condamner effectivement les supporters, les supportrices pour les actes racistes et homophobes.
07:51 Mais je pense que ça s'interroge de manière un peu plus globale.
07:54 Ce que vous dites, ça me fait penser, Zahia Ziwani, à un article que j'ai lu de 2010 du Nouvelle Obs, d'une interview de vous
08:01 qui vous dit "ça ne vous gêne pas d'être une beurrette banlieusarde pour faire ce métier ?"
08:05 Et qui dit qu'en 2023, cette question n'existerait pas.
08:08 Beurrette banlieusarde.
08:09 Non, c'est vrai.
08:10 Et puis en fait, c'est marrant parce que ce matin, j'intervenais dans un lycée à Pantin, celui dans lequel j'ai étudié,
08:16 à la rencontre avec des jeunes, comme je le fais beaucoup, parce que j'adore partager ma passion de la musique et parler avec les jeunes.
08:24 Et il y a une jeune fille qui me posait la question en disant "est-ce que j'étais perçue différemment à l'étranger dans France ?"
08:30 Et en fait, moi, à l'étranger, quand on parle de moi, on me parle de moi en tant que grande chef d'orchestre,
08:35 avec des idées singulières et avec un bel engagement artistique, et pas justement d'où je viens, de quelles origines je suis.
08:44 Et c'est vrai qu'on a un peu cette fâcheuse tendance parfois en France, et je rejoins ce que Noé vient de dire,
08:49 à justement avoir un regard un peu particulier.
08:51 Et moi, pendant très longtemps, j'ai même refusé beaucoup d'interviews parce que ça portait uniquement dans ces termes-là,
08:57 d'ailleurs en plus sur ces sujets-là, et moi aujourd'hui, je suis une grande chef d'orchestre,
09:00 j'ai envie qu'on parle de musique et pas uniquement du fait qu'on parle dans ces termes-là de moi en tant que Burette.
09:06 Et même pendant les émeutes en 2005, on me posait la question de savoir si j'allais en répétition avec des gilets pare-balles.
09:13 À un moment donné, on est tellement déconnecté de la réalité que ça en devient insultant en fait.
09:18 Sur la qualité artistique, Noé Béal, est-ce que vous avez un chant de supporter à nous recommander pour écouter après l'émission ?
09:24 Peut-être pas un chant de supporter, mais un chant qui me parle beaucoup, de par mon papa qui s'appelle Saint-Étienne justement.
09:32 Il y a une phrase que je trouve particulièrement belle qui dit "on vient pas d'un pays mais on vient d'une ville".
09:36 Et moi, c'est une phrase qui me parle beaucoup, que je trouve très belle.
09:39 La chanson est très belle, elle est très poétique, elle est une instrumentation qui est très belle.
09:43 Et cette phrase me parle beaucoup, je la trouve assez forte, assez belle aujourd'hui.
09:47 Est-ce qu'on vient pas plus d'une ville que d'un pays ?
09:50 On laisse les auditeurs méditer à cette question. Merci beaucoup Noé Béal.
09:54 Je rappelle qu'on peut vous lire dans le dernier numéro de la revue Audimat, dont un best-of vient de paraître avec les meilleurs articles depuis 15 ans.
10:00 Pour les fans de musique de niche, ça s'appelle Audimat Maxi.

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