A 9h50, Julie Duval, comédienne, auteure et boxeuse, est l'invitée Nouvelle Tête de Mathilde Serrell. Son seule-en-scène, “L’odeur de la guerre”, est à la Scala, à Paris, jusqu’au 31 mars.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00 Elle est née à Fréjus, dans le champ des cigales et des dauphins du parc Aqualand.
00:10 Elle se serait bien vue travailler là-bas.
00:12 Mais la violence du nuit en décide autrement.
00:15 Il lui faut monter à Paris seule, un CAP esthétique et un BEP hôtellerie-restauration
00:20 en poche.
00:21 La rage en dedans.
00:22 Comme elle manque de mots pour s'exprimer, ça sort sous forme de coups et d'onomatopées
00:30 dans une salle de boxe-thaï.
00:31 Souvent on entend "oh ouais" ou "eh chou" ou "hum hum".
00:36 Ça, ça fait partie intégrante du Muay-Thai.
00:40 Le Muay-Thai est un art martial.
00:42 Ça tombe bien, elle est en guerre contre ce qu'a subi son corps, mais ne se le formule
00:47 pas encore.
00:48 Il faut le hasard d'une discussion avec un garçon qui prend des cours de théâtre
00:52 pour déclencher la phase 2, le pouvoir des mots.
00:54 Elle le découvre au cours florant avec Ruy Blas de Victor Hugo.
00:58 "Mais où donc avez-vous appris toutes ces choses ? Tout vient que vous savez les effets
01:03 et les causes, vous n'ignorez donc rien.
01:06 Tout vient que votre voix parlait comme devrait parler celle des rois.
01:09 Pourquoi donc étiez-vous comme eût été Dieu même, si terrible et si grand ?
01:13 Parce que je vous aime."
01:15 Phase 3, à 30 ans.
01:18 Elle s'écrit le rôle qu'elle voudrait jouer et monte sa première pièce, la bien
01:22 nommée "Au point".
01:23 Un an plus tard, c'est une autofiction boxée qui fait sensation au festival d'Avignon,
01:28 l'odeur de la guerre, sa guerre.
01:30 Un seul en scène percutant qui vient d'être prolongé à Paris jusqu'au printemps.
01:34 Julie Duval, bonjour.
01:35 - Bonjour Mathilde.
01:36 - La petite salle de la Scala La Piccola est pleine à craquer.
01:41 Les soirs où vous jouez, c'est le jeudi et jusqu'au samedi, il n'y a sur scène que
01:46 votre corps et un sac de boxe et puis une dizaine de personnages que vous incarnez.
01:52 C'est une expérience bouleversante.
01:53 Est-ce que vous pourriez nous présenter par exemple votre père ?
01:56 - Allez ma fille, prête ? Gauche ! Excellent ça ! Droite ! Oh, bien joué ça ! Attends,
02:10 on va montrer à maman.
02:11 Loroz, regarde ta fille.
02:13 Vas-y, montre-lui.
02:14 Gauche-droite.
02:15 Solide comme son père la gamine.
02:17 - C'est votre père qui vous met à la boxe.
02:20 Il y a une violence ordinaire à la maison ?
02:22 - Oui, il y a eu de la violence, beaucoup d'amour aussi.
02:30 La violence a été infime mais elle m'a marquée dans des petites choses comme ça,
02:36 au quotidien.
02:37 C'est un enfant de la DAS.
02:42 Je pense que lui-même a emmagasiné beaucoup de choses.
02:45 Malgré tout l'amour qu'il a pu nous transmettre à ma soeur et moi, il restait des marques
02:53 dans son corps à lui aussi de ce qu'il a subi.
02:56 C'est ça qu'on se transmet quand elle s'arrête, cette violence-là, quand on en a reçu.
03:03 - Elle ressort malgré lui, parce que c'est le papou gentil mais qui est dur en fait,
03:10 votre mère.
03:11 - Oh mais qu'est-ce que c'est ça ? Mais c'est pas vrai.
03:19 Tonio, mais...
03:21 Allez, viens par ici va, petite mère, va.
03:24 Ne manquez plus que ça maintenant.
03:26 Allez, ça suffit maintenant.
03:28 On part à l'école.
03:30 - Il y a une absence de mots à la maison, très forte.
03:34 Et au collège, vous avez une copine.
03:36 Une copine.
03:37 C'est Dunia.
03:38 - Ah non mais d'accord et tout.
03:43 Ça, ça m'étonne pas du tout.
03:45 Moi la dernière fois, je suis partie voir l'infirmière du collège, je lui ai dit "Madame,
03:48 je ne peux pas retourner en cours, là, c'est les chutes du Niagara dans ma culotte".
03:52 Elle n'a rien voulu savoir.
03:54 Ajoutez à ça mon sang qui se tape des failles, j'ai envie de te dire, laisse tomber.
03:57 Parfois il est rose.
03:58 Bonne soirée, j'adore, je trouve ça trop choupi.
04:00 Parfois il est rouge.
04:02 À la rigueur, pourquoi pas.
04:03 Marron, là, ça commence à devenir compliqué.
04:05 - Elle est exceptionnelle, Dunia Alfer.
04:08 Toute la salle, elle permet d'accueillir des choses très dures aussi.
04:12 Bon, je passe votre professeur de collège qui n'a pas beaucoup d'espoir en vous, votre
04:15 coach de boxe.
04:16 Ça, il a une phrase, la boxe taille, c'est pas la bagarre.
04:20 Et puis votre professeur de théâtre, qu'est-ce qu'il dit lui toujours ?
04:22 - C'est une interprétation bouleversante, ce que je viens de voir à Yosha.
04:30 La preuve, la chair.
04:32 Je suis un peu émue, un peu fragilisée, mais c'est pas grave.
04:36 Ce n'est pas grave, je prends, j'accueille.
04:38 - C'est Guillaume Gallière.
04:41 - Je transforme.
04:42 - "Je prends, j'accueille, je transforme".
04:45 Qui était juste là avec vous, Léa, en interview juste avant.
04:49 La colère, vous dites qu'elle est venue en écrivant ce spectacle, Julie Duval.
04:55 - Peut-être que je me suis rendue compte plus particulièrement de cette colère, oui,
05:00 en la mettant sur le papier, mais en vrai, elle est là depuis très longtemps.
05:05 Je pense qu'elle a vraiment commencé à l'adolescence, quand mon corps a commencé
05:10 à changer, que le regard des garçons sur moi a commencé à changer lui aussi et que
05:15 je n'ai pas su quoi faire.
05:16 A partir de ce moment-là, je crois que j'ai commencé à me forcer à plein de choses.
05:20 - A rouler des pelles, vous dites, à essayer de mettre un peu de maquillage, à rentrer
05:24 malgré tout là-dedans.
05:25 - Et ça engendre...
05:27 Je crois que j'ai eu aussi pas mal de questions à cette période-là de ma vie auxquelles
05:34 mes parents n'ont pas su quoi répondre.
05:36 Non pas parce qu'ils n'avaient pas envie, mais parce qu'eux-mêmes, je pense qu'il y
05:40 a plein de choses qui leur échappent et plein de questions auxquelles ils ne se sont pas
05:45 attardés.
05:46 Du coup, ça engendrait pas mal de colère, pas mal de frustration.
05:49 Mais oui, je pense que je suis en colère depuis longtemps.
05:52 - Quelle question ?
05:53 - Comment on fait ? Comment on fait ? Maman, j'ai mes règles.
06:00 Qu'est-ce que c'est ?
06:02 - Qu'est-ce que c'est quand un garçon...
06:05 - Maman, il y a un garçon...
06:06 C'est quoi la sexualité en fait ? Qu'est-ce que je fais avec ce corps ? Mais ça, je l'ai
06:13 conscientisé après.
06:16 Moi, à l'époque, j'ai posé des questions, mais je pense qu'elles sont restées intérieures
06:21 aussi.
06:22 C'est-à-dire que même les formuler, c'était déjà compliqué parce que l'espace en soi
06:26 chez nous, on ne se les pose pas ces questions.
06:29 Donc même qu'elles adviennent, elles ont existé à l'intérieur de moi, mais elles
06:35 ne sont pas sorties.
06:36 - C'est même pas une question, c'est quelque chose que vous auriez pu dire.
06:41 Un soir, vous vivez une histoire qui est malheureusement encore très ordinaire.
06:44 Un soir, vous vous sentez libre ou vous voulez être libre, vous vous forcez à l'être.
06:48 Et puis un garçon qui ne s'arrête plus, qui vous viole, c'est représenté également
06:53 dans le spectacle, c'est pour ça que je peux en parler.
06:55 Vous arrivez chez vous, finalement les mots ne viennent pas, mais on ne vous demande pas
06:59 pourquoi vous êtes dans cet état et pourquoi vous êtes si mal et ça s'arrête là.
07:04 Ça rentre ensuite en vous, ça ne ressort que dans le spectacle.
07:07 - Oui, parce que déjà, il y avait la honte.
07:12 C'est-à-dire que la honte, elle atomise.
07:16 Il y a une incapacité à pouvoir raconter.
07:23 Et puis il y a une fuite ensuite.
07:27 Le départ.
07:28 - À Paris, vous avez 18 ans.
07:30 - Qui n'est pas que lié à cet abus, qui est lié à un besoin d'oublier, mais presque
07:37 de reconstruire quelque chose d'autre ailleurs.
07:40 Une nouvelle vie, un nouveau départ.
07:42 J'en avais ras le bol en fait de trop de choses.
07:46 - Et qu'est-ce qui conduit vos pas dans une salle de boxe-thaï ? C'est le papa qui vous
07:52 est tapé dans ses poings au départ ? Comment vous atterrissez là-bas ?
07:56 - En fait, c'est une amie.
08:02 Moi, j'ai souvent été...
08:04 On m'a souvent proposé d'aller voir des choses, d'aller tester des choses et j'ai
08:10 toujours accepté.
08:11 Et là, j'arrive à Paris, on me dit "Julie, je crois que tu as trop de colère en toi,
08:17 cette incapacité à parler, à pouvoir t'exprimer", parce que je m'embrouillais beaucoup avec
08:21 les gens.
08:22 Et du coup, elle me dit "je pense que ça te ferait du bien".
08:25 Premier jour, je m'embrouille un peu avec le coach.
08:29 Et je rentre chez moi, je me dis "mais c'est pas possible, pendant combien de temps je
08:33 vais m'embrouiller comme ça ?" Et à partir de là, ça a été une relation d'amour à
08:37 la boxe, à mon coach.
08:38 - Et au théâtre aussi, puisque vous livrez tout au sac de boxe, puis ensuite vous livrez
08:44 tout sur scène, au public, dans cette pièce que vous avez écrite et que vous interprétez.
08:48 Je rappelle, vous faites aussi des ateliers, vous transmettez tout ça.
08:51 Ça s'appelle "L'odeur de la guerre", ce sera jusqu'au 30 décembre à Paris.
08:54 Et puis ensuite du 9 janvier au 30 mars 2024.
08:57 Bonne route !