L’essayiste est l’une des cofondatrices de ce magazine qui lutte contre les extrémismes, le complotisme, les populismes. Il fête ses deux ans d’existence.
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00:00 Votre invitée média Céline Baydarcourt est essayiste et directrice d'un hebdo qui s'appelle
00:04 Franck Tireur.
00:05 Il vient de célébrer son deuxième anniversaire.
00:06 Bonjour Caroline Fourest.
00:07 Bonjour.
00:08 Vous êtes l'une des fondatrices de ce journal avec le philosophe Raphaël Enthoven notamment.
00:12 Ce n'est pas un magazine généraliste.
00:14 Vous vous prenez position à travers des éditos, des tribunes qui sont écrits par des personnalités
00:18 aux idées parfois radicalement différentes les unes des autres.
00:22 Il y a par exemple Jean-Claude Mailly qui est l'ancien patron du syndicat Force Oubrière.
00:26 Mais vous avez tous des ennemis communs qui sont tous les mots en -isme contre l'obscurantisme,
00:34 le wokisme, le complotisme, les extrémismes, l'intégrisme.
00:37 J'en ai oublié j'imagine.
00:38 Oui il y en a beaucoup et ça fait du monde, je vous le confirme.
00:41 Et vous dites défendre ces idées avec une volonté de modération et d'apaisement.
00:47 Est-ce vraiment possible en 2023 avec les réseaux sociaux qui hystérisent le débat
00:51 et surtout dans le contexte extrêmement tendu de la guerre au Proche-Orient ?
00:54 C'est un vrai défi.
00:55 C'est un vrai défi hebdomadaire mais on y met de l'énergie du cœur et de la bonne
01:00 humeur.
01:01 On essaie effectivement de faire un journal mordant contre la polarisation et contre les
01:04 excessifs, contre les extrêmes.
01:05 Mais on s'est aperçu qu'il fallait quand même aussi donner du plaisir au lecteur et
01:10 pas simplement dire des choses modérées de façon parfois trop tiède.
01:14 Il faut les dire des fois franchement.
01:15 Les ventes de Front Tireur ont bondi depuis le déclenchement de la guerre au Proche-Orient.
01:20 30 000 exemplaires dans les kiosques, c'est 10 000 de plus qu'avant.
01:23 Vous êtes au niveau du Point, au-dessus de l'Obs, de l'Express.
01:26 30 000 abonnés.
01:27 Qu'est-ce qui a séduit de nouveaux lecteurs à votre avis ? Est-ce vraiment lié à ce
01:31 qui se passe au Proche-Orient ?
01:32 On était déjà sur une courbe ascendante depuis le lancement du journal.
01:35 Honnêtement, on gagne à la fois des lecteurs en kiosque et des abonnés.
01:38 On a aussi encore plus travaillé notre formule à l'occasion des deux ans.
01:41 Mais oui, je pense bien sûr qu'il y a un effet du 7 octobre parce qu'on est un journal
01:44 qui justement dans les moments où les excès se font beaucoup entendre et où des gens
01:48 en souffrent, vraiment, ils ont besoin aussi de lire un journal qui leur monte un peu le
01:53 moral et qui les aide à tenir.
01:54 Vous disiez "on doit dire les choses franchement", mais alors comment on garde la nuance quand
01:57 on dit les choses franchement ?
01:58 Clairement.
01:59 En fait, c'est ça la différence.
02:00 C'est-à-dire que souvent on confond le fait d'être modéré avec le fait de dire "un
02:04 peu à gauche, un peu à droite" et puis les gens s'y retrouveront.
02:07 En fait, quand on dit clairement quelque chose de très clair et de très nuancé, très
02:12 précis, c'est la précision qui fait la différence.
02:15 Les gens d'abord qui n'ont pas beaucoup de temps pour essayer de démêler tout ce
02:19 qu'ils se racontent et qui sont généralement submergés par les propagandes ou par les
02:22 déclarations, par les petites phrases, apprécient, je crois, en tout cas, c'est ce que nous
02:26 disent nos lecteurs.
02:27 Mais là, sur la guerre entre Israël et le Hamas, on peut être nuancé ? Comment faites-vous ?
02:30 Nous, on s'en prend à ceux qui ne le sont pas.
02:33 Ou à ceux qui, par exemple, confondent la lutte pour la Palestine avec la lutte pro-Hamas.
02:38 Par exemple, ça fait beaucoup de monde aujourd'hui, malheureusement.
02:41 Quand vous avez un slogan, par exemple, qui dit "de la rivière être pour la Palestine,
02:45 de la rivière à la mer", ce n'est pas un slogan anticolonialiste.
02:47 C'est un slogan exterminationniste.
02:49 Donc, mettre les mots sur ça, montrer là où est-ce que le discours dérape et révèle,
02:55 je peux vous dire qu'en huit pages chaque semaine, on a de quoi faire.
02:58 Dans les rédactions des plus grands médias et partout dans le monde, que ce soit en France,
03:01 on le voit à l'AFP ou au Royaume-Uni, à la BBC, il y a des tensions parfois très
03:05 fortes autour de cette actualité.
03:08 Est-ce aussi le cas chez vous, à Front Tireur ?
03:09 Non, parce qu'on est une jeune rédaction qui s'est créée sur des valeurs assez claires.
03:14 Une fois, on vient tous, je crois, d'une ligne qui est très opposée à l'extrême-droite
03:19 et donc à l'extrême-droite israélienne.
03:21 Par exemple, avant le 7 octobre, on faisait un dossier dans les pages de Front Tireur
03:24 contre Netanyahou et contre ce qui se passait, contre sa réforme.
03:27 Et en même temps, nous avons en commun d'être révoltés par l'antisémitisme.
03:31 Donc, au fond, quand on est équilibré par ces deux pôles-là, c'est assez facile
03:35 de s'y retrouver.
03:36 Et quand on a des désaccords à Front Tireur, on a le goût de la conversation.
03:39 Donc, c'est plutôt sur le mode du plaisir et de l'humour.
03:42 C'est pas de la discussion, c'est de la conversation.
03:43 Même quand on se dispute, c'est drôle.
03:45 On essaye, en tout cas, entre nous au moins.
03:47 Vous écrivez dans Front Tireur, Caroline Foureste.
03:50 On vous voit aussi sur LCI le mardi dans l'émission de David Pujadas.
03:53 Vos propos vous valent des messages très violents sur les réseaux sociaux.
03:56 Plus généralement, on assiste à un déferlement de haine, de propos antisémites, de désinformation
04:01 sur X.
04:02 Pourquoi vous y restez, sur cette plateforme ?
04:03 Je me pose la question comme tout le monde.
04:06 Le jour où il y a une plateforme refuge, j'ai commencé à ouvrir un compte sur Boozkay.
04:09 Le jour où il y a un moyen, vraiment, où il y a un mouvement, où on se suit tous les
04:14 uns les autres pour changer de plateforme…
04:15 Mais il y a juste Anne Hidalgo qui est partie.
04:16 C'est ça.
04:17 J'ai peur que ça n'entraîne pas complètement tout le monde et que ça ne soit pas suffisant.
04:20 Il faut qu'on soit plus nombreux pour partir ensemble.
04:22 Que dit ce conflit de la société française selon vous ?
04:25 Le conflit au Proche-Orient.
04:27 Le conflit au Proche-Orient, il dit que…
04:30 D'abord, il y a tout qui est, encore une fois, entremêlé.
04:34 C'est-à-dire qu'il y a à la fois des gens qui sont en train, en ce moment, de confondre
04:37 par exemple ce qui se passe à Crépole et ce qui s'est passé le 7 octobre.
04:40 On sent dans les discours qu'il y a une confusion.
04:43 La période des attentats, tout est mélangé.
04:47 Des gens font des continuités en fonction des prénoms qu'on essaie aussi de démêler
04:51 par exemple.
04:52 Parce que c'est important de mettre des mots quand c'est une violence en bande organisée.
04:57 Ça n'est pas un attentat et puis ça n'est pas le pogrom qu'on a connu le 7 octobre.
05:00 Mais ça c'est le fait de l'extrême droite qui attise ça.
05:02 Oui, enfin, moi je crains que malheureusement ce soit plus large que ça.
05:05 L'extrême droite, elle, cherche à créer ses continuités par les prénoms, par les
05:08 origines, par les identités.
05:09 Nous on est un journal qui, justement, essaye en permanence de défaire les discours identitaires
05:13 qui existent en grande majorité à l'extrême droite et parfois aussi à l'extrême gauche.
05:16 Honnêtement, c'est ça le risque parce qu'ils se nourrissent.
05:18 Et on essaie de remettre un débat d'idées.
05:20 De dire "mais en fait, on a le droit tous de ne pas être d'accord".
05:22 Mais l'essentiel c'est qu'on continue à se disputer sur nos idées, pas sur nos identités.
05:26 Parce que ça, ça s'appelle la guerre civile.
05:27 Revenons à Front Tireur.
05:29 Caroline Foureste, 8 pages, sans publicité, des articles courts, pas de photos, un papier
05:33 journal.
05:34 2 euros, le prix n'a pas changé depuis 2 ans.
05:36 Comment faites-vous justement alors que la fabrication coûte de plus en plus cher ?
05:39 Eh bien on a résisté parce que comme tous les journaux, on a failli augmenter à cause
05:43 du prix du papier qui a flambé.
05:44 Et en fait, le groupe m'a suivie sur le fait que je pensais qu'il ne fallait surtout pas
05:47 toucher à ces 2 euros parce que moi je croise des gens, par exemple, qui me disent qu'ils
05:50 n'achetaient plus la presse dans les restaurants, des serveurs, des gens qui me disent "mais
05:54 Front Tireur, je l'achète, c'est 2 euros, ça m'amuse, ça me plaît, ça m'éclaircit
05:57 les idées" et donc on a changé de papier.
05:59 On a réussi à trouver un papier qui ressemble à beaucoup.
06:01 De moins bonne qualité ? Non, il est meilleur en fait.
06:03 Même sur l'ancrage, moi je le trouve plus beau, mais il est moins cher.
06:05 Il faut chercher.
06:06 Et qui vous lit ? Alors on a évidemment, comme tous ceux qui
06:10 lisent la presse écrite, sans doute, on a des CSP+, on a des gens qui sont un peu plus,
06:16 pas si âgés que le reste de la presse écrite, mais on est dans la moyenne.
06:19 Et on essaie de séduire et les étudiants et encore une fois ceux qui n'achetaient
06:25 plus la presse et qui y reviennent grâce au prix.
06:26 Et plutôt homme, femme ? Pareil ? C'est assez équilibré chez nous.
06:30 Un dernier mot sur vos rapports avec le propriétaire du journal, le milliardaire Daniel Kretinsky,
06:34 ça se passe bien ? Je ne l'ai jamais vu depuis que je fais ce
06:36 journal, donc je l'ai vu 2 fois dans ma vie avant quand j'étais à Marianne, parce
06:40 que j'étais au conseil de surveillance pour défendre justement le point de vue des journalistes.
06:43 Donc ça se passe évidemment très bien.
06:45 Pas d'intervention de ça ? Non, je souhaite vraiment à toutes les rédactions
06:48 d'avoir la liberté qu'on a et en même temps, en ayant cherché des gens comme moi
06:52 ou comme Raphaël Antoven, vous vous doutez qu'ils n'avaient pas eu ça en tête, ils
06:56 n'avaient pas choisi les bonnes personnes.
06:57 Merci beaucoup Caroline Forest.
06:58 Le nouveau numéro de Franck Thireur est sorti ce matin avec, à la une, le procès
07:02 de l'assassinat de Samuel Paty.
07:04 Merci beaucoup à toutes les deux.
07:05 *Bruit de la vidéo qui s'arrête*