"J'ouvre mes dms Instagram, et je vois qu'on m'a envoyé des photos de moi, nue."
La journaliste et auteure Salomé Saqué a été victime de deepfake porno, elle nous raconte cet épisode choquant
La journaliste et auteure Salomé Saqué a été victime de deepfake porno, elle nous raconte cet épisode choquant
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00:00 Quand on voit un montage de nous sexualiser, ça a des conséquences.
00:03 On apprend bien sûr à le gérer, on essaie de faire avec, mais ce n'est pas normal.
00:07 Je m'appelle Salomé Sake, je suis journaliste pour le média en ligne Blast
00:11 et j'ai écrit un livre qui s'appelle "Se sois jeune et tais-toi" aux éditions Payot.
00:14 J'étais dans le métro avec mon meilleur ami, je regardais mes DM Insta
00:17 et soudainement j'ai vu qu'on m'avait envoyé une photo de moi où j'étais nue.
00:21 C'était un deepfake qui donnait l'impression que j'avais posé les seins à l'air de manière un peu sexualisée
00:26 et ça, c'était réalisé à partir de vraies photos.
00:28 Ma première réaction, ça a été d'être un peu gênée,
00:31 au point même d'hésiter à montrer la photo à mon ami,
00:34 alors que pourtant ce n'était pas vraiment moi, enfin en tout cas ce n'était pas moi qui étais nue.
00:37 C'est très étrange, ça crée une espèce de malaise, une espèce de honte.
00:40 Et puis ma deuxième réaction, ça a été de me dire "Où sont ces photos ?"
00:43 De cliquer sur le compte, de voir qu'elles étaient publiques et de me dire "J'espère que personne ne les a vues".
00:48 Et donc je lui ai quand même montré et lui ça a choqué, il m'a dit "Punaise, c'est hyper bien fait".
00:53 C'est-à-dire que si on passe rapidement sur ces photos, on pourrait vraiment penser que c'est moi
00:57 parce que l'intelligence artificielle permet vraiment d'avoir du réalisme.
01:00 Alors si on est un pro et qu'on regarde de près, on voit que c'est trafiqué,
01:05 mais moi au premier abord, vraiment, j'ai trouvé que c'était hyper étrange, ça m'a fait quelque chose.
01:09 Et en en discutant avec lui, déjà il était mal à l'aise, j'étais mal à l'aise,
01:13 et je me suis tout de suite posé la question de le partager publiquement parce que c'est la deuxième fois que ça arrive.
01:16 Et là, c'était particulièrement bien fait, mieux fait que la première fois.
01:19 Et en fait, au moment de partager, j'étais mal à l'aise.
01:22 Je me disais "Mais je ne vais pas partager une photo où je suis nue".
01:25 C'est quand même hyper étrange où j'ai la poitrine à l'air comme ça, même si ce n'est pas ma poitrine.
01:29 Et c'est justement ça qui m'a fait partager ces photos à la fin,
01:31 parce que je me suis dit que ce n'était pas du tout à moi d'avoir honte.
01:33 Et en fait, les personnes qui créent ce type de contenu, qui rendent public,
01:37 encore une fois, il n'y a pas une volonté simplement de faire ça de son côté pour son plaisir personnel,
01:41 c'est une volonté de le rendre public et de m'atteindre,
01:44 et de procéder à une forme, moi ce que je considère être une forme d'humiliation,
01:47 parce que le rendre public, c'est ça.
01:49 Si j'ai honte, il gagne.
01:50 Et donc, j'ai choisi de diffuser ça publiquement sur Twitter, sur Instagram, de montrer la photo.
01:55 Et ce qui est fou, c'est que même si c'est dans une démarche vraiment de lutte
01:59 contre ces deepfakes pornographiques, pour faire en sorte que ça s'arrête,
02:03 il y a quand même une forme de malaise qui persiste.
02:05 C'est quand même mon visage qui est partout, avec des photos de moi sexualisée.
02:08 Ce n'est pas la première fois que j'en entends parler,
02:10 ou tout simplement que j'ai des proches qui sont touchés par ça.
02:12 Et c'est ça aussi qui m'a poussée à en parler publiquement,
02:14 c'est que récemment, j'ai une bonne amie qui est créatrice de contenu sur Internet,
02:18 qui a carrément été victime d'un porno deepfake,
02:21 c'est-à-dire que c'était une vidéo entière avec sa tête,
02:23 où on pourrait jurer que c'est elle qui est en train d'avoir ce rapport sexuel.
02:25 Et ça l'a beaucoup perturbée.
02:27 C'était le quatrième témoignage que j'avais.
02:29 C'est un phénomène qui est en train de se généraliser.
02:31 Et puis surtout, c'est un phénomène dont j'ai aussi entendu parler
02:33 par le biais d'influenceuses, de streameuses qui en ont parlé publiquement,
02:36 et je pense qu'elles ont raison.
02:37 Et on a aussi vu ça avec des actrices, des chanteuses.
02:41 En fait, le point commun de tout ça, c'est que c'est des femmes.
02:43 C'est-à-dire qu'on crée un outil qui n'a pas pour but à la base de sexualiser les femmes,
02:46 et immédiatement, il va y avoir des personnes pour s'en emparer,
02:49 pour stigmatiser, humilier, dégrader, faire pression sur des femmes
02:53 qui ont pour point commun d'être des figures publiques, de s'exprimer publiquement.
02:57 Aujourd'hui, les chiffres de l'ONU nous disaient qu'une femme
02:59 a 27 fois plus de chances d'être victime de cyberharcèlement qu'un homme.
03:04 Et ce qui me dérange vraiment, c'est qu'on a tendance à trouver que ça fait partie un peu du jeu.
03:08 C'est-à-dire que ça, c'est quelque chose qu'on m'a beaucoup dit,
03:10 qu'à partir du moment où je m'exposais sur Internet,
03:12 c'est-à-dire que moi, je fais mon métier de journaliste,
03:14 je produis des émissions économiques, écologiques,
03:16 si je suis victime de harcèlement, si on m'insulte, si on me fait des commentaires sexistes,
03:21 si là, on me fait des deepfakes, c'est que c'est le jeu.
03:24 Et en fait, ce raisonnement est totalement inadmissible.
03:26 C'est-à-dire qu'on devrait pouvoir, en tant que femme, s'exprimer sans s'exposer à ça,
03:30 encore une fois, quel que soit notre travail.
03:32 Et ce qu'on constate, c'est que c'est vraiment un frein
03:34 à ce que les femmes puissent s'exprimer tranquillement, puissent s'exprimer librement.
03:38 Et c'est quelque chose que j'ai constaté, ne serait-ce que sur moi,
03:40 parce que c'est mon métier.
03:41 Je sais que, potentiellement, je m'expose à du harcèlement plus ou moins grave.
03:45 Et en fonction de comment je vais, où j'en suis dans ma vie,
03:48 je vais hésiter parfois à m'exprimer sur certains sujets.
03:50 Ça m'est même déjà arrivé de refuser certaines émissions à Blast
03:54 en disant à ma direction, là, il y a trop de cyberharcèlement en ce moment,
03:58 je suis tellement victime d'insultes, je ne le sens pas,
04:00 d'aller sur un énième sujet où je sais que ça va déclencher cette vague de harcèlement.
04:04 Et puis, il y a une dernière dimension,
04:06 c'est que là, depuis tout à l'heure, je parle des femmes publiques,
04:08 mais il y a aussi toutes celles qui sont plus anonymes
04:11 et qui sont aussi victimes de cyberharcèlement,
04:13 qui sont victimes de ces deepfakes et qui n'ont pas la tribune médiatique que là j'ai.
04:16 Et c'est aussi pour ça que j'en parle publiquement,
04:18 c'est que quand j'ai posté ces photos de deepfakes, j'ai reçu plein de messages,
04:21 mais vraiment plein de messages de créatrices de contenu,
04:23 de femmes qui sont exposées publiquement,
04:25 qui m'ont expliqué avoir vécu la même chose.
04:27 Et puis, j'ai aussi reçu beaucoup de messages d'anonymes
04:30 et qui ont vécu dans leur lycée, à leur travail,
04:33 la diffusion d'images d'elles pornographiées,
04:35 qui sont encore plus démunies que moi,
04:37 parce qu'elles n'ont même pas la capacité d'être écoutées,
04:40 d'être crues publiquement et que des gens s'en indignent,
04:44 parce que suite à ça, moi j'ai aussi reçu beaucoup de soutien
04:46 et honnêtement, ça m'a fait du bien.
04:47 Et puis, il y a un dernier élément aussi,
04:48 c'est que je suis journaliste économique, écologique,
04:50 je produis des émissions, j'essaie de leur donner de l'écho.
04:53 Je n'ai pas envie d'être médiatisée et connue pour avoir été victime de deepfake.
04:58 Je n'ai pas du tout envie que les gens aient dans leur tête
05:00 cette image de moi nue plutôt que cette image de journaliste
05:04 qui fait son travail et qui informe sur les enjeux économiques et écologiques.
05:08 Et puis, dernier élément, le harcèlement s'intensifie quand on partage ça.
05:12 C'est-à-dire que moi, c'est exactement ce qui s'est passé.
05:14 Quand j'ai partagé ces photos, majoritairement j'ai eu du soutien
05:17 et évidemment, les messages de harcèlement ont redoublé.
05:20 Et il y a eu plein d'hommes, et je l'ai partagé aussi ça sur Twitter,
05:23 d'hommes qui m'ont écrit de toute façon "on hait les femmes",
05:26 "on vous déteste, c'est bien fait pour vous".
05:28 Encore une fois, ils ne sont pas majoritaires dans mon cas,
05:30 mais ils existent, je les lis, ils sont quand même nombreux.
05:32 À chaque fois que je dénonce le harcèlement,
05:34 j'ai pour conséquence d'avoir plus de harcèlement.
05:36 C'est mathématique.
05:37 Et c'est ça qui empêche aussi beaucoup de femmes d'en parler publiquement
05:40 et je le comprends totalement.
05:41 J'espère vraiment qu'il va y avoir à un moment une prise de conscience rapide,
05:44 je dis bien rapide, des pouvoirs publics pour encadrer ça,
05:47 pour donner les outils aux femmes pour lutter contre ça,
05:50 pour faciliter le dépôt de plaintes,
05:52 que les auteurs de ces faits puissent être punis et surtout éduqués.
05:54 Pour ça, il ne faut vraiment pas se taire.
05:56 Si on vous insulte dans la vraie vie, ça va vous faire quelque chose.
05:59 Ça peut même vous faire quelque chose physiquement.
06:01 Ça peut vous faire de l'anxiété, ça peut créer une réaction physique.
06:04 Quand on se fait insulter en ligne, ça a des conséquences.
06:07 Quand on voit un montage de nous sexualiser, ça a des conséquences.
06:10 On apprend bien sûr à le gérer, on essaie de faire avec,
06:13 mais ce n'est pas normal.
06:15 Et on ne peut pas accepter que ça fasse partie de l'exposition publique.
06:19 C'est pour ça que moi je dis toujours "oui, je fais avec,
06:21 je ne suis pas complètement traumatisée par ce deepfake,
06:24 ma vie continue, mais je lutte contre et je n'accepte pas ça.
06:28 Et ça ne fait pas partie de ma profession, ce n'est pas une condition normale."
06:30 Le premier message que je fais passer aux personnes qui sont victimes de harcèlement,
06:33 c'est quand même de se faire aider et peut-être d'avoir une aide psychologique,
06:36 parce que ce n'est pas rien.
06:37 Ensuite, sur les réseaux sociaux, ça dépend du niveau de harcèlement auquel on est confronté.
06:41 Si on est une personnalité publique,
06:42 moi je conseille de faire gérer ses réseaux sociaux par quelqu'un d'autre
06:45 pour ne pas avoir à avoir tous ces messages de haine,
06:48 surtout quand on est dans une vague de harcèlement.
06:50 Je conseille, quand on le peut et quand on se sent, de le dénoncer.
06:53 Et ensuite, quand on a le temps, quand on a l'énergie, d'aller porter plainte,
06:57 parce que plus il y aura de plaintes là-dessus, évidemment, mieux ce sera,
07:00 mais je comprends parfaitement qu'on n'ait pas forcément la possibilité,
07:04 tout simplement, de porter plainte, l'énergie physique, psychologique et le temps que ça demande.
07:09 Parce qu'encore une fois, porter plainte, c'est quand même un investissement personnel.
07:12 Et quand on reçoit beaucoup, beaucoup de cyberharcèlement,
07:14 on passerait notre vie au commissariat si on allait porter plainte tout le temps.
07:17 Mais mon message, c'est surtout que la collectivité s'en empare.
07:20 Ce n'est pas aux femmes seules de gérer ce problème massif de cyberharcèlement.
07:24 En tant que société, d'avoir une prise de conscience politique
07:26 et d'avoir derrière les outils, les mesures qui permettent de lutter structurellement
07:31 contre ce cyberharcèlement, parce que ce cyberharcèlement, encore une fois,
07:33 il y a déjà de nombreux films qui l'ont documenté.
07:36 Il est massif, il est mondial, ça se passe dans absolument tous les pays.
07:40 Ce qui est certain, c'est qu'il faut se pencher sur le dossier très sérieusement.