• l’année dernière
Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat, professeure à Sciences Po Paris et à l’université de Columbia et Jean-Marc Jancovici, ingénieur, enseignant à Mines ParisTech, associé de Carbone 4 et président du Shift Project, sont les invités du Grand Entretien.

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00 La COP28 a donc démarré hier à Dubaï aux Émirats Arabes Unis, 196 états, plus l'Union
00:06 Européenne des ONG, près de 80 000 participants attendus.
00:10 Les organisateurs en parlent comme du plus grand sommet sur le climat jamais organisé.
00:16 140 chefs d'État et de gouvernement doivent s'exprimer aujourd'hui et demain.
00:20 Et deux invités dans le grand entretien de la matinale avec Marion Lourds.
00:25 Nous recevons deux grandes voix de la question climatique et de la transition énergétique.
00:31 Vos questions, chers auditeurs, vos réactions au 01.45.24.7000 ou sur l'application France
00:38 Inter.
00:39 Avec nous en studio, Jean-Marc Jancovici.
00:40 Bonjour et bienvenue.
00:42 Vous êtes ingénieur enseignant à Mines Paris Tech, associé de Carbone 4, président
00:46 du think tank The Shift Project, l'une des voix qui compte aujourd'hui sur les questions
00:51 climatiques.
00:52 Vous avez publié des livres qui sont des best-sellers.
00:55 Le dernier en date, « Climat, crise, le plan de transformation de l'économie française
01:00 chez Odile Jacob ». Et nous sommes en duplex avec Dubaï et Laurence Tubiana.
01:05 Bonjour.
01:06 Bonjour.
01:07 Merci d'être avec nous ce matin.
01:08 Trois heures de plus à Dubaï par rapport à la France.
01:12 Laurence Tubiana, vous êtes économiste, directrice de la Fondation Européenne pour
01:16 le Climat, négociatrice hors pair.
01:19 Les accords de Paris vous doivent beaucoup.
01:21 Vous êtes avec nous en duplex depuis Dubaï.
01:24 On va commencer d'abord par cette surprise, par cet accord présenté comme historique
01:30 dès l'ouverture d'une conférence dont personne n'attendait pas grand-chose.
01:36 Oui, c'est une très bonne nouvelle et la preuve d'une bonne diplomatie de la part
01:43 de la présidence émiratie.
01:45 D'avoir au fond dégagé un sujet éventuellement très conflictuel, mais qui était déjà
01:51 résolu, en tout cas dans son principe, c'est-à-dire le fait d'établir un fonds pour compenser
01:58 les impacts du changement climatique, ce qu'on appelle les pertes et dommages, notamment
02:02 en faveur des pays les plus affectés par ce changement climatique.
02:05 Et la bonne idée de cette diplomatie a été d'essayer de donner ce bon signal, ce signal
02:13 de création de confiance, tout au début de la conférence des partis.
02:18 Et c'est vrai que là, l'Union Européenne et les Émiratis ont joué un très bon rôle
02:23 pour à la fois annoncer des contributions à ce fonds, 400 millions qui ont déjà été
02:31 promis hier.
02:32 Bon, c'est un début, parce qu'il faudra évidemment beaucoup plus d'argent, mais en même temps,
02:37 c'est un signal important d'avoir pris une décision très tôt dans la COP.
02:42 Et c'est plutôt inhabituel, parce qu'en général, on attend la fin.
02:45 Et on attend la fin et jusqu'au bout du bout des négociations, donc l'indemnisation des
02:50 pays les plus vulnérables face au désastre climatique.
02:53 Jean-Marc Jancovici, vous étiez ici même il y a un an et vous aviez des propos très
02:59 durs sur la COP.
03:01 On n'en attend rien, vous n'y croyez pas.
03:04 C'est l'occasion de parler du climat et de la transition énergétique.
03:07 Ça vous surprend malgré tout qu'il y ait une avancée ?
03:09 Alors en fait, cette avancée, elle était déjà contenue dans les accords de Paris et
03:14 elle était même déjà contenue dans ce qui s'est passé à Copenhague en 2009, puisque
03:18 cette fameuse clause de dommage, elle faisait partie des items qui avaient été jetés
03:21 sur un bout de papier par les chefs d'État qui étaient venus en 2009 à Copenhague,
03:25 qui a par ailleurs été présenté par la presse comme un échec, ce qui n'était
03:27 pas mon avis.
03:28 Donc ce qui se passe en ce moment, on est dans une continuité, beaucoup plus que dans
03:34 une rupture, en tout cas de mon point de vue.
03:36 Et ce que j'ai dit en ce qui concerne les COP, ce n'est pas que ça ne sert à rien,
03:39 c'est que ça ne fait qu'enteriner des choses qui sont déjà actées par ailleurs.
03:43 C'est ça que ça fait.
03:44 Un parallèle que j'ai souvent pris pour les COP, j'espère que Laurence ne m'en
03:48 voudra pas, ça ressemble à une assemblée de copropriétaires où vous avez 200 copropriétaires
03:53 qui sont présents, il n'y a pas de syndic, il n'y a personne pour dire "voilà la
03:57 résolution que je vous propose de voter", chaque pays vient avec ses propositions.
04:00 Vous êtes obligés de converger à l'unanimité vers quelque chose qui va à tout le monde
04:05 et on sait très bien que la dynamique en pareil cas, c'est quand même de se caler
04:08 sur des choses qui sont assez peu compréhérentes.
04:10 Et vous avez un copropriétaire, une voix, parce que ça c'est le système onusien,
04:15 chaque pays a droit à une voix, mais par contre les charges continuent d'être payées
04:18 au tantième.
04:19 Et il faut se mettre d'accord à l'unanimité sur un programme de travaux qui est une révolution,
04:25 où vous changez à peu près tout, parce qu'en fait décarboner le monde c'est
04:29 une révolution, il faut tout changer partout.
04:32 Et il faut que vous arriviez à vous mettre d'accord sans syndic, à l'unanimité,
04:36 en très peu de temps, avec le système que je viens d'évoquer.
04:39 La probabilité pour qu'on y arrive est extrêmement faible, donc en fait la COP encore
04:45 une fois c'est un endroit dans lequel on enterrine ce que les pays sont déjà prêts
04:49 à faire pour des raisons domestiques en gros.
04:51 Laurence Toubien, avoue qu'il y a déjà cette assemblée de copropriétaires à la
04:56 COP de Dubaï, ça ressemble à quoi cette COP géante ? On parlait de son gigantisme
05:01 dans une ville climatisée, embouteillée, est-ce que vous pouvez nous décrire un peu ?
05:05 Tout de même je ne peux pas vraiment être d'accord avec ce que dit Jean-Marc, ça
05:11 ne l'étonnera pas.
05:12 Si on n'avait pas eu l'accord de Paris, ce n'était pas du tout fait.
05:16 L'accord de Paris était… les gens n'avaient pas décidé d'abord, au contraire, jusqu'à
05:22 la dernière minute tout le monde pensait que ce serait un échec.
05:25 Et en réalité ça crée des moments très importants, avec d'ailleurs des décisions
05:30 et des obligations que certains ont vu quand même se matérialiser dans les faits.
05:36 Et d'autre part, on a essayé beaucoup d'autres formules, que ce soit au sein des pays les
05:42 plus riches, au G7, ou que ce soit avec les pays émergents, le G20.
05:46 On n'arrive jamais à avoir des solutions qui finalement reflètent les intérêts des
05:51 pays les plus affectés par le changement climatique.
05:53 Et l'importance de ces COP, d'abord ce n'est pas parce qu'on a pris des décisions
05:57 avant, malheureusement ce n'est pas le cas, ce serait beaucoup plus simple de ne pas être
06:01 obligé de passer par ces grandes cérémonies.
06:03 Mais en réalité c'est parce que la voix des pays les plus faibles, c'est le seul
06:07 moment où cette voix est entendue.
06:09 Et c'est leur autorité morale et les impacts dont ils témoignent qui font avancer les
06:16 choses.
06:17 Et donc je pense que malheureusement, comme la démocratie, on n'a pas de meilleure
06:20 solution, mais ces solutions ont fait avancer les choses dans le temps.
06:24 Le grand problème, c'est qu'on a pris un accord qui cadre très largement ce qu'il
06:29 faut faire à Paris en 2015, sauf qu'on l'a pris 10 ou 15 ans trop tard.
06:34 Et Laurence Dubiana, on ne l'a toujours pas fait en plus, vous faites un bilan aujourd'hui
06:37 à la COP de cet accord de Paris, au regard des engagements actuels, on est à 2,9 degrés
06:43 de réchauffement avant la fin du siècle par rapport à l'ère pré-industrielle,
06:46 alors que l'objectif c'est 1,5 degré.
06:48 Donc est-ce qu'il n'est pas piétiné l'accord de Paris ?
06:50 Non, il n'est pas encore piétiné, Dieu merci, enfin en tout cas on verra, parce que
06:55 c'est en risque bien évidemment quand on regarde tout ce qui se passe dans beaucoup
06:58 de contextes nationaux, de retour en arrière ou d'hésitation sur la mise en œuvre des
07:03 politiques climatiques.
07:04 Avant l'accord de Paris, les scénarios pointaient sur 4 degrés.
07:08 Depuis l'accord de Paris, on est entre 2,5 et 3, avec beaucoup de fourchettes et des
07:14 incertitudes qu'on connaît.
07:15 Le 1,5 degré, ça a été arraché à la dernière minute comme une aspiration.
07:22 Or depuis, effectivement, les rapports du GIEC ont montré que cette aspiration de 1,5
07:28 degré, qui paraissait à l'époque en 2015 complètement impossible, de toute façon,
07:34 est montrée aujourd'hui comme quelque chose qui fait une énorme différence par rapport
07:38 à ce qui était plus ou moins accepté jusque-là, qui était une température autour de 2 degrés.
07:43 Vous voyez hausser la tête Jean-Marc Jancovici ?
07:45 Par ailleurs, ce que je veux dire de ce point de vue, c'est que là, ce qu'on a commencé
07:53 à discuter déjà depuis plusieurs années commence à rentrer dans les faits.
07:57 On discute maintenant non plus seulement de plan climat de chaque nation.
08:01 La plupart des pays ont un plan climat depuis 2015, ce n'était jamais arrivé.
08:04 Mais que dans les secteurs où il y a de la transformation économique, l'accord de
08:08 Paris a permis d'accélérer les choses, y compris d'ailleurs sur le plan financier.
08:12 Je ne dis pas que c'est bien, au contraire, on est très en retard.
08:14 Mais on ne peut pas dire qu'on a un autre système qui fonctionne.
08:19 Alors, malheureusement, je ne partage pas son optimisme.
08:23 Si on voulait tenir les 1,5 degré, il faudrait que les émissions planétaires se mettent
08:28 à baisser de 7% par an tous les ans à partir de demain matin.
08:31 Alors que là, elles continuent d'augmenter.
08:32 Alors que là, elles continuent d'augmenter.
08:33 Et même pour les 2 degrés, elles devraient baisser de 5% par an tous les ans à partir
08:37 de demain matin.
08:38 Alors 5% pour vous donner un ordre de grandeur, c'est ce qu'on a eu l'année du Covid
08:40 en 2020.
08:41 Donc il faudrait par exemple que l'année du Covid, on ne remette pas l'économie
08:44 dans l'état pré-Covid, après le Covid.
08:46 Qu'on laisse l'économie là où elle était.
08:47 Puis qu'on rajoute 5% de plus l'année d'après.
08:49 Alors dans l'histoire, il y a eu une deuxième année où on a baissé de 5%, c'est l'année
08:53 où on a éradiqué l'appareil industriel de l'Allemagne et du Japon en 1945.
08:56 Donc on pourrait faire ça la deuxième année.
08:58 Puis la troisième année, je n'ai pas d'idée.
08:59 Donc c'est juste pour dire qu'on est sur un rythme de baisse qui est juste une révolution
09:04 permanente, qui demande, comme l'a écrit à moitié Jean-Marc Vittori dans Les Echos
09:08 il n'y a pas longtemps, d'entrer en économie de guerre.
09:10 On n'y est absolument pas.
09:11 Parce que justement, c'est ce que je voulais vous demander.
09:13 On est dans une course contre la montre, Jean-Marc Jancovici.
09:16 Mais aucun pays n'a fait le choix de déclarer l'état d'urgence climatique comme on avait
09:21 déclaré l'état d'urgence sanitaire au moment de la crise Covid.
09:24 Personne ne dit "nous sommes en guerre contre le réchauffement climatique" comme on a dit
09:28 "on est en guerre contre le Covid".
09:30 Souvenez-vous des propos d'Emmanuel Macron ?
09:32 Mais on n'y est absolument pas et ça va être très difficile d'y aller parce que l'énergie,
09:36 c'est la puissance des nations.
09:37 L'énergie, c'est la taille de l'armée, c'est la taille de l'économie.
09:41 L'énergie, c'est le pouvoir d'achat.
09:43 L'énergie, c'est les retraites et les études longues.
09:45 Donc il faut bien voir, c'était ça historiquement l'énergie.
09:48 Donc il faut bien voir que révolutionner tout ça, ce n'est pas juste planter des
09:53 éoliennes ou des réacteurs nucléaires.
09:54 On est très très loin de cette vision simpliste, malheureusement, de la transition.
10:00 Et si on regarde les faits, alors bon, je sais que c'est un peu taquin de présenter
10:04 les choses comme ça, mais enfin la concentration en CO2 dans l'atmosphère augmente avec le
10:09 numéro des COP.
10:10 Donc pour le moment, on ne peut pas dire qu'on soit passé à l'action.
10:13 Ce n'est pas vrai.
10:15 Quand on regarde dans les acteurs opérationnels, les collectivités, les entreprises, etc.,
10:22 oui il commence à y avoir dans certains endroits des prises de conscience, mais on n'est
10:26 pas encore du tout dans l'enclenchement des grandes manœuvres qui seraient cohérentes
10:30 avec une baisse de 5% par an des émissions planétaires.
10:34 Il commence à y avoir quelques acteurs qui se bougent un peu, mais on n'est pas du tout
10:37 dans une évolution généralisée à l'échelle de la planète.
10:41 Avant d'aller au Standard Inter, beaucoup de questions d'auditeurs.
10:44 Laurence Tubiana, pourquoi il n'y a pas cet état d'urgence climatique ? Pourquoi
10:50 prend-on encore le temps de prendre le temps ?
10:52 Là par contre, je rejoins Jean-Marc.
10:56 Bien sûr qu'on n'y est pas du tout.
10:58 Et bien sûr que cette révolution systémique qu'il faut opérer, elle n'est pas dans
11:02 les faits encore.
11:03 Pas du tout.
11:04 Et moi ça me stupéfie.
11:07 C'est une espèce d'aveuglement considérable en espérant que quelqu'un d'autre fera
11:13 éventuellement le travail et pas soi-même.
11:15 Donc je suis d'accord tout à fait sur le fait qu'on a une révolution systémique
11:19 à faire.
11:20 Il faut qu'on réduise par exemple les émissions venant des fossiles de 60% d'ici 2030.
11:26 Il faut qu'on se sorte de l'addiction aux énergies fossiles le plus rapidement possible.
11:32 Et pour l'instant c'est vrai, on tourne un peu autour du pot.
11:35 Et c'est pour ça que c'est intéressant cette COP, parce qu'au moins on va en parler
11:39 sérieusement.
11:40 C'est-à-dire pas seulement de chiffres de réduction d'émissions dans l'abstrait,
11:44 mais de savoir quand est-ce qu'on se débarrasse, à quelle date, de ces énergies fossiles.
11:50 Et on peut tout à fait échouer à cette COP, parce qu'il n'y a évidemment pas
11:53 d'accord international pour l'instant là-dessus.
11:55 Et particulièrement dans la région où vous êtes, qui est véritablement le cœur
11:59 du cœur des énergies fossiles, et notamment du pétrole.
12:02 Jean-Marc Jancovici.
12:03 Oui, non, non, il faut voir que le cœur du cœur des énergies fossiles aujourd'hui
12:06 c'est aussi le charbon.
12:07 Et que le charbon c'est à 80% un phénomène asiatique.
12:10 80% de la consommation de charbon dans le monde c'est de l'Asie.
12:12 Donc ça se joue également énormément dans cette zone du monde.
12:15 Et la France justement va axer son discours aujourd'hui, puisque Emmanuel Macron est
12:19 à la COP, sur la sortie du charbon.
12:21 C'est un des axes.
12:22 Et l'autre axe c'est le développement du nucléaire, avec un triplement de la capacité,
12:29 avec des petits réacteurs, et un triplement de la capacité d'ici 2050.
12:33 Ça c'est la bonne voie pour sortir ? On est là dans l'état d'urgence justement,
12:37 on prend conscience ?
12:38 Alors il faut sortir, bon moi je ne vais pas commenter la déclaration d'Emmanuel Macron
12:42 que je n'ai pas entendue.
12:43 Non, c'est pas une déclaration, c'est les plans qui ont été présentés avant
12:45 le départ d'Emmanuel Macron, les deux axes sur lesquels il compte.
12:48 Il faut le temps de lire les plans, donc là je ne vais pas vous faire de commentaire
12:50 parce que je n'ai pas regardé.
12:51 Par contre, la bonne direction est de sortir du charbon, ça assurément.
12:55 Il faut savoir qu'aujourd'hui le charbon dans le monde émet plus de CO2 que l'utilisation
12:59 du pétrole, donc il y a plus de pétrole en énergie, mais par contre l'énergie
13:02 est un peu moins carbonée pour le pétrole que pour le charbon, donc il y a plus d'émissions
13:06 pour le charbon.
13:07 Les seules centrales à charbon dans le monde c'est 20% des émissions.
13:10 Et le nucléaire ? Le nucléaire ne fait pas d'émissions.
13:13 Non mais la partie nucléaire de cette stratégie ?
13:15 Alors la partie nucléaire c'est une bonne idée, de mon point de vue, c'est-à-dire
13:19 qu'en gros tout ce qu'on est capable de ramasser sur le nucléaire, il faut le faire,
13:22 mais ça fera 5% de la solution.
13:23 D'accord ? Donc il faut… S'il y a des déchets ?
13:26 Ça c'est pas le sujet.
13:27 On n'a pas le temps d'en parler ce matin parce qu'il est 8h36, mais…
13:30 Merci de nous rappeler à l'ordre !
13:32 Voilà, non, non, je ne vous rappelle pas à l'ordre, c'est que je ne pense pas
13:36 que vous soyez capable par exemple de me citer un seul élément du tableau périodique
13:39 contenu dans les déchets nucléaires.
13:40 Donc en fait, parler des déchets c'est déjà commencer par décrire de quoi on
13:44 parle etc. et on n'aurait pas le temps ce matin.
13:45 Et d'ailleurs c'est intéressant parce que vous nous renvoyez à notre ignorance
13:48 Jean-Marc Jancovici et je vous en remercie.
13:50 Je n'oserais pas faire ça !
13:51 Je vous en remercie parce qu'on parle par exemple avec des unités qu'on ne maîtrise
13:56 pas ou dont on a du mal à se représenter.
13:59 Ce qu'elles signifient ? On parle de tonnes de CO2 émises par personne dans différents
14:07 pays.
14:08 9 tonnes de CO2 émises par un Français chaque année, 26 et quelques aux Émirats Arabes Unis.
14:15 On n'est pas habitué ? Il manque un élément culturel, éducatif pour qu'on prenne la
14:20 mesure de ce que ça veut dire ?
14:21 Oui parce qu'on manipule quand même des unités physiques dans notre quotidien.
14:25 Par exemple, le logement où vous habitez, les mètres carrés, ça vous dit à peu près
14:28 quelque chose.
14:29 Quand vous allez faire les courses, les kilos, ça vous dit à peu près quelque chose.
14:33 Quand vous prenez une douche ou un bain, les litres, ça vous dit vaguement quelque chose.
14:37 Donc il y a quand même des unités physiques qu'on est habitué à manipuler dans notre
14:40 vie.
14:41 Mais les tonnes de CO2 non ?
14:42 Mais l'unité pour tout comparer et qu'on est habitué à manipuler dans notre quotidien,
14:45 ça s'appelle de l'argent.
14:46 Et l'argent, il ne nous dit rien sur la réalité physique.
14:49 Et donc en fait, on n'est pas du tout habitué à tout compter ce qui se passe dans notre
14:54 environnement avec des unités physiques.
14:56 Alors moi, c'est mon métier, enfin ça fait partie de mon métier de tout compter en CO2.
14:59 Oui, puis vous êtes ingénieur.
15:00 C'est mon obsession.
15:01 Oui, vous avez vu, il y a des tas d'ingénieurs qui ne se soucient pas du CO2.
15:04 Mais moi, il se trouve que c'est mon métier.
15:06 Donc on pourrait presque me voir comme un monomaniac du CO2.
15:08 Donc j'ai pris cette habitude.
15:10 Je suis plus à l'aise que vous tout simplement parce que c'est mon métier et que j'ai pris
15:13 cette habitude, mais effectivement, il y a un sujet d'avoir le réflexe de compter en
15:17 unité physique avant de compter en unité monétaire parce que le problème qui se présente
15:21 à nous est un problème physique, exactement comme pour la biodiversité dont on a parlé
15:25 il n'y a pas longtemps.
15:26 C'est un problème biologique.
15:27 Donc il faut compter en unité biologique avant de compter en unité monétaire.
15:29 Et effectivement, on n'a pas ce réflexe.
15:31 Alors, il y a beaucoup de questions au standard et vous l'imaginez.
15:35 Laurence Tubanin, vous restez avec nous.
15:38 Bonjour Stéphane.
15:39 Bonjour.
15:40 Vous nous appelez des Hautes-Alpes et vous avez une question qui concerne votre région
15:44 et qui concerne également l'avenir du réchauffement et le ski, l'hiver, la neige dans les années
15:51 qui viennent.
15:52 Oui, ça concerne les Alpes, mais ça va concerner tout le monde parce qu'il va falloir payer
15:56 la dette pendant des années.
15:57 Alors je vous explique, la veille de la COP28, la France a été validée pour organiser
16:03 les Jeux Olympiques en 2030 dans les Alpes, alors que le monde entier est penché sur
16:12 le problématique mondial et climatique.
16:15 Et là, je pourrais vous dire, chez moi, à 2500 mètres, il pleut actuellement, le 1er
16:20 décembre.
16:21 Donc voilà, je voulais poser la question, est-ce que c'est encore soutenable d'organiser
16:24 des grands événements comme ceux-là, malgré toutes ces problématiques où il faut éminemment
16:29 baisser nos émissions de CO2 ?
16:30 Merci Stéphane pour votre question.
16:32 Votre réponse Jean-Marc Covici et puis ensuite Laurence Tubiala ?
16:36 C'est probablement un peu dommage parce que souvent, ce genre de grande fête sportive,
16:42 ça a été fait pour construire des infrastructures qui allaient durer derrière et pour lancer
16:46 des directions qu'on estime durables derrière.
16:49 C'est quoi une station de ski aujourd'hui ? C'est à la fois de la neige disponible,
16:56 soit par de la neige artificielle, mais au moins, même la neige artificielle, il faut
17:00 du froid.
17:01 Et par ailleurs, c'est de l'énergie parce qu'il faut que les gens viennent, il faut
17:05 que les gens soient chauffés dans les appartements parce qu'en général, l'hiver, il fait
17:07 froid et il faut que la station fonctionne.
17:10 Quand vous regardez le bilan carbone d'une station de ski, la moitié, c'est les déplacements
17:13 pour venir et vous ne remplacerez pas tous les gens qui viennent en voiture dans la vallée
17:17 de la Tarentaise par des gens qui viennent en train.
17:19 Quand vous faites un calcul d'ordre de grandeur, vous vous rendez compte que ça ne marchera
17:21 pas.
17:22 Le deuxième poste, c'est le chauffage des habitations.
17:24 Vous avez du gaz et du fioul dans le chauffage des appartements.
17:27 Et le troisième poste, ce n'est même pas l'électricité des remontées, c'est
17:30 le carburant des dameuses qui fait à peu près 10% de l'ensemble.
17:34 Dire qu'on va augmenter tout ça à l'avenir alors qu'on a un sujet de décru des énergies
17:39 fossiles et dire par ailleurs qu'on va profiter de manière croissante d'une neige qui va
17:43 se faire de plus en plus rare, ce n'est pas sûr que ce soit le bon signal.
17:47 Et tant qu'à investir dans les infrastructures, on aurait pu faire autre chose.
17:50 - Laurence Tubiana, il y a une forme de paradoxe, le petit souffle qu'on entend derrière vous,
17:54 c'est la clim parce qu'il fait chaud à Dubaï.
17:56 Et en l'occurrence, on est en train de parler de l'enneigement en 2030 dans les Alpes.
18:02 Vous la vivez cette contradiction, certains diraient même cette hypocrisie sur place
18:07 à Dubaï au moment de cette COP28 ?
18:09 - Oui, c'est assez évident.
18:11 On est en plein désert, plein d'immeubles avec plein de verres.
18:15 Bon, alors avec des choses qui ne sont pas idiotes d'ailleurs, parce qu'ils ont fait
18:18 beaucoup de progrès dans leurs bâtiments.
18:20 Mais c'est vrai que quand on regarde un peu la manière dont on se voit dans le futur,
18:26 notamment avec ces grands exercices de Jeux olympiques, on se demande...
18:32 On se demande...
18:33 Enfin, c'est l'idée, on peut continuer comme avant.
18:36 Et ce qui est très frappant dans cette COP, c'est que notamment tout le secteur pétrolier,
18:41 gazier et charbon, bon, ils sont simplement un peu moins vocaux politiquement parce que
18:45 c'est des moins grandes entreprises visibles au plan international, c'est qu'on pourrait
18:52 quand même...
18:53 On pourrait mieux continuer comme avant parce que se débarrasser de deux siècles, deux
18:56 siècles et demi de fonctionnement sur un type d'énergie, ça paraît très difficile.
19:01 Donc on va trouver une solution technologique.
19:02 Et au fond, en petit, les canons à neige, c'est ça.
19:06 C'est-à-dire que le secteur pétrolier aujourd'hui, il nous dit à la COP, on va pouvoir extraire
19:11 les émissions de cette consommation déficite.
19:14 - Donc vous croyez au génie humain, vous croyez à l'innovation.
19:16 Jean-Marc Jancovici, vous aussi ?
19:17 - Oui, enfin pas à celle-là, mais pas à celle-là, celle qui est raisonnable.
19:21 Celle qui, comme le dit très bien Jean-Marc, se réfère aux unités physiques.
19:25 Quand on entend les patrons des grandes entreprises pétrolières dire qu'on va capturer toutes
19:30 les émissions de carbone, c'est complètement illusoire cette solution technologique.
19:35 - Jean-Marc Jancovici hoche la tête, effectivement.
19:37 - Au maximum, si on fait entre 8 ou 10% des émissions mondiales de ces fossiles pour
19:43 les rentrer dans le sol, on ne pourra pas faire plus.
19:45 Donc il y a un côté un peu de jeu de Bonto.
19:49 Regardez, regardez, on va y arriver, mais ne regardez surtout pas qu'il faut vraiment
19:52 changer les choses.
19:53 Et là-dessus, évidemment, avec Jean-Marc, on est complètement d'accord.
19:56 - Donc il ne faut pas croire aux miracles technologiques si on vous écoute tous les
19:59 deux.
20:00 Vous parliez des unités tout à l'heure, des litres, des kilos, etc. et des tonnes
20:03 de CO2.
20:04 Il y a l'argent aussi, effectivement.
20:05 - Beaucoup d'argent.
20:06 - Jean-Marc Jancovici, le week-end dernier, il y a des grandes entreprises françaises
20:10 qui ont signé une tribune pour dire qu'il faut accélérer la transition énergétique.
20:13 Il y avait Total, il y avait Engie, il y avait beaucoup de grands patrons.
20:16 Il faut de l'argent pour ça, pour l'industrie française, je crois que c'est 50 à 60 milliards
20:20 d'euros.
20:21 Il est où cet argent ? Elles n'ont pas les entreprises pour faire cette transition ?
20:24 - Alors en fait, l'argent, ça n'est que la contrepartie des moyens humains.
20:28 Qu'est-ce que c'est que l'argent ? Ça paye des individus.
20:31 D'accord ? Quand on parle d'argent, le PIB, ça n'est rien d'autre que la somme des revenus
20:36 des gens qui saleraient rentes.
20:39 Donc dire qu'il faut de l'argent, en fait, ça veut dire dire qu'il faut des individus.
20:42 C'est exactement ça que ça veut dire.
20:44 - Et de l'investissement ?
20:45 - C'est toujours des individus.
20:46 Quand vous investissez dans un immeuble, en fait, vous ne payez pas les atomes de calcium
20:52 qui vont se retrouver dans le béton de l'immeuble.
20:54 Vous ne payez pas les atomes de fer qui vont se retrouver dans les armatures de l'immeuble.
20:58 Tout ça, vous ne le payez pas, la nature vous l'a filé gratuitement.
20:59 Ce que vous allez payer, c'est juste des salaires et des rentes qui vont des ressources naturelles
21:04 jusqu'à l'immeuble construit.
21:05 Donc en fait, ce qu'on appelle un investissement, ça n'est rien d'autre que la disponibilité
21:09 des ressources naturelles qui sont nécessaires pour avoir l'objet à l'arrivée.
21:12 - Et donc, il est où l'argent ?
21:14 - Et les revenus humains qui vont permettre de transformer ces ressources.
21:20 Donc dire qu'on doit mobiliser des moyens financiers, en fait, ça veut dire qu'on
21:23 doit mobiliser des individus et des ressources naturelles.
21:25 C'est ça que ça veut dire.
21:26 Alors, est-ce qu'on a les ressources naturelles et les individus pour décarboner l'économie ?
21:30 Oui.
21:31 Est-ce qu'on les a pour décarboner l'économie en proposant à chaque consommateur final la
21:35 même quantité de casseroles, de vêtements, de mètres carrés et de tonnes de voitures
21:39 qu'on a aujourd'hui ?
21:40 Non.
21:41 C'est ça le problème.
21:42 Est-ce qu'on a le temps pour décarboner l'économie en 25 ans et l'amener à net
21:46 zéro ?
21:47 Je ne le crois pas.
21:48 Est-ce qu'on a le temps pour le faire en 50, 100 ou un siècle ?
21:51 Oui.
21:52 Donc, en fait, tout ça, c'est une affaire de ressources et c'est une affaire d'individus.
21:57 Quand on commence par parler d'argent au lieu de finir en parlant d'argent, on a masqué
22:02 la réalité physique et les difficultés physiques.
22:04 - Laurence Tubiana ?
22:05 - Oui.
22:06 En même temps, ce qu'il y a de très frappant, et maintenant, il y a de nombreux travaux qui
22:08 le démontrent, c'est que c'est aussi une grande question d'inégalité.
22:11 Quand on regarde l'empreinte carbone des différents ménages, les 1% ou les 10% dans
22:18 tous les pays du monde, ils font l'essentiel de cette empreinte carbone par rapport aux
22:22 ménages de la classe moyenne ou des ménages les plus pauvres.
22:25 Et donc, il y a aussi, et notamment à cause des investissements, enfin du patrimoine qui
22:30 est investi par le 1% ou les 10% les plus riches, qui sont évidemment ceux qui s'investissent
22:36 aussi dans ces énergies fossiles.
22:38 Et donc, quand on regarde, il y a les travaux d'Oxfam ou de Lucas Chancel à l'économie
22:43 normale supérieure et professeur aujourd'hui, montrent que cet écart de l'empreinte carbone,
22:49 il est considérable.
22:50 Donc, si il y avait plus d'égalité quand même dans le système économique, on aurait
22:54 aussi peut-être un moyen de changer certainement ce système.
22:58 D'où d'ailleurs, à cette COP, un effort pour se lancer vers une taxation internationale
23:04 de tous les flux qui ne payent pas d'impôts.
23:06 Et c'est vrai que, que ce soit les énergies fossiles, en général, je ne parle pas évidemment
23:11 des taxes que les gens payent quand ils mettent de l'essence dans leur voiture, mais que
23:15 ce soit aussi les transactions financières et d'autres, il y a beaucoup de flux mondiaux
23:20 où ce principe pollueur-payeur d'un côté, où simplement la contribution à ce problème
23:24 qu'on a créé n'est pas mobilisé.
23:27 Donc, il y a un problème de justice et d'égalité qui peut peut-être être un des ressorts fondamentaux
23:33 pour changer ce système économique qui est fondé aujourd'hui sur les énergies fossiles.
23:37 Jean-Marc Jancovici, la question de la justice sociale, est-ce que c'est quelque chose que
23:41 vous prenez en compte de manière centrale dans vos travaux lorsque vous réfléchissez
23:45 à la transition climatique et énergétique ?
23:48 Si je vous disais que je m'en fiche, vous ne me laisseriez pas sortir vivant de ce studio !
23:51 Si, vous avez liberté !
23:53 Non, mais en l'occurrence...
23:55 Evidemment que c'est un sujet.
23:57 Alors, c'est un sujet un peu plus difficile à appréhender que la physique parce que les
24:01 indicateurs pour mesurer ça sont des indicateurs qui sont plus mous, j'ai envie de dire.
24:05 C'est moins...
24:06 Voilà.
24:07 Mais évidemment qu'on s'en occupe.
24:08 Et du reste, c'est une des raisons pour lesquelles au Chiffre Project, on a une préférence
24:11 pour la réglementation vis-à-vis de la taxe, dont j'ai été un grand partisan avant,
24:17 mais j'en suis un peu revenu, parce que la taxe c'est quand même quelque chose d'assez
24:20 régressif quand vous regardez les effets redistributifs, alors que la réglementation
24:25 est plus égalitaire.
24:26 Donc, il y a quelque chose de plus intéressant, on va dire, dans la réglementation que dans
24:30 la fiscalité, à chaque fois qu'on peut passer par la réglementation, c'est plutôt intéressant
24:33 de le faire.
24:34 Et la justice sociale est effectivement quelque chose de très important.
24:37 Je vais prendre un exemple qui a un peu agité le landerneau médiatique il y a quelques
24:40 mois qui est la question des jets privés.
24:42 Je comprends très bien que quelqu'un qui a un peu de mal à boucler ses fins de mois
24:49 en payant son plein de carburant et qui habite à 30 bornes de son boulot, dise "je vois
24:52 mal pourquoi moi on me demanderait de faire des efforts tant que d'autres peuvent voler
24:55 en jet privé".
24:56 Alors que les jets, dans l'ensemble des émissions françaises, c'est cacahuètes.
24:59 Donc, c'est un vrai sujet de justice sociale, c'est un vrai sujet d'équité perçue.
25:06 Et c'est évident qu'on ne demandera pas des efforts significatifs, voire massifs,
25:10 à l'essentiel de la population, parce que tout le monde va devoir faire des efforts
25:13 massifs, si la population ne considère pas que la répartition est équitable.
25:18 Et en l'occurrence, le dernier rapport du Shift Project était consacré à la décarbonation
25:24 de l'autonomie et donc à la santé et donc à nos modes de vie.
25:28 En tout cas, passionnant de vous avoir entendus tous les deux.
25:31 Merci infiniment Jean-Marc Jancovici d'avoir été l'invité d'Inter.
25:34 Merci Laurence Tubiana d'avoir accepté le principe de cet échange depuis Dubaï, à
25:41 distance.
25:42 Et un grand merci à Florent Laiany qui a permis cette liaison.

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