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Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, était jeudi 21 décembre la Grande témoin de la matinale de franceinfo. Elle répondait aux questions de Jérôme Chapuis.

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00:00 - Notre grand témoin sur France Info ce matin est Agnès Buzyn, bonjour.
00:03 - Bonjour Jérôme Chapuis.
00:05 - Ancienne ministre des Solidarités et de la Santé d'Emmanuel Macron jusqu'en 2020.
00:09 Vous êtes 6 à avoir occupé ce poste en 6 ans après la démission hier d'Aurélien Rousseau,
00:14 l'intérim assuré par Agnès Firmin-Lebaudot.
00:17 Les causes des départs sont différentes à chaque fois, c'est la vie politique, c'est rebondissement,
00:21 mais le résultat il est là, c'est une grande instabilité dans un secteur en crise
00:26 qui concerne évidemment aux premiers chefs tous les français, ça devient un problème.
00:30 - Oui c'est un problème de mise en oeuvre des politiques publiques et vous avez raison de le signaler.
00:34 Le système de santé aujourd'hui est en difficulté, je suis pas sûre qu'on puisse appeler ça une crise,
00:40 en réalité il vit une immense transition.
00:42 On est en train de changer de modèle, c'est vrai dans tous les pays du monde,
00:46 et donc ça se ressent sur le terrain avec la nécessité de réorganiser l'accès aux soins,
00:51 de le rendre plus efficient, et donc ça nécessite des politiques publiques de long terme.
00:56 - Et donc de la continuité ?
00:58 - Et de la continuité parce qu'à chaque ministre nouveau, il veut imprimer sa marque,
01:02 il veut éventuellement faire une nouvelle réforme, donc vous plantez une réforme,
01:05 vous travaillez avec les acteurs et vous construisez pour le long terme et l'avenir,
01:11 et à chaque nouveau ministre tout cela est remis en cause,
01:14 et évidemment aucun ministre n'arrive pour mettre en oeuvre complètement la réforme de ses prédécesseurs,
01:19 donc c'est un sujet.
01:21 - Mais ce que vous dites c'est qu'en fait les ministres devraient être là pour régler les problèmes,
01:24 et que là, à ce point, cette valse, ça devient une partie du problème ?
01:29 - En tous les cas ça ralentit la capacité qu'on a à réformer,
01:34 à mettre en oeuvre des politiques de transition pour rendre le système plus efficient et plus efficace.
01:39 Donc je vous donne un exemple, j'ai fait une grande loi de santé quand j'étais ministre en 2019,
01:45 elle s'appelait "Ma santé 2022".
01:47 Donc il est arrivé que trois nouveaux ministres se sont succédés,
01:50 aucun ne souhaite vraiment mettre en oeuvre une réforme faite par les prédécesseurs.
01:54 Donc en fait une réforme que vous travaillez pendant deux ans,
01:56 un immense texte de loi qui est débattu pendant trois semaines,
02:00 qui a la majorité des votes au Parlement,
02:03 à l'arrivée se met en oeuvre très lentement,
02:06 parce que vous avez des ministres successifs qui doivent se l'approprier,
02:09 et sont d'accord ou pas d'accord, et ça ralentit.
02:11 - Et puis il y a un problème d'autorité aussi,
02:12 parce que l'administration elle, elle voit les ministres défiler,
02:14 elle se dit bon, est-ce qu'on applique vraiment ce que veut le ministre,
02:17 dès lors qu'il ne sera peut-être plus là dans six mois ?
02:18 - Absolument, puisque l'administration va faire remonter aux ministres ce qui lui tient à cœur,
02:22 et donc pas forcément la réforme qu'un ministre a voulu mettre en oeuvre.
02:26 C'est un problème évidemment pour un secteur en crise,
02:30 et il est absolument nécessaire aujourd'hui d'assurer de la stabilité.
02:33 - Sur les motifs de la démission d'Aurélien Rousseau,
02:35 j'aimerais vous entendre Agnès Buzyn, vous avez été ministre de la Solidarité,
02:39 il vient comme vous de la gauche, il est opposé à cette loi immigration,
02:42 vous auriez fait comme lui ?
02:44 - Alors c'est très difficile de se mettre à une place qu'on n'occupe plus,
02:49 il est possible, en tous les cas, je me serais certainement posé la question
02:53 de ne pas endosser un grand nombre de mesures qui ne vont pas dans le sens de mes valeurs.
02:59 En fait, j'ai accepté de faire de la politique à un moment donné,
03:03 pour des valeurs et pour faire reposer les politiques publiques sur des rationnels, sur des faits.
03:10 Le problème de cette loi immigration, c'est qu'elle percute un certain nombre de valeurs fondamentales de notre République,
03:15 et par ailleurs, elle ne repose pas sur des faits.
03:18 En fait, on a changé de logique.
03:20 Au départ, la loi immigration telle qu'elle était voulue par la majorité présidentielle,
03:24 c'était une loi qui s'attaquait à l'immigration clandestine.
03:28 Il y a une forme de glissement sémantique, on est en train de prendre le problème à l'envers,
03:33 et au lieu de s'attaquer objectivement, complètement à l'immigration clandestine,
03:38 on en vient à, quelque part, réduire l'attractivité de notre pays pour les étrangers légaux.
03:43 Ce glissement sémantique, c'est qu'on ne parle d'ailleurs plus d'une loi immigration,
03:46 on parle globalement d'une loi sur les étrangers.
03:49 C'est pas ce que l'on veut.
03:51 Aujourd'hui, on ne peut pas s'attaquer aux conséquences, il faut s'attaquer aux racines du problème.
03:56 Et les racines du problème, c'est évidemment les flux migratoires qu'on a du mal à maîtriser.
04:01 - Il y a un sujet qui est repoussé, c'est l'aide médicale d'État,
04:05 repoussée à une loi, il y a un accord avec les Républicains
04:09 pour un réexamen du dispositif au début de l'année prochaine.
04:12 Est-ce que ça a du sens, selon vous ?
04:14 - Alors, c'est typiquement des politiques publiques qui ne reposent pas sur des faits.
04:18 Et d'ailleurs, le rapport Évain-Stefanini dit exactement la même chose que moi.
04:22 C'est-à-dire que d'abord, l'AME n'est pas un facteur d'attractivité sur notre sol.
04:26 Deuxièmement, la consommation de soins des personnes à l'AME
04:30 est strictement superposable à la consommation de soins des personnes les plus pauvres de notre pays.
04:36 Donc, s'il y a des abus, ils sont totalement minoritaires.
04:40 Et d'ailleurs, nous avions déjà lutté contre les possibilités d'abus
04:44 en modifiant un tout petit peu l'AME en 2018, lorsque j'étais ministre.
04:48 Enfin, et je veux que les gens comprennent, on n'est pas pour ou contre l'AME.
04:52 Il y a deux modèles. Il y a un modèle où les gens ont accès à l'AME.
04:55 Dans ce cas-là, ils peuvent être suivis par des médecins en ville,
04:58 par des professionnels libéraux.
05:00 Il y a un modèle où on réduit l'accès à l'AME, on le détricote,
05:04 on diminue le panier de soins, ou alors on annule l'AME,
05:08 ou on rend l'AME uniquement pour les soins urgents, on le transforme.
05:12 Et à l'arrivée, les gens malades, qu'ils souffrent d'un problème urgent ou pas,
05:18 vont aller à l'hôpital. Et donc, dans le modèle où on supprime l'AME,
05:21 où on le réduit, à l'arrivée, c'est l'hôpital qui va prendre en charge les malades,
05:25 c'est l'hôpital qui va payer, et c'est nos urgences qui sont déjà surchargées
05:29 qui vont prendre le surcroît de travail sur leurs épaules.
05:32 Un dernier mot, je reviens au sujet avec lequel on a commencé, Agnès Buzyn.
05:37 Le choix du casting pour le ministère, on a tout vu.
05:41 On a vu des politiques, on a vu aussi des gens du CERAI,
05:44 François Braun qui était urgentiste, Brigitte Bourguignon qui était secrétaire médicale,
05:47 Olivier Véran neurologue, vous êtes, vous, hématologue, professeur de médecine.
05:51 C'est mieux de venir du secteur de la santé pour être ministre de la santé ?
05:54 Je crois qu'aujourd'hui, c'est important de bien connaître le secteur.
05:57 Est-ce qu'il faut être professionnel de santé soi-même ? Je ne sais pas,
06:00 mais il faut vraiment connaître le secteur. Il est très complexe.
06:03 Il y a une multiplicité d'acteurs. Si vous ne voulez pas être baladé par l'administration
06:09 et que ce soit des mesures administratives qui vous arrivent, il faut maîtriser très bien
06:13 les enjeux et la complexité du système de santé et la nécessité d'accompagner cette transition dont je parle.
06:19 Merci beaucoup, Agnès Buzyn, d'avoir été le grand témoin de France Info ce matin.
06:23 Et pour comprendre ce que c'est qu'un ministre de la santé et des solidarités en temps de crise,
06:28 je renvoie à votre livre, Journal janvier-juin 2020, c'est le titre, et c'est publié aux éditions Flammarion.

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