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Kenza Berrada auteure, comédienne. Son spectacle « Boujloud (l’homme aux peaux) » au théâtre de la Bastille jusqu’au 30 novembre est l'invitée ce mardi 26 novembre

Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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00:00Mathilde Serrell ce matin, votre invitée à 40 ans, elle veut croire que les chansons
00:05sont toujours possibles, la comédienne et metteuse en scène Kenza Berrada est dans
00:11notre studio.
00:12La comédienne et la metteuse de la comédie, Kenza Berrada, elle veut croire que les chansons
00:32sont toujours possibles, la comédienne et la metteuse de la comédie, Kenza Berrada,
00:42élève ta voix, quoi qu'il arrive, les chansons sont toujours possibles, c'est ce que chante
00:48Mohamed Mounir, superstar de la pop égyptienne, qu'on vient d'entendre dans un film de Youssef
00:53Chahine, Le Destin, cette voix qui s'élève, c'est contre les intégristes, dans votre
00:57spectacle, c'est la voix des femmes, Kenza Berrada.
01:01Oui, alors je suis très très émue d'écouter ce morceau et j'aurai toujours en tête le
01:08moment où j'ai vu cet extrait de film où le personnage de Youssef Chahine est sur
01:14une chaise et se balance de droite à gauche, de droite à gauche et on essaye de le remonter
01:19avec de la musique, de la danse.
01:22Danse, danse, danse, danse.
01:25Et donc, moi, femme, je me suis dit je vais m'emparer d'un mythe marocain et je vais
01:31venir sur scène, normalement c'est un mythe qui est fait pour les hommes et moi comme
01:36femme, je vais prendre la peau de ce boujeloud, de l'homme aux peaux et justement, on va
01:43en parler.
01:44Alors attention, beaucoup d'informations en même temps.
01:46Boujeloud, l'homme aux peaux, en effet, c'est un mythe marocain.
01:49D'abord, d'un mot, c'est un mythe du Nord Atlas.
01:51Qu'est-ce qu'il représente dans la culture marocaine ?
01:54C'est un rituel où les hommes se mettent des peaux de moutons pleines de sang sur le
01:59corps et sortent dans les rues pour apporter la fertilité, la baraka, la guérison.
02:05Et vous, vous avez adapté, on va dire, ce mythe à partir du récit d'une anthropologue
02:10qui, elle, y voit en fait un moment où on va revenir sur une transgression, peut-être
02:15justement le viol d'une femme ou une agression sexuelle d'une femme qu'il faut purifier.
02:20L'anthropologue, elle le voit comme ça et vous avez complètement suivi sa lecture.
02:24Oui, alors c'est un anthropologue et c'est...
02:27J'ai tout féminisé.
02:29Non, c'est d'autant plus fort.
02:31C'est un anthropologue qui situe la transformation de cet homme en homme animal après avoir
02:36abusé de femmes dans un lieu sacré.
02:38Et je suis partie de là pour raconter ce que ça signifiait de mettre à jour les tensions
02:44d'une société et le refouler.
02:46Alors hier à Paris, vous êtes très émue.
02:48C'était la première de ce spectacle « Bouge-loup de l'homme au pot » que vous avez écrit,
02:52mise en scène, que vous interprétez au Théâtre de la Bastille.
02:54C'est un seul en scène qui naît donc dans votre parcours au Maroc.
02:58Vous y êtes née, vous vous êtes née à Rabat.
03:00Vous avez grandi jusqu'à vos 17 ans.
03:01Et vous êtes retournée avec cette question.
03:03Comment les femmes de votre génération vivent la question du consentement ?
03:07Première réponse avec Ouria, c'était comme ça.
03:10Et elle pense d'abord à ses grands-mères mariées à l'âge de 14-15 ans et à ces
03:13femmes qui les inspectaient un peu comme des vaches pour regarder les seins, la mâchoire.
03:20Et elle découvre au fur et à mesure de cette discussion avec vous, ces moments d'absence
03:24de consentement jusqu'à une confession qu'elle avait complètement refoulée.
03:28Et c'est ça qui a créé le spectacle et qui a créé Boujeloud.
03:32Oui.
03:33Elle m'a dit une phrase qui m'a hantée, qui m'a dit « je ne pensais pas que mon histoire
03:36intéresserait à un jour quelqu'un ». Et c'est une phrase qui est restée en boucle
03:39dans ma tête.
03:40Et c'est à partir de là que je me suis dit « mais si son histoire à elle n'intéresse
03:43pas, c'est que des milliers d'autres femmes doivent penser la même chose ».
03:47Et voilà, je fais un spectacle pour elle et pour toutes ces autres femmes qui pensent
03:50que leur histoire n'en vaut pas la peine.
03:52La question en fait qui est rarement posée, c'est celle de l'écoute.
03:55On parle de la libération de la parole.
03:57Mais qu'est-ce que ça fait de recevoir ces confessions ? Comment est-ce qu'on peut
04:02les transmettre ? Comment est-ce qu'on peut aider aussi la personne qui la porte ? Et
04:06comment le fait de recevoir ces confessions réveille les traumatismes des uns et des
04:10autres ? En fait, c'est ça qu'on va voir sur scène.
04:12Et c'est pour ça qu'au-delà de l'histoire d'Oria, c'est un spectacle qui est très
04:15fort.
04:16C'est la question de l'écoute.
04:17Oui.
04:18Et l'écoute, elle est aussi dans l'écoute du public.
04:21Et en fait, comme vous l'avez dit, c'était la première hier et à la fin du spectacle,
04:25les gens sont totalement dans le silence.
04:27C'est la force du théâtre.
04:28C'est la force du spectacle vivant.
04:29C'est que je suis seule sur scène.
04:32Et puis là, ça dure quelques secondes.
04:34Et puis les gens sont totalement silencieux.
04:38Et puis là, ils se mettent à applaudir.
04:39Et on se dit OK, en fait, je fais ça pour ça.
04:43C'est pour ça que je veux être sur scène.
04:44C'est pour écouter à la fois.
04:47Que les gens écoutent.
04:48Mais que moi aussi, j'écoute cette réception.
04:50Et vous dites qu'il y a des bras croisés dans la salle.
04:52Je sais toujours qui a vécu.
04:55Les bras croisés sur le ventre.
04:58Oui, voilà.
04:59Ça, c'est quand j'ai vu La liberté de Guillaume Massard.
05:01Mais c'est aussi quand je joue ce spectacle.
05:04Et puis ça raconte les effets sur le corps.
05:07C'est les strates, en fait.
05:08Tout le vécu.
05:10Et à la fois, comme vous l'avez dit, quand on écoute ces confessions,
05:13qu'est-ce que j'en garde ?
05:15Et qu'est-ce que dans ma vie quotidienne, qu'est-ce que j'en montre ?
05:18Ça peut être un battement de jambes.
05:21Ça peut être un battement de cils.
05:24Ça peut être des gestes absolument imperceptibles.
05:26Mais quand on a les oreilles en alerte.
05:28Et quand on a les yeux en alerte.
05:30On reçoit tout ça.
05:31On ressent tout ça.
05:32Et qu'est-ce qu'on en fait ensuite ?
05:33On découvrira donc l'histoire d'Ori en allant vous voir sur scène.
05:36Vous avez voulu faire ce spectacle de façon très légère en termes de scénographie.
05:40Pour qu'il tourne partout au Maroc.
05:41Vous l'avez montré ?
05:42Oui, je l'ai tourné dans plusieurs villes au Maroc.
05:44C'est un spectacle qui tient en trois valises.
05:46Avec principalement des pots de moutons, un écran et une chaise en plastique.
05:51Parce que je l'ai joué à la fois dans un imam, dans un cirque, dans un appartement.
05:56Avec un public extrêmement réduit.
05:59Ça peut aller de 50 personnes à 500.
06:02On ira vous voir à Paris et ailleurs.
06:05Merci beaucoup Kenza Berrada.
06:07Ça s'appelle « Bouge l'aude, l'homme au pot ».
06:09Et c'est vous, l'homme au pot, sur scène.
06:11Bonne route.
06:12Et c'est au Théâtre de la Bastille.
06:13Jusqu'à vendredi pour ceux qui sont à Paris.
06:15Samedi même.

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