• l’année dernière
Le pouvoir de la danse pour des femmes dont la voix est empêchée, c'est un thème qui trouve un fort écho dans le spectacle Femmes persanes de Bartabas.
Nous recevons aujourd'hui une danseuse soufie, Sahar Dehghan, qui comme les dervish tourneur croit dans le mouvement circulaire.

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 * Extrait de « Les femmes font-elles tourner le monde » de Yannick Chabrier *
00:12 Les femmes font-elles tourner le monde ? Alors évidemment la réponse est oui et à plusieurs titres.
00:17 Déjà les femmes font tourner la baraque et la sphère domestique puisque selon l'UNICEF,
00:20 elles accomplissent 2,5 fois plus de travail gratuit que les hommes.
00:24 Ensuite avec un taux d'emploi de 47%, à l'échelle mondiale, les femmes font tourner l'économie
00:28 et pas n'importe quelle économie, en occupant la majorité des métiers liés aux soins.
00:32 Les femmes font en sorte que la planète tourne un peu plus rond.
00:35 Enfin, les femmes assurent le cycle de génération grâce à leur cycle menstruel.
00:39 Jusque dans leur corps, les femmes sont associées à la courbe,
00:41 quand ce n'est pas celle du ventre qui s'arrondit au cours de la grossesse,
00:44 c'est la courbe des seins ou des fesses, les courbes qui font se retourner sur leur passage.
00:48 Mais vous allez me dire, tourner en rond n'est-ce pas le signe d'une stagnation ?
00:51 Je laisse l'étymologie répondre à cette question.
00:54 Revenir à son point de départ, en latin, ça se dit revolveri qui donne le mot révolution.
00:58 Comme quoi tourner est une autre manière d'avancer.
01:01 Tourner, y compris sur soi-même, c'est révolutionnaire.
01:03 Et pour continuer ta révolution, Maya, tu reçois Sarah Degan.
01:07 Bonjour Sarah Degan.
01:08 Bonjour.
01:08 Vous faites partie du spectacle de Bar Tabas, 20 personnes, et vous êtes danseuse soufis.
01:12 C'est la danse des derviches tourneurs.
01:14 Une danse normalement réservée aux hommes, surtout en public.
01:17 Pourquoi est-ce que les femmes n'ont pas le droit de tourner ?
01:20 Ah bah si je pouvais vous répondre à ça, je me pose la même question depuis que je suis petite.
01:27 Je pense tout simplement parce que les hommes ont peur des femmes et de leur puissance.
01:32 Donc on essaie de les cacher, de les faire taire.
01:36 La danse déjà est interdite en Iran en général.
01:39 Mais alors une femme qui danse, attention, ça fait peur.
01:42 Donc je ne sais pas exactement la règle contre ça.
01:46 Je sais juste qu'on n'a pas le droit de danser et une femme n'a pas le droit de faire la danse des derviches.
01:52 Parce qu'à la base c'est une prière de méditation qui a été un peu, on va dire, imposée quand même par les Mevlevis.
01:59 Parce qu'à la base, Roumi, qui est notre poète, notre philosophe persan,
02:03 né à Balkh en Afghanistan aujourd'hui, puis il a quand même voyagé toute sa vie en Iran,
02:07 il a écrit en persan, il a récité des poèmes en persan.
02:11 En fait, Roumi, à la base, quand il a tourné, c'était de l'extase, c'était un lâcher-prix,
02:15 c'était par amour, il était inspiré par la nature, par l'amour de Shams.
02:23 Et donc il n'y avait pas d'homme ou de femme.
02:25 Son fils ensuite, le sultan Balad, qui a amené ça en Turquie et l'a développé en Turquie,
02:32 est retourné dans quelque chose un peu comme une secte, un peu comme des cultes,
02:38 des choses un peu fermées et un retour vers des choses exotériques.
02:42 Alors qu'en fait, c'est un rituel ésotérique.
02:46 - Et comment vous avez commencé, vous, ce rituel ? A vous l'approprier ?
02:49 - Alors moi, depuis que je suis petite, je tourne dans la famille.
02:54 Mon grand-père était musulman, mais très ouvert d'esprit, pratiquant,
02:59 mais je dirais plus soufie qu'autre chose, justement. Poète, philosophe...
03:03 - Le soufisme, ça vous embête de nous donner une petite définition ?
03:07 - Alors justement, c'est l'aspect ésotérique de l'islam, l'aspect mystique,
03:11 comme on a le Kabbalah dans le judaïsme, comme on a Saint Jean de la Croix dans le christianisme,
03:15 et le bhakti dans l'hindouisme. Le soufisme dans l'islam, c'est le côté mystique.
03:21 Après, il y a eu beaucoup de poètes et de philosophes de l'époque
03:26 qui étaient vraiment dans quelque chose de libérateur, de nouveau,
03:30 mais ne pouvaient pas, dans le contexte de l'islam, s'exprimer comme ils le voulaient.
03:35 Donc il fallait quand même rester dans un contexte, on va dire, avec des formes,
03:39 des mots qui pouvaient être acceptés. Mais moi, je pense que c'était des rebelles, vraiment.
03:44 Héroumi en particulier, parce que son amour pour Shams était vraiment sublime.
03:49 Et il a exprimé son amour à travers cette danse qui est un vrai lâcher-prise
03:54 au-delà des frontières, au-delà des couleurs et surtout au-delà des sexes, des genres.
03:58 - Et vous, vous exprimez quoi en dansant ? C'est la transgression quand même ?
04:02 - Oui, oui, oui, je dirais la transcendance même !
04:06 Alors après, je ne vais pas dire que je rentre dans un état de trans
04:11 quand je danse dans des scènes courtes sur scène, c'est autre chose.
04:15 C'est, on va dire, que j'ouvre une porte pour les gens, pour qu'ils puissent eux-mêmes
04:20 aller voir c'est quoi cette expérience. Et normalement, il faut prendre un petit peu plus de temps
04:25 pour entrer dans un état de trans. Mais un état de transcendance, ça c'est sûr,
04:29 justement au-delà des frontières, au-delà des mots.
04:32 Et même si je me sens très iranienne, moi quand je danse, c'est plus universel pour moi cette danse.
04:39 - Et vous dansez d'ailleurs deux fois. Une fois de manière traditionnelle, dans une robe blanche
04:43 et ensuite vous revenez sur scène un petit peu plus tard dans une robe rouge.
04:46 Et là, vous faites une version un peu punk peut-être ? C'est la même danse ? On peut dire ça ?
04:52 - Oui, alors après on peut avoir l'interprétation comme on veut
04:55 parce que je pense que Bartabas ne cherche pas forcément une histoire à raconter
05:00 que tout le monde doit comprendre. Chacun a son interprétation.
05:04 Moi en tout cas, dès la première danse, qui a l'air pourtant plus simple et plus minimaliste,
05:09 je me sens déjà moitié masculine, moitié féminine. Rien que dans le look que j'ai,
05:14 dans le costume, dans les cheveux et surtout dans mon ressenti
05:18 parce qu'en fait je fais une forme plus traditionnelle du dervish tourneur
05:23 où je ne bouge pas tellement les bras, je ne lâche pas les cheveux, je reste quand même un peu minimaliste.
05:28 Et il y a quelque chose d'un peu plus masculin je trouve dans ça, mais en même temps féminin.
05:33 Justement, je pense qu'on est tous moitié masculin, moitié féminin.
05:37 En Inde, on appelle ça le "Ardhanarishvara" et j'y crois vraiment très très fort.
05:42 Et du coup, je suis déjà là-dedans, mais c'est juste un début.
05:46 Et après cette deuxième danse, c'est surtout le cheval qui m'inspire.
05:50 - Alors il y a un cheval qui tourne autour de vous, mais en sens inverse de votre danse.
05:53 - Oui, et ce cheval pour moi, c'est la première scène dans le spectacle
05:57 où un cheval est entièrement nu, libre, sauvage même un peu, et même très.
06:02 Et je me reconnais dans ce cheval et en fait il m'inspire énormément
06:06 parce que lui aussi il a des conditions, on va dire, fermées.
06:11 C'est-à-dire, il a un espace fermé et il faut qu'il circule l'air.
06:15 Donc c'est un beau cercle, c'est une spirale, mais il y a quand même une limite.
06:21 Et il faut aller au-delà de cette limite dans cette spirale.
06:24 Et c'est ce que je ressens dans ma danse, c'est-à-dire que je suis sur un petit plateau,
06:27 il ne faut pas que je dévie, parce que des fois je danse même dans la nature,
06:29 mais j'ai le droit de dévier un peu.
06:31 Là je ne peux pas dévier, sinon je tombe dans l'eau.
06:33 Donc je suis limitée, mais justement je vais chercher à l'intérieur une spirale comme le cheval
06:38 pour quand même me sentir rebelle et sauvage et aller à fond, à toute vitesse,
06:42 et me faire plaisir, et justement transcender les limites, les frontières,
06:47 au-delà de masculin, féminin, au-delà de iranienne ou française ou africaine ou chinoise,
06:51 au-delà de homme ou femme.
06:53 Et donc je me permets aussi, justement, cette danse de spirale
06:57 amène à ce qu'on aille vers quelque chose d'inconscient.
07:00 Alors normalement ça prend plus de temps, mais justement je fais un exercice avant
07:03 pour vraiment faire un lâcher-prise.
07:04 Et donc ce qui m'intéresse dans cette spirale depuis toujours,
07:07 même dans d'autres formes de danse contemporaines que je fais,
07:10 c'est qu'en fait on peut avoir des mouvements qui viennent d'un coup,
07:14 un peu comme dans un rêve, dans l'inconscient,
07:17 qu'on ne contrôle pas forcément.
07:18 C'est sur le moment, on a envie de faire quelque chose.
07:20 Et moi c'est les musiciennes qui m'ont inspirée, leurs histoires.
07:23 Ce sont des iraniennes, c'est un peu mes sœurs.
07:26 Elles m'ont raconté des histoires personnelles qui m'ont vraiment touchée
07:29 de ce qui leur est arrivé en Iran.
07:31 Et moi ça m'a vraiment inspirée pour ma danse.
07:33 Donc à chaque fois qu'elles jouent cette musique, je danse pour elles aussi.
07:36 Il y a quelque chose de rebelle, un peu de revendication.
07:40 Cette revendication, elle est personnelle pour moi,
07:44 envers tout ce qu'on a vécu en Iran.
07:47 Moi je suis exilée, je n'habite plus là-bas.
07:49 Mais justement, en tant qu'artiste exilée, je ne peux plus retourner en Iran.
07:53 Et je pense que c'est important parce que, justement,
07:56 Bar Tabas nous donne cette chance de nous exprimer librement.
07:59 Même en tant qu'artiste exilée, même en tant qu'iranienne qui habite en Iran,
08:02 comme la chanteuse.
08:04 Et c'est vraiment un plaisir.
08:07 Et donc j'essaie d'exprimer à travers ma danse,
08:09 cette musique et cette histoire des musiciennes.
08:12 Donc oui, j'ai des mouvements un peu guerrières, un peu rebelles,
08:15 qui sont venus comme ça.
08:16 Et après je les ai gardés.
08:18 Le moment où c'est venu, c'est vraiment venu de quelque chose d'intérieur.
08:20 Ce n'est pas du pantomime.
08:22 Et à la fin, oui, je sens quelque chose de...
08:26 un peu comme une revendication à travers la danse.
08:29 C'est plus...
08:30 Oui, voilà, c'est le moment même.
08:32 C'est spontané, c'est impulsif.
08:34 Et ce cheval, il m'inspire parce qu'en fait, à chaque fois qu'il tombe,
08:36 il est déjà tombé deux, trois fois,
08:38 il se relève.
08:39 Donc malgré ça, il se relève,
08:41 et ça me fait penser justement à notre combat.
08:43 Parce que moi, ce n'est pas seulement depuis l'année dernière que je me bats,
08:46 mais depuis très très longtemps,
08:48 pour le droit des femmes.
08:49 Et justement, c'est un combat où même quand on tombe,
08:51 on se relève tout de suite.
08:53 Et on court comme ce cheval.
08:55 Moi, il me fait vraiment bouger.
08:57 Évidemment, je ne peux pas m'arrêter de danser quand je le vois tomber.
09:00 Mais je le vois, je le sens.
09:02 J'ai mal à l'instant pour lui.
09:04 Et quand je le vois se relever et continuer de courir à toute vitesse,
09:07 je me dis, mais même moi, si je tremble un peu,
09:09 parce que moi aussi, ça m'arrive de perdre un peu l'équilibre,
09:11 d'avoir le vertige.
09:13 Je me dis, ce n'est pas grave, je peux continuer.
09:14 Tout comme le cheval, il peut.
09:15 Et c'est vraiment une inspiration super de se sentir unie à ce cheval
09:20 et d'avoir cette sensation de liberté, de libération.
09:24 On a des frissons en nous écoutant.
09:26 Les arbres sont un peu montés partout.
09:28 Oui, mais c'est sur un miroir d'eau et donc il y a un reflet.
09:32 Il y a son inverse.
09:33 Oui, ça, ça représente la verticalité.
09:37 Non, non, pas du tout.
09:38 Vous pouvez finir votre phrase.
09:39 On est en train de communiquer avec nos mains.
09:41 Oui, ce que je trouve intéressant là-dedans,
09:43 alors je ne sais pas si c'est ça que cherchait Barthabas,
09:45 mais moi, c'est comme ça que je l'ai interprété,
09:47 que je trouve cette sensation incroyable.
09:49 C'est qu'en fait, dans la danse soufflée,
09:51 l'homme, ici la femme,
09:53 représente le lien entre le terrestre et le céleste.
09:58 Et donc, cette verticalité est très importante
10:01 parce que justement, on va au-delà de tout.
10:03 On transcende parce qu'on est sur une petite planète qui est la Terre.
10:07 Une toute petite particule dans cette petite galaxie,
10:09 parmi des milliards d'autres galaxies.
10:11 Il faut arrêter de faire des guerres pour des histoires de frontières.
10:13 En fait, on fait partie d'un même corps.
10:15 Donc, au lieu de se battre tout le temps,
10:17 de se faire mal à son bras gauche,
10:19 de se faire mal à son genou, alors qu'on fait partie de la même planète,
10:21 il faut aller au-delà de ça
10:23 et sentir cette transcendance, cette verticalité,
10:25 ce lien avec tout l'univers,
10:27 toute la nature.
10:29 Et c'est ça que je ressens.
10:30 Et le fait d'avoir ce reflet dans l'eau,
10:32 ça va encore plus à l'intérieur.
10:34 C'est-à-dire que ça va vraiment dans le microcosme
10:36 et en même temps, ça va vers le macrocosme.
10:40 Et donc, pour le public, je pense que ça a un effet encore plus fort d'avoir ce reflet.
10:45 Je confirme absolument que le public est conquis,
10:47 que nous trois avons été conquises.
10:49 Merci beaucoup Sarah Degan.
10:51 On vous retrouve dans le spectacle du Théâtre Equest-Rosingarau,
10:53 Femme, Personne.
10:54 Merci.

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