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Aujourd'hui, dans le grand entretien du 6/9, nous recevons François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et Elisa Chelle, professeure des universités en science politique à l'Université Paris Nanterre et chercheuse affiliée à Sciences Po (LIEPP).

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00On en parlait à l'instant dans la chronique géopolitique, plus que quelques jours, quelques
00:04dizaines d'heures avant l'élection présidentielle aux Etats-Unis, 240 millions d'électeurs
00:09appelés aux yondes dans ce pays qui se veut l'un des gardiens de la démocratie.
00:13Face à face, vous le savez, l'ex-président républicain Donald Trump et la démocrate
00:17Kamala Harris, tous deux lancés dans un marathon de meetings dans les swing states, les états-clés
00:22qui vont déterminer qui va l'emporter, vous avez entendu tout ça dans nos journaux.
00:27Sur Inter, et ce matin, on se pose la question des conséquences de cette élection sur le
00:32monde, sur l'Europe et donc aussi sur nous, avec deux invités, François Esbourg, conseiller
00:37spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique, auteur d'Un Monde sans l'Amérique,
00:42publié chez Odile Jacob et Élise Hachel, professeure de sciences politiques à Nanterre,
00:47chercheur affilié à Sciences Po et rédactrice en chef de la revue politique américaine.
00:52Bonjour à tous les deux.
00:53Bonjour.
00:54Alors, avant de passer au cœur du sujet qui sera la politique étrangère de chacun
00:58de nos candidats, faisons quand même un petit point d'étape avec les grands spécialistes
01:02des Etats-Unis et des géopolitiques que vous êtes.
01:05Quelle image, quel événement marquant vous retenez à quelques jours de ce scrutin, François Esbourg ?
01:10L'image que je retiens, qui peut paraître triviale, c'est la séquence où Donald Trump
01:18cuit des hamburgers chez McDo.
01:23Pourquoi est-ce que cette image est importante ? Parce qu'il apparaît comme n'étant pas
01:28une brute, comme étant quelqu'un entre guillemets comme vous et moi.
01:33Quelque part, psychologiquement, cette image a marqué un versant dans la campagne, notamment
01:42un moment où Kamela Harris peinait et continue de peiner à se positionner en vue du scrutin
01:50du 5 novembre.
01:52Et les HL ?
01:53Moi, ce qui me frappe, c'est la grande absente de cette campagne, c'est la dette américaine.
01:57Elle a dépassé les 1800 milliards de dollars et aucun candidat n'en parle.
02:03Ils promettent chacun des crédits d'impôt, soit des aides aux familles, des aides à
02:08l'accession à la propriété.
02:10Ils promettent, pour ce qui est de Donald Trump, des réductions d'impôts.
02:16Et pourtant, on a une dette abyssale des Etats-Unis qui pèse sur le pays dont les
02:23intérêts coûtent maintenant plus cher que le budget même de la défense.
02:27Et donc, ça a un impact considérable sur les choix qui vont être faits au Congrès
02:32l'année prochaine et notamment sur les choix en matière de politique étrangère.
02:35Et juste sur le coude à coude qui a lieu en ce moment, parce que c'est bien de ça
02:40qu'il s'agit, d'après les agrégateurs de sondage, Kamala Harris est un petit peu
02:44en avance au niveau national, mais ça va se jouer évidemment dans les Etats.
02:50François Heisbourg, c'est un des scrutins les plus serrés de l'histoire des Etats-Unis ?
02:53Il va ressembler beaucoup au scrutin de 2016 où Trump l'avait emporté grâce à une
03:00quarantaine de milliers de voix d'avance dans ce qu'on appelle les swing states,
03:04les Etats pivots, 40.000 voix avec un électorat de 240 millions d'habitants.
03:10Ça, c'est l'hypothèse presque optimiste en termes d'écart de voix.
03:16Ça peut aussi se jouer de façon encore plus étroite, comme dans l'élection de l'an
03:212000, ce qui nous ramène un peu en arrière, où on avait vu George W. Bush l'emporter
03:28sur Al Gore, le vice-président sortant démocrate de l'époque, ça fait penser à l'élection
03:33actuelle, où l'élection à la fin s'était jouée devant la Cour suprême, sur la base
03:39de 546 voix d'écart dans l'État de Floride, et ça avait suffi pour faire la différence.
03:49La nuit risque d'être très longue, le 5-6 novembre, d'autant plus qu'il avait
03:55fallu plus d'un mois pour départager en an 2000 le vainqueur du vaincu.
04:00Et les HL, la nuit américaine pourrait durer plusieurs jours ?
04:03Oui, tout à fait, on va compter les voix et ensuite on va compter les contentieux.
04:08Donc ça, c'est un donné, en 2020, Donald Trump perd 6 des 7 états-clés, et il lance
04:16des procédures judiciaires dans chacun de ces états, ce qui pourrait rallonger, il
04:21faut bien rappeler que ces états-clés se gagnent par de très faibles écarts, en 2020
04:26entre 0,2 et 2,8% des voix, et que la marge d'erreur des sondages est de 3%.
04:32Donc c'est dire à la fois l'indécision dans laquelle nous sommes face à cette élection
04:35quant à savoir qui pourrait l'emporter, et aussi les marges de manœuvre qui existent
04:41pour les candidats à demander des recontages, voire à déposer des recours en justice si
04:49jamais ils s'estiment lésés par le processus.
04:51Donald Trump n'a pas clairement dit qu'il n'accepterait pas le résultat de l'élection,
04:58il a dit qu'il se sentirait très désolé pour le peuple américain s'il le perdait,
05:03mais en tout cas il est certain que des procédures contentieuses seront lancées si il ne gagne
05:08pas ce scrutin.
05:09Et comme je l'explique dans mon livre, jusqu'à présent les contentieux étaient à sens
05:16unique, c'est-à-dire les républicains contre les démocrates, Trump estimant par exemple
05:22toujours aujourd'hui, qu'en fait il avait gagné en l'an 2020, ce qui est une sottise,
05:27mais il le croit, les deux tiers de ses électeurs le croient aussi.
05:31Du côté démocrate, si ça se joue sur le fil, et ça paraît devoir être le cas, on risque d'avoir
05:38une attitude des démocrates très différente de celle qu'on avait vue en l'an 2000, où
05:43les démocrates avaient accepté de perdre les élections dans les conditions que j'ai
05:47rappelées, parce qu'à l'époque la Cour suprême était respectée.
05:51Aujourd'hui les Américains, de tous bords, ne respectent plus les institutions constitutionnelles
05:58et notamment la Cour suprême, jugée trop partisane, etc.
06:03Autrement dit, la confusion, voire le chaos, risque de venir d'un bord comme de l'autre,
06:09même si les républicains sont a priori plus violents que les démocrates.
06:13On va en venir aux déterminants du vote et notamment cette politique étrangère, parce
06:18que, Elisa Schell, vous parliez tout à l'heure de la dette et donc de l'économie, on se
06:21souvient de cette phrase « it's the economy, stupid », la phrase culte d'un conseiller
06:25Bill Clinton en 1992, mais quand même, pendant des décennies, les Etats-Unis se sont vus,
06:30se sont présentés comme les gendarmes du monde.
06:32Est-ce que la politique étrangère, c'est un critère que les électeurs vont prendre
06:35en compte ?
06:36Alors, ça dépend quelle politique étrangère, puisque tous les pays ne sont pas égaux face
06:42à l'attention des Américains.
06:44Par exemple, sur la question de la guerre en Ukraine, c'est une guerre qui peut sembler
06:50lointaine et qui, dans les discours qu'on entend régulièrement du côté des Républicains,
06:57est secondaire par rapport à la sécurité à la frontière mexicaine, la fameuse frontière
07:02sud, où il y a beaucoup d'immigration illégale et des flux d'immigrants qui ont été mal
07:09gérés depuis la levée des restrictions Covid.
07:11Donc, il y a une hiérarchisation des préférences dans un contexte quand même contraint pour
07:18des enjeux qui leur semblent le plus proches.
07:20Par exemple, la question de Taïwan est très importante.
07:23On a bien vu pendant le mois d'octobre…
07:24Faut-il soutenir Taïwan face à la Chine et aux menaces de…
07:27Et oui, et sachant que les Américains ont toujours eu une position ambiguë, c'est-à-dire
07:31qu'à la fois ils reconnaissent la souveraineté chinoise, mais ils sont les premiers fournisseurs
07:37d'armes de Taïwan.
07:38Donc, ils ont toujours eu cette position ambiguë et là, ces deux dernières années et particulièrement
07:43ces dernières semaines, les Chinois ont multiplié les démonstrations de force autour de Taïwan
07:49et ces enjeux sont très lointains pour les Américains de tous les jours qui ne le regardent pas.
07:54Puisque la phrase « It's the economy, stupid ! » c'est l'économie pour la vie de tous les jours.
08:00L'accession à la propriété, le prix de l'essence, le prix de l'alimentation,
08:05l'inflation, le prix des loyers et non pas, on va dire, ce qui se passe très, très lointainement.
08:11Et les Américains, toutes classes confondues, ont particulièrement souffert.
08:15François Esbourcy, on résume sommairement dans le face-à-face Harris-Trump.
08:19Est-ce qu'on a d'un côté la défense du multilatéralisme et de l'autre une sorte
08:23de loi de la jungle et une politique des accords un peu à la façon des businessmen ?
08:27Alors d'abord, dans la campagne, ce type de clivage que vous évoquez et qui est réel,
08:32c'est un vrai clivage entre les deux candidats, ne joue à peu près aucun rôle.
08:35Le débat n'est pas intellectualisé de cette façon.
08:40La politique étrangère intervient en fait à deux niveaux.
08:44Il y a un premier niveau qui est très général, qui est celui du thème du respect et de l'implication
08:51des États-Unis ou non dans de nouveaux conflits.
08:54Là, on a plutôt une convergence entre les candidats, comme ça avait été le cas entre
09:00Biden et Trump lors des dernières élections.
09:04Ils avaient tous les deux milité en faveur de la fin de ce qu'ils appelaient en anglais
09:10les « forever wars », les guerres incessantes.
09:13C'est un des grands domaines de convergence des candidats.
09:19Et le thème du respect que Trump a endossé, lui aussi est un thème plutôt de convergence
09:27mais où, à dire vrai, Trump s'exprime davantage et de façon probablement plus efficace que Mme Harris.
09:35Et puis il y a un autre niveau qui est le niveau micro, celui auquel risquent de se
09:40jouer les élections, c'est-à-dire dans les « swing states ».
09:43Vous prenez les États clés, les États pivots, les États qui vont déterminer qui des deux va l'emporter.
09:54Dans le Michigan, vous avez une population arabo-américaine qui est de l'ordre de 300.000 personnes.
10:02Et donc le conflit au Proche-Orient va jouer.
10:05Pour eux, c'est très important et on a vu lors de la campagne des primaires au printemps,
10:11ça avait déjà été le cas, que le comportement de ce petit électorat,
10:20parce que ça fait quelques pourcents d'électorat de l'État,
10:23que les basculements dans cette population-là étaient suffisants pour, le cas échéant,
10:30faire basculer l'État tout entier.
10:32Parce que c'est aux États-Unis, dans le système des grands électeurs, soit on gagne, soit on perd.
10:40C'est totalement binaire.
10:41Et vous retrouvez ce genre de logique à l'œuvre aussi dans des États où il y a un électorat d'origine,
10:47mettons, polonaise ou ukrainienne.
10:49Et donc c'est vraiment le niveau micro de la politique étrangère.
10:52Ce n'est pas la question de Taïwan ou la question ukrainienne qui va déterminer en soi le vote d'une partie importante des électeurs.
11:04– J'ai juste envie de vous entendre, François Heisbourg, sur l'Ukraine,
11:06parce que vous avez votre vision des choses et vous racontez dans votre livre,
11:10« Un monde sans l'Amérique », une espèce de fiction qui pourrait devenir la réalité si Trump l'emportait.
11:15Alors résumez-nous très vite.
11:17– Alors la fiction, elle n'est pas compliquée.
11:20Trump a promis depuis un an à peu près qu'il allait dans les 24 heures mettre en route le règlement du sujet
11:27en liaison avec Poutine et Zelensky.
11:30Ceci aux conditions de Poutine, avec lesquelles on sait que Trump a traditionnellement d'excellents rapports.
11:39Très rapidement, un accord est imposé aux Ukrainiens à travers la signature dans le livre d'un traité
11:48qui est signé à Budapest, chez l'aimable Orban.
11:54– Orban, l'équipe Orban.
11:55– Les Américains, et Trump en particulier, laissent entendre que si les Ukrainiens ne se plient pas à leurs injonctions,
12:03l'aide militaire américaine vis-à-vis de l'Ukraine pourrait être interrompue.
12:08Et de fil en aiguille, la Russie atteint ses buts de guerre en Ukraine
12:14et l'Europe a ses yeux pour pleurer car, évidemment, dans l'intervalle,
12:20un nouveau président Trump, qui n'aime pas l'Europe et qui n'aime pas les alliances,
12:28devient un partenaire dormant de l'OTAN.
12:32En fait, l'Amérique prend congé de l'Europe à nous nous débrouiller tout seuls face à une Russie victorieuse.
12:40Et ça, ce scénario-là, il est malheureusement d'une grande vraisemblance dans le cadre de l'élection de Trump.
12:50Pour ne pas trop rassurer, si j'ose dire, les auditeurs, du côté de Mme Harris,
12:55ça sera peut-être moins hard, mais il y aura aussi ce risque-là.
13:01– Voilà, justement, on parle du scénario Trump qui est le plus plausible selon François Heisbourg.
13:07Alors si c'était Kamala Harris, alors on sait que les Etats-Unis ont voté 5 enveloppes d'aide quand même à l'Ukraine,
13:12est-ce que ça va continuer ? Est-ce qu'on sait si elle va l'interrompre ?
13:15Elle a pris position sur ce sujet-là ?
13:17– Ah oui, tout à fait, le point de clivage entre les deux candidats est très clair
13:21sur le point de l'assistance militaire à l'Ukraine.
13:24Donald Trump a dit qu'il suspendrait et qu'il terminerait ce conflit en 24 heures
13:27par des négociations entre Poutine et Zelensky.
13:30Et Kamala Harris a dit qu'elle poursuivrait le soutien militaire à l'Ukraine.
13:36Kamala Harris se place vraiment dans la continuité de la politique étrangère de Biden
13:42sur un certain nombre de dossiers, dont le dossier ukrainien,
13:46dont aussi le dossier au Proche-Orient sur lequel là il y a aussi de fortes différences
13:50entre les deux candidats en matière de programme.
13:53Mais sur la question ukrainienne, il y a effectivement une poursuite de cette aide
14:01et il cherche à épuiser la Russie, c'est ça la stratégie des Etats-Unis,
14:06puisque cet ancien rival historique qui est la Russie par rapport aux Etats-Unis
14:12est plus affaibli lorsqu'il est engagé sur un front de guerre que s'il ne l'était pas.
14:19Donc les Etats-Unis ont aussi intérêt à soutenir cette guerre de manière indirecte,
14:24d'ailleurs comme ils le font sur un certain nombre de fronts dans le monde.
14:27Alors on file au standard, nous attend notamment Aurélien de Montpellier, bonjour Aurélien.
14:33Oui bonjour.
14:34Vous avez une question pour nos invités.
14:35Oui, je vous appelle pour savoir qu'est-ce qui fait frein à la construction d'une défense européenne
14:42compte tenu du fait que Donald Trump risque d'être élu
14:45et que celui-ci s'engage vers un isolationnisme aux Etats-Unis
14:50et une baisse de l'aide de la défense européenne
14:55et que de ce fait il faut absolument faire quelque chose, qu'est-ce qui fait frein à tout ça ?
15:01Alors, réponse à Aurélien, François Heisbourg, c'est justement au cœur de votre livre
15:05la réinvention des alliances et notamment de l'OTAN.
15:08Alors malheureusement je n'ai pas de réponse optimiste à vous fournir.
15:14Vous avez raison, sur le fond c'est évidemment ce qu'il faudrait faire
15:19et dans mon livre j'ai décrit certaines des voies d'approche en la matière.
15:23Mais force est de constater que les deux pays militairement les plus importants d'Europe
15:28que sont l'Allemagne et la France, aujourd'hui ne sont pas en mesure de prendre des initiatives en la matière.
15:35La coalition gouvernante allemande est aujourd'hui totalement paralysée au bord de l'implosion
15:41et en France je n'ai pas besoin de vous décrire les incertitudes
15:45qui pèsent sur la gouvernance politique de la France aujourd'hui et dans les mois et peut-être les années à venir.
15:53Vous ne pouvez pas prendre de grandes initiatives si les protagonistes sont aux abonnés absents.
15:59Or politiquement ils sont actuellement aux abonnés absents.
16:02Scholz n'est pas en mesure en Allemagne de prendre une décision majeure
16:06et en France les débats de politique étrangère se résument quasiment maintenant
16:13à la question de savoir qui fait partie de la délégation présidentielle
16:17lorsqu'il s'agit d'inaugurer les chrysanthèmes au Maroc ou ailleurs.
16:20Tout ce qui arrive aux Etats-Unis se passe au plus mauvais moment possible
16:29pour ce qui concerne la capacité des Européens à réagir.
16:35Et ceci c'est vrai bien sûr dans le cas de Trump, parce que Trump est une menace évidente,
16:41mais Mme Harris, et là je mets un bémol à ce qui a été dit il y a quelques instants,
16:48Mme Harris grosso modo promet vis-à-vis de l'Ukraine de faire la même politique que Biden.
16:55Or le problème de la politique de Biden, c'est que l'Ukraine est en train malheureusement d'être saignée.
17:03Je suis rentré de Kiev il y a quelques semaines et croyez-moi,
17:08l'homme le plus impopulaire en Ukraine bien sûr c'est Vladimir Poutine,
17:14mais le deuxième homme le plus impopulaire c'est un personnage qui s'appelle Jake Sullivan
17:19qui est le directeur du Conseil National de Sécurité à la Maison-Blanche.
17:23Et si Mme Harris se contente de reprendre telle qu'elle la politique du président Biden,
17:32malheureusement le scénario d'un mauvais deal imposé à l'Ukraine risque effectivement de se dérouler là aussi,
17:40même si les intentions américaines ne sont pas les mêmes que sous Trump.
17:43Alors Elisabeth, je voulais parler d'une autre guerre qui est d'importance,
17:47qui est la deuxième du mandat Biden, c'est celle au Proche-Orient évidemment.
17:50On parlait tout à l'heure des enjeux locaux avec les communautés musulmanes notamment et puis le soutien à Israël.
17:56Là, la différence entre les deux candidats est plutôt de nuance, parce que les deux soutiennent Israël en réalité.
18:02Oui, la différence entre les deux candidats tient surtout à le statut du peuple palestinien.
18:10C'est-à-dire que Kamala Harris s'est prononcée clairement en faveur d'une solution à deux États,
18:15alors que Donald Trump est resté beaucoup plus flou sur le sujet.
18:19Et puis on se souvient du déplacement de l'ambassade de Tel Aviv à Jérusalem, de l'ambassade des Etats-Unis.
18:23Tout à fait. Ce qui a marqué la région depuis 2020, ce sont les accords d'Abraham qui avaient été conclus sous Donald Trump.
18:32Et ces accords d'Abraham constituent un axe anti-Iran dans la région très clair.
18:40Et par une alliance d'un certain nombre de pays, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan, le Maroc.
18:50Et Donald Trump veut, s'il est élu, inclure l'Arabie Saoudite dans ces accords d'Abraham.
18:56Donc renforcer la politique anti-Iran par des pressions économiques, par des frappes ciblées, par des pressions diplomatiques.
19:04Alors que Kamala Harris ne parle pas vraiment du cas iranien, pas frontalement.
19:09Et Donald Trump est beaucoup plus offensif sur la question iranienne.
19:13Je rebondis sur l'Iran quand même, parce que Kamala Harris, dans son interview début octobre à CBS,
19:18elle a présenté l'Iran comme l'ennemi, alors qu'on avait l'impression jusqu'ici que l'ennemi c'était la Chine.
19:22Oui, mais dans ces éléments de programme, ce qu'elle met en avance, c'est surtout le bon compromis qu'elle veut faire
19:28entre le droit à Israël de se défendre, qui justifie la poursuite du soutien militaire à Israël,
19:34et le scandale et le désastre humanitaire à Gaza, et la nécessité d'un cessez-le-feu immédiat avec une solution à deux États.
19:45Donc dans ces éléments de programme, elle ne met pas très en avant la question de l'Iran comme le fait Donald Trump.
19:52François Esbour, c'est qui l'ennemi des États-Unis aujourd'hui ?
19:55L'ennemi c'est la Chine, d'abord. C'est le concurrent, le compétiteur, et éventuellement, en cas de guerre autour de Taïwan, la Chine.
20:04C'est ça l'enjeu, c'est ça aussi.
20:07On est en fait entre les deux candidats, ou leurs équipes dans le cas d'espèce,
20:12parce que parfois on ne sait pas trop ce que Mme Harris pense réellement de tel ou tel sujet.
20:17Elle est assez floue et discrète sur ce sujet en réalité.
20:21Je ne sais pas qui va gagner les élections aujourd'hui, j'allais dire, c'est kif-kif-bouricot en termes de sortie des urnes.
20:28C'est ce qu'on disait tout à l'heure.
20:29Mais sur la Chine, il y a un consensus aux États-Unis, entre les deux candidats, sur le fait que c'est là où va se trouver la priorité stratégique américaine.
20:43Ce n'est pas tant un isolationnisme qui est en marche ici, même s'il y a des isolationnistes, que le changement de focale stratégique de la part des USA.
20:54C'est comme pour le Moyen-Orient, le président Biden a tenté l'opération de rapprochement avec l'Arabie Saoudite.
21:01Il semblerait qu'elle ait été très près de l'aboutissement et qu'elle a été déraillée par les massacres du 7 octobre qui ont empêché la convergence de se faire à la dernière minute.
21:17Je pense que Mme Harris, si elle devait être élue, conduirait en la matière une politique très proche de celle de Trump, même si la verbalisation n'est pas la même.
21:28C'est pareil pour la Chine.
21:30Biden a été beaucoup plus dur dans l'expression que Trump sur, par exemple, la défense de Taïwan.
21:37Il n'est pas ambigu Biden et Kamala Harris, par ricochet, n'est également pas très dur.
21:45Mais sur le fond, la priorité, elle est là, comme elle est également en matière de commerce international, où l'ennemi des Etats-Unis, c'est d'abord la Chine, s'agissant de Trump, et aussi l'Europe.
22:00Et le constat que vous faites dans votre livre « Un monde sans l'Amérique », c'est celle d'une puissance en déclin, c'est la fin de l'hégémonie, quel que soit le gagnant.
22:07Ah non, attention, je n'emploie pratiquement jamais le mot déclin.
22:11C'est moi qui reformule.
22:14Le déclin existe dans les têtes.
22:17Le détricotage de l'hégémonie, vous dites.
22:19Le détricotage de l'hégémonie, c'est-à-dire que l'hégémonie ne disparaît pas parce que les Etats-Unis seraient devenus économiquement moins puissants ou technologiquement moins performants.
22:30Ils restent hors catégorie.
22:32Ils pourront financer leur dette comme ils l'entendent.
22:35Elle est aussi massive à l'échelle de l'économie américaine que la dette française.
22:39Mais la différence entre les Etats-Unis et la France, c'est que les Etats-Unis ont le dollar et nous on ne l'a pas.
22:44Donc il n'y a pas de déclin objectif.
22:47C'est un déclin subjectif et c'est effectivement détricotage.
22:51Les Etats-Unis hésitent à se lancer dans des opérations guerrières ou potentiellement guerrières nouvelles.
23:01Et ça c'est vrai depuis Obama, si je puis dire.
23:04Très rapidement, Élise HL, le mot de la fin, parce qu'il nous reste vraiment quelques secondes.
23:08Effectivement, fin de l'hégémonie, c'est fini, les Etats-Unis, gendarmes du monde ?
23:12Oh, ils seront gendarmes d'une autre manière, je crois.
23:15Puisque si les Etats-Unis ne sont plus gendarmes du monde, qui le sera ?
23:19Et je pense que les Etats-Unis vont tout faire pour poursuivre ce rôle de gendarmes du monde.
23:25Sans doute sous d'autres moyens, peut-être aussi plus acceptables du point de vue de leur opinion publique.
23:31Élise HL, professeure des universités en sciences politiques à l'Université de Paris-Nanterre,
23:35chercheuse affiliée à Sciences Po, rédactrice en chef de la revue Politique Américaine, merci.
23:39Merci aussi à vous François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique
23:44et auteur, je le rappelle, d'Un Monde sans l'Amérique aux éditions Odile Jacob.
23:48Merci beaucoup d'avoir décrypté pour nous sur Inter les enjeux de cette élection aux Etats-Unis.
23:53Dans quatre jours maintenant, on va continuer à vous la faire vivre sur France Inter.
23:57Merci à tous les deux.

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