"La formule préférée du professeur" de Yōko Ogawa - La chronique de Juliette Arnaud

France Inter

l’année dernière

Est-ce qu’on peut nouer une relation forte avec quelqu’un dont la mémoire récente s’efface toutes les 80 minutes ? C'est la question que Juliette s'est posée avec ce roman racontant la relation entre un vieux monsieur ancien prof de maths atteint de ce handicap et son aide-ménagère.

Retrouvez toutes les dramatiques de Juliette Arnaud dans « Le grand dimanche soir » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-juliette-arnaud

Category

😹

Fun

Transcript

Display full video transcript

00:00 Alors, ce fameux classement PISA, je rappelle qu'il enregistre une baisse du niveau en mathématiques des élèves français de 15 ans.

00:08 Juliette Arnault, vous avez cherché un roman où les mathématiques sont mises en valeur et vous avez trouvé un livre intitulé "La formule préférée du professeur", roman d'une écrivaine japonaise, Yoko Ogawa.

00:22 Et on va commencer par une question, est-ce qu'on peut nouer une relation forte avec quelqu'un dont la mémoire récente s'efface toutes les 80 minutes ?

00:30 Alors, imaginez, c'est comme si moi j'étais frappée de ce handicap, d'ici 80 minutes, 1h20, et bien je me rappellerais grâce à ma mémoire ancienne que j'aime lire, que j'aime les chansons sentimentales et le chardonnay,

00:43 pas forcément dans cet ordre, mais je ne saurais pas que j'aime les gens autour de moi, devant moi, pourquoi il y a des micros et surtout j'aurais super peur qu'il y ait autant de gens dans ma chambre.

00:53 Ça fait quand même un sacré handicap. Ce handicap, c'est celui du héros de l'histoire, un vieux monsieur, ancien professeur de maths, dont la mémoire récente, c'est-à-dire celle consécutive à un accident de voiture arrivé 20 ans auparavant, s'efface toutes les 1h20.

01:06 Son savoir mathématique est intact, mais par exemple, il ne reconnaît pas l'aide ménagère qui vient chaque jour chez lui. Alors elle, elle pourrait s'en fiche, après tout, chacun ses problèmes, elle est aide ménagère, elle est la mère célibataire d'un enfant de 10 ans, on connaît des vies plus confortables, et encore ça va, elle ne connaît pas Robert G et ses propositions pour les parents défaillants.

01:25 Mais l'aide ménagère, qui est la narratrice du roman, est touchée profondément par la grande solitude de cet homme et par sa passion pour les nombres. Parce que finalement, c'est le seul domaine où le vieux monsieur ne souffre pas de son handicap.

01:38 Alors il est prolixe, alors il est vivant, alors il est passionnant. Alors l'aide ménagère, elle va se mettre au math, et elle va apprendre des choses prodigieusement poétiques.

01:46 Elle va apprendre l'existence des nombres premiers, elle va apprendre l'ordre complètement aléatoire avec lequel les nombres premiers apparaissent. Parmi les nombres premiers, les nombres premiers jumeaux, les nombres amis, ou encore le fait que les nombres existaient avant les êtres humains.

02:01 Que finalement, c'est les êtres humains qui sont arrivés après parce qu'ils se sont intéressés aux nombres, parce qu'ils avaient besoin d'eux.

02:08 Et pour moi qui pleure à l'idée de poser manuellement une division, pour moi qui appelle encore dans ma tête les équerres des règles triangles, pour la première fois avec un roman, j'ai plongé dans les maths sans avoir peur d'être nulle.

02:20 Parce qu'en fait, souvent, les adolescents, les enfants, ils siennent éloignés des maths juste pour cette raison.

02:26 Comme c'est Noël bientôt, je vous spoil la formule préférée du professeur. Elle s'appelle l'identité de l'air.

02:32 Alors évidemment, je n'ai absolument pas percé tout son mystère, mais c'est quand même une drôle d'édition dont le résultat est zéro.

02:39 Moi perso, ça me fait rêver. Avant ce livre, je ne savais tout simplement pas que les maths étaient une langue prête à nous accueillir.

02:46 Merci, bisous, merci.

02:48 Merci Juliette Arnaud. Et ça continue car voici une transposition de ce roman, la formule préférée du professeur.

02:58 C'est le moment maintenant où on renoue avec la tradition de Radio France, les dramatiques, c'est-à-dire la fiction radiophonique.

03:05 Bref, un sketch. Voici Juliette en professeur de français et son aide-ménager est joué par Emmerick Lomprey, d'où le rire dans la salle.

03:15 C'est fou quand même, cette présence. Nous sommes en 2023 et si dans le roman, la mémoire accidentée de la professeure dure 80 minutes,

03:23 pour un sketch c'est un peu long, ici elle dure 80 secondes. Allez, le rideau s'ouvre.

03:29 Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous faites dans ma chambre ?

03:36 Je suis Emmerick, aide-ménager. Vous avez perdu la mémoire il y a 10 ans et votre mémoire disparaît toutes les 80 secondes.

03:42 Et quel est votre livre préféré ?

03:45 La princesse de Clèves. Oui, je mens, mais c'est pour lui faire plaisir les enfants.

03:51 Est-ce que vous voulez bien m'entretenir du monde aujourd'hui ?

03:55 Oui, Poutine veut retrouver les frontières de l'URSS, c'est la guerre au Proche-Orient et les femmes gagnent 20% de moins que les hommes.

04:02 Non, concentrez-vous s'il vous plaît, je vous demande de me parler du monde d'aujourd'hui, pas de celui d'il y a 10 ans.

04:07 Oui, je ne suis pas sourd, je vous entends. Ah, si, Macron est président de la République.

04:12 Ah, enfin un président jeune et de gauche.

04:15 Et elle, elle est amnésique et sourde.

04:19 80 secondes plus tard.

04:22 Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous faites dans ma chambre ?

04:26 Je suis America, votre aide ménagée. Vous avez perdu la mémoire il y a 10 ans et votre mémoire disparaît toutes les 80 secondes.

04:33 Est-ce que vous voulez bien me parler du monde d'aujourd'hui ?

04:36 Ah, ça commence à devenir chiant. Bon, Poutine veut retrouver les frontières de l'URSS, c'est la guerre au Proche-Orient et les femmes gagnent 20% de moins que les hommes.

04:44 Ah, oui, aussi Michel Sardou fait sa tournée d'adieu.

04:47 Mais enfin, je vous ai demandé de me parler du monde d'aujourd'hui, pas de celui d'il y a 10 ans.

04:52 Ah, vous avez qu'une seule vanne, quoi.

04:55 Et est-ce que Bernard Pivot est toujours à la télévision pour nous parler de littérature ?

05:00 Ah, non. Depuis, il y a eu François Bunel et maintenant, Augustin Trappard.

05:04 C'est étrange, tout de même. À chaque fois, c'est un homme qui anime pour parler de littérature, alors que 80% des gens qui lisent sont des femmes.

05:12 Oui, mais ma théorie est que les femmes préfèrent entendre les hommes parler des livres.

05:17 Est-ce le moment de lui parler de Frédéric Becbédé ?

05:21 80 secondes plus tard.

05:23 Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous faites dans ma chambre ?

05:28 Je suis Emmerick, votre aide-ménager. Vous avez perdu la mémoire il y a 10 ans et votre mémoire disparaît toutes les 80 secondes.

05:34 Est-ce que vous pouvez me raconter le monde d'aujourd'hui ?

05:36 Je répète toujours deux fois la même chose. On dirait une chronique de Jamil Leschlag. Autopromo, autopromo.

05:43 En fait, je les entends, vos apartés.

05:47 Écoutez, écoutez, on ne va pas se prendre la tête. Tout va bien. En plus, c'est la saison de la raclette. Alors ?

05:55 Et c'est quoi votre livre préféré ?

05:57 N'importe quel livre de Guillaume Meurice.

05:59 Et c'est qui, Guillaume Meurice ?