• l’année dernière
À l’heure où le mix énergétique mondial est composé à 80% d’énergies carbonées et où le dérèglement climatique se fait de plus en plus perceptible, il est plus que jamais nécessaire de réduire notre dépendance énergétique à l’égard des énergies fossiles. Comment envisager une sortie de l’économie pétrolière ? Si l’électricité dite « verte » est une alternative considérée, avec elle nait le risque de passer d’une dépendance à une autre : de celle du pétrole à celle des métaux.
La dépendance aux énergies carbonées constitue également un véritable enjeu géopolitique : la guerre en Ukraine est venue (re)questionner la dépendance de certains pays, notamment les États membres de l’Union européenne, à l’égard du gaz russe. Elle a également remis au centre des enjeux internationaux l’exploitation du lithium et des terres rares, ressources qui deviendront, à l’avenir, plus importantes que le pétrole et le gaz.

Quels sont les scénarios envisagés pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures ? Une transition énergétique est-elle encore réalisable face à l’urgence climatique ? Quelles recompositions géopolitiques le passage à une économie décarbonée pourrait-il entrainer ? Quel est le paradoxe des technologies "bas carbone" ? Comment la transition énergétique actuelle se double-t-elle d’une transition digitale gourmande en métaux ? Quels problèmes soulève l’exploitation des métaux rares en Afrique subsaharienne ?

Autant d’enjeux auxquels Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, tente de répondre dans ce podcast à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Métaux, le nouvel or noir » coécrit avec Benjamin Louvet aux Éditions du Rocher.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 [Musique]
00:08 Bonjour, mon invité aujourd'hui est Emmanuel Hache, à l'occasion de la sortie de ce livre co-écrit avec Benjamin Louvet,
00:14 "Métaux, le nouvel or noir" qui vient d'être publié aux éditions du Rocher.
00:18 Beaucoup d'idées reçues qui sont remises en cause dans ce livre,
00:21 plutôt beaucoup de pistes qui sont inconnues et qui s'offrent à nous à l'écriture de ce livre.
00:26 Premier élément, c'est que notre mix énergétique mondiale est à 80% d'énergie carbonée,
00:32 on sait qu'on doit en sortir et il y a beaucoup de réserves,
00:35 donc c'est déjà un enjeu de taille que de sortir d'une économie carbonée,
00:39 alors qu'il y a autant de réserves pour dire on peut continuer à les exploiter.
00:42 Bonjour Pascal Boniface, merci beaucoup pour l'invitation.
00:45 Alors effectivement c'est déjà un enjeu en lui-même tout simplement parce que,
00:49 j'ai envie de dire depuis la révolution industrielle, on a un peu fonctionné par addition énergétique,
00:54 c'est-à-dire qu'on a empilé du charbon, du gaz, du pétrole,
00:58 et on vit dans un monde qui ne fait que consommer de plus en plus d'énergie,
01:02 et quelque part on s'est habitué, on s'est complètement habitué,
01:05 et notamment on s'est habitué au pétrole, qui est un élément énergétique qui est très très simple à utiliser.
01:11 On dit souvent que le pétrole c'est liquide, mais quand on a dit ça on a tout dit, pourquoi ?
01:15 Parce qu'il est facile à extraire, il est facile à transporter et il est facile à utiliser.
01:20 Et donc quelque part on est un tout petit peu drogué à l'économie pétrolière,
01:24 et donc sortir de cette économie pétrolière et notamment substituer des énergies renouvelables, c'est extrêmement compliqué.
01:30 Alors pourtant l'alternative c'est bien sûr de faire de l'électricité verte,
01:36 sauf qu'il y a une nouvelle dépendance qui est celle des métaux.
01:40 Et donc le risque que vous illustrez dans ce livre, c'est qu'on passe une dépendance au pétrole,
01:45 à une autre dépendance, on ne va pas aller vers une indépendance en allant vers une économie décarbonée.
01:49 Alors c'est tout à fait vrai, c'est que quelque part on a vécu, à mon sens,
01:54 dans une forme de paradigme qui était la suivante,
01:58 lorsqu'on va sortir des énergies carbonées, on va sortir de la géopolitique des énergies,
02:04 tout simplement parce que la charge géopolitique du pétrole, du gaz, elle n'est plus à démontrer, bien évidemment.
02:10 Et donc aller vers le renouvelable, ça voulait dire tout simplement aller vers des énergies vecteurs de paix.
02:15 Le problème c'est que, comme mon co-auteur adore le dire,
02:19 on ne fabrique pas de l'électricité avec du vent et du soleil.
02:22 Pour fabriquer cette électricité, il faut des transformateurs, il faut des accumulateurs électriques,
02:27 il faut des fils de cuivre.
02:29 Et donc quelque part, passer d'une économie carbonée à une économie décarbonée,
02:33 c'est aussi et surtout se reposer de plus en plus sur ce qu'ils font ces technologies,
02:40 c'est-à-dire les éoliennes, les panneaux solaires, c'est-à-dire des matières premières.
02:44 Et les matières premières dans ces technologies bas carbone, il y en a plein.
02:48 Il y en a plein, il y a notamment beaucoup de cuivre, beaucoup d'aluminium,
02:52 il y a beaucoup de nickel, il va y avoir du lithium, du cobalt dans les batteries.
02:57 Et donc quelque part, on va se retrouver enfermé dans une nouvelle dépendance.
03:01 Et la question c'est véritablement, est-ce qu'on est prêt à faire face à cette dépendance ?
03:06 Et donc en fait, la transition énergétique n'est pas vraiment tout à fait la voie vers l'indépendance
03:10 comme on peut l'espérer, le croire ou le penser, mais plutôt, vous l'écrivez,
03:15 elle se double d'une transition digitale elle-même gourmande en métaux.
03:19 Et oui, c'est qu'on parle souvent de la transition énergétique,
03:22 et moi j'aime bien parler de la double transition parce qu'une transition énergétique est digitale,
03:27 on le sait, on le voit, on vit avec, on vit avec nos téléphones, nos ordinateurs
03:32 et toutes ces connexions Internet.
03:34 Et encore une fois, ce n'est pas neutre.
03:36 Tout ce qui est relatif au digital et à l'énergie, mais d'autant plus au digital,
03:40 repose sur des infrastructures, et ces infrastructures reposent elles-mêmes sur des matériaux.
03:47 Et je dis matériaux au sens large, pourquoi ?
03:49 Parce que si vous prenez toute la chaîne, on va dire, de production, par exemple,
03:53 d'un ordinateur ou même d'un centre de stockage qui va stocker des données,
03:58 et bien à un moment, il va vous falloir du ciment, donc il vous faut du sable, du gypse,
04:03 et tout ça, le problème c'est que lorsque vous regardez depuis les années 70,
04:08 on a été extrêmement gourmand, on est passé de, en termes d'extraction,
04:13 alors les chiffres, ça ne parle pas forcément, mais autour de 25 milliards de tonnes extraites en matériaux,
04:20 tous matériaux confondus, à 100 milliards de tonnes extraites aujourd'hui.
04:24 Par an.
04:25 Par an. Donc 100 milliards de tonnes, ça veut dire quoi ?
04:28 Ça veut dire que tous les jours, sans le savoir, quand vous êtes levé, Pascal Boniface, ce matin,
04:34 vous avez dépensé, en termes d'extraction, 34 kilos de matières premières.
04:39 C'est tout ce qui vous environne qui fait que vous avez une facture journalière de 34 kilos par jour et par personne.
04:46 Et ça, on l'a complètement oublié.
04:48 Et on l'oublie pourquoi ? Parce qu'on a tout invisibilisé, on a tout miniaturisé.
04:54 Votre téléphone portable, eh bien, il pèse 200 grammes dans votre poche.
04:59 Mais beaucoup de kilos, voire de tonnes en extraction.
05:02 Eh bien, c'est exactement ça. 200 grammes dans votre poche, entre 70 et 200 kilos de matériaux extraits.
05:09 Et sur ces 70 à 200 kilos de matériaux extraits, ça dépend de votre téléphone, bien évidemment,
05:14 eh bien, vous allez avoir une quantité considérable de déchets.
05:17 Et donc, quelque part, la production de ce type de technologie digitale, c'est une industrie à déchets.
05:24 Alors, vous écrivez, parce que vous parlez de la dépendance géopolitique, on dit bon, plus de gaz et pétrole russe,
05:29 avant c'était plus de gaz, pétrole du Proche-Orient.
05:32 Bon, après, on ne le prenait jamais, mais donc on se dit, bon, l'énergie décarbonée va nous rendre indépendants.
05:36 Et vous écrivez, le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz.
05:42 Alors ça, c'est notamment Ursula von der Leyen qui a dit ça dans son discours de l'Union en septembre 2022.
05:49 C'est-à-dire, c'est la prise de conscience, effectivement, on va changer de dépendance, c'est plus le gaz, c'est plus le pétrole.
05:56 Donc c'est le lithium, donc c'est peut-être le Chili, c'est la Chine qui raffine plus de 60% du lithium.
06:02 Les terres rares, c'est la Chine qui en raffine, on va dire, plus de 70%.
06:07 Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on passe d'une dépendance à une autre,
06:11 donc peut-être de pays pour lesquels on a peut-être très peu de relations à l'heure actuelle,
06:15 mais qui vont devenir des pays pivots dans la transition énergétique.
06:20 Et donc là, ça va se poser la question de comment on gère cette nouvelle dépendance.
06:24 Vous écrivez, enfin vous démontrez dans votre livre, qu'il y a un double défi,
06:28 passer d'une économie carbonée, sachant que tout est production électrique, chauffage, production de plastique, tout est carboné.
06:36 Donc réussir la transition et réussir une transition qui puisse nous donner une indépendance.
06:41 Est-ce que ce double défi est réalisable ?
06:44 Alors, vous avez raison, le premier défi, c'est de réussir la transition.
06:48 Il y a deux urgences en fait.
06:51 Alors face à l'urgence climatique, on est obligé, il n'y a pas de question à se poser.
06:55 Après se pose la question du réalisme et notamment du réalisme des scénarios qui sont proposés pour sortir de la question pétrolière.
07:03 Moi j'ai presque envie de vous dire, au vu des politiques qui sont mises en place au niveau international,
07:08 on en est très loin. La neutralité carbone et toutes les questions relatives à, j'allais dire, notre sortie des hydrocarbures,
07:15 nous en sommes véritablement très très loin. Pourquoi ? Parce que l'effort qui devrait être fait en termes d'investissement,
07:21 notamment dans les technologies, il n'est pas fait.
07:23 On devrait investir autour de 4000 milliards de dollars par an pour les technologies bas carbone,
07:31 pour le véhicule électrique, pour les éoliennes, pour les panneaux solaires.
07:34 On investit 1100 milliards, donc il faudrait multiplier par 3.
07:38 Après on pourrait se poser la question, mais est-ce que c'est beaucoup ?
07:40 Vous avez un PIB mondial de 100 000 milliards de dollars. 4000 milliards de dollars, ça ne fait que 4%.
07:46 Donc quelque part, c'est réalisable. Donc ça veut dire quoi ?
07:49 Ça veut dire qu'au niveau des politiques publiques, on n'en fait pas assez.
07:52 Donc ça c'est véritablement le premier point.
07:54 Pourquoi ? Parce que c'est demain ? Parce que c'est pas l'urgence ? Parce que c'est un défi entre le court et le long terme ?
08:02 C'est exactement ça. Notamment, il y a un monsieur qui était gouverneur de la Banque d'Angleterre en 2015,
08:08 qui s'appelle McCarnet, qui a posé vraiment le mot sur ce que nous vivons.
08:13 C'est un problème de tragédie des horizons.
08:15 C'est-à-dire que le politique ou le secteur économique a des contraintes de court terme,
08:22 or le défi climatique c'est un défi de long terme.
08:25 Et le problème c'est que l'intérêt du politique ou l'intérêt du chef d'entreprise, c'est pas forcément le long terme.
08:33 Et donc quelque part, il ne va pas aller mettre en cohérence le long terme et le court terme.
08:38 Parce qu'il y a le chiffre d'affaires, il y a les élections.
08:39 Exactement. Et on le voit.
08:41 Et notamment dans les questions de neutralité carbone, de ce qu'il faudrait faire,
08:46 notamment ce qu'il faudrait, j'ai presque envie de dire, imposer.
08:49 Imposer quelque chose à l'heure actuelle dans certains pays, c'est extrêmement difficile.
08:53 On a du mal à mettre en place des taxes carbone, on a du mal à modérer la vitesse sur une autoroute.
08:59 Donc ça veut dire quoi ?
09:00 Ça veut dire que quelque part, le politique n'a pas forcément ni l'envie ni la motivation.
09:05 Et puis surtout, regardez, le politique, s'il met en place une politique de neutralité carbone,
09:09 il ne va pas voir les résultats.
09:11 Parce que son temps de mandat est très court.
09:13 Et donc, tragédie des horizons.
09:15 Donc en fait, on a beaucoup de difficultés à y arriver.
09:18 Alors, vous parlez aussi, enfin, on a subi l'augmentation de l'énergie,
09:23 qui pèse sur la vie quotidienne, qui pèse sur les budgets des États,
09:28 mais aussi sur le budget des ménages.
09:30 Mais en fait, quelque part, quand on vous lit, on est encore plus inquiet.
09:33 Puisque vous écrivez qu'entre le début des années 2000 et la crise fin d'hier de 2008,
09:38 les métaux non-feureux ont enregistré une moyenne d'utilisation de leur prix par 2,5,
09:42 ceux du pétrole par 4 et les produits agricoles par 2.
09:45 Donc les métaux vont également, d'autant plus si je comprends bien,
09:49 et si je vois la fiole de vitre livre, plus ils seront demandés, plus le prix va augmenter.
09:54 Et donc, en fait, là non plus, c'est qu'en sortant de l'économie que nous connaissons,
09:59 une économie carbonée, eh bien, ça ne va pas non plus résoudre les questions économiques.
10:04 Alors, c'est un vrai problème que vous posez encore une fois.
10:06 Pourquoi ? Parce que tout simplement, effectivement, on vit dans un monde
10:10 où on a déjà connu des augmentations de prix des matières premières.
10:13 L'épisode 2000-2008, il est très très caractéristique.
10:16 Et depuis, j'allais dire, la triple crise sanitaire, économique et puis la guerre en Ukraine,
10:22 on a véritablement une problématique matérielle où on a vu qu'on a eu des pénuries,
10:27 on a eu des augmentations de prix.
10:29 Et ça, ça va nous interroger sur, j'allais dire, le cours réel de la transition.
10:33 Et le cours réel de la transition, il a, à mon sens, deux extensions qu'il faut analyser.
10:39 La première, c'est tout ce qu'on nous a raconté, notamment sur la transition énergétique.
10:45 Elle sera moins coûteuse, par exemple, si on va pouvoir mettre à votre disposition
10:51 des véhicules électriques au même prix des véhicules thermiques.
10:54 Ça, c'est peut-être dans des hypothèses où vous n'avez pas d'augmentation des prix des métaux.
10:58 Or, la batterie, c'est une des composantes essentielles du véhicule électrique.
11:01 Si les prix des métaux augmentent, le prix de votre véhicule électrique, il ne va pas baisser.
11:04 Donc, ça, c'est un problème.
11:06 Donc, ça veut dire que la transition énergétique va peut-être être plus coûteuse que ce que l'on pense.
11:11 Le deuxième, c'est l'idée sociale.
11:13 C'est-à-dire que si on a véritablement envie de diffuser ce véhicule électrique,
11:18 eh bien, à un moment, il va falloir véritablement aider les classes les plus populaires
11:23 pour leur permettre d'accéder à ce véhicule électrique.
11:25 C'est la fin du mois, la fin du monde.
11:27 C'est exactement la fin du mois et la fin du monde.
11:29 Et vous rajoutez à ça une autre problématique sociale qu'on essaie de développer dans le livre.
11:34 C'est qu'il risque de se passer quelque chose d'assez important,
11:38 notamment dans un pays comme la France où, comme vous l'avez vu,
11:40 on se pose la question de réouvrir des mines.
11:43 Et le problème, c'est qu'il y a potentiellement des régions industrielles françaises
11:49 où on va retourner à la mine et qui vont travailler pour des classes plutôt aisées
11:56 qui s'achètent des véhicules électriques à la ville.
11:58 Et ça, c'est quelque part, c'est potentiellement le signal faible
12:02 d'un futur gilet jaune minier qu'on pourrait retrouver en France.
12:06 Vous l'avez écrivé dans le livre, c'est-à-dire que les mines,
12:09 il sera obligatoire d'y retourner si on veut être un peu moins dépendant des pays étrangers.
12:14 Mais en même temps, les mines ont une très mauvaise image en France, germinale, etc.
12:20 Et donc, il y a une réticence par rapport au fait de retourner à la mine.
12:23 Il y a une réticence.
12:24 J'ai presque envie de vous dire, est-ce que vous auriez envie que vos enfants travaillent à la mine ?
12:27 Pas forcément.
12:28 Est-ce que j'ai envie que mes enfants y aillent ?
12:30 Pas forcément non plus.
12:31 Pourquoi ? Parce qu'effectivement, il y a cette image et surtout la mine,
12:34 et j'allais dire dans un pays comme la France, le secteur industriel de manière globale,
12:38 on a perdu cette culture industrielle, on a perdu cette culture de l'ouvrier.
12:42 Et donc, on va se retrouver avec deux possibilités, soit on prend la transition en face
12:50 et on se dit, nous aussi, on va participer à cette prise de fardeau écologique
12:56 et on va essayer de produire le plus soutenablement possible,
13:01 c'est-à-dire avec les meilleures technologies, moins polluantes.
13:04 Soit on continue à fermer les yeux et on continue à se dire, ce n'est pas grave,
13:09 ce sera produit au Chili, ce sera produit en Afrique du Sud, au Congo,
13:13 et quelque part, je n'ai pas envie de voir, moi je n'achète que le produit final.
13:16 Le problème, c'est que je pense que cette prise, ce type de position n'est plus possible à l'heure actuelle.
13:21 Ce n'est pas soutenable de penser comme ça.
13:23 Donc, on va avoir deux choix, soit on produit de manière très environnementale chez nous
13:28 et donc on réinculque cette notion de culture ouvrière et minière,
13:32 soit on va vers la sobriété et donc là, on change le système de manière complètement globale.
13:37 Avec l'idée aussi, c'est notre image d'accord, on veut produire national, mais pas local.
13:43 C'est ça, on veut produire national, mais personne n'en a envie.
13:46 Si vous prenez, par exemple, la question du lithium, elle est extraordinaire.
13:49 Par exemple, en France, on a une quarantaine, voire une cinquantaine de sites sur lesquels on pourrait faire du lithium.
13:57 Il y en a un, par exemple, c'est en Bretagne, c'est à Treguenac.
14:00 C'est un lieu où il y a quelques années, enfin il y a quelques années, quelques décennies,
14:04 on a voulu implanter une centrale nucléaire.
14:06 On a eu les premiers mouvements de contestation, hop, ça n'a pas été fait.
14:10 Il y a un autre lieu, c'est où ? C'est dans l'Allier.
14:13 Potentiellement, on va pouvoir implanter, il y a déjà une mine là-bas.
14:17 Et puis, il y a aussi les eaux géothermales du bassin Rénan, à la frontière allemande.
14:22 Tout le monde a envie de dire oui, on veut participer à l'effort, mais personne n'a envie de les avoir sur son territoire.
14:28 Mais c'est comme, on parle des mines, mais l'industrie métallurgique, c'est la même chose.
14:31 Si vous regardez où est-ce qu'on va relocaliser, parce que c'est un grand mot, la relocalisation des industries sur le territoire,
14:37 tout le monde est d'accord.
14:39 Vous comme moi, on est d'accord pour ramener de l'emploi et ramener de l'industrie, mais surtout très loin de chez soi.
14:44 Alors en plus, cette innovation par rapport à l'électroélectrocarbone, par rapport au recours aux minerais et aux métaux,
14:51 ça ne va pas être tellement économique.
14:53 Vous dites, une voiture électrique va nécessiter 80 kg de cuivre, alors que son équivalent thermique n'en nécessite que 20.
14:59 Donc en fait, on va consommer moins d'énergie, mais plus de métaux.
15:04 Alors, c'est un peu le paradoxe des technologies bas carbone, c'est qu'effectivement, ces technologies sont très utiles.
15:11 On l'a vu pour décarboner.
15:12 En plus, ces technologies, elles sont intéressantes.
15:16 Pourquoi ? Parce que les métaux qu'on a mis dedans ont permis de décupler la puissance,
15:22 de décupler par exemple les fonctionnalités, même les technologies du digital.
15:27 En fait, un litre de pétrole, vous le dites, un litre d'essence fait le travail de 200 ouvriers dans une journée.
15:32 C'est l'énergie la plus dense.
15:34 Donc, nos technologies bas carbone, on met des minerais dedans qui leur permettent d'aller peut-être un tout petit peu plus vite.
15:41 Mais le problème, c'est qu'il en faut beaucoup, beaucoup plus.
15:44 Par exemple, pour un mégawatt installé, pour une unité électrique installée d'éolien ou de solaire,
15:52 vous allez avoir huit fois plus de cuivre que pour une unité installée de gaz.
15:57 Pourquoi ? Parce que la densité énergétique, elle est beaucoup plus faible pour les énergies renouvelables.
16:01 Donc, ça veut dire quoi ? Plus on va rentrer dans la transition bas carbone, plus on va avoir besoin de minerais.
16:07 Vous preniez l'exemple du cuivre. Une voiture thermique va comporter 50 kilos de matériaux critiques.
16:14 Une électrique, c'est 200 kilos.
16:17 Après, lorsque vous regardez pour le cuivre, le cuivre, effectivement, on va multiplier par 4.
16:22 L'argent, on va multiplier par 2.
16:24 Donc, en gros, on va multiplier les besoins.
16:27 Donc, quelque part, il faut vraiment se poser la question de, une fois qu'on a ces technologies bas carbone,
16:34 il faut se poser peut-être la question notamment du recyclage et de la façon dont on les fabrique pour essayer de minimiser le contenu matériau.
16:43 Avec une autre question, c'est que si on doit réaliser cette transition énergétique, il faut aller vite.
16:47 Est-ce que l'on serait capable d'extraire tous les minerais nécessaires pour réussir dans les temps voulus cette transition énergétique ?
16:55 Vous vous posez la question.
16:56 Alors, on pose la question.
16:58 Pourquoi on pose la question ? Parce que je vais vous donner 2-3 chiffres, mais ça va être très simple à illustrer.
17:05 Pour mettre en place une mine, par exemple, de lithium, il vous faut 5 ans.
17:10 Pour ce qu'on appelle un salard, c'est-à-dire les salards sud-américains au Chili, en Argentine, il faut 7-8 ans.
17:15 Pour une mine de nickel, il faut une dizaine d'années.
17:18 Pour une mine de cuivre, il faut 15 ans.
17:20 Donc, ça veut dire quoi ?
17:21 Ça veut dire que les besoins d'aujourd'hui auraient dû être anticipés il y a 10 ans plus tôt, on va dire, en moyenne.
17:27 Ça veut dire que potentiellement, si on rentre très rapidement dans la transition bas carbone, on risque d'avoir des pénuries,
17:34 on risque d'avoir des phénomènes de hausse des prix, tout simplement parce qu'on n'aura pas assez investi.
17:39 Et au niveau mondial, on projette qu'il faudrait investir autour de 450 milliards de dollars dans les matériaux critiques.
17:48 On en est à 180.
17:49 Donc, ça veut dire quoi ?
17:50 Ça veut dire que potentiellement, ce n'est pas tant le problème, j'allais dire, géologique.
17:55 On ne va pas manquer de ressources dans le sous-sol, mais on va manquer d'entreprises qui vont aller les chercher.
18:01 On va manquer de capitaux pour aller les chercher.
18:04 On va peut-être manquer aussi de main-d'œuvre.
18:07 Et quand je dis de main-d'œuvre, c'est main-d'œuvre qualifiée.
18:09 Et donc, tout ça fait que...
18:12 Moi, je dis toujours que la décennie qui approche, l'année 2025-2035, c'est sûrement la décennie la plus dure pour les matériaux
18:21 parce que tout simplement, on n'a pas assez investi il y a quelques années et on va le payer.
18:26 Il faut effectivement...
18:27 Donc, comme on n'a pas assez investi, le prix va forcément monter.
18:31 Après, vous avez en économie, la pénurie, il n'y a pas de pénurie.
18:35 En gros, il y a des prix qui montent et qui vont aller casser la demande.
18:37 Et le problème, c'est qu'encore une fois, on va se retrouver avec un choix qui est cornelien.
18:42 Est-ce qu'on interdit de consommer du cuivre dans un secteur essentiel comme logement
18:47 ou est-ce qu'on interdit dans les technologies bas carbone ?
18:51 Dans un des deux cas, c'est pour vivre. Dans l'autre cas, c'est l'urgence climatique.
18:54 Moi, je ne ferais pas ce choix.
18:56 Alors, vous parlez souvent dans votre livre des terres rares.
18:59 Les Français, le public ne sait pas très bien.
19:01 Pour le public, les terres rares, ce sont des terres agricoles. Ce n'est pas du tout ça.
19:05 Alors, ce n'est absolument pas ça.
19:06 Les terres rares, c'est un groupe de minéraux.
19:10 Il y en a 17.
19:12 Et ces terres rares, il ne faut pas les confondre avec les métaux rares
19:16 parce que les terres rares, paradoxalement, et ça, c'est un problème sémantique, ne sont pas rares.
19:20 C'est-à-dire qu'on en trouve beaucoup.
19:23 Il y a des terres qui ne sont pas les terres et des terres rares qui ne sont pas rares.
19:27 C'est exactement ça.
19:28 En fait, il y en a beaucoup en Chine, mais il y en a aussi en Russie, au Vietnam, en Birmanie, en Inde, au Brésil, aux États-Unis, en Suède.
19:35 Qu'est-ce que c'est exactement ?
19:36 Ce sont des éléments métalliques qui vont faire quoi ?
19:40 Qui vont vous permettre d'avoir beaucoup de conductivité.
19:43 Je vous prends un exemple tout simple.
19:45 Vous allumez votre téléphone portable, vous appuyez sur l'application, tout de suite l'application s'ouvre.
19:49 Et bien ça, ce n'est pas magique.
19:51 C'est parce qu'à l'intérieur, vous allez avoir par exemple du scandium qui va vous permettre de gérer ce signal.
19:56 Lorsque vous voyez une éolienne qui tourne, si elle est offshore, vous avez ce qu'on appelle un aimant permanent.
20:02 Vous allez aussi le retrouver dans les moteurs de véhicules électriques.
20:05 Et si ça tourne, c'est parce que vous avez certaines terres rares, notamment du néodyme ou du dysprosium.
20:11 Donc vous allez avoir l'ensemble de ces terres rares qui vont vous permettre de mieux conduire,
20:17 qui vont vous permettre par exemple que votre téléphone ou que certaines technologies ne chauffent pas trop.
20:24 Donc ce sont des éléments, on les qualifie souvent de vitamines de l'économie moderne.
20:29 Et donc ces vitamines, tout simplement, elles nous ont permis de faire des sauts qualitatifs dans notre vie.
20:36 Et elles ne sont pas rares, mais par contre, quand on les extrait, le problème, c'est qu'environnementalement,
20:42 c'est franchement pas très soutenable.
20:46 Généralement, elles sont extraites en majorité avec d'autres éléments qui sont plutôt radioactifs.
20:52 Et c'est pour ça que dans les années 90, le seul pays qui a accepté de les développer, c'est qui ? C'est la Chine.
20:58 Pourquoi ? Tout simplement pour monter en gamme.
21:01 Pour montrer un tout petit peu qu'elle voulait s'affirmer sur le marché des métaux.
21:07 Alors vous parlez d'une possibilité, d'une sorte d'OPEP des producteurs.
21:12 L'Indonésie, par exemple, qui est riche en métaux, pourrait créer une sorte d'oligopole, de club,
21:20 de pays exportateurs de ces métaux pour garantir leur revenu et donc garantir un coût élevé.
21:26 Alors oui, on observe ça. La question des cartels sur les marchés des métaux, ça remonte à dans les années 60-70.
21:36 On s'était posé la question, enfin, ils s'étaient posé la question avec la bauxite ou le cuivre.
21:41 Et ça fait une dizaine d'années qu'on parlait d'un cartel du lithium, notamment entre le Chili, la Bolivie, l'Argentine.
21:48 Et puis en 2022, il y a le ministre de l'investissement indonésien qui a tout simplement dit
21:53 "on va faire un cartel des métaux des batteries". Et alors ça c'est intéressant, pourquoi ?
21:58 Parce qu'on peut avoir plusieurs points de vue en fait sur les cartels.
22:02 Le premier point de vue c'est de dire au final "attention c'est un cartel, ça va faire comme l'OPEP, ils vont contrôler les prix".
22:11 Bon, si vous connaissez un tout petit peu le cartel de l'OPEP, c'est un peu plus compliqué qu'ils contrôlent les prix,
22:15 ils le contrôlent en partie, mais surtout on peut peut-être aussi se poser la question de
22:20 "est-ce que ça permettrait pas notamment d'avoir des prix stables ?".
22:23 Peut-être plus élevés, mais stables.
22:25 Et quelque part, quand on est dans une période de transition bas carbone,
22:29 est-ce que l'intérêt c'est pas d'avoir des prix stables, c'est-à-dire une forme de planification,
22:35 on sait exactement à quel niveau seront les prix l'année prochaine,
22:38 plutôt que de la volatilité guidée par des marchés financiers.
22:41 Donc quelque part, faut pas avoir trop peur de cette question des cartels, parce qu'en plus il faut à mon sens...
22:47 Le côté stabilisateur.
22:48 Exactement, le côté stabilisateur, encore une fois, le côté américain du cartel,
22:53 c'est "il faut pas de cartel, c'est pas bien".
22:55 Oui, sauf que là on est dans des temps où justement un petit peu de stabilité, ça serait pas mal.
23:00 Après, moi je prends plutôt ces signaux-là, parce qu'avant d'y arriver quand même, il va y avoir beaucoup d'étapes,
23:06 il faudrait nationaliser les secteurs miniers dans ces pays, or ils ont quand même besoin d'investissement.
23:12 Deuxième problématique, c'est lorsque vous regardez un petit peu comment ça se passe dans le domaine minier,
23:17 vous avez ceux qui produisent les minerais et vous avez ceux qui les transforment.
23:21 Celui qui en majorité transforme ses minerais en métal, c'est qui ? C'est la Chine.
23:26 Quelque part, le premier cartel sur les marchés des métaux, c'est le cartel chinois.
23:31 Vous dites que l'Afrique subsaharienne présente le double avantage d'être extrêmement riche en ressources et riche aussi en main d'oeuvre,
23:37 mais petit problème, grand problème, c'est que le récette fiscal tiré des activités extractives sont faibles
23:43 et que la redistribution n'est pas tout à fait au rendez-vous.
23:46 Alors effectivement, en Afrique subsaharienne, il y a à mon sens deux problèmes principaux.
23:53 Le premier, c'est le droit minier, c'est-à-dire qu'entre les entreprises internationales et puis les gouvernements,
24:01 le droit minier n'est pas forcément très bien défini, mais surtout, il est très avantageux pour les firmes internationales.
24:07 Et puis le deuxième problème, c'est la présence des investissements chinois, notamment en Afrique subsaharienne,
24:12 notamment on le voit dans le secteur du cobalt au Congo, où on voit que notamment la Chine,
24:18 elle impose autant la politique économique que le gouvernement impose sa politique économique.
24:22 Pourquoi ? Parce que ses entreprises extraient le cobalt et la Chine va raffiner 70% du cobalt qui est extrait au Congo.
24:31 Donc du coup, vous avez cette problématique quand même très très prégnante de la Chine sur les marchés, et notamment en Afrique subsaharienne.
24:38 Merci Emmanuel, je renvoie à la lecture de notre livre coécrit avec Benjamin Louvet,
24:43 "Métaux rares, le nouvel or noir", ça vient d'être publié aux éditions du Rocher.
24:48 [Musique]

Recommandations