"J'avais besoin de laisser une trace" : Dans un podcast, Clémentine Vergnaud raconte sa lutte contre le cance

  • l’année dernière
Clémentine Vergnaud, journaliste à France Info, autrice du podcast Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine, est l'invitée de 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-20-juin-2023-2451579

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Transcription
00:00 N°48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est journaliste à France Info.
00:03 Bonjour Clémentine Verniaux, merci d'être avec nous ce matin.
00:07 Avoir 30 ans et faire face au cancer, c'est le podcast que vous avez publié sur le site
00:12 web de France Info où vous travaillez et sur l'application Radio France.
00:16 Ce podcast c'est un journal de bord en 10 courts épisodes où vous racontez votre combat
00:20 depuis un an maintenant contre un cancer rare et agressif, le cholangiocarcinome, un cancer
00:26 des voies biliaires.
00:27 Ce podcast a bouleversé Nicolas Demorand qui lui a consacré la semaine dernière un
00:30 80 secondes.
00:31 Mais on avait encore envie de vous entendre tant votre témoignage est poignant avec un
00:36 sens du détail et une maturité saisissante.
00:39 Un podcast qui suscite d'ailleurs une avalanche de réactions chez les auditeurs, vous en
00:44 recevez des centaines par jour.
00:46 Vous dites que ce podcast ça a été votre manière à vous, votre moyen à vous, 30
00:51 ans, de laisser une trace.
00:52 Oui parce que quand vous avez 30 ans, que vous n'avez pas d'enfant, que votre carrière
00:57 professionnelle elle débute, je ne sais pas si ça pourrait être le cas de tout le monde,
01:02 mais moi ça a été mon cas.
01:03 Tout de suite je me suis dit mais voilà si je dois partir dans trois mois, qu'est-ce
01:09 qui va rester de moi ? Qu'est-ce qu'on va dire quand on va parler de moi ? Alors
01:13 je sais très bien que dans ma famille, voilà, mes parents seraient capables et mes sœurs
01:17 de raconter à mes neveux et nièces qui j'étais, comment j'étais, de montrer des photos,
01:21 des choses comme ça.
01:22 Mais j'avais ce besoin tout de suite de laisser une trace et ce besoin il a été
01:27 encore plus énorme quand j'ai regardé un petit peu les chiffres d'espérance
01:33 de survie sur internet.
01:35 7% de survie à 5 ans pour ce cancer-là.
01:37 Même si c'est des chiffres qui datent d'il y a 10 ans et que depuis les thérapies ont
01:42 fait de gros progrès.
01:43 Forcément il y a eu une forme d'urgence en moi.
01:47 Dans le premier épisode, le jour où le bateau coule, vous revenez sur la journée où tout
01:51 a basculé, le 15 juin 2022, il y a donc un an presque jour pour jour.
01:55 Ça faisait plusieurs mois que vous ressentiez une douleur sous les côtes.
01:59 Vous avez d'abord pensé à une déchirure musculaire jusqu'au jour où vous allez
02:01 faire ce scanner.
02:02 C'est ce 15 juin de l'année dernière.
02:04 Et là vous racontez ces détails.
02:05 Les détails sont très importants dans votre podcast.
02:07 D'abord votre scanner qui dure beaucoup plus longtemps que ceux des autres.
02:10 Et puis la porte.
02:12 La porte du cabinet du radiologue qui est restée ouverte quand il faisait le compte-rendu
02:16 aux autres patients et qui le ferme avec vous.
02:20 Ce détail qui n'en est pas un, vous fait comprendre en une fraction de seconde cette
02:23 porte fermée que ce qu'il va dire n'est pas bon.
02:26 Oui parce que sincèrement je suis un peu une râleuse.
02:30 Je pestais intérieurement dans cette salle d'attente en fait à chaque fois que j'entendais
02:34 ce radiologue faire le compte-rendu, la porte ouverte, parce qu'on entendait finalement
02:38 ce qui se passait dans la vie des autres.
02:39 Et je me disais "Oh là là, pour le secret médical, c'est pas top quoi".
02:43 Et vraiment quand j'entends cette porte se fermer, je me dis "Aïe".
02:49 Mais vraiment, j'ai cette espèce de décharge d'adrénaline que vous avez quand il y a
02:53 un moment de stress, ça me prend dans tout le corps et je me dis "Il y a quelque chose".
03:00 Vraiment, il y a quelque chose.
03:02 Oui, ça tient beaucoup à ce détail.
03:03 Et il y a quelque chose effectivement.
03:05 Il vous dit le mot de cancer.
03:07 Et là vous dites "Je suis toute seule, mes parents sont à 400 km, je suis seule au monde
03:11 et j'ai l'impression que le bateau est en train de couler littéralement".
03:13 Vos deux premières pensées, Clémentine, c'est "Maman, je veux pas mourir" et "Maman,
03:18 je veux pas perdre mes cheveux".
03:19 Oui, ça peut paraître futile les cheveux finalement, quand on apprend qu'on a un cancer
03:24 à 30 ans et qu'on pense tout de suite aussi à la mort.
03:28 Mais c'est vrai que mes cheveux, c'était quelque chose de précieux pour moi et j'avais
03:32 vu tellement d'images.
03:35 C'est finalement un peu l'image qu'on peut avoir du cancer, notamment au féminin, de
03:39 cette tête sans cheveux, ce visage sans sourcils et sans cils.
03:43 Oui, j'avais peur de perdre mon identité et ça pouvait être le cas dans les deux
03:48 options.
03:49 Après de nouvelles analyses, un médecin confirme le diagnostic et vous dit "Maintenant, il
03:53 va falloir se battre et se battre très fort".
03:55 Il vous dit aussi, alors que vous êtes en larmes devant lui avec votre mère qui est
03:58 en larmes, il vous dit cette phrase "Clémentine, les médecins n'ont pas le droit de pleurer".
04:02 Comme une manière de vous dire "En fait, j'ai envie de pleurer mais je ne peux pas
04:07 pleurer avec toi".
04:08 Oui, c'était ça et d'ailleurs, en me disant tout ça, il avait une de mes mains
04:13 entre les deux siennes.
04:14 Alors que c'est vrai qu'on était encore un petit peu en période de Covid, qu'on
04:18 portait le masque à l'hôpital.
04:20 C'est vraiment un médecin que je n'oublierai jamais.
04:22 Il y a eu comme ça des rencontres, des moments et je dois dire que si beaucoup de malades
04:29 racontent parfois la violence de l'annonce d'un cancer, moi j'ai eu quelque chose
04:33 de très protégé finalement, de très doux.
04:36 De très empathique.
04:37 Oui, de très empathique.
04:38 Et de manière générale, vous rendez hommage à tout le personnel médical de l'hôpital.
04:42 Vous dites "Je ne suis pas traité comme un numéro, je suis traité avec beaucoup
04:46 d'humanité depuis un an, partout, avec les infirmières, avec les médecins".
04:50 Mais quand même, ça ne change pas le sentiment d'injustice.
04:53 Ça, c'est très fort dans le podcast également.
04:57 Vous dites "Pourquoi moi ? Pourquoi moi et pas un autre ? J'ai regardé les facteurs
04:59 de risque, je n'en ai pas un seul pour ce cancer.
05:01 Pourquoi il a fallu que ça me tombe dessus ?".
05:03 C'est très dur à accepter d'être malade, soi et pas les autres.
05:06 À quel moment le loto du hasard a décidé que ce sera sur moi et pas sur quelqu'un
05:10 d'autre ?
05:11 Oui, ça prend beaucoup de temps finalement pour accepter cette injustice, accepter déjà
05:17 effectivement que ça tombe sur soi.
05:19 Parce que quelle était la probabilité ? Sincèrement, je fais du sport, je mange bien, je ne fume
05:26 pas, je ne bois quasiment pas.
05:27 Donc à ce moment-là, on se dit "Mais moi, je n'ai rien fait, j'ai même tout fait
05:31 pour aller bien".
05:32 C'est un cancer qui touche les personnes âgées théoriquement, pas les jeunes de
05:35 30 ans, les personnes gros et vous êtes toutes minces.
05:39 Complètement, ça peut être des diabétiques, des personnes qui ont des pathologies du foie.
05:42 Vraiment, je n'ai rien de tout ça.
05:44 C'est une effraction dans votre univers qui est bien bordé, qui est bien construit.
05:50 Il y a vraiment ce gouffre qui s'ouvre et cette énorme question de "Pourquoi moi ?"
05:55 Il faut un temps assez long, en tout cas ça a été mon cas, il faut un temps assez long
06:01 à la fois pour comprendre qu'on n'aura pas de réponse forcément à cette question,
06:05 que peut-être le "Pourquoi moi ?" restera tout le temps et aussi un temps long pour
06:10 accepter finalement tout ça.
06:12 Accepter que oui, ce n'est pas juste, que la maladie est injuste, qu'on n'a rien
06:16 fait pour ça, mais que c'est là qu'il va falloir vivre avec, qu'il va falloir
06:19 faire une place à la maladie dans son corps et dans sa tête et finalement composer avec.
06:25 Il y a un autre sentiment qui vous traverse et que vous racontez en toute honnêteté,
06:28 c'est la jalousie.
06:29 Vous êtes sur ce lit d'hôpital et vous allez sur Instagram voir les filles de votre
06:32 âge, les filles de 30 ans en maillot de bain sur la plage qui font du surf, qui boivent
06:36 des cocktails.
06:37 Et là aussi c'est ce qui est très fort, il y a le sens du détail qui est très fort
06:40 dans votre podcast et il y a le fait que vous disiez en toute simplicité, en toute honnêteté
06:46 tous les sentiments qui vous étreignent au cours de ce combat que vous avez et même
06:51 les sentiments qui ne sont pas franchement glorieux comme la jalousie.
06:53 Oui, il y a de la jalousie.
06:54 Oui, il y a de la jalousie et ce n'est pas facile à dire qu'il y a de la jalousie,
06:58 ce n'est pas facile à dire qu'on préférerait que ça tombe sur n'importe qui d'autre
07:01 que soi.
07:02 Ce n'est pas facile à dire que parfois quand j'ai vu certaines de mes copines réaliser
07:06 certaines des choses que j'aurais aimé réaliser dans ma vie, intérieurement je
07:11 crevais de jalousie mais j'étais aussi extrêmement heureuse pour elles.
07:14 Oui, ce n'est pas facile à dire.
07:15 Ce n'est pas facile à dire non plus que parfois les gens sont maladroits dans leur
07:19 mort.
07:20 Alors ça c'est très intéressant.
07:21 Vous dites les phrases toutes faites, qu'on dit tous en fait, qu'on dit tous quand
07:24 on a une personne malade ou les textos qu'on écrit "tu es une battante, tu vas t'en
07:29 sortir", vous dites "ça je ne supporte pas".
07:30 Oui, c'est insupportable.
07:31 Mais vraiment, je ne peux plus entendre ces phrases et je les entends encore malheureusement.
07:36 Mais c'est comme ça.
07:37 Qu'est-ce qu'on doit dire ? Qu'est-ce qu'on doit dire face à quelqu'un qui
07:39 est malade ?
07:40 Alors je ne sais pas si j'ai la phrase clé parce que ça dépend de la personne
07:43 malade aussi.
07:44 Mais ce que moi je pense d'assez universel, c'est finalement de rappeler à la personne
07:52 qu'on est là et qu'on peut faire à peu près tout ce dont elle a besoin.
07:57 C'est vraiment être là et redire que s'il y a un besoin, on peut être là aussi
08:02 pour le combler.
08:04 Ça c'est tout simple.
08:05 Et rappeler peut-être aussi tout simplement à la personne qu'on l'aime.
08:08 Ça, ça fait du bien finalement ces sentiments-là.
08:11 Ils sont tout simples.
08:12 Ça n'engage pas grand-chose.
08:14 Mais juste dire "je t'aime" et "je suis là", moi je trouve ça déjà énorme.
08:20 L'angoisse existentielle de la mort, elle vous submerge.
08:23 Elle vous submerge notamment quand vous allez sur Internet, puisque vous résistez pendant
08:26 des mois.
08:27 Les médecins ne vous répondent pas sur le pronostic.
08:29 Et puis un jour, vous faites ce qu'on fait tous, vous allez sur Internet.
08:31 Et là vous voyez effectivement ce chiffre que vous nous avez donné, qui est des chances
08:36 de survie qui ne sont pas grandes.
08:37 Là, cette angoisse de la mort, elle se domestique ?
08:43 Elle se domestique un petit peu.
08:46 C'est-à-dire qu'à partir d'un moment, moi j'ai eu une forme de résilience.
08:52 C'est-à-dire que j'ai fini par accepter, c'est ce que je raconte un petit peu dans
08:55 le podcast, j'ai fini par accepter que l'essentiel, ce n'était peut-être pas la fin, quand elle
09:01 allait arriver, comment elle allait arriver, mais tout ce que j'allais vivre entre-temps.
09:05 Donc il y a une forme de domestication.
09:08 Mais il y a encore des jours où ça me submerge.
09:11 Il y a des moments, des instants où cette vague d'angoisse, elle me prend dans tout
09:14 le corps, où je regarde mon conjoint, mes nièces ou mes parents, où je me dis mais
09:19 ce n'est pas possible, je ne peux pas partir de là dans peut-être deux ans.
09:23 C'est impossible que ça arrive, je ne l'accepte pas, je ne veux pas, j'ai encore trop de
09:27 choses à faire.
09:28 Et y compris avec le succès du podcast et tous ces messages que je reçois, je me dis
09:34 mais ces gens, je ne peux pas les quitter maintenant parce qu'il y en a à qui ça
09:38 a fait du bien et j'ai envie de continuer tout ça.
09:41 Je me dis que j'ai encore quelque chose à faire.
09:42 Il y a encore des moments où c'est absolument vertigineux et étouffant.
09:48 Il va y avoir une saison 2 du podcast, je vous l'espère.
09:52 Je l'espère.
09:53 Et en attendant, vous allez reprendre le travail sur France Info à la rentrée et vous dites
09:57 que France Info a magnifiquement géré les choses.
10:00 Ma vie face au cancer, le journal de Clémentine, allez-y, c'est sur le site web d'Info
10:04 ou sur l'appli Radio France et je vais plagier Nicolas pour terminer.
10:07 Ce podcast, c'est un fragment de pure humanité.
10:10 Il apporte en lui la puissance, c'est-à-dire l'universalité d'un grand témoignage.
10:14 Merci Clémentine Verniaux.
10:15 Merci à vous.
10:16 Merci Clémentine et merci Léa.
10:18 Il est 7h58.

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