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Comment comprendre le cycle de violence que notre société traverse ? Analyse avec Marc Crépon, philosophe, directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l’ENS.

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00:00 [Générique]
00:10 Bonjour, bonjour et bienvenue dans le grand face-à-face, l'émission de débats et d'idées de France Inter.
00:14 Tout à l'heure, après le duel de Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne,
00:19 et Gilles Finkelstein, secrétaire général de la fondation Jean Jaurès,
00:23 nous recevrons le philosophe Marc Crépon, qui a beaucoup écrit sur la peur et sur la violence,
00:27 le langage et le consentement, de quoi nourrir notre réflexion deux semaines après la mort de Thomas à Crépole
00:33 et les manifestations de l'ultra-droite qui ont suivi.
00:36 Un sondage révèle que 88% des Français y voient le symbole d'une société plus violente.
00:41 Olivier Véran évoque en début de semaine un risque de basculement de la société.
00:46 Le regard de Marc Crépon, c'est dans quelques minutes, mais pour l'heure, c'est le duel.
00:50 [Générique]
00:56 Bonjour Gilles et Natacha. Bonjour.
00:59 Alors je ne sais pas ce que vous ferez au début de l'année 2030, moi non plus à vrai dire,
01:02 mais certains en Haute-Savoie, en Savoie, dans le brio sonné, à Nice,
01:05 se préparent déjà à accueillir les Jeux Olympiques d'hiver.
01:08 Le CIO n'a retenu que ce dossier et cela ravit Jean-Claude Killy, l'homme des JO d'Alberville de 1992.
01:14 On ne les attendait pas de si tôt, on n'a pas fini ce 2024 qu'on repart sur une aventure.
01:19 Et je dois dire que pour l'ancien d'Alberville, c'est une continuité formidable.
01:25 Et les Jeux Olympiques, c'est une forme d'espoir pour les jeunes qui ont 15 ans aujourd'hui,
01:31 pour ceux qui ont investi en montagne, pour l'industrie du ski, pour la renommée de la France à l'étranger,
01:37 pour le tourisme qui est crucial pour nous.
01:41 Alors, est-ce qu'on doit se réjouir comme Jean-Claude Killy ?
01:43 Je vous pose la question Natacha, parce qu'on parle déjà des Jeux d'hiver de 2030.
01:47 Les Jeux d'été 2024 à Paris n'ont pas commencé.
01:51 Cette semaine, ils ont déjà commencé.
01:52 Mais en revanche, ça a suscité l'incompréhension, voire l'indignation,
01:55 quand on a appris qu'il faudrait des QR codes pour se promener dans Paris,
01:58 ou que les prix de tickets de métro allaient doubler.
02:01 C'est ça qui est assez intéressant.
02:04 Il y a la question spécifique des Jeux d'hiver et de ce que sera le climat en 2030,
02:10 et de la conception qu'on peut avoir de jeux qui sont sur différents sites.
02:16 Est-ce que réellement, ça continue à être des jeux,
02:19 dans la mesure où, à la fois de bilans écologiques et d'ambiances même,
02:25 il y a quelque chose qui est en train d'évoluer ?
02:27 On entend d'ailleurs, dans la voix de Jean-Claude Killy,
02:30 la question de l'enjeu industriel, touristique,
02:34 sur lequel il faudrait s'interroger clairement.
02:36 C'est un modèle dont on peut penser qu'il est dépassé.
02:39 Mais ce qui est intervenu cette semaine était très intéressant.
02:42 En effet, il y a eu cette histoire de QR codes sur les Jeux de Paris,
02:46 il y a eu cette histoire de hausse du prix des transports.
02:50 Et là, très honnêtement, on a l'impression d'être...
02:53 J'ai un collègue à Marianne qui dit qu'on est dans une expérience de 1000 grammes.
02:56 C'est-à-dire pour tester la capacité d'acceptation des Français,
03:02 des Parisiens en particulier.
03:04 C'est-à-dire qu'on veut visiblement savoir à quel moment
03:07 ils vont craquer et détester ces jeux.
03:10 Pour une raison simple.
03:11 Le QR code, déjà symboliquement, ce retour aux plus grandes heures du confinement,
03:15 cette dystopie totale est assez impressionnante.
03:19 Mais après, il y a un débat très intéressant sur la question des prix des transports.
03:22 Et là, pour le coup, on peut tenir deux positions différentes.
03:27 Et c'est ça que je trouve extrêmement intéressant.
03:30 Parce qu'en effet, le prix des transports va quasiment doubler,
03:35 augmentation de 90%, avec certes un pass progressif,
03:42 mais beaucoup plus cher que ce qui existe.
03:44 Et donc l'argument, c'est de dire que les habitants peuvent acheter à l'avance
03:48 et du coup ceux qui n'ont pas les moyens achèteront leur ticket.
03:51 Et de toute façon, les autres ont un pass d'avigo annuel, mensuel, tout va bien.
03:56 Sauf qu'il y a des tas de gens, ce sont les salariés qui ont leur pass payé à moitié par leur entreprise.
04:02 Tous les indépendants, tous ceux qui viennent occasionnellement travailler à Paris,
04:07 potentiellement peuvent utiliser des tickets à l'unité.
04:11 Peuvent-ils prévoir, peuvent-ils faire des stocks à l'avance, ont-ils les moyens ?
04:15 Il y a là quelque chose qui apparaît comme profondément discriminant
04:20 pour ceux qui sont les plus fragiles financièrement.
04:22 Alors cela dit, on peut aussi le prendre différemment,
04:26 et au contraire tenir la position inverse.
04:28 Et dire "mais attendez, on va faire affluer des gens qui ont un certain revenu,
04:33 puisqu'ils viennent de la planète entière pour voir des Jeux Olympiques,
04:36 ces gens-là, on va augmenter de 15% le trafic pour eux,
04:41 mais il faut les faire payer, il faut en profiter,
04:43 et ça va financer un service public qui sera favorable, qui sera un service pour les pauvres.
04:50 Oui, parce que la justification c'est de dire qu'il y aura plus de métro, plus de rames,
04:53 donc il faut financer tout ça.
04:55 Alors on pourrait se lancer dans un calcul extrêmement savant
04:57 pour savoir quelle sera la proportion de gens à faible revenu qui en souffriront,
05:02 quelle sera la proportion de touristes qui viendront financer notre service public,
05:06 et en fonction de la proportion, voir si on a raison de faire ça.
05:10 Le seul problème, c'est que dans les documents qui ont permis d'obtenir
05:15 les Jeux Olympiques à Paris, il y avait bien la gratuité des transports.
05:19 C'était gratuit à Athènes en 2004, à Pékin en 2008, à Londres en 2012,
05:24 à Rio c'était moins élevé comme augmentation.
05:27 Donc en termes de promesses et d'honnêteté, il y a quand même un petit souci.
05:33 Alors ça a été gratuit à Athènes en 2004, mais ils l'ont payé pendant très très longtemps après.
05:38 - Et Gilles, vous allez prendre le métro vous ?
05:40 Vous allez peut-être mettre votre logement en location,
05:42 parce que beaucoup de Parisiens y sont. Allez-y sérieusement.
05:45 - En fait, il y a deux choses dans ce que dit Natacha.
05:47 Il y a l'attitude générale que l'on a par rapport aux jeux...
05:51 (rires)
05:53 - Alors les vieux, c'est pour après, c'est le terme d'après.
05:56 - Il y a deux choses dans ce que dit Natacha.
05:58 Il y a l'attitude générale par rapport aux jeux,
06:00 et puis il y a le débat spécifique sur le coût, et notamment le coût des transports.
06:03 Sur l'attitude générale par rapport aux jeux, je suis frappé de la tonalité positive du discours de Jean-Claude Killy.
06:10 Et quand on essaie de se projeter, ce qui me frappe, c'est que nos capacités de division avant l'événement sont formidables.
06:19 Ça a été vrai de la candidature elle-même, qui a été poussée par François Hollande un peu contre tout le monde.
06:25 Et c'est vrai maintenant de la préparation. On se chamaille au sommet.
06:29 Là, on a quand même vécu des épisodes ces derniers jours entre la mairie de Paris, la région socialiste,
06:38 la région républicaine et le gouvernement Renaissance, qui était spectaculaire alors que ce devrait être l'Union sacrée.
06:45 Et on renâcle à la base, et Natacha l'a très bien dit, avec des Français qui peuvent être critiques,
06:52 et des Parisiens ou des Franciliens qui sont en train de regarder concrètement comment ça va se passer.
06:57 On oublie ce faisant un peu, quand même, je trouve, la force d'exposition de l'événement pendant.
07:03 C'est, on l'oublie, mais le plus grand événement sportif planétaire, bien devant une Coupe du Monde,
07:09 en termes de nombre de pays concernés et de téléspectateurs.
07:16 Et je pense que aussi bien la cérémonie d'ouverture que les épreuves dans des sites exceptionnels
07:24 resteront pour la France des images absolument extraordinaires.
07:28 Et on oublie surtout, je crois, pas seulement ce qui va se passer avant,
07:32 mais à quel point c'est un levier de transformation pour l'après.
07:35 En gros, le budget est vraiment à très grand trait. Le budget des JO, c'est 8 milliards d'euros,
07:40 dans lequel vous avez 4 milliards pour la préparation de l'événement et 4 milliards d'investissements pour les infrastructures.
07:46 Sur ces 4 milliards d'investissements, vous en avez 80% qui sont réalisés en Seine-Saint-Denis.
07:51 Et ce département va accélérer la mutation de ce département, avec des quartiers entiers qui sont en train d'être construits,
08:00 des rénovations très importantes d'équipements. Et donc, je pense qu'il y a les deux.
08:06 Après, sur la question des coûts, il y a la question du coût global.
08:12 Et je pense que c'est souvent, on la pose mal. On dit, c'est 8 milliards, c'est cher.
08:17 C'est peut-être 10 milliards avec les dépassements, c'est encore plus cher.
08:20 La question, ce n'est pas seulement celle du coût, c'est du rapport entre le coût et les bénéfices.
08:26 Et donc, c'est à la fois à court terme et à long terme, d'un point de vue financier, d'un point de vue d'image,
08:31 quel va être le bilan des jeux. Et puis, il y a le coût. On a beaucoup parlé du coût des tickets pour aller dans les stades.
08:39 J'ai appris avec stupéfaction, en préparant cette émission, quel était le coût médian d'un ticket pour aller au stade.
08:48 Le médian, ça veut dire qu'il y a 50% des tickets qui sont en dessous, 50% au-dessus.
08:53 - Des places de stade ? - Des places de stade.
08:56 50 euros, le coût médian. C'est-à-dire qu'il y a la moitié des billets qui sont inférieurs à 50 euros,
09:03 alors qu'on s'est concentré sur ce qui existe aussi, évidemment, les coûts faramineux pour aller voir la finale du 100 mètres.
09:09 Et puis, je termine par là, le débat n'est pas très intéressant sur le coût des tickets de métro.
09:16 Il y a une vieille question de principe, ce qui est qui doit financer les services publics.
09:21 En gros, quelle doit être la part des usagers et quelle doit être la part des contribuables ?
09:27 Et d'ailleurs, on voit dans un certain nombre de villes, le débat complètement dans l'autre sens.
09:31 Par exemple, le maire de Montpellier, Michael Delafosse, a fait voter et a mis en place même la gratuité totale des services publics.
09:39 Alors évidemment, ce n'est pas gratuit, ça va être payé, mais pour les usagers, ça va être gratuit.
09:45 Et il y voit un avantage à la fois social et environnemental.
09:49 Là, c'est un peu dans l'autre sens, puisqu'on dit qu'on va faire payer davantage globalement les touristes qui vont venir voir les JO.
10:01 Avec une donnée quand même en contrepoint de ce que dit Natacha, on attend en gros 16 millions de personnes pendant les jeux.
10:08 Sur ces 16 millions, il y en a un million qui viennent de l'étranger et 15 millions qui viendraient de province.
10:13 Ce n'est pas nécessairement les plus riches, même si ce que vous évoquiez au début Thomas, la question du logement, pèsera sans doute beaucoup plus lourd que la question des tickets de métro.
10:26 Le grand face-à-face, le duel.
10:31 De nombreux chantiers vous attendent, je pense en particulier à la question de l'emploi des seniors.
10:37 Nous passer de leur expertise et de leur expérience est un immense gâchis et nous ne pourrons pas atteindre le plein emploi sans relever ce défi.
10:45 C'était avant-hier, Elisabeth Borne, la Première Ministre, qui met la pression sur les partenaires sociaux pour parvenir au plein emploi des seniors, appuyant ainsi son ministre de l'économie Bruno Le Maire.
10:55 Bruno Le Maire qui de son côté s'est dit favorable quelques jours plus tôt à un abaissement de la durée d'indemnisation du chômage des plus de 55 ans pour l'aligner sur celle des autres chômeurs.
11:04 Autrement dit, passer d'une durée de 27 mois à 18 mois. Quel est votre regard sur ce bras de fer qui se dessine entre Elisabeth Borne et les partenaires sociaux, Gilles ?
11:13 Oui, on se souvient qu'il y a quelques jours, Emmanuel Macron avait lui-même tensé les partenaires sociaux en les accusant de déni de réalité.
11:21 Comment il disait déjà ? Qu'est-ce qu'il leur avait dit déjà ? On n'y est pas ou j'ai pu...
11:26 Réveillez-vous ! Réveillez-vous ! Réveillez-vous !
11:29 D'abord, le constat. Le discours que l'on entend beaucoup, c'est que l'emploi des seniors, et à la fois le taux d'emploi des seniors est un peu moins bas qu'il ne l'était précédemment,
11:42 mais qu'il est plus bas qu'ailleurs dans les autres pays européens. On a en gros un écart de 5 points. Quand on regarde un peu plus...
11:49 Juste, pardon Gilles, on peut rappeler ce qu'est le taux d'emploi ?
11:51 Le taux d'emploi, c'est le pourcentage d'une population, en l'occurrence donnée, on considère de 55 à 65 ans, qui est dans l'emploi.
12:02 Voilà, en activité.
12:03 En activité. Quand on regarde un peu plus dans le détail, il y a deux choses qui m'ont frappé, c'est que cette grande catégorie des 55-65 ans, en fait, ce n'est pas une catégorie, c'est deux catégories.
12:14 Et que là où il y a un vrai décrochage français par rapport aux autres, c'est les 60-65 ans, d'où d'ailleurs, on y revient, la réforme des retraites.
12:23 Et puis le deuxième, c'est qu'il y a un clivage selon le genre, c'est que, en gros, les hommes et les femmes ont à peu près... Les femmes hommes et les hommes... Pardon.
12:37 Je suis complètement à la cote.
12:39 Les femmes hommes.
12:40 Les hommes et les femmes seniors ont...
12:42 Non, non, non, j'ai perdu sur toi, vas-y.
12:44 Et puis il y a un deuxième élément qui est le clivage selon le genre.
12:49 Les femmes et les hommes ont à peu près le même taux d'emploi en France, ce n'est pas du tout le cas ailleurs.
12:54 Et donc là où il y a un vrai décalage, ce sont chez les hommes.
12:58 Donc les hommes âgés sont beaucoup plus, beaucoup moins, en tout cas, dans l'emploi que ne le sont leurs homologues étrangers.
13:05 Une fois qu'on a dit ça, il y a un débat qu'on a rarement qui est "quel doit être l'objectif ?"
13:11 Ça nous paraît évident, d'ailleurs c'est le discours d'Emmanuel Macron, c'est le discours du gouvernement, il faut augmenter ce taux d'emploi.
13:19 Le plein emploi pour tous.
13:20 Des seniors. C'est l'idée.
13:21 Les Français ne travaillent pas assez, ni collectivement, ni individuellement, particulièrement les seniors.
13:27 Et ça cause, c'est vrai, des problèmes à la fois de financement de notre modèle social, d'équilibre des comptes, et c'est particulièrement sensible dans la période.
13:35 Et ça sera un problème encore plus important demain compte tenu de la pyramide des âges.
13:39 On a beaucoup de salariés qui sont à 50 ans.
13:41 C'est vrai, tout ça est juste, mais ça mérite quand même d'être interrogé parce qu'il y a d'un côté, on va dire, une nécessité nationale, puis d'un autre côté, il y a une demande sociale.
13:52 Et les Français ne souhaitent pas travailler, on l'a vu pendant le débat sur la retraite, et on en a parlé ici, une question dans "ça serait quoi votre société idéale ? Est-ce que dans l'idéal vous travailleriez autant, moins, plus, différemment ?"
14:08 C'est 14% des Français qui disent "je travaillerais davantage dans l'idéal".
14:13 Donc il y a cette...
14:14 Davantage en intensité ou sur les années ?
14:18 Sur les deux.
14:19 Est-ce que dans l'idéal vous travaillez davantage que vous ne le faites aujourd'hui ?
14:24 Et c'est particulièrement vrai chez les 50-59 ans.
14:27 Donc il y a ça.
14:29 Et puis je termine par, au-delà de la question sur les objectifs, c'est comment on s'y prend ?
14:35 Et c'est là où on voit le bras de fer et c'est très intéressant entre le gouvernement et les partenaires sociaux.
14:39 Le gouvernement veut aller vite et il veut créer une contrainte pour les salariés.
14:45 Il veut qu'il y ait une incitation, on a eu une incitation législative, même une obligation législative avec les 64 ans,
14:51 maintenant une incitation financière avec notamment l'indemnisation du chômage et la révision des règles de rupture conventionnelle.
14:57 Les syndicats, et notamment la CFDT, disent qu'il aurait fallu faire les choses dans l'autre sens,
15:02 c'est-à-dire qu'il aurait fallu commencer par traiter de la question de l'emploi des seniors avant de faire la réforme des retraites.
15:09 Et une fois qu'on l'a fait, il faut prendre du temps et il faut poser cette question-là globalement.
15:14 C'est-à-dire pas seulement en faisant peser une contrainte sur les salariés,
15:17 mais en redéfinissant le pacte social entre les entreprises et les salariés.
15:22 Parce qu'il y a des problèmes de formation pour les seniors, il y a des problèmes de discrimination,
15:29 et donc il faut reposer cette question globalement.
15:31 Natacha, est-ce que vous partagez l'idée qu'on avait beaucoup dit que le gouvernement s'était trompé,
15:37 avait mis la charrue avant les bœufs pendant la réforme des retraites ?
15:39 Est-ce que là encore il y a un problème de timing, comme vient de l'évoquer Gilles ?
15:43 J'allais dire que autant il y avait un problème en effet de timing et de priorité pour la réforme des retraites,
15:50 autant là, j'allais dire que c'est un problème quasiment philosophique sur la responsabilité des individus.
15:58 Parce que si on résume ce qui s'est passé, les partenaires sociaux sont arrivés à un accord.
16:04 Cet accord prévoit qu'on repousse la question des économies qui sont à faire
16:10 et qui devraient être faites sur l'assurance chômage des seniors.
16:14 Matignon, d'ailleurs il y a un problème politique là-dedans, au départ Elisabeth Borne avait trouvé cet accord équilibré,
16:21 elle est revenue sur ce qu'elle disait pour refuser cet accord et obliger les partenaires sociaux à traiter cette question des économies.
16:29 Premier problème qui est un problème de paritarisme, ou plutôt d'attaque une de plus du gouvernement
16:36 contre le paritarisme et la gestion par les partenaires sociaux.
16:40 Ça c'est un problème d'organisation des pouvoirs en France et de confiance dans les citoyens et leurs corps sociaux qui est extrêmement important.
16:50 Et ensuite très concrètement sur l'affaire, tout simplement il s'agit de dire
16:56 on va diminuer le temps d'indemnisation des plus de 55 ans et comme ça, ça obligera tout le monde à rester au travail.
17:05 Ça obligera les patrons à garder leurs salariés de plus de 55 ans et ça obligera les salariés de plus de 55 ans à rester au travail.
17:12 Avec ce soupçon, et c'est vrai que ça existe, à partir du moment où les salariés atteignent 55 ans,
17:18 on a un accord entre le patron et le salarié, tu en as marre, on te met au chômage,
17:25 tu seras indemnisé jusqu'au moment où tu pourras toucher tes droits à la retraite.
17:28 Et là, ce qu'on risque de créer en diminuant cela, c'est tout simplement des salariés qui seront quand même mis au chômage,
17:36 parce que non, ce n'est pas forcément la majorité qui arrive à un accord avec les patrons pour obtenir cet aménagement,
17:45 c'est du chômage contraint pour beaucoup.
17:48 Et donc si on n'a pas traité avant cela les questions de formation, les questions de réindustrialisation,
17:53 qui permettraient de conserver l'emploi des seniors, on va se retrouver avec des seniors qui vont être appauvris,
17:59 qui n'auront plus leur droit au chômage, parce que c'est vrai qu'ils restent plus longtemps.
18:04 Si on prend les chiffres, les moins de 50 ans, en moyenne, restent 340 jours au chômage avant de reprendre.
18:10 Les plus de 50 ans, c'est 520 jours.
18:14 Mais ça leur permet d'atteindre le moment où ils touchent les droits complets à leur retraite.
18:21 Là, on va créer tout simplement des gens qui seront au RSA,
18:25 des gens qui n'auront plus de moyens de subsistance dans ce laps de temps,
18:28 entre le moment où ils ne touchent plus le chômage et le moment où ils peuvent toucher la retraite.
18:32 Je ne crois pas que ce soit la meilleure manière de traiter le problème.
18:35 Et je pense qu'on ne mesure pas l'impact sur la vie des gens.
18:40 Le grand face-à-face, le duel.
18:44 Vous écoutez France Inter, il est 20h.
18:46 Interactualité, François Foucault.
18:55 L'actualité ce soir, c'est la paix a l'honneur, aujourd'hui aussi insolite que cela puisse paraître.
19:00 C'est cet après-midi en effet qu'a été attribué le prix Nobel de la paix 73.
19:03 Ce matin, il y avait un grand favori, l'archevêque brésilien Donald R. Camara.
19:07 Ce soir, il y a deux lauréats, Henri Kissinger et Lê Duc Thô,
19:11 qui vont ainsi couronner leur contribution au règlement du conflit vietnamien.
19:14 Un duo qui n'a pas manqué de susciter une certaine surprise.
19:17 Gilles Finkelstein aussi un peu surpris, il était dans une boucle temporelle,
19:20 il se retrouvait petit garçon à écouter France Inter.
19:22 C'était le journal de 20h sur France Inter de François Foucault, le 16 octobre 1973.
19:27 Henri Kissinger, vous l'avez entendu, obtenait ici à l'automne 73,
19:30 donc l'un des prix Nobel les plus controversés de l'histoire.
19:32 Notamment parce que les bombardements américains venaient de faire des dizaines de milliers de morts au Cambodge.
19:36 Sans parler des coups tordus en Amérique latine.
19:38 Lui-même d'ailleurs, Kissinger tentera de rendre son prix deux ans plus tard,
19:41 quand Saïgon tombera aux mains du Vietnam du Nord.
19:43 Henri Kissinger, Natacha je me tourne vers vous, c'est l'expression même de la réale politique.
19:47 En gros on peut tout faire, y compris dialoguer avec le diable, si ça profite à son pays.
19:52 Natacha, la mort de Kissinger, est-ce que c'est aussi la mort de la réale politique ?
19:57 Parce que j'ai un peu l'impression quand même qu'on parle beaucoup de morale aujourd'hui,
19:59 notamment en Occident, sur la question en Ukraine, sur la question au Proche-Orient,
20:02 la question de la morale revient en force.
20:04 En effet, il faut bien s'entendre sur ce que l'on entend par réale politique.
20:11 Il y a souvent des malentendus dessus.
20:14 Premier point, Henri Kissinger, dans le bilan de son rôle géopolitique,
20:22 peut avoir à son actif des choses tout à fait positives.
20:25 En effet, le prix Nobel qu'il a reçu n'est pas exactement ce qu'il y a de plus positif.
20:30 Et d'ailleurs, les ducs taux avaient refusé lui ce prix Nobel,
20:32 en expliquant que la peine n'était absolument pas assurée.
20:36 Et bien entendu, le rôle de Kissinger en Amérique latine,
20:42 dans le coup d'État au Chili, dans le plan Condor,
20:46 tout cela n'a jamais été véritablement suffisamment éclairci,
20:50 ne serait-ce que parce que Kissinger a toujours refusé d'être jugé,
20:55 alors qu'il s'en est fallu de peu parfois.
20:58 Mais ce qui est intéressant dans la figure de Kissinger,
21:01 c'est en effet la vision de la géopolitique qui était la sienne.
21:07 On appelle ça "réal politique".
21:09 En fait, je me suis replongée dans ses livres,
21:13 et en particulier celui-ci qui est l'ordre du monde.
21:16 Et il y a cette analyse de ce qu'était la paix de Westphalie.
21:20 Je vais vous lire un passage parce que ça résume assez bien
21:22 cette question du rapport entre moral et pragmatisme.
21:25 "La paix de Westphalie, dit-il, ne reflétait pas une perspective morale unique,
21:29 mais une adaptation pragmatique à la réalité.
21:32 Elle reposait sur un système d'États indépendants
21:34 qui renonçaient à intervenir dans les affaires intérieures des autres
21:37 et acceptaient que leurs ambitions respectives soient freinées
21:40 par un équilibre général des forces.
21:42 Aucune prétention à détenir la vérité ou une règle universelle
21:46 ne l'avait emportée au cours des luttes européennes.
21:48 En revanche, chaque État se vit attribuer un pouvoir souverain
21:51 sur son propre territoire."
21:53 C'est juste un Westphalie 1648, c'est les nations et les frontières un peu modernes.
21:57 Et l'idée c'est de dire que justement, ça ne s'est pas fait sur la prétention
22:03 à imposer un modèle.
22:05 C'est-à-dire que Henry Kissinger est à l'opposé de toute la politique néoconservatrice
22:09 qui s'est développée aux États-Unis pendant les 30 dernières décennies
22:15 et qui, par divers moyens, veut imposer l'idée d'un système
22:21 qui serait par essence meilleur, que les États-Unis appellent la démocratie.
22:25 En fait, il faudrait interroger même ce terme et la façon dont on l'entend.
22:30 Et dans la vision de Kissinger, certes il y a une absence totale de morale
22:36 et donc une capacité à agir de façon parfois cynique et atroce,
22:41 et ça c'est vu en Amérique latine, mais il y a peut-être quelque chose
22:45 de beaucoup moins dangereux que de considérer qu'on incarne le bien
22:48 et qu'au nom de ce bien, on va imposer un modèle.
22:50 Kissinger avait une obsession, c'était d'éviter que la Russie ne rejoigne la Chine.
22:56 C'est ce qui est arrivé aujourd'hui, mais ce qui m'intéresse aussi,
22:59 c'est sa capacité d'adaptation. Parce que, avant l'invasion de l'Ukraine,
23:03 il expliquait qu'il fallait une Ukraine neutre, justement, pour essayer de créer un équilibre
23:09 et éviter que la Russie ne tombe sous la coupe de la Chine.
23:12 Après l'invasion, il a tenu compte de ce qui était arrivé pour expliquer que, désormais,
23:17 il fallait que l'Ukraine rentre dans l'OTAN parce que les conditions n'étaient plus les mêmes.
23:21 Dans ce pragmatisme, il y a une forme de lucidité aussi.
23:24 Et je vous rejoins effectivement dans l'erreur d'analyse qu'on fait souvent
23:27 de considérer que les néo-conservateurs étaient des réals politiciens.
23:30 Alors pas du tout, c'est même l'inverse. Gilles ?
23:32 Rapidement. Cet homme a survécu à tout, il n'a pas seulement vécu 100 ans,
23:37 mais il a survécu à toutes les épreuves politiques, il a survécu non seulement au Watergate,
23:42 alors que la plupart des acteurs ont disparu après, 50 ans après, il était encore là.
23:47 Il y a une nostalgie qui peut être pour partie compréhensible
23:50 parce que c'est une certaine idée de l'Amérique, de la diplomatie républicaine
23:56 qui s'en va avec lui expérimenter, cultiver, stratégique.
24:01 En même temps, il ne faut pas avoir d'indulgence excessive.
24:05 Natacha ne l'a pas fait, elle citait les bombardements en Indochine, on n'oublie pas le Chili.
24:12 Et puis il y a cet héritage intellectuel de la réelle politique, et j'en dis juste un mot.
24:17 Cette idée que les intérêts et les rapports de force prévalent sur les valeurs et sur l'idéologie.
24:24 Cette antinomie-là, elle est très structurante quand on essaye de lire les relations internationales.
24:29 Parfois, elle est pertinente.
24:31 Par exemple, si on prend un exemple très concret, la réintégration dans le jeu diplomatique
24:36 ces derniers mois de l'Arabie Saoudite et de MBS, après l'affaire Khashoggi,
24:42 parce qu'il y avait une crise énergétique, est une illustration pure de ce qu'est la réelle politique.
24:47 Mais souvent, c'est un concept qui me semble aveuglant.
24:51 Et je vous en ai juste deux illustrations très courtes.
24:53 2014, quand après l'invasion de la Crimée, François Hollande annule les contrats mistral avec la Russie.
25:01 On peut dire que c'est au nom des valeurs.
25:03 Mais est-ce que ce n'est pas aussi au nom, en réalité, de notre intérêt ?
25:07 De notre intérêt, évidemment pas immédiat, puisqu'on perd un contrat,
25:11 mais de notre intérêt de sécurité au-delà.
25:14 Invasion de l'Ukraine. L'Union Européenne prend des sanctions.
25:17 On peut dire que c'est au nom de la morale.
25:19 Et ça a un coût, d'un point de vue de nos intérêts, de court terme sur l'accès à l'énergie.
25:25 Est-ce qu'en termes d'indépendance de moyen terme, ce n'est pas aussi notre intérêt ?
25:29 Et donc, je trouve que cette antinomie n'est pas aussi éclairante que cela.
25:33 Il est rare que quand on parte des intérêts, on aille vers les valeurs.
25:37 Mais souvent, quand on défend ces valeurs, on peut défendre aussi ses intérêts.
25:40 Valeurs, morales et intérêts, voilà qui pourrait intéresser notre invité philosophe.
25:44 C'est l'heure du débat du Grand Face à Face.
25:46 *Grand Face à Face*
25:51 Bonjour Marc Crépon.
25:52 Bonjour.
25:53 On ne va pas tellement parler de morale, quoique, merci d'avoir accepté notre invitation.
25:57 Vous êtes philosophe, vous avez longtemps dirigé le département de philosophie de l'école normale supérieure.
26:02 Et dans votre travail, vous creusez la question de la violence sur laquelle je crois que vous êtes actuellement en train d'écrire.
26:08 Et on en parle beaucoup en ce moment de la violence, notamment le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran,
26:13 qui était en début de semaine à Crépon, lieu de la mort de Thomas, poignardé dans une fête de village le 19 novembre dernier.
26:19 C'est à la justice de rendre justice, et pas aux Français eux-mêmes et entre eux.
26:24 La justice permet de ne pas céder à la tentation de la vengeance par la violence, dont se sont rendus coupables à Romand,
26:30 des factions d'ultra-droite animées par la haine et par le ressentiment.
26:33 Et comme la violence alimente la violence, cela a provoqué à son tour un autre drame,
26:37 avec un jeune homme grièvement blessé dans le quartier de la Monnaie, ce qu'il nous faut également condamner.
26:42 Olivier Véran décrit ici un cycle de violence, il a également évoqué par ailleurs le risque de basculement de la société.
26:49 Comment la philosophie peut nous aider à lire ce cycle de violence ? Qu'est-ce que ça dit de nous, du temps que l'on vit ?
26:56 D'abord, la philosophie peut nous aider en mettant un peu de distance par rapport aux réactions immédiates que suscitent ces événements,
27:05 qui m'inspirent pour ma part les réflexions suivantes.
27:10 La première, c'est qu'il y a quand même dans notre société un problème avec la violence, on ne peut pas le nier.
27:16 Et il se manifeste dans le fait qu'une partie, pas seulement de la jeunesse, mais une partie de nos concitoyens,
27:23 privilégient comme moyen d'expression, comme moyen d'affirmation, ou de leur identité, ou de leur appartenance, la violence.
27:32 Les événements de Crépol sont extrêmement symptomatiques, c'est un fait divers, c'est évidemment au bout d'un moment beaucoup plus qu'un fait divers.
27:44 D'abord, le fait divers n'est un fait divers que pour ceux qui n'en subissent pas les conséquences ou qui n'en prennent pas la mesure.
27:51 Et ils révèlent trois choses. Ils révèlent d'abord que notre société est une société fracturée.
27:58 Et que c'est évidemment un vœu pieux que d'en appeler à la cohésion nationale, à l'unité nationale, parce que celle-ci ne correspond pas à la réalité.
28:10 Il y a énormément de divisions, et ces divisions sont liées probablement à l'idée que ce qui fait lien dans une société,
28:23 les facteurs de liaison dans une société, les institutions, l'école, les lieux publics, normalement sont là pour susciter chez les citoyens un crédit minimal, une confiance.
28:38 Et que lorsque, dans le fond, tout ce qui fait lien et qui nous attache les uns aux autres se voit décrédibilisé,
28:45 alors ce sont d'autres formes de lien qui se créent, d'autres formes d'attaches, et ces attaches sont génératrices de violence.
28:52 Donc c'est déjà un fait divers qui reflète, qui manifeste en tout cas, ces fractures dans la société.
29:00 Et puis ensuite, évidemment, il y a deux autres dimensions. Il y a le traitement médiatique de ce fait divers, et puis il y a son instrumentalisation politique.
29:12 Et moi, ce qui me frappe beaucoup dans cette instrumentalisation politique, c'est qu'elle est elle-même génératrice de violence,
29:20 et qu'elle crée ce qui, pour moi, est toujours, dans le fond, constitutif du climat de violence.
29:26 C'est une triple culture. C'est une culture de la peur, c'est une culture de l'ennemi, qui consiste à cibler une catégorie particulière de population,
29:36 et puis c'est une troisième chose, c'est une culture du mensonge.
29:40 C'est une culture du mensonge parce que, dans le fond, ce qui fait le lit de la violence, ce qui fait son terreau le plus favorable, ce sont ces trois choses.
29:47 La culture de la peur, la culture de l'ennemi et la culture du mensonge.
29:51 Et en même temps, les gens qui instrumentalisent, selon vos termes, un fait divers, encore selon vos termes tels que celui de Crépole, considèrent qu'ils sont eux dans le réel.
30:01 Mais non, ils ne sont pas dans le réel. Parce que c'est toujours cette idée que, dans le fond, dès qu'on met un peu de distance réflexive, on n'est pas dans le réel.
30:14 Mais dans notre société, c'est installé de plus en plus l'idée qu'être dans le réel, c'est être capable de réagir immédiatement.
30:25 Et cette réaction immédiate, qui est passionnelle, forcément, qui repose sur...
30:32 Voilà, les réactions immédiates qu'on a, celle de la colère, celle de la peur, du ressentiment, toutes ces passions négatives qui s'emparent de nous lorsqu'on est confronté à un fait aussi terrible, aussi dramatique que celui-là.
30:50 C'est pas être dans le réel que donner droit immédiatement aux sentiments qu'ils suscitent.
30:57 Être dans le réel, c'est au contraire être capable de prendre un peu de recul pour analyser ce dont il est effectivement question, ce qui les provoque, et ce qu'ils appellent comme réaction.
31:09 J'aimerais vous faire juste réagir à un terme qu'on emploie beaucoup de plus en plus dans notre classe politique, qu'on emploie d'abord à l'extrême droite et qui est arrivé au sein du gouvernement aujourd'hui, c'est le mot d'ensauvagement.
31:18 Est-ce que ce terme, comment est-ce que vous l'entendez, vous, ce mot d'ensauvagement, la notion de sauvage, c'est évidemment une notion centrale en philosophie, comment vous l'entendez ça ?
31:27 Alors je n'aime pas beaucoup, même pour dire pas du tout cette notion d'ensauvagement.
31:32 Je préfère parler de brutalisation des liens sociaux, de brutalisation des rapports sociaux.
31:40 Ensauvagement c'est un mot évidemment séduisant, mais c'est un mot qui me semble faire écran, qui ne permet pas justement de comprendre ce qu'il en est effectivement de la fragilisation de ces liens sociaux.
31:55 Et je voudrais vous lire une citation, il y a un texte qui pour moi est une grande source d'inspiration sur cette question-là, c'est un texte de Freud qui se trouve dans l'avenir d'une illusion.
32:08 Alors tout n'est pas à retenir, parce que tout ne s'applique pas, mais d'abord c'est un texte qui est écrit par Freud dans des circonstances elle aussi très dramatiques.
32:16 Et voilà ce qu'écrit Freud.
32:18 "Lorsqu'une civilisation n'est pas parvenue à dépasser l'état, où la satisfaction d'un certain nombre de participants présuppose l'oppression de certains autres, de la majorité peut-être, et c'est le cas de toutes les civilisations actuelles,
32:32 il est alors compréhensible que ces opprimés développent une hostilité intense à l'encontre de la civilisation même qu'ils rendent possible par leur travail, mais au bien de laquelle ils n'ont qu'une part minime.
32:45 Et il ajoute ceci, il va sans dire qu'une civilisation qui laisse insatisfait un si grand nombre de participants et les pousse à la révolte n'a aucune chance de se maintenir durablement."
32:59 C'est un texte extrêmement fort et voilà pourquoi, si vous voulez, je n'aime pas beaucoup le terme d'ensauvagement, parce qu'il ne permet pas de se mettre à ce niveau d'analyse.
33:10 Il ne permet pas de commencer à essayer de comprendre ce qui va mal dans la société.
33:16 Pourquoi est-ce qu'effectivement un nombre si croissant de nos concitoyens vivent avec le sentiment d'être des déshérités, d'être des laissés pour compte, laissés pour compte de la modernité ?
33:27 Pourquoi est-ce que du coup ça crée ces formes de crispations identitaires régressives qui font que pour exister, la seule façon qu'on a d'exister, c'est de s'enfermer, c'est de se replier dans une appartenance communautaire,
33:43 une communauté qui se semble toujours lésée par rapport aux autres et qui crée, dans le fond, qui alimente, qui crée un surcroît de ressentiment.
33:51 Malaise dans la civilisation. Natacha Polony.
33:53 Il y a énormément de choses dans ce que vous venez de dire et qui fait écho pour moi à toutes les réflexions de Cynthia Fleury sur le ressentiment,
34:01 parce que la question à se poser est peut-être de savoir comment notre société contemporaine crée du ressentiment et donc favorise le basculement dans la violence.
34:10 Mais ce qui me frappe également, c'est le fait que cette violence est justifiée sur, j'allais dire, différents endroits du champ politique.
34:19 On a en effet une tendance en général plutôt à la gauche du paysage politique à justifier une forme de violence qui serait une violence politique en réponse à l'oppression.
34:33 Avec cette tendance que je trouve assez frappante qui est de nier la brutalisation des rapports sociaux tout en justifiant une forme de violence politique.
34:43 Et de l'autre côté, j'entendais cette semaine Éric Zemmour invité sur RMC et j'étais effarée par la façon dont il racontait l'affaire de Crépole.
34:54 Ces mots me semblaient une révélation de fantasme absolument extraordinaire puisqu'il expliquait que ces jeunes étaient venus entre garçons sans filles.
35:04 Ils sont venus chercher des filles dans ce bal.
35:07 Il y avait justement une conception tribale dans laquelle en gros les étrangers venaient chercher les femmes de la tribu.
35:16 Et tout cela avec une vision extrêmement brutale et violente des rapports puisqu'en effet on n'appartient pas à la même société.
35:26 C'est tribu contre tribu.
35:28 Et une sorte de délectation et ça me frappe toujours dans les discours politiques actuels qui prétendent être lucides sur la violence mais qui en fait ne sont pas dans la lucidité mais dans la délectation et dans la jouissance.
35:42 Est-ce que vous avez cette même vision des différentes manières d'aborder la violence ?
35:46 Oui alors je suis entièrement d'accord avec ce que vous venez de dire et je trouve ça très intéressant que pour avancer dans la discussion vous pointiez deux discours différents.
35:56 Celui qu'on entend à l'extrême gauche et celui de l'extrême droite.
36:00 Pourquoi ? Parce que d'abord pour revenir sur ce qu'on disait tout à l'heure pour moi l'une des premières choses qu'on doit faire pour s'opposer à la violence c'est d'être capable non pas seulement d'analyser les faits mais de critiquer les discours.
36:13 Nous avons besoin de développer un esprit critique. Je vais partir de la réaction de Zemmour, du discours de Zemmour.
36:20 Je rappelais tout à l'heure qu'il y a trois cultures, la culture de la peur, la culture de l'ennemi et la culture du mensonge.
36:25 En fait je ne les ai pas donnés dans le bon ordre. La culture du mensonge est celle qui conditionne les deux autres.
36:30 La culture du mensonge c'est celle de cette interprétation, de cette lecture absolument fausse et en réalité délirante des faits qui n'a qu'un seul effet c'est de provoquer les deux autres.
36:40 La peur et la constitution de l'ennemi. Avec le discours d'une partie de la gauche radicale c'est tout à fait autre chose.
36:48 Et c'est aussi inquiétant d'une autre façon. C'est à dire que ça s'est installé, je le vois avec beaucoup de mes étudiants,
36:55 je le vois avec beaucoup de mes étudiants puisque je fais un cours, un séminaire cette année sur la violence et donc il est suivi toujours de très très longues discussions.
37:02 Vous travaillez beaucoup sur la non-violence. Alors moi je travaille beaucoup sur la non-violence et je vois beaucoup de gens dans cette génération qui ne sont pas des excités,
37:12 qui ne sont pas des fous furieux, être convaincus que dans la société on ne peut rien obtenir sans violence.
37:18 Alors sauf que cette histoire là, l'idée que dans la société on ne peut rien obtenir sans violence, elle a pris une dimension particulière et supplémentaire cette année,
37:29 enfin cette année, depuis quelques années, avec cette idée qui s'est installée quand même à l'extrême gauche, enfin en tout cas à la gauche de la gauche,
37:37 et qui est vraiment portée par la France insoumise, en grande partie par la France insoumise, qui est celle d'organiser systématiquement la conflictualité.
37:47 Moi je trouve que c'est dramatique. Je trouve que c'est antidémocratique. Je trouve qu'il n'y a rien de moins démocratique que de considérer que dans le fond,
37:58 dans la société, pour obtenir quelque chose, il faut organiser la conflictualité. Pourquoi ? Parce que ça revient à la...
38:07 - En même temps c'est une conception heguelienne de l'histoire que seulement l'affrontement crée des nouveaux rapports de force et donc fait avancer la société.
38:16 Enfin ça a une assise idéologique en tout cas.
38:19 - Oui, ça a une assise. La violence, ça l'a toujours trouvé des turiféraires, y compris parmi les plus grands philosophes, et moi je m'érige en porte à faux,
38:26 par exemple, sur l'idée que la violence est une composante nécessaire de l'éducation. Sur l'idée que, dans le fond, un peuple pour exister doit affirmer,
38:40 dans la violence, son existence par rapport aux autres. Et cette idée, dans le fond, toujours que la violence serait nécessaire dans l'éducation, dans l'histoire,
38:52 dans la politique, elle revient, elle a toujours quand même pour socle une sorte de décrédibilisation de la parole et des pouvoirs de la parole.
39:03 - Alors justement, sur la parole. Les Français, de manière, je ne sais pas si c'est paradoxal, à la fois très massivement, Thomas l'a évoqué,
39:15 ont le sentiment de vivre dans une société violente, et dans une société de plus en plus violente, et une part minoritaire, mais significative d'entre eux,
39:23 considère qu'il est légitime, dans une démocratie, d'user de la violence pour faire valoir ses revendications.
39:30 D'une certaine manière, ce qui s'est passé pendant le mouvement des Gilets jaunes a été une tragique leçon de chose, puisque c'est la violence qui a été le point de basculement des revendications.
39:41 - Et qui a primé, et qui a été récompensé. - Donc dans ce contexte-là, ma question est comment joue la violence verbale avec la violence physique ?
39:49 C'est vrai d'un point de vue politique, on a vu l'irruption avec une Assemblée nationale beaucoup plus diverse, et notamment avec la stratégie de la France insoumise
40:00 de cette violence symbolique à l'Assemblée nationale. Est-ce que, pour vous, elle vient alimenter la violence ou est-ce qu'elle vient la canaliser ?
40:08 - Alors, la violence verbale et la violence politique ? - Oui, Marc Crépon.
40:13 - Alors je considère qu'effectivement, il y a quand même une concomitance, pour moi, entre ces phénomènes de violence récurrent et cette idée, dans la société,
40:25 qu'on ne peut rien obtenir sans violence, qui effectivement touche une partie de la population, et puis une sorte de véhémence accrue qui s'est installée dans le discours politique,
40:41 c'est-à-dire l'émergence et le succès, un peu partout en Europe, et pas seulement en Europe, puisque c'est aussi le cas en Amérique Latine, aux Etats-Unis, etc.,
40:48 d'un discours populiste. Pourquoi ? Parce que, dans le fond, le discours populiste véhément, la véhémence politique, elle a pour ressort de capter les passions négatives de la société,
41:09 de les mimer, c'est-à-dire que le populiste, c'est celui qui va dire "je comprends ce que vous ressentez, je comprends la violence qui vous anime, je comprends votre peur,
41:18 je comprends votre ressentiment, je comprends votre colère". - Et je peux l'incarner. - Et je peux l'incarner. Mais du coup, il la légitime.
41:25 Du coup, il la légitime. Et du coup, dans le fond, cette véhémence qui a quand même envahi, maintenant, la scène politique, et qui est en plus, effectivement,
41:36 souvent, qui s'accompagne de succès, de réussite électorale spectaculaire, eh bien, elle a contribué, elle contribue à créer dans la société l'idée que,
41:50 oui, même sur la scène politique, dans le fond, la violence paye. La violence du discours paye. Et donc, pourquoi pas la violence des actes ? Pourquoi pas la violence des manifestations ?
41:59 Si celle du discours paye. Mais il y a une chose, quand même, que je voudrais dire. C'est qu'il faut se méfier quand on parle de violence. Parce que, et c'est aussi un énorme problème
42:12 dans notre société, c'est qu'à force de la voir partout, nous ne savons plus la distinguer et nous ne savons plus nous opposer à elle. Et donc, nous avons besoin,
42:22 alors c'est ça que j'essaie de faire, de produire des critères qui permettent d'identifier à quelles conditions on peut réellement parler de violence. Pourquoi ? Parce que parler de violence,
42:32 c'est aussi, pas en France, un peu partout, c'est aussi la façon qu'a le pouvoir politique, qu'ont des pouvoirs oppressifs, de systématiquement décrédibiliser des actions
42:47 qui n'ont rien de violent. Des protestations, des manifestations, les manifestations d'une opposition. Donc, parfois, l'usage même du mot "violence", ou de l'adjectif "violence",
42:59 a très très bon dos pour faire taire ceux qui, dans le fond, manifestent une opposition, dans quelque espace que ce soit.
43:09 - Natacha Polony. - Alors, on revient sur cette question, en fait, de la perception, j'allais dire, collective et la perception individuelle de la violence, en effet.
43:17 C'est-à-dire que quand on appelle "éco-terrorisme", par exemple, toute protestation du moment qu'elle emploie des moyens qui sont à la limite de la légalité,
43:26 alors même qu'on peut distinguer, en effet, une véritable violence telle qu'on a pu la voir de la part des Black Blocs à Sainte-Soline,
43:32 et puis des manifestations de la part de gens qui s'opposent, qui s'opposent à des projets qui ont été validés, mais qui, pour autant, n'étaient pas violents.
43:42 Donc, cette distinction est là. - Mais, Natacha, mais qui peuvent être considérés comme violents. Il y a beaucoup d'écolos qui considèrent que c'est très très violent, la prédation de l'environnement.
43:49 - On est bien d'accord. Et de l'autre côté, nous sommes dans un moment où on a l'impression qu'à titre individuel, chacun a tendance à hypertrophier la violence de l'autre,
44:00 en considérant que toute forme de discours qui ne lui convient pas est une micro-agression. Donc, la question est celle, vous le disiez, des critères de la violence,
44:10 et de ce qui, en nous, s'interdit. J'ai en tête le texte d'Albert Camus, à propos de son père, qui raconte comment son père et un autre soldat au Maroc
44:24 étaient en train de patrouiller, et tombent sur des soldats qui ont été massacrés de façon absolument abominable. Et l'autre dit "mais c'est justifié, ils sont opprimés, ils ont le droit de faire ça".
44:38 Et le père de Camus dit "non, ils ne peuvent pas, un homme, ça s'empêche". Et donc, la question est de savoir dans quelles conditions on mesure qu'on doit s'empêcher.
44:47 Quel est le critère qu'on se donne à soi-même pour justement se dire "là, je dois m'empêcher".
44:51 - Alors, je peux... - Marc, répond, tout à l'heure je disais "on va parler de morale", je crois qu'on y est.
44:56 - Voilà, je voudrais peut-être essayer d'expliquer très très rapidement les deux critères qui pour moi permettent de parler de violence.
45:03 Donc si on dit effectivement que toute existence individuelle est un tissu de relations avec des objets, avec des êtres, avec des vivants et des morts, etc.
45:13 On peut dire que ces relations qui nous constituent ne rendent la vie vivable que dans la mesure où nous pouvons encore leur faire confiance, leur accorder un crédit minimal.
45:23 Elles ne sont pas simplement grennées par une défiance complète. Donc tous les liens qui nous constituent sont des liens qui demandent qu'on puisse leur accorder un peu de crédit.
45:33 Avec un espace, avec un lieu de travail, avec des collègues de travail. Et donc ce que fait la violence, elle attaque les liens.
45:39 Elle attaque les liens. Donc quand on est dans une relation, ça vaut aussi du foyer domestique, des relations privées, des relations conjugales.
45:46 Quand le lien est attaqué et qu'aucune confiance ne peut être mise dans le lien, alors on peut dire qu'il y a violence.
45:52 Mais ça, ça ne suffit pas parce que ça ne permet pas de dire ce que la violence fait au corps et aux esprits.
45:57 C'est pour ça que la méthode que j'adopte pour parler de la violence, c'est de toujours parler des effets de la violence.
46:06 Donc le premier, c'est celui-là, c'est l'attaque des liens. Et le deuxième, c'est la réification.
46:10 Le deuxième, c'est la réification, c'est-à-dire la chosification. C'est-à-dire que quand vous subissez une violence, vous êtes réduit tout simplement à l'objet sur lequel une force s'applique,
46:20 indépendamment de votre volonté, qui nie tout ce que vous êtes, qui nie votre singularité, qui nie l'infinité de ce que vous êtes et de ce que vous n'êtes pas.
46:29 Parce qu'elle vous réduit à une image ou elle vous réduit à une abstraction.
46:34 Par exemple, pour parler d'une des violences de ces dernières années, enfin qui n'est pas que de ces dernières années, mais elle s'est accentuée ces dernières années.
46:43 Si vous parlez, si on pense à l'antisémitisme, qui gangrène toutes les sociétés démocratiques ou non démocratiques, etc.
46:51 Qu'est-ce que c'est que l'antisémitisme ? Eh bien c'est la réduction de tous les individus.
46:58 Lorsqu'aujourd'hui, l'antisémitisme a une image abstraite, elle a réduit toutes les individus à une image abstraite.
47:03 Parce qu'aujourd'hui, vous faites porter aux juifs du monde entier la responsabilité de la politique de l'état d'Israël et de la riposte israélienne à Gaza.
47:11 C'est une forme de réification. C'est-à-dire, c'est une forme d'identification indue des individus dans leur singularité propre à une politique avec laquelle peut-être ils sont d'accord, peut-être ils ne sont pas d'accord, peu importe.
47:24 C'est une forme de réification extrême. Le racisme est une forme de réification extrême. L'enfermement de tout individu dans une catégorie abstraite est une forme de réification.
47:37 Je crois que ça c'est les deux critères. Et ça me permet évidemment, une fois qu'on a dit ces deux critères-là, ça me permet évidemment d'écarter beaucoup de formes d'actions qu'on dira violentes de façon indue.
47:52 Une protestation pacifique, la manifestation d'une opposition pacifique, c'est pas une forme de violence.
47:57 Oui mais pardon, la limite à votre analyse, c'est que vous considérez que la violence se mesure à l'effet qu'elle produit.
48:02 Mais en fonction des uns ou des autres de nos individualités, on peut être plus ou moins touché par ce qu'on considère être comme une violence.
48:10 Quand Natacha évoque la microagression, pour certains c'est insupportable. Est-ce que c'est pas une violence du coup parce qu'elle est considérée comme telle par celui qui la reçoit ?
48:18 Alors, ça dépend, je sais pas quels étaient vos exemples de microagressions, mais pour le dire très clairement, je pense que dans beaucoup de situations concrètes, il faut être capable d'identifier la première forme de microagression comme une violence pour éviter que ne se produise ce qui fait pour moi aussi le lit de la violence, qui est la sédimentation de l'inacceptable.
48:43 C'est pour ça qu'il m'est arrivé beaucoup ces dernières années, parce que je me suis intéressé aux violences de l'intime, d'avoir des débats avec des victimes de violences conjugales.
48:55 Et quand on dit que le refus doit se manifester dès la première gifle, dès la première insulte, c'est exactement ça.
49:04 C'est-à-dire que peut-être qu'une insulte, peut-être qu'un mot de trop, c'est une microagression. Moi je ne crois pas que ce soit une microagression, précisément pour ça, parce qu'elle installe d'emblée quelque chose qui est voué à se répéter et qui est la sédimentation de l'inacceptable.
49:20 Gilles, ce qui est très intéressant dans votre livre, c'est que vous insistez sur l'importance des effets sur lesquels vous venez d'évoquer. Si on en vient à un moment sur les causes, il y a un développement que vous faites sur notre nouveau rapport au temps.
49:36 Et en quoi ce nouveau rapport au temps induit un nouveau rapport au langage ? Et en quoi ce nouveau rapport au langage est-il producteur de violence ?
49:49 Alors, nous vivons dans un temps accéléré et dans un temps de réactivité immédiate. Et les modes de communication aujourd'hui font que nous réagissons instantanément par message, par WhatsApp, etc.
50:07 Nous réagissons instantanément à n'importe quel événement, quel qu'il soit, ou sur les réseaux sociaux. Et cette réaction, cette sollicitation permanente de la réactivité immédiate court-circuit le temps de la réflexion, le temps du recul, qui est aussi constitutif d'une maîtrise du langage.
50:27 C'est-à-dire que quand vous devez réagir, la réaction immédiate est une simplification, et même une réduction du langage. Et cette simplification et cette réduction du langage, elle est constitutive de violence.
50:49 Et c'est ce qui nous fait penser que nous sommes des gens qui n'avons pas réagi trop vite. Je parle même là des relations privées, qui n'ont pas réagi, lequel d'entre nous n'a pas réagi trop vite à un message, à une situation, à une nouvelle ? Et après se dire "mais qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi je n'ai pas pris juste le temps de la réflexion ? Mes mots ont dépassé ma pensée." Voilà.
51:07 Je crois que la rapidité, ce rapport au temps fait que nos mots, nos mots qui sont portés par l'affectivité, dépassent notre pensée.
51:19 Le livre auquel Gilles fait référence, c'est "Le désir de résister", qui était paru l'an dernier chez Odile Jacob. Simplification, réification, sédimentation, et comme réponse, la réflexion. C'est à peu près ce que vous êtes en train de nous dire. Marc répond. Natasha ?
51:30 Pour prolonger ce que vous venez de dire, est-ce qu'il faut comprendre dans votre réflexion qu'une société numérique, c'est-à-dire de l'accélération de l'ensemble des processus, et j'entends par là pas seulement les réseaux sociaux, mais vraiment la réduction du temps dans les informations, dans tout ce que nous ont offert les technologies numériques, est forcément une société violente ?
51:51 Alors, d'abord, je pense qu'il faut toujours un temps, lorsque s'installent de nouvelles technologies, comme les technologies du savoir, de l'information aujourd'hui, pour s'y adapter. Et s'y adapter, on s'y adapte très vite techniquement.
52:08 On a une génération, la génération de mes enfants, ils vont beaucoup plus vite que moi, c'est pas très difficile d'ailleurs. Mais cette adaptation-là, vous voyez, je ne veux pas faire le procès du numérique pour faire le procès du numérique, on ne va pas vivre sans le numérique, il faut vivre avec son temps.
52:30 Mais par contre, que le numérique nécessite, que ces nouveaux outils du savoir et de l'information nécessitent une réflexion pour savoir justement comment ils ne sont pas forcément synonymes d'accélération du temps et de simplification du langage et de réduction du langage, là je pense que tout le travail est devant nous.
52:52 Et pourquoi ça a un grand lien avec la violence ? Parce que, dans le fond, s'il fallait essayer de dire c'est quoi la solution, est-ce qu'il y a une solution ? On n'en voit pas beaucoup, on a tellement l'impression que la violence se confond avec le réel et qu'on est dedans qu'on ne voit pas ce qu'on peut faire même.
53:12 Eh bien j'ai une toute petite chose à laquelle je m'accroche. D'abord c'est encore heureusement une croyance dans l'éducation, une croyance mais fondamentale dans l'éducation, je pense que si on renonce à cette croyance-là, alors on a renoncé à tout.
53:28 Et puis aussi peut-être, pas une réorientation de l'éducation, mais peut-être une réaccentuation dans l'éducation de ce qui pour moi devrait être sa vocation première qui est le développement de l'esprit critique.
53:42 Pourquoi ? Parce que le développement de l'esprit critique qui est la première des formes de liberté, elle permet justement, elle installe un autre rapport au temps.
53:50 Ah ben voilà, j'ai vu cette information sur internet, ah j'ai visité ce site, alors posons-nous les bonnes questions.
53:56 Ah on me balance cette image là, mais posons-nous les bonnes questions. Qui a monté cette image ? D'où elle vient ? Quel est l'intérêt de celui qui la diffuse à la montée ?
54:05 Donc il y a un certain nombre de questions, de questions critiques qu'on est habitué à se poser quand on fait de la critique son métier.
54:11 Et ça je crois que ça doit être un levier puissant de l'éducation pour permettre ce dont nous avons besoin dans le fond, pas de revenir sur la numérisation, mais d'instaurer un autre rapport aux discours et aux images.
54:26 Merci Marc Crépon, éloge de l'enseignement. Maël qui prépare l'émission avec nous, qui travaille avec nous, nous a dit à quel point vous aviez été un enseignant de philosophie extraordinaire pendant sa scolarité.
54:36 Un grand merci à vous Marc Crépon, merci Gilles, merci Natacha, merci à l'équipe du Grand Face à Face, Mathilde Klatt bien sûr à la préparation de l'émission, Marie Merrier à sa réalisation et aujourd'hui Ludovic Asselot à la technique.
54:50 [Musique]

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