CNews, première chaîne info de France durant une semaine entière: Alexis Lévrier, historien des médias, maître de conférences à l’université de Reims est l'invité de 6h20.
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00:00 Le numéro 16 sur la télécommande est devenu un réflexe pour beaucoup de français.
00:04 C'est le canal de la chaîne CNews qui n'en finit pas de grimper.
00:07 Elle vient même de doubler BFM, première chaîne d'info sur une semaine complète.
00:12 Ce n'était jamais arrivé.
00:13 Bonjour Alexis Lébrié.
00:14 Bonjour.
00:15 Vous êtes historien des médias, maître de conférences à l'université de Reims.
00:18 Comment expliquez-vous cette performance de CNews ?
00:20 Je pense que ça couronne une stratégie qui est celle de la radicalité, de l'opinion
00:25 d'abord.
00:26 Un peu en violation des obligations de cette chaîne, puisque c'est censé être une
00:29 chaîne d'information.
00:30 Ça ne l'est pas Slow Who ?
00:32 Ça ne l'est plus et je pense que tout le monde le voit.
00:36 Assez curieusement, pour l'instant, l'Arkom ne censure pas, enfin il ne s'agit pas de
00:40 censure, mais ne régule pas.
00:41 Il dit même que la chaîne respecte le pluralisme politique.
00:43 Oui, mais ce pluralisme n'est pas.
00:46 D'une part, ils sont obligés d'être une chaîne d'information et donc d'avoir
00:49 des journaux dans chaque tranche horaire.
00:51 Ils contournent cette obligation en escamotant ces journaux.
00:54 En début d'heure, ça dure 30 secondes, personne n'écoute, tout le monde s'en
00:57 fiche, quiconque sait ce qui suit.
00:59 Donc ça, c'est le problème du détournement des règles de l'Arkom.
01:03 Et d'autre part, il y a aussi un respect du pluralisme qui est en cause, puisqu'on
01:09 sait bien que leur succès réside dans la promotion de valeurs, d'idées, de vocabulaire
01:13 aussi, qui est celui de l'extrême droite.
01:14 Donc pluralisme politique, mais pas pluralité des sujets, c'est ça ?
01:18 Non, il n'y a pas de pluralité, il n'y a pas non plus de pluralisme.
01:22 Ces obligations sont contournées.
01:23 Et on avait vu pendant la campagne que ce n'était pas encore une chaîne qui était
01:26 massivement suivie, mais c'était déjà une chaîne très influente qui avait la
01:30 capacité à diffuser des idées dans l'espace médiatique et à influencer les autres chaînes.
01:35 Donc ils n'étaient pas encore leaders, même si ponctuellement ils pouvaient arriver
01:38 en tête.
01:39 Il y avait déjà des émissions qui étaient très fortes, comme celle de Pascal Praud,
01:42 celle de Laurence Ferrari, celle de Sonia Mavroc, celles qui sont en fait les plus radicales,
01:46 fonctionnaient déjà très bien.
01:47 La nouveauté ici, c'est que maintenant, effectivement, sur une semaine complète,
01:49 ils sont devant BFM.
01:50 Mais après, ce n'est pas nouveau d'avoir comme ça des débats musclés, costauds,
01:55 mais vraiment, les téléspectateurs aiment ça.
01:57 S'ils vont sur cette chaîne, ça existe.
01:59 Il y en a eu depuis longtemps à la télévision.
02:00 Oui, et puis il y en a qui étaient de qualité.
02:02 Quand on regarde les émissions des années 70, comme "Armes égales", "Carte sur table",
02:07 c'était des émissions vraiment journalistiques, mais avec un pluralisme et qui étaient très
02:11 spectaculaires, qui étaient très cash.
02:12 Et quand on regarde ça aujourd'hui, on est surpris par la modernité de ces formats.
02:16 Donc il ne s'agit pas de dire qu'il faut interdire ce format un peu cash, qui en plus
02:20 aujourd'hui est promu sur les réseaux sociaux, qui est efficace, qui plaît au public.
02:23 Simplement, il y a des obligations à respecter dans le pluralisme et dans la présence sur
02:29 ces chaînes d'intervenants qui doivent venir de toutes les tendances.
02:31 Et on sait bien que ce n'est pas le cas.
02:33 Ce succès, on le voit en termes d'audience, on le voit aussi sur le plan financier.
02:38 Ça va de mieux en mieux ?
02:39 Alors, ça va de moins en moins mal, puisque les chaînes de Vivandi continuent quand même
02:43 à perdre de l'argent.
02:44 On voit bien que l'empire Vivandi...
02:45 Mais ces news se rapprochent de l'équilibre.
02:47 Oui, ça se rapproche.
02:48 En 2022, les pertes étaient beaucoup moins fortes et on peut imaginer qu'en 2023, ça
02:52 va devenir bénéficiaire.
02:53 Mais on voit bien que sur ces chaînes-là, Bolloré ne cherche pas forcément à dégager
02:57 de l'argent.
02:58 Il mène une guerre culturelle et c'est avant tout là-dessus qu'il agit.
03:01 Et la rentabilité, c'est une question assez annexe pour lui.
03:03 Et à travers ces trois médias d'ailleurs, parce qu'il a Europe 1 et le JDD aussi.
03:07 Oui, et qui eux, continuent à perdre beaucoup d'argent.
03:10 Le JDD, il va falloir voir comment ça se stabilise ou pas.
03:13 Mais on voit bien qu'il s'agit de mener avec ces titres de presse, ces marques médiatiques,
03:19 une guerre culturelle, une guerre idéologique, une guerre même religieuse à certains égards.
03:22 On va élargir après à tout le paysage de ces chaînes d'info.
03:25 Une dernière question sur ces news.
03:27 Qui la regarde ? Qui sont les accros au Canal 16 ?
03:28 Alors, ce sont des gens âgés.
03:31 La moyenne d'âge est autour de 64 ans.
03:33 Le public de la télévision a beaucoup vieilli.
03:35 Mais c'est particulièrement vrai pour cette chaîne.
03:37 Alors, LCI aussi a un public assez âgé.
03:39 Le public de BFM est plus jeune.
03:40 Et ce sont des gens qui souvent partagent les idées, mais qui aussi souvent sont curieux
03:45 de ces formats.
03:46 Ils ne sont pas forcément votés pour Zemmour.
03:48 On a bien vu la limite de ce modèle d'un point de vue électoral.
03:52 Zemmour n'a pas fait un score énorme.
03:53 En revanche, c'est l'efficacité de ce modèle.
03:59 On peut influencer les gens.
04:01 Il y a un défaut de faire voter pour Zemmour.
04:02 On peut voter pour des candidats qui s'en rapprochent.
04:05 Et on sait que le score de Marine Le Pen s'explique en partie par la campagne qui a été menée
04:09 sur les antennes de Viva Indi.
04:10 Donc, il y a ce succès de cette stratégie, en tout cas qui est menée par ces news.
04:15 Comment vous expliquez la mauvaise passe que traverse BFM aujourd'hui ?
04:20 Est-ce que BFM traverse une mauvaise passe ?
04:23 Ou juste, c'est fait doubler par meilleur qu'elle ?
04:25 Elle traverse vraiment une mauvaise passe.
04:27 Il y a des rumeurs autour de la vente.
04:28 Le groupe Drahi est en mauvais état, avec une très forte dette.
04:33 On sait que sur le plan interne, l'arrivée de Marc-Olivier Fogiel n'a pas été bien
04:36 digérée par les équipes.
04:37 Il a tenté d'aller lui-même vers un journalisme d'opinion avec la venue de Ruquier.
04:41 Ça ne fonctionne pas du tout.
04:42 C'est-à-dire de suivre un peu le modèle de ces news ?
04:44 Oui, je crois que c'est assez.
04:45 Alors, pas pour Ruquier, parce qu'il n'a pas cette identité-là.
04:48 Mais on voit bien qu'il fait 200 000, Pascal Praud fait au moins 800 000 tous les soirs.
04:54 Mais aller vers plus de débats et moins de reportages, c'est ça ?
04:56 Oui, c'est ça.
04:57 Ils ont essayé de faire un journalisme d'opinion qui ne soit pas un journalisme d'extrême-droite.
05:00 Et actuellement, on voit, et c'est peut-être plus inquiétant, qu'ils font venir des figures
05:04 qui viennent de l'extrême-droite médiatique.
05:06 Il y a Juliette Briens qui vient de l'incorrecte, qui a été recrutée, et qui a un discours
05:09 très similaire à celui qu'on entend sur ces news.
05:11 Et entre les deux, il est logique finalement que les gens préfèrent l'original à la
05:15 copie.
05:16 C'est assez logique, c'est assez habituel.
05:18 Et les deux autres chaînes, rapidement, leur positionnement ?
05:20 LCI et France Info à la télé ?
05:21 LCI baisse un peu, mais était très fortement montée en 2022.
05:24 Et c'est peut-être un facteur d'espoir, parce que c'était sur une ligne qui était
05:27 très différente en pratiquant un journalisme de guerre.
05:30 C'est la quintessence du véritable journalisme.
05:32 Actu international à fond ?
05:33 Oui, avec une très forte couverture de terrain, du reportage et de l'investigation.
05:38 Ce sont ça les bases du journalisme.
05:39 Et ça a très bien fonctionné au début de la guerre d'Ukraine.
05:41 Et France Info à la télé ?
05:42 France Info stagne un peu, en dessous de 1 part d'audience.
05:46 Donc c'est assez faible.
05:47 Mais avec un journalisme de qualité et fidèle à ce que doit être une chaîne d'information.
05:49 Donc en France, on a 4 chaînes d'info en continu.
05:52 C'est unique en Europe.
05:53 Est-ce qu'il y a de la place pour tout le monde ?
05:54 C'est la question qu'on peut se poser.
05:56 Mais encore, faudrait-il que ce soit vraiment des chaînes d'information.
05:58 Le succès de ces news montre que derrière cette appellation, chaînes d'information,
06:02 se cache tout à fait autre chose.
06:04 Une chaîne d'opinion qui est au service d'un projet idéologique.
06:06 Gros succès, mais juste quand même pour se rendre compte, et on en terminera là Alexis
06:10 Lébrier, par rapport aux chaînes généralistes, le nombre de téléspectateurs, c'est quand
06:13 même bien moindre ?
06:14 Oui, ça reste moindre, sauf sur certaines séquences.
06:17 Quand on regarde lors des pro 1 et 2, ils sont souvent les leaders parmi les chaînes
06:20 d'information.
06:21 Notamment quand ils font venir Zemmour, ils font plus d'un million.
06:23 Et à ce moment-là, ils sont leaders.
06:24 Merci Alexis Lébrier, historien des médias et maître de conférences à l'Université